Mars, mois de la Saint Patrick ?

Si vous pensez que le mois de mars rime avec la Saint Patrick, c’est certain que vous ne pouvez pas comprendre le vent de panique qui souffle sur la cohorte des enseignants. Le mois de mars, c’est le mois de la mutation « intra » et c’est pas extra. Pensez donc, il s’agit de changer de poste.

druide-mutation

Dans un premier temps a donc eu lieu la mutation inter-académique. Les enseignants expérimentés se sacrifient toujours, lors de cette phase, pour permettre aux impétrants, aux jeunes collègues, d’acquérir l’expérience nécessaire pour devenir un bon enseignant. C’est la célébrissime peregrinatio pro Deo : il est de mauvais ton, lorsque l’on a un peu d’expérience, de briguer des îles telles que la Seine-Saint-Denis, l’académie de Versailles et quelques autres destinations aussi enchanteresses qu’exotiques. C’est donc avec une certaine tristesse que l’on voit partir les jeunes collègues pour ces contrées idéales. On fêtera néanmoins, lors d’une grande ripaille, vers le mois de juin, le départ des jeunes mutés. Il arrive plus d’une fois d’apercevoir une larme au coin de l’œil de ce pas-encore-vieux-collègue, aux cheveux gris. Nul doute qu’il se souvient avec émotion de sa propre peregrinatio pro Deo.

De l’importance de connaître un dragon

Pour tous les autres personnels, l’heure est grave. Les professeurs des écoles sont moins inquiets, puisqu’ils vont moins loin et qu’ils peuvent souvent changer. Le nom du Conseiller Pédagogique, la surface du « coin des maîtres et des maîtresses », ainsi que la marque et l’âge du photocopieur sont des renseignements aisés à obtenir.
Pour les professeurs certifiés, l’instant est la source d’une indicible angoisse. Une mutation, c’est pour dix ans (au mieux !). En cas d’erreur, la seule solution est de demander une destination de rêve et nous avons vu que cela ne se faisait pas. Il faut donc bien préparer sa mutation. La phase de renseignement est secrète. Grâce à ses relations, le futur mutant se renseigne sur la qualité des élèves. En général, il possède un éclaireur dans les lieux, une sorte de dragon. Non, pas le reptile celtique, mais un apparenté au Treizième Régiment de dragons parachutistes de Souge en Gironde. En effet, il ne peut pas compter sur les collègues qui se réservent ces informations sensibles, ni sur la liste des postes libres, car elle est réservée aux martiens qui possèdent un barème supérieur à mille points (un enseignant « normal » gagne dix points par an en moyenne). Une fois muni de ces secrets, le professeur certifié se tourne vers un druide, le Merlin des mutations. Je veux parler du collègue-syndiqué-spécialiste des mutations. D’ailleurs, c’est vers le mois de mars que toutes les écoles de druides se réveillent et envahissent la boîte aux lettres académique. Et tous de promettre réussite, remboursement sur la feuille d’impôt et d’agiter leurs gris-gris : le nombre de sièges qu’ils possèdent en Capa, Capad, Capn et autres lieux secrets où la mutation se fabrique.

Je peux difficilement parler des professeurs agrégés. Les professeurs agrégés forment une caste à part. Ils ont des bonifications spéciales pour aller au lycée, ils possèdent des organisations chamaniques très redoutées, telles que la célèbre APHG. Comme le professeur agrégé est d’un naturel peu loquace, sa mutation est encore plus mystérieuse.

Quitte à livrer des secrets, autant que je vous dise qu’il existe une société occulte de la Saint Patrick, qui recrute uniquement parmi les professeurs d’anglais. Comment les reconnaître ? Deux symboles imparables : le premier est assez discret, longiligne et pour tout dire reptilien et verdâtre. Il faut bien observer, car il est souvent déguisé et masqué. Il rappelle les serpents chassés par le Saint Irlandais, symbole du malin. Le second signe est un trèfle. Non, pas le symbole irlandais rappelant la très sainte Trinité. Un trèfle à quatre feuilles, pour conjurer les aléas de la mutation.

Dans cette phase anxiogène, les seuls à ricaner sont les auxiliaires, ces contractuels ou ces vacataires. Eux ne sont pas concernés par la mutation intra. D’ailleurs, bien souvent, ils ont refusé de passer les concours par peur de la peregrinatio pro Deo. Ils « affectent un sourire de bon prince » : la joie de ne savoir qu’à la fin du mois d’août où ils poseront leurs guêtres et leurs Lares, et si ce sera pour une année complète…

J’y vais ou j’y vais pas ?

Avant de plonger, il convient de se livrer à un profond exercice d’introspection. Une fois mesurées les chances d’obtenir le Saint Graal, l’arrêté de nomination, il faut remplir deux colonnes. D’un côté les menus privilèges obtenus durement au fil des ans : une salle à son nom, un fauteuil de ministre (celui de l’ancien adjoint qui l’avait obtenu lors du quatrième changement de principal), un emploi du temps pas trop pourri. Je tiens, ici, à rappeler solennellement que jamais les enseignants n’obtiennent un bon emploi du temps. Leurs demandes légitimes ne sont jamais satisfaites. Ils doivent souvent travailler le lundi et le vendredi. Le mercredi est très difficile à obtenir. En plus, il faut commencer le plus souvent à 8 heures. Et quand on a obtenu de commencer à 9 heures, bien souvent on termine à 17 heures, voire 18 heures. De surcroît , on ne peut pas choisir ses dates de congé, elles sont toujours imposées par le ministère. Les seuls qui ont un emploi du temps correct, sont Germaine (mais qu’a-t-elle fait pour l’obtenir ?) et ce ?? d’agrégé d’EPS, qui – de toute façon – n’est jamais là.
Mais je me perds en digressions.

Dans la seconde colonne, il faut écrire les joies attendues de ce nouveau poste. Les classes les plus pourries la première année. C’est le traditionnel cadeau d’intégration, de bizutage. Il sera accompagné de la célèbre formule « Excuse-nous, on pensait que ce serait un vacataire ». La salle de classe au fond du bâtiment G, à côté des cuisines, avec le vidéo-projecteur cassé, mais « Ne vous inquiétez pas, on a commandé l’ampoule en juin, on devrait la recevoir d’ici un mois ». Finalement, l’histoire de la salle de classe pourrie, c’est un fantasme. Les trois premières années, sauf miracle, on n’a pas de salle de classe attribuée, puisqu’elles sont réservées aux anciens. Un nouveau principal à apprivoiser (pour obtenir une salle). On va pouvoir faire des projets avec Dominique qu’on avait perdu de vue depuis quinze ans. On mettra bien quatre ans à s’apercevoir que nos nouveaux collègues sont aussi mesquins et peu intéressants que ceux avec qui nous bavardons actuellement.

Mutatis mutandis, je vais pas la faire ma demande de « mut ». Je me suis habitué à mes collègues, on rigole quand même bien ensemble ! L’ambiance du repas pantagruélique de fin d’année est si géniale que les retraités et les mutés reviennent de loin pour dire leurs regrets de ne plus être hic et nunc (c’est comme ça, on a des lettres chez le Mammouth). En plus, le principal aime bien mon projet Pédagogique que je fais depuis maintenant 10 ans et qui me permet de participer au festival international annuel. De plus, Marcelo veut que je l’accompagne cette année, pour le voyage à Bonn. Et puis, je me souviens, les cauchemars de l’année dernière, après avoir validé la demande de mutation et jusqu’au résultat. Ouf, il me manquait deux cents points pour obtenir le poste. Vingt ans d’ancienneté. C’est décidé, je reste.

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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