Poésies

Les bêtes noires ont bon dos

Il était un scarabée doré à tête noire

que toute la forêt avait pris pour bête noire.

Chaque fois qu’il manquait une marche à un escalier

c’était évidemment la faute aux dents du scarabée.

Chaque fois que le mauvais temps tempêtait,

le coupable à châtier, c’était encore lui, le scarabée.

Cela, tous les enfants, tous les animaux

et les enfants des enfants de tous les animaux se l’étaient répété.

Ils avaient juré de le chanter bien haut et à perpétuité

sur tous les toits, sur toutes les radios,

même celle des oies, des ânes ou des corbeaux.

Alors, à l’aube d’une aurore,

le scarabée quitta cette injuste forêt et son triste sort,

suivant les traces d’un avion qui filait vers Oulan-Bator.

Depuis, règne en ces lieux inhospitaliers,

une terrible obscurité.

Elle ne soulève jamais ses ailes.

C’était en effet le dos du scarabée

qui éclairait cette forêt en y reflétant la petite lumière du ciel.

Il faut savoir se méfier des chansons que l’on répète sans y songer,

il y a parfois plus noir que la plus noire des bêtes noires.

Pour tout dire

Il y a des mots pour tout dire

La mer le bruit le vent la pluie

Le jour le soir le temps la nuit

Le soleil le ciel le sourire

Il y a des mots qu’on répète

L’eau le lait l’orange le pain

La soif la faim les yeux la main

L’amour la joie le jeu la fête

Il y a des mots pour apprendre

A lire à compter à écrire

Un deux trois marche tourne vire

Des mots pour se faire comprendre

Il y a des mots pour rêver

Myosotis lobélie narcisse

Muscade rumeur précipice

Volute astrolabe névé

Mais il y a des mots qui chantent

Qui s’appellent qui se répondent

Les mots les plus libres du monde

Des mots qu’on trouve qu’on invente

Pour tout dire tout répéter

Apprendre comprendre rêver

On les trouve dans les poèmes

Ce sont surtout ces mots que j’aime

                        Jacques Charpentreau

Chanson pour les enfants l’hiver

Dans la nuit de l’hiver

galope un grand homme blanc,

galope un grand homme blanc

C’est un bonhomme de neige

avec une pipe en bois

un grand bonhomme de neige

poursuivi par le froid

Il arrive au village

il arrive au village

voyant de la lumière

le voilà rassuré

Dans une petite maison

il entre sans frapper

Da,ns une petite maison

il entre sans frapper

et pour se réchauffer

et pour se réchauffer

s’asseoit sur le poêle rouge

et d’un coup disparaît

ne laissant que sa pipe

au milieu d’une flaque d’eau

ne laissant que sa pipe

et puis son vieux chapeau.

Jacques Prévert

Alphabet

A c’est l’âne agaçant l’agnelle,
B c’est le boulevard sans bout,
C la compote sans cannelle,
D le diable qui dort debout.

E c’est l’école, les élèves,
F le furet féru de grec,
G la grive grisant la grève,
H c’est la hache et l’homme avec.

I c’est l’ibis berçant son île,
J le jardin sans jardinier,
K le képi du chef kabyle,
L le lièvre fou à lier.

M c’est le manteau bleu des mages,
N la neige bordant le nid,
O l’oranger pris dans l’orage,
P le pain léger de Paris.

Q c’est la quille sur le quai,
R la rapière d’or du roi,
S le serpent qui s’est masqué,
T la tour au-dessus des toits.

U c’est l’usine qui s’allume,
V le vol du vent dans la voile,
W le wattman de lune,
X le xylophone aux étoiles.

Y c’est les yeux doux du yack
Oublié dans le zodiaque,
Z le zigzag brusque du zèbre
Qui s’enfuit dans les ténèbres,

Malheureux parce qu’il est
Le dernier de l’alphabet.

Maurice Carême

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