Latin (terminales): Sérénité poétique, Horace, Odes II, 3

Horace, Odes, livre II, 3

Introduction

Cette ode est adressée à Quintus Dellius, que ses revirements successifs ont rendu célèbre lors des guerres civiles. Surnommé « le voltigeur des guerres civiles » (« desultor bellorum civilium »), il a pris parti pour Cassius, puis pour Marc-Antoine, puis pour Octave. Cette réputation de légèreté donne plus de sens aux conseils donnés par Horace : quelle que soit la réussite dont puisse s’enorgueillir Quintus Dellius, elle ne résistera ni au temps, ni à la mort, et la moquerie du poète se révèle dans le choix d’un tel destinataire : quelle leçon de sagesse veut-il ici transmettre ?

Détail d’une fresque romaine

I La mort toute-puissante

1 La mort inéluctable

Le caractère inéluctable de la mort se ressent ici par les très nombreuses allusions qui y sont faites. Dans un premier temps, Horace prend directement à partie Dellius avec le participe futur : « Moriture Delli». Cette adresse se retrouve à la fin du texte avec la reprise par deux fois du futur « cedes » (tu quitteras »), mais cet emploi de la deuxième personne peut aussi s’interpréter comme destinée au lecteur lui-même.

Horace élargit clairement son propos, quand il évoque la diversité des conditions humaines : tout homme n’est rien d’autre que « victima nil miserantis Orci » (victime d’Orcus qui n’éprouve aucune pitié).

La dernière strophe emploie la première personne du pluriel « cogimur », et répète par deux fois au début et à la fin du même vers le pronom indéfini « omnes » / « omnium ».

De plus, le poème suit une progression chronologique inquiétante : il commence avec l’évocation du passé (« vixeris »), évoque un présent qu’il s’agit de rendre agréable (« huc ferre jube »), avant de mentionner un futur voué à la mort et à la perte (« cedes » ; emploi de deux nouveaux participes futurs «exitura », « impositura »). La précision temporelle « tôt ou tard » « ocius serius » rend assez vain toute prétention à vivre plus longtemps.

2 Images de la mort

Empruntées à une imagerie assez traditionnelle, elles insistent sur l’aspect terrifiant de la mort :

? « fila atra trium sororum » : le fil noir des trois sœurs : évocation des Parques (Clotho, Lachésis et Atropos). On note ici l’emploi de l’adjectif ater pour qualifier la vie même de la vie.

? « victima nil miserantis Orci » : le dieu Orcus est souvent associé à ce caractère impitoyable.

? » Cumbae in aeternum exilium » : dans la barque pour un exil éternel (il s’agit ici de la barque de Charon, le nocher des enfers, voir par exemple la description qu’en donne Virgile).

La mort apparaît bien dès lors comme l’issue tragique à laquelle conduit toute vie, rendant ainsi dérisoire tout orgueil, lié à la naissance ou à la richesse.

II L’égalité des conditions

1 Nil interest

A plusieurs reprises, Horace évoque des alternatives dont il nie aussitôt la valeur : peu importe. La première est présentée dans la deuxième strophe et envisage deux destinées pourtant radicalement opposées : l’une vouée au malheur (« seu maestus omni tempore vixeris » : on note l’allitération en m, qui appuie la durée même du malheur), l’autre au bonheur lié à l’aisance matérielle, avec la mention du Falerne, un vin très apprécié des Romains, qui connote le luxe et la richesse.

La seconde se développe dans la strophe six et oppose terme à terme richesse /pauvreté (dives/pauper) , naissance noble /roturière. L’utilisation de la périphrase « natus ab prisco Inacho» résonne de manière assez ironique, et marque un total contraste avec « infirma de gente ». Quant à l’image développée dans la dernière strophe, celle de l’urne, dans laquelle se trouvent mêlés les sorts de tous les hommes, elle égalise aussi les conditions. Il faut se souvenir qu’Horace lui-même est d’origine très modeste (son père est un affranchi). Nul doute qu’il n’éprouve un certain plaisir à s’adresser en ces termes au très aristocrate Quintus Dellius.

2 Vanité des richesses

De manière plus marquée, Horace se moque des richesses amassées par Quintus Dellius, et prend un malin plaisir à lui rappeler qu’il va tout abandonner : les deux verbes « cedes » sont complétés par l’énumération des biens perdus : « coemptis saltibus », « domo », « villa », et la précision « quam flavos Tiberis lavit » (« villa que baigne le Tibre blond ») ajoute au regret en nous présentant un lieu d’exception.

Horace va même jusqu’à représenter l’héritier, « heres » (à la toute fin de la strophe), suggérant ainsi qu’un autre viendra prendre la place de Quintus Dellius. La précision « divitiis extructis in altum » : « richesses élevées sur la hauteur » suggère que tous ses efforts ont été vains et que l’orgueil dont ils font preuve est ridicule.

3 Une leçon de modération

Dès lors, les conseils donnés dans la première strophe, avec l’emploi de l’impératif futur « memento », prennent tous leur sens : le premier mot est « aequam », et dans l’époque troublée qu’a vécue Horace, il tend à fonder une manière de vivre digne. Si le poète oppose « rebus in arduis » et « in bonis », ce qui lui semble intolérable, c’est surtout cette « insolenti laetitia » (la disjonction de l’adjectif et du nom met en valeur celui-ci, qui éclate au début du vers), qui renvoie très clairement à Dellius, qu’il s’agit bien ici de renvoyer à son insignifiance.

