Deux mois pour oublier

Deux mois c’est trop long. Franchement. J’ai oublié qui j’étais. Je passe ma journée en paréo, je ne mets plus de soutien-gorge et mes pieds ne connaissent que les tongs.

tongs

À l’orée des vacances, seule dans mon bout du monde, alors que la plupart des collègues/copains partaient faire le plein de saucissons-frometon-pinard sous couvert de retrouvailles familiales, ces deux mois me paraissaient vertigineusement longs.

J’allais pouvoir lire les tonnes de bouquins empilés sur ma table de nuit, mater les films et séries stockés méticuleusement « en attendant d’avoir le temps », ranger les cartons du déménagement de y’a 6 mois qui attendent aussi « qu’on ait le temps » parce que s’y trouve le fatras qu’on a pas eu le cœur/courage de jeter mais qui ne nous sert plus à rien depuis si longtemps.

J’allais passer du temps avec fiston, pisciner, balader, bac-à-sabler, pâtisser, peinturer, chahuter et câliner. Le préparer tout doucement à sa rentrée à lui. La première !

Forcer Djarabi-monchéri à s’arrêter un peu aussi, lui qui n’est pas prof et « ne connaît pas les vacances ». S’éloigner au vert quelques jours, pour avoir un petit goût de départ en vacances.

Ne pas culpabiliser de glander. Ne pas culpabiliser ! Cette année m’a vraiment fatiguée. Alors je me suis dit : cet été, pas question de s’en faire, de relire, refaire et rebidouiller. Stop. Pause. J’y ai droit. Et toute ma tête et mon corps le réclament.

Et c’est comme ça que j’ai oublié qui j’étais. Paréo, tongs et amnésie.

L’objet du souvenir

Ce matin, mon cartable m’appelle. Tout fatigué et rabougri dans un coin. Je le prends en pitié. Je le renverse d’un coup sur la table de la salle à manger. Relevés de notes chiffonnés des derniers conseils de classe… Pelures de crayons… 3 bonbons collés rescapés d’une distribution lors du dernier cours des 3e, cahier de réunion, trousse épuisée qui tient le coup depuis 4 années scolaires, trieur à moitié vidé pendant la réunion de fin d’année et qui devrait reprendre du service dans quelques jours, un tas de feuilles ayant perdu leur utilité qui retrouveront une deuxième vie sous les crayons gras du fiston qui découvre le bonheur de la création artistique…

Le cartable part au nettoyage, et je prends le temps d’examiner les reliques de ce passé pas si éloigné. Les visages me reviennent en mémoire. Certains que je serai sans doute plus contente de revoir que d’autres. Tout comme eux, d’ailleurs, seront peut être plus ou moins ravis de me retrouver.

L’odeur chatouille mes narines, celle des classes surchauffées et des pieds mal lavés. Celle des taches d’encre (« J’sais pas comment j’ai fait mais ma cartouche s’est cassée Madame ! ») et de la craie effritée. Celle de la clim’ qui marche toujours trop fort ou bien est en panne. Celle du café laissé à recuire en salle des profs. Celle de la pluie qui mouille encore en cette saison, la terre rouge de la cour de récré.

Je déballe mon « 4 couleurs » tout neuf et le niche dans la trousse défraîchie dont je ne veux pas me séparer. Je découpe au cutter les pages d’un cahier pour le libérer du poids de l’année passée, et le rafraîchir pour celle à venir (recyclage écolo ou pingrerie maladive ? Je vous laisse deviner). Je vide des pochettes, en garnis d’autres des documents à conserver. J’hésite encore à jeter l’emploi du temps de l’année dernière qui me convenait si bien. Le garder, fétiche magique, pour que cette année encore les choses s’emboîtent parfaitement. Classe, boulot, fiston, maison, et un petit peu de temps pour soi.

Tout est prêt

Sans y penser, j’ouvre l’ordinateur. Je vérifie que ma clé USB est bien pleine à craquer de tonnes de cours à dispenser. Tout y est. Je relis un peu. Pour me rassurer. Pour me rappeler. Je note. Les premières photocopies à faire. Les recommandations du début d’année qui ressemblent aux bonnes résolutions du premier de l’an : absolument incontournables et immanquablement éphémères. Les manuels sont là, serrés dans leur tiroir, parés au décollage. Ils n’ont pas profité de l’été pour s’échapper.

Je regarde mon cartable, qui a repris du poil de la bête, propre et déjà regonflé.

Ca y est. Je crois que je me rappelle qui je suis. Qui je suis aussi. Je suis aussi prof.

Je suis prête. On peut y aller.

 

Une chronique de Fanny

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