Le pamphlet du lundi (1) – saudade (par Quentin M.)
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Dans son souci de bonté et de fainéantise (non, il n’a pas touché à vos copies !), votre professeur d’Histoire/Géographie m’a confié une tentative de « pamphlet » (le mot est fort !). Secondes, Premières et Terminales, évitez de le pousser à la fantaisie !
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Dans la dépression post-traumatique des premières neiges et le reniflement constant des manteaux et chapeaux qui pullulent dans les rues, il fallait bien que l’Histoire s’en mêle. Triste week-end en effet ; entre le décès de la « diva aux pieds nus » alias Cesaria Evora, la mort de Vaclac Havel, ancien (et premier) président de la Tchèquie et l’incendie de l’Institut d’Égypte fondé par Napoléon en 1798 (qui correspond à la perte de documents précieux concernant la géographie européenne et les archives égyptiennes), la demande de Fluoxétine risque d’augmenter chez les historiens…
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Ici, non point l’intention de conter les faits (je ne voudrais en aucun cas me faire d’ennemis dans le milieu journalistique…) ; simplement l’idée de lancer une réflexion sur cette dimension de l’Histoire : n’est-il que quelques fous pour vivre, au milieu des végétaux ronflants, plantés sur une chaise et buvant le soleil traversant les fenêtres d’une salle, cette impression d’une Histoire floue, plaquée sur un livre, dont le récit s’apparente à ces contes qui finissent mal, ceux qu’on nous susurrait à l’oreille quand nous étions encore en âge de croire à ce bon vieux Santa ?
L’Histoire semble en effet se nourrir de l’ennui des élèves. La bave dégoulinant sur la page 62 du manuel semble égayer la vie des éditeurs. La construction de l’Histoire s’est ainsi apparentée (s’apparente toujours) à une donnée de valorisation d’un passé que même notre élite ne semble plus connaître. Le souci est là : l’Histoire ne demande pas une valorisation du passé. Elle en demande sa compréhension, pour en induire ou en déduire les erreurs humaines. Non, l’Histoire n’est pas une histoire, chers parents. L’Histoire est avant tout une science, l’Histoire est avant tout une expérience humaine, l’Histoire est avant tout une donnée d’avenir.
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Les déprimés reniflant revoient leurs mauvais souvenirs resurgir avec la mort de ces personnages, ou les incidents d’ordre architectural. Quel triste constat. Combien de personnes se sont aujourd’hui fait la remarque suivante : « tiens, mais oui, Vaclac Havel, il était en vie ». Il est temps de réinventer la vision que l’on offre : l’Histoire n’est pas lointaine. Vaclav Havel n’était pas une photographie du manuel, page 62. L’histoire est proche de l’homme, plus que l’éditeur ne veut le faire croire… C’est en réinventant le goût d’apprendre que l’on va préparer les hommes à leur avenir : l’humanité est un processus de long terme. Le faire vivre sur le court terme lui correspond certes bien ; mais l’Histoire n’est pas celle d’un homme.
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image : Danse Macabre de Bernt Notke, fin du XVe siècle, église saint Nicolas de Tallinn (Estonie)
Ce texte aurait dû être publié hier soir, mais un incident technique (?) a retardé l’échéance d’un jour. Je remercie une fois de plus Quentin pour la verve intarissable de son esprit éclatant (et encore, c’est un euphémisme).
C’est une belle plume que tu as Quentin. Et je suis d’accord sur le principe que connaître l’Histoire c’est préparer l’avenir car beaucoup de faits du passé ont une grande influence de nos jours, et on pourrait éviter de recommencer des erreurs du passé.
Je partage l’avis de Jérémy, et il est vrai Quentin que tu as fait un très bel article.
Pour te répondre un peu sur le fond Quentin, sache que Paul Veyne, historien de l’Antiquité, l’un des plus lus et écoutés en France s’est notamment fait connaître pour avoir écrit que les historiens ne faisaient que « raconter que des histoires » et plus récemment il a même ajouté qu’on ne pouvait tirer aucune leçon de l’Histoire. Voici un entretien assez récent et intéressant : http://www.philomag.com/article,entretien,paul-veyne-je-ne-crois-pas-aux-idees-generales,332.php
Si tu veux aller plus loin :
1. un entretien plus long et plus théorique encore : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=paul%20veyne%20entretien&source=web&cd=2&ved=0CDAQFjAB&url=http%3A%2F%2Flhomme.revues.org%2Findex2036.html%3Ffile%3D1&ei=G0jwTs_AEMWs8gOLsYTUAQ&usg=AFQjCNEnlzG0CMQlD8F5xoeFTY64vFXSGQ&cad=rja (document pdf attention)
2. un extrait (où l’on retrouve formulées certaines de tes intuitions) du livre par lequel il s’est fait connaître : Comment on écrit l’histoire ?
http://classiques.uqac.ca/collection_methodologie/veyne_paul/comment_ecrit_histoire/comment_ecrit_histoire_texte.html
Vous savez, je ne considère pas le taux d’écoute et d’influence d’un individu comme preuve d’un respect indubitablement indu. Monsieur Veyne est, certes, d’une compétence historique et culturelle hors-normes… mais, en tant qu’étudiant en Sciences sociales (en partie), je ne peux me permettre de m’abaisser à un niveau intellectuel faisant état de la sociologie comme « paraphrase de l’histoire ». Les gens intelligents sont souvent bornés.
