S’il y a un lieu rassembleur dans les lycées et collèges c’est bien la photocopieuse !

Hormis les salles de cours, c’est un endroit très fréquenté… C’est une histoire d’amour, ou de haine, un objet qui cristallise toutes nos émotions, de la première à la dernière heure de notre journée, de la rentrée à la fin de l’année…

photocopieuses

Quand on a quelques années de carrière (c’est un euphémisme pour ne pas dire « quand on n’est pas jeune ! »), on se souvient presque avec tendresse de l’ancienne rotative à alcool, du papier carbone violet puis, avec l’amélioration de la technique et en fonction des budgets de l’établissement, des carbones de couleurs différentes, que l’on superposait sans bouger pour n’avoir plus qu’un seul stencil, de nos doigts tachés, de cette manivelle que l’on actionnait dix, soixante fois en espérant que nos polycopies ne s’éclaircissent pas trop vite, sinon il fallait recommencer une matrice !

Puis  un jour nous avons vu arriver une rotative à alcool électrique. Plus besoin de tourner la manivelle, on appuie juste sur un bouton. Le modernisme est encore passé par là. Mais nous, on est toujours ici, dans une salle qui sent l’alcool et avec nos doigts sales… Puis on distribue nos polycopiés tous frais, que nos élèves attendent avec envie et qu’ils respirent avec bonheur ! Des générations en ont été marquées : « Je me souviens avec beaucoup d’émotion de mon maître qui tournait la manivelle encore et encore… », « J’adorais sentir ce parfum si singulier mais parfois, il fallait déchiffrer parce que ça avait bavé ou bien c’était tout pale. Ah !!! C’était le bon vieux temps !!! », « Ça sentait bon quand la maîtresse faisait ses photocop » écrivent Laureta, Catléa , Lovizol dans un forum sur neoprofs.

Mais depuis une quinzaine d’années, les rotatives à alcool et leurs effluves à l’image d’une madeleine de Proust ont disparu de nos salles des profs… LA PHOTOCOPIEUSE est arrivée. Plus d’odeurs. Des photocopies sans trace olfactive. Mais… Toujours les doigts sales : avec cette machine sont arrivés les bourrages, les pannes de toners… Elle nous a transformés en véritables techniciens de dépannage ! Il faut dire que les vrais techniciens, eux, on les voit souvent, avec de la chance toutes les semaines (tout le monde s’interroge d’ailleurs sur l’économie réalisée dans le cadre de ces contrats de maintenance !) mais toujours pas assez vite malgré tout ! Le prof en attente d’une photocopieuse en état de marche est un homme nu, dépossédé ! Car la photocopieuse et les profs aujourd’hui, c’est digne de la B.D. Vous savez la B.D. Les Profs, celle dans laquelle notre quotidien est parfois de façon si reconnaissable, quoique caricaturale, retranscrite !

Alors, la journée à la photocopieuse, ça donne quoi ?

ça chauffe!

7:30 du matin : encore pas très réveillés, les profs font la queue, déjà, pour les photocopies du jour. On bavarde un peu, quand on ne dort pas trop ! Mais surtout on attend… « Tout le temps, tout le temps, chaque instant… Depuis si longtemps » chanterai Michel Jonasz. Et on attendra encore à la récréation, puis à 12:00, puis à 13:00 et à la récréation de l’après-midi…
On attend quoi ? Que les cinq collègues devant nous soient passés. Ah non, pas cinq ! Il y a celui qui vient de partir vite fait aux toilettes « tu me gardes la place ! », et celui qu’on n’avait pas vu, à deux mètres d’ici, en train de siroter son café, l’œil lorgnant sur la file. Bon eh bien, nous allons prendre notre mal en patience et regarder un par un nos collègues passer :

– Il y a celui qui fait ses montages au fur et à mesure de ses photocopies. On aurait envie de lui dire qu’il aurait pu les préparer avant, parce que le voir découper et coller comme en CP à l’heure de l’informatique, ça nous crispe un peu ! Mais comme ça nous arrive aussi de le faire au dernier moment, alors on patiente…

– Puis vient le collègue qui lance trois cents photocopies. Il avait dit qu’il ne faisait qu’une classe ! Oui mais comme il est prof de langue, il en a neuf ! Le temps s’écoule, le compteur s’égrène lentement et on sait que la sonnerie va inéluctablement retentir, on ose alors lui glisser doucement à l’oreille « tu as vraiment besoin des trois cents photocopies aujourd’hui ? ». De toute façon, quelle que soