Parole(s) en archipel

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Enseigner les arts plastiques, éduquer aux arts et à la culture, aujourd'hui. Un carnet personnel de C. Vieaux.

L’architecture à l’École : enjeu éducatif identifié ou cause à défendre en éducation ?

Présentation

Ce texte est également publié dans partager l’architecture, avec les enfants, co-édition arc en rêve centre d’architecture et Parenthèses, octobre 2018.
Il a été produit à la demande d’Arc en Rêve, centre d’architecture à Bordeaux, de rayonnement national. Créé en 1981, il mène des actions de sensibilisation culturelle dans les domaines de l’architecture, de la ville, du paysage et du design, avec un rôle de médiation pour la promotion de la qualité du cadre de vie.


 

L’architecture à l’École : enjeu éducatif identifié ou cause à défendre en éducation ?

Les 24 et 25 novembre 2017, sous l’égide du centre d’architecture Arc en rêve, s’est déroulé un colloque national intitulé « Partager l’architecture, avec les enfants ». Au-delà de cet important événement, la question pourrait rester entière du périmètre et de l’impact des actions dont il est ainsi possible de témoigner. Précisément, au regard du nombre d’élèves scolarisés, l’éducation à l’architecture dans et hors l’École n’est pas vraiment massive.

L’architecture est parmi les domaines faibles[1] de l’éducation artistique et culturelle

Depuis plus de trente ans, des orientations se sont succédées pour généraliser l’EAC. [2] Divers domaines ont progressivement révélé leur capacité à infuser dans le monde scolaire. S’appuyant parfois sur des disciplines enseignées, certains se développent ainsi mieux que d’autres — le théâtre et le cinéma sont de ceux-là[3], souvent portés par les programmes et les professeurs de français. Récemment, les enseignants d’éducation musicale sont partie prenante de l’impulsion massive de la chorale scolaire. Loin d’être confidentiels, au regard des pratiques artistiques et sociales, d’autres champs restent cependant aux marges, dont l’architecture…

L’architecture n’est pas « systématiquement » associée aux visées de l’entrée en culture des élèves

Presque partout présente, elle est en quelque sorte un « matériau » éducatif très concret, souvent disponible, toujours proche. Nécessité régulièrement affirmée, l’ambition de culture architecturale ne suscite pourtant ni réelle priorité ni grande opération en EAC. Pourquoi ? S’agit-il d’une désaffection globale des décideurs ou d’un désintérêt des acteurs ? Deux modestes constats. À différents niveaux, l’architecture n’est pas d’emblée ou du moins naturellement considérée comme un des vecteurs emblématiques de démocratisation de l’accès à la culture. Une caractéristique en éducation, très accentuée dans l’École française, et dont il faut prendre la mesure : les domaines non-inscrits dans les courants porteurs d’une continuité scolaire peinent considérablement à y exister.

Une architecture éloignée des modèles opérants pour « faire école » : deux exemples

Après trente années d’activités professionnelles, en différents lieux et niveaux de responsabilités[4], il m’a été donné d’observer quelques circonstances où, soit les acteurs de l’EAC passent à côté de l’architecture, soit les modèles disponibles empêchent son plus large partage. Deux sont assez emblématiques.

Le manque d’opportunisme « local ». Presque aucun élève n’échappe aux bâtiments scolaires[5]. Si nombre de constructions ou réhabilitations d’écoles, de collèges, de lycées ont été réalisées en trois décennies, elles se sont rarement accompagnées d’une action éducative « systématique ». Ces contextes et situations n’apparaissent pas perçus comme des opportunités pour lier, à l’échelon le plus local, éducation et architecture. Ils sont pourtant propices in vivo à la découverte et la compréhension, pour tous les élèves d’un établissement, d’un programme architectural et son processus, des choix et modalités d’inscription du construit dans un environnement, des enjeux citoyens des débats et usages. Il y a maintenant plus de vingt ans, une démarche intitulée « périmètre de curiosité »[6]s’initiait : ancrée dans l’architecture d’un collège, l’approche ouvrait à l’exploration et l’interprétation de l’environnement architectural proche. Facilement déclinable, peu gourmande en temps et déplacements, disponible aux approches sensibles, elle n’a pas fait école…