Je suis au contraire très fier d’affirmer que, fort heureusement, l’homme peut tirer, et tire, des leçons de l’Histoire.
@Quentin M
Tu as tout à fait raison de ne pas te fier à l’argument d’autorité. Cela dit,
a) Je pense que Paul Veyne apprécie particulièrement les provocations. Quand il écrit ou répond à une interview, il jubile manifestement. Il lance des idées puis semble partiellement se rétracter, n’hésitant pas à jouer sur d’apparentes contradictions. Par exemple, il remet en question l’autonomie de la sociologie comme science humaine, mais dans le même temps il admet que les historiens utilisent avec raison des concepts issus de la sociologie…
b) L’argumentation de Paul Veyne est intéressante et on ne peut la balayer aussi facilement que tu essaies de le faire : selon lui, l’histoire est avant tout narrative, elle est disons un discours sur le réel et ne peut prétendre à une pleine scientificité. Dès lors, est-il raisonnable de tirer des leçons d’un récit ? Une phrase citée dans l’un des entretiens donnés plus haut (celui de la revue d’anthropologie L’Homme) me paraît lumineuse :
« Cette limite de l’histoire est la suivante : en aucun cas, ce que les historiens appellent un événement n’est saisi directement et entièrement, il l’est toujours incomplètement et latéralement, à travers des documents et des témoignages. »
Cette idée, provocatrice en son temps, est devenue quasiment un truisme parmi les historiens. Ce qui, je te l’accorde (et Veyne ferait de même), ne suffit pas à en faire une vérité.
Loin de moi l’idée de dire que son argumentation n’est pas intéressante.
Je tente de la balayer mais j’ai toujours la chance de tomber quelqu’un pour la relancer et en débattre véritablement. Les 94 à 95 % s’en fichent.**
Mais je reconnais pleinement le fait que (heureusement d’ailleurs) Paul Veyne a parfaitement raison sur de nombreux points. La citation en est un parfait exemple, je vous l’accorde.
Toutefois, je reste toujours un pas derrière la ligne de confiance que je peux accorder aux Intellectuels.
** George Frêche a dit : « Les gens intelligents, il y en a 5 à 6 %. Moi je fais campagne auprès des cons. »
Très bel article !
Sans vouloir te contrarier, je pense qu’il y a plus de 6% de gens intelligent sur ce blog d’histoire géographie… Je vois donc pas l’intérêt de sortir un argument qui s’adresse a des « cons » qui ne viennent pas sur ce blog 😛
@Quentin M
Pour tout te dire, Paul Veyne fait partie de ces auteurs que j’ai appris à apprécier justement parce qu’ils m’agacent et me font réfléchir (contrairement à d’autres à chemises blanches qui auparavant m’agaçaient, maintenant m’indiffèrent et ne m’ont jamais aidé à bien penser).
@fabien
La citation de Frêche est en tout cas révélatrice du profond respect qu’il vouait à la démocratie.
@Jérémy E.
Je ne suis pas tout à fait d’accord. En effet, il est nécessaire de se souvenir du passé mais il ne faut pas croire que l’histoire va se répéter de la même manière. Ce qui est important c’est de se servir de son jugement pour voir les similitudes avec des situations passées et leur chance de se reproduire.
Un exemple au hasard, en 1940 la guerre contre l’Allemagne n’évolue pas, tout le monde pense alors que la situation sera la même qu’en 1914, légère erreur. Les faits historiques n’ont pas été oubliés oui. a t’on réfléchit au fait que les situations changent ? Non.
Mes cailloux à l’édifice.
@Matthieu
L’Histoire ne se répète pas, elle bégaye ? Content de te voir ici. J’aime beaucoup ton idée d’apporter des cailloux à l’édifice.
Tu me fais penser au fait que j’aimerais changer le nom de ce blog. Mais je n’arrive toujours pas à trouver d’idée pleinement satisfaisante.
@Matthieu
Je pensais écrivant le message plus à des faits qui se resemblent qui on entrainés des crises ou autres comme par exemple l’Unin latine (union monétaire de 1865, que voulue Napoléon III) et les crises de la zone euro (institué par Maastricht de 1992) même si le principes ne sont pas les mêmes (principes des étalons or/argent pour l’Unions latine ; Banque Central Européenne pour la monnaie unique)
Pour en savoir plus sur l’Union latine et la zone euro :
http://www.marianne2.fr/L-euro-pris-au-piege-de-Maastricht_a175513.html
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=18651223
http://www.rshd.eu/RSHD/153/avant.pdf
Un article sur la zone euro : http://www.objectifeco.com/bourse/forex/article/bernard-marois-l-euro-a-la-croisiere-des-chemins
Pour finir voici une note original !!!
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Essais_mon%C3%A9taires_internationaux_2.JPG
Frappe monétaire française (éssais) à l’occassion du Traité de 1865. (Note : profile de Napoléon III à droite).