Le temps de prendre son temps

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Journée de formation, vendredi dernier, j’ai comme l’impression de perdre mon temps.

Dans les faits : je m’entends confirmer que la pédagogie que je mets en œuvre n’est pas complètement dépassée – Ouf parce que… déjà ! Les collègues s’insurgent, pinaillent, chuchotent et grondent – c’est leur droit. L’inspection surnage, se débat, face à une quarantaine de profs de Lettres sur les dents.

Perdre mon temps, disais-je ? Prendre mon temps, plutôt. Je décroche et mon esprit de prof-qui-a-accepté-de-toute-façon-d’enseigner-quoi-qu’il-arrive divague.

Je tends l’oreille, de temps en temps. C’est alors que, par miracle, la conversation s’éloigne des considérations administratives EPIesques et reprend le chemin de la pédagogie. Une voix sourde mais perceptible par ma conscience anesthésiée sermonne : « Un texte traité en deux heures, ce n’est pas grave, mais attention à ne pas perdre votre temps en début d’heure. »

Comment !? Perdre mon temps ? En classe, je n’ai JAMAIS l’impression de perdre mon temps. À mes yeux, chaque tâche, même celle qui pourrait paraître la plus inutile, la plus insignifiante, a son importance. Je ne cours pas après le temps.

En classe, je prends mon temps. Je tue le temps – au sens propre.

J’enseigne des notions, bien entendu, je transmets du contenu, mais jamais je n’ai ressenti l’angoisse du programme à boucler. Suis-je la seule ?

Je tiens à « ma matière », c’est entendu, mais je ne crains pas d’aller explorer d’autres contrées. Et là, je sais que je ne suis pas toute seule.

En classe, je n’ai pas de temps à perdre car je n’ai jamais considéré qu’il faille en gagner. La notion de temps est relative avec les élèves, de toute façon : cinquante-cinq minutes peuvent sembler deux heures lorsque rien ne fonctionne comme prévu ; mais aussi cinq minutes alors qu’on accroche notre public, que l’on réussi à communiquer, à s’apprivoiser.

Paradoxalement, j’évoque souvent ce temps qui file avec mes élèves, et j’avoue que c’est surtout un moyen de les remotiver – je ne le ferai plus, c’est promis.

L’important n’est pas le temps. Oser être lent, c’est aussi permettre à chacun d’avancer à son rythme. D’ailleurs, chaque élève emploie son temps différemment, sinon, pourquoi différencier ? Différencier, c’est laisser à chacun le temps de prendre son temps.

Et puis, j’aime me perdre dans le temps avec mes élèves : flâner sur un texte, engager une discussion qui devient digression, les faire lire leurs textes – même si cela prend du temps – leur faire jouer leurs scènes, évoquer une actualité brûlante ou même l’actualité du collège.

J’y gagne, à perdre mon temps, et je m’y retrouve en fin de compte, eux aussi.

Mais le pire, c’est que, dans ma vie de maman, dans ma vie de femme, je fais tout l’inverse ! Je cours de rendez-vous, en courses et activités diverses. Je jongle avec le temps, comme tout un chacun.

Aujourd’hui c’est décidé, je vais prendre exemple sur ma vie en classe et gagner mon temps, au lieu de le perdre.

Je commence déjà : écrire c’est prendre le temps.

Midi. Fin de la matinée de formation. Vous voyez, je n’ai pas perdu mon temps, puisque j’ai écrit cette chronique.

Une chronique de Marine Vendrisse

Une réponse

  1. Eh oui! Je suis bien d’accord avec vous! Prendre son temps, pour faire apprécier aux élèves les textes, la discussion, la réflexion, le parallèle d’une œuvre « ancienne » avec leur actualité…
    C’est pourquoi ça m’horripile d’entendre qu’une séquence de 6e devra durer entre 2 et 4 semaines maximum! Je ne considère pas avoir perdu mon temps en passant plus du double sur le Petit Prince ou sur L’Odyssée! Où passe le bonheur de lire une œuvre intégrale en classe? J’apprécie tellement la réclamation quotidienne des élèves lors de ces séquences: « Madame, on lit aujourd’hui? » et de voir leur trépidation en saisissant l’œuvre ou leur déception en constatant qu’il faut faire de la grammaire…
    Non, le zapping n’est pas une obligation avec les élèves (je veux dire, ce n’est pas eux qui le réclament) et on ne perd pas notre temps en faisant 1 ou 2 séquences de moins sur l’année (ce qui n’empêche pas d’aborder tout le programme), mais on veut nous l’imposer…
    Je parle des 6e car c’est le niveau où ça me choque le plus! Mais je ne vois pas comment faire une séquence correcte en 4 semaines en incluant des textes (même si je n’en fais que quelques uns), l’étude de la langue et l’écriture…

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