Des leviers manquants à la culture architecturale dans une l’EAC territorialisée. En région, services déconcentrés de l’État — notamment l’éducation et la culture — et collectivités travaillent à généraliser et ancrer l’EAC dans les territoires. Cette politique a aujourd’hui deux principaux fers de lance : les résidences d’artistes et les contrats locaux d’éducation artistique. Dans ces modalités, les actions orientées vers la culture architecturale demeurent sporadiques. Les dispositifs, hors centres et structures dédiés à l’architecture[7], sont plutôt situés dans les filiations de l’atelier artistique. Décroissants et carencés en crédits, ils ne sont peut-être pas les plus adaptés aux effets de démultiplication à rechercher. Pour progresser, des modèles nouveaux, coïncidant davantage avec les possibilités de mobilisation de l’écosystème des professionnels en architecture, devraient être expérimentés.

Un trop faible enracinement de l’éducation à l’architecture dans ses quelques appuis scolaires

Peu de matières scolaires et de dispositifs interdisciplinaires abordent des contenus ou thématiques mobilisant des notions architecturales. Sans exclusive, deux enseignements artistiques obligatoires intègrent des savoirs explicites en architecture : les arts plastiques et l’histoire des arts. Les premiers partagent avec elle des langages, des pratiques, des processus, des références, tous propices à approcher le fait architectural dans un mouvement du sensible au sensé. La seconde dispose l’étude des évolutions de l’architecture comme fonction et création, dans la profondeur du temps et dans ses correspondances ou dialogues avec d’autres arts. L’ensemble de ce « polyptyque » scolaire ne fait pas corpus et ne procure pas, en l’état, une vision pleinement satisfaisante de la culture architecturale. Il est toutefois une base disponible, mais insuffisamment soutenue dans l’École et trop peu sollicitée ou identifiée par ses partenaires.

Finalement, un plaidoyer pour l’éducation à l’architecture

Peu optimiste dans ses constats, ce texte est en fait un certain plaidoyer pour l’architecture, un encouragement à la saisir pour la partager avec tous les élèves, simultanément hors, dans et par l’École. Certes, cultiver des convergences d’intentions et d’actions, associer des compétences en divers lieux, réviser les modalités est crucial. Cependant, les alliances entre professionnels ne font pas tout : un engagement du politique sur le principe d’une généralisation reste un levier nécessaire et attendu.

Christian Vieaux

Republication en mai 2022 d’un texte de 2017, comprenant quelques mises à jour de notes de bas de pages.

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[1] Nous actualisons le texte ici publié (2022) par rapport à la version initiale (2017) : force est de constater que les orientations en EAC publiées dans un document intitulé « À l’école des arts et de la culture » n’ont pas amélioré le traitement de l’éducation à l’architecture. Fondé sur 5 axes prioritaires (chanter, lire, regarder, s’exprimer à l’oral et développer son esprit critique), on n’y trouve qu’une seule fois le terme architecture, relié à l’action Lever les yeux, elle-même adossée à l’enseignement d’histoire des arts.

[2] Par commodité, nous emploierons ensuite l’acronyme EAC.

[3] Toutefois, depuis 2017-18, en matière d’EAC, pour ces deux domaines on ne constate pas d’impulsion « systémique », avec une forte interaction réglementaire Éducation/Culture, refondant des dispositions existantes ou développant de nouvelles approches (à l’exception récente d’un guide dédié à la troupe de théâtre en milieu scolaire, rattaché à un programme éducatif « A vous de jouer ! », mentionnant la « participation » du ministère de la Culture).

[4] Au-delà de préciser les « mérites » d’une carrière, il s’agit d’indiquer ici un parcours où la préoccupation de l’éducation à l’architecture, d’une observation et réflexion sur elle, peut être mise en perspective dans l’École et avec ses partenaires : enseignant, formateur, inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional, délégué académique aux arts et à la culture, directeur régional de CRDP, désormais inspecteur général.

[5] On lira en creux l’évocation d’une citation de Bruno Zévi : « Pourtant, si chacun est libre de tourner le bouton de la radio, de déserter les salles de concert, de cinéma ou de théâtre, comme de ne pas lire un livre, personne ne peut fermer les yeux devant les édifices qui constituent le décor de notre vie », Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de minuit, 1959.

[6] Associant en Nord–Pas-de-Calais, le rectorat d’académie, un CAUE et une école nationale supérieure d’architecture.

[7] Arc en rêve, Maisons de l’architecture, CAUE par exemple.

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