La Curée,chapitre VI, Renée au miroir

Chapitre VI

De « Sa vie se déroulait devant elle » à « elle crut voir se lever les figures de Saccard et de Maxime ».

Vanité-femme au miroir

Introduction

le chapitre VI est entièrement consacré au bal travesti qui se donne chez les Saccard, le jeudi de la mi-carême.La situation des trois protagonistes est arrivée à une impasse: Maxime doit épouser Louise et mettre ainsi un terme à sa liaison avec Renée, ce que celle-ci se refuse à accepter. Elle a par ailleurs refusé à son mari la cession des terrains de Charonne, ce qui conduit celui-ci à lui soupçonner un amant et à la faire surveiller par Sidonie. Le passage étudié ici se situe à la fin du bal. Renée, jalouse, a fait monter Maxime dans son cabinet de toilette, et dans sa folie amoureuse elle envisage de fuir avec le jeune homme, en se procurant de l’argent grâce à la vente des terrains convoités par son mari. Elle vient de signer l’acte lorsque celui-ci entre et comprend la situation. Mais voyant le papier signé, il fait semblant de n’avoir rien saisi et redescend  avec son fils vers le bal. Renée reste seule. Dans quelle mesure ce passage marque-t-il la fin de Renée?

I Un moment de vérité

1) L’organisation du passage

Tout le passage s’organise autour des réflexions de Renée face à son miroir: Zola plonge le lecteur dans la pensée même de son héroïne : Il envisage d’abord le retour que Renée fait sur son passé: « Sa vie se déroulait devant elle« , « elle assistait« , « elle se rappelait bien son enfance« . Certaines formules manifestent l’emploi du style indirect libre:ainsi de l’emploi des démonstratifs, du verbe « devoir » ou même du terme « certes » qui renvoie à l’oralité.

« cette sève, la plante de ces pieds l’avait prise..sur toute cette soie et tout ce velours, où elle marchait depuis son mariage«

« Les pas des autres devaient avoir laissé là ces germes de poison«

« Certes, elle serait devenue meilleure, si elle était restée à tricoter« .

Avec l’emploi de « mais« , Zola ramène Renée à la réalité présente et au regard qu’elle porte sur le miroir: « elle ne voyait que…« , « elle en était arrivée à cela« : l’emploi de l’imparfait et du plus que parfait précise le constat qui est celui de la jeune femme, devant ce qu’elle est devenue.

Zola envisage ensuite la réaction de la jeune femme: l’emploi de « alors » est développé par le retour au passé simple: « le sang de son père…cria en elle, se révolta« , et la recherche des responsabilités la conduit à approfondir sa réflexion qui conçoit à ce moment le rôle que Saccard et Maxime ont joué: « elle crut voir se lever les figures de Saccard et de Maxime« .

2) La conscience de la faute

Le bal apparait pour la jeune femme comme un paroxysme, le moment où elle a désormais perdu toute pudeur, où elle s‘est mise « nue », et ce dévoilement renvoie bien sûr à la faute qu’elle ne peut avouer en public, l’inceste accompli avec Maxime. De fait, tout le passage est organisé autour de la morale: le vocabulaire y est très dépréciatif: « ce tapage de l’or et de la chair« , « des caprices de malade et de bête« , « les énormités de sa vie« . On note également de nombreux termes qui renvoient aux notions de bien et de mal: « mauvaise« , « honteuses tendresses« , « mal« , « honte« , « meilleure« . La fin du passage renvoie à la croyance religieuse, avec l’évocation de « l’enfer« , associée à des verbes comme « tourmenté » ou « tremblé« .

Cependant dans cette analyse d’elle-même, on remarque que Renée passe de « se mettre nue » (dernière phrase du paragraphe qui précède le texte à expliquer) à « Qui donc l’avait mise nue? » (de sujet, Renée devient objet).

II Le dédoublement

1) L’opposition du présent et du passé

En revenant sur son passé, Renée l’envisage comme une période associée à l’innocence et à la pureté, grâce aux figures rassurantes de la tante Elisabeth et de son père: sa tante est évoquée sous des couleurs maternelles: « elle entendait le tic-tac des aiguilles de la tante » (figure assise, immobile, occupée à des travaux féminins « traditionnels »), tandis que l’expression « au fond de la sévérité noire de l’hôtel Béraud » suggère la silhouette de son père, indissociable du lieu même, de la couleur noire, et de la solitude extrême que suggère la précision « au fond de« . De cette enfance, elle ne retient que « des curiosités » dont elle diminue l’importance par l’emploi des la formule « ne…que« .

A cette période elle oppose ce qui s’est passé après son mariage: le luxe (la calèche, les tapis, toute cette soie et ce velours), et la chair appuyée sur la répétition de la couleur « rose » associée aux parties du corps: « ses cuisses roses« , « ses hanches roses« , « cette étrange femme de soie rose« .

Mais très vite, cette opposition au lieu d’être purement temporelle devient caractéristique du personnage: Renée est elle-même double. Il y a finalement deux sangs en elle: « le sang de son père, ce sang bourgeois », le sang pur si l’on peut dire et celui qui a été contaminé et que Zola mentionne en ces termes: « ces germes de poison, éclos dans son sang« .