Peuplier blanc

III La sagesse horatienne: goûter le présent

1) La vie éphèmère

Si la mort atteint chacun et égalise les conditions dans une triste éternité, la vie est liée à la fuite rapide du temps. On note dans le texte de nombreuses images, qui expriment symboliquement à la fois les plaisirs de la vie et sa fugacité: “lympha fugax” (l’eau fugace), “ flores amoenae rosa” (les fleurs de l’agréable rose), voire même “unguenta “ (les parfums). Cette brièveté est soulignée par l’expression “nimium brevis” (trop brève) qu’Horace emploie pour parler des fleurs.

2) Les plaisirs des sens

Goûter les plaisirs de la vie, c’est finalement le conseil que donne Horace, autant à Quintus Dellius qu’au lecteur (noter l’impératif: “ huc jube ferre”, ordonne d’apporter ici: le texte s’inscrit dans un “ici et maintenant” qui laisse de côté tout avenir possible). Le poète évoque ainsi le goût avec la mention du vin (“interiore nota Falerni”, un Falerne dont l’étiquette est au fond”, ou “vina”), la vue (“flores rosae”), ou l’odorat (toujours les roses que l’on associe bien sûr aux parfums; “unguenta”).

3) L’importance de la nature

De manière plus globale, le bonheur de vivre est lié pour Horace à un environnement champêtre: comme image d’une vie heureuse, il est question dans la seconde strophe d’une solitude au sein de la nature (“reclinatum in remoto gramine”, allongé à l’écart dans le gazon) . Né dans le sud de l’Italie, Horace apprécie l’ombre et la fraîcheur: il évoque les arbres “pinus ingens”, “alba populus” (le blanc peuplier), coemptis saltibus (les bois achetés) ainsi que l’eau (“lympha fugax”; “flavus Tiberis”: le Tibre blond). La nature apparaît ainsi comme douce et accueillante (“amant consociare umbram hospitalem”: personnification des arbres, désireux d’offrir aux hommes leur ombre hospitalière.

Le Tibre, le château Saint- Ange et la basilique Saint-Pierre

Tableau de David Roberts (milieu du XIXe siècle).

Conclusion

La sagesse d’Horace qui enjoint de profiter agréablement de la vie se fonde malgré tout sur une conscience aigüe du caractère éphémère de l’existence humaine, sans cesse menacée, autant par les vicissitudes du temps présent que par l’imminence de la vieillesse et de la mort. On a souvent voulu voir le poète comme un épicurien “en action”, mais on ne peut qu’être surpris de la place qu’il accorde à la mort, alors même que la doctrine voudrait qu’à jamais impossible à rencontrer, elle n’obsède plus du tout les adeptes d’Epicure.

Textes complémentaires

Aurea mediocritas

La bonne direction dans la vie, Licinius*, c’est de ne pas pousser toujours vers la haute mer, c’est aussi de n’aller point, dans une horreur prudente des tempêtes, serrer de trop près le rivage peu sûr.

Quiconque élit la médiocrité toute d’or a la sécurité, qui le garde des laideurs sordides d’un toit délabré, la modération, qui le garde d’un palais sujet à l’envie.

Les vents agitent plus fréquemment le pin immense, les tours élevées croulent d’une chute plus pesante, les éclairs frappent le sommet des monts.

Il espère dans l’adversité, dans la prospérité il redoute le sort contraire, le cœur bien préparé. Jupiter ramène les difformes hiver», c’est lui aussi qui les chasse. Si le présent est mauvais, il n’est pas dit que l’avenir le sera. Parfois Apollon réveille sur la cithare sa Muse silencieuse, et il ne tend pas toujours son arc.

Dans les moments difficiles, montre-toi courageux et fort : mais tu auras aussi la sagesse de réduire tes voiles trop gonflées par un vent favorable.

Horace, Odes, II, X

Postume, Postume, hélas ! à flots rapides s’écoulent nos ans, et notre piété ne saurait nous préserver des rides, des cheveux gris, du trépas indompté:

Non, quand chaque jour, courtisan des plus tendres, Ami, tu vouerais trois cents bœufs à Pluton, dieu sans pleurs, qui de sombres méandre ceint Tityus, le triple Géryon, dans ces tristes eaux que nous fendrons de même,

Nous tous relevant des terrestres produits, aussi bien porteurs de diadème que laboureurs aux indigents réduits.

En vain fuirons-nous la sanglante Bellone et l’Adriatique avec ses ouragans; pour nos corps en vain, pendant l’automne, aurons-nous craint le poison des autans:

Il faudra bien voir l’onde noire et languissante du Cocyte errant, les criminelles sœurs d’Hypermnestre, et Sisyphe Éolide qui va soumis à d’éternels labeurs.

Adieu donc villas, palais, épouse aimable ! De tant d’arbres verts cultivés par ta main, nul, hormis le cyprès détestable nul ne suivra son maître temporaire

Un prompt héritier, certainement plus sage, boira ton Cécube à tous les yeux soustrait; il teindra ton superbe dallage de ce nectar qu’un pontife envierait.

Horace, Odes II, 14

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