2) Une victime qui n’est pas responsable

Dès lors, ce dédoublement finit par faire de Renée une victime qui n’est pas responsable: tout le passage la présente comme objet, subissant l’action: « qui était monté en elle« , « elle lui avait lassé les membres« , « mis au coeur« , fait pousser« ; « ce viol qui l’avait jeté au mal« . Et c’est ce qui aboutit à la question finale: « qui donc l’avait mise nue? ».

L’image que Zola utilise tout au long du texte pour manifester cette transformation non voulue, c’est celle de la dégénérescence. Ainsi on constate un très large champ lexical du corps: « genoux« , « ventre« , « lèvres« , « tête« , « crâne« , « membres« , « coeur« , « cerveau« , « plante des pieds« , « sang« , « veines« , qui se combine  soit avec l’image de la maladie qui se répand « ces germes de poison« , soit avec l’image d’une plante dont la croissance est elle-même maladive: « sève » employée deux fois, « excroissances« , « fait pousser« .

Ainsi, Renée n’a eu aucun contrôle sur ce qui est advenu: les « germes de poison, éclos à cette heure dans son sang, et que ses veines charriaient » intériorisent le mal comme désormais installé, et complètement répandu dans tout son être. La deuxième phrase du passage qui évoque également « ce tapage de l’or et de la chair » qui l’a  envahie, se développe sur plusieurs lignes avec des compléments circonstanciels et des propositions relatives qui miment en quelque sorte cette invasion progressive devant aboutir à l’asphyxie.

III La folie en marche

De ce dédoublement, Zola tire les conséquences: le développement de la maladie, le détraquement, la folie.

1) l’hallucination

L’hallucination commence d’abord par l’audition: « Et elle entendait le tic-tac régulier des aiguilles de sa tante, tandis qu’elle regardait fixement dans la glace pour lire cet avenir de paix qui lui avait échappé« . La comparaison avec les aiguilles d’une horloge approfondit la signification et donne un caractère plus troublant à la scène: la bonne tante devient l’image du temps qui passe et se mue en un personnage plus inquiètant qui peut évoquer la mauvaise fée des contes voire même l’image des Parques.

L’hallucination continue avec l’apparition dans la glace des figures de Maxime et de Saccard: la mention de « l’ombre bleuâtre« , le surgissement suggéré par le verbe « se lever » font du miroir une sorte d’objet magique qui révèle la vérité des êtres et des choses. Cette dimension avait déjà été amorcée au début du passage grâce aux verbes qui semblaient faire de Renée une spectatrice: « sa vie se déroulait devant elle« , « elle assistait« , « elle regardait fixement dans la glace« .(L’adverbe lui-même trahit la maladie mentale).

On serait dans un univers proprement fantastique, si Zola n’explicitait pas l’hallucination avec l’emploi du verbe « croire » qui souligne l’illusion, et explicite ainsi la folie de la jeune femme.

2) Les images symboliques

Là encore, Zola utilise un certain nombre d’images qui symbolisent cette folie: d’abord la noyade, le flot qui submerge Renée, « en lui battant le crâne à coups pressés » (noter la violence des consonnes:b; p; k,r). Peut-être un souvenir d’Ophélie?

ophelie

Ophélie, J. Everett Millais, 1851-1852

Ensuite, il compare Renée à une plante malade: on retrouve là toute une thématique fréquente dans la Curée: la plante, saine, qui devient monstrueuse et finit animale: « mis au coeur des excroissances de honteuses tendresses, fait pousser au cerveau des caprices de malade et de bête« . On retrouve le même schéma avec l’évocation de la serre: les plantes « dénaturées » se développent avec exagération et finissent par ressembler à des animaux monstreux (crapauds, serpents). La mention ici du « cerveau » montre bien la maladie mentale qui se développe.

La dernière image forte est celle de la poupée de son. On peut penser ici aux Stryges, ces créatures mythologiques qui dévorent les êtres humains et ne laissent derrière elles que des mannequins remplis de paille. C’est bien ce qu’est devenue Renée: « une grande poupée dont la poitrine déchirée ne laisse échapper qu’un filet de son« , « une femme de soie rose » à « la peau de fine étoffe« . Toute puissance des apparences, vide intérieur absolu, impossibilité de toute manifestation de révolte. On peut bien sûr penser à l’ambivalence du « filet de son ». Même la révélation de l’inceste n’a pas choqué Saccard. L’image qui est donnée de Renée est donc celle d’une femme déchirée, que l’on a même privée de toute possibilité de parole.

Conclusion

Cette prise de conscience au soir du bal marque l’aboutissement du roman. Le dernier chapitre me fait que confirmer tout ce qui est déjà inscrit dans cette dernière scène: Renée ne meurt pas (on n’est pas dans une tragédie, l’époque est trop vulgaire pour cela), elle continue sa vie excessive, mais désormais avec des « vices » tristes et banals (le jeu, un peu la boisson). Elle continue ses folies de vêtements, s’attache démesurément à sa femme de chambre, vieillit. De manière significative, elle meurt d’une méningite aiguë (inflammation des méninges, une partie du cerveau).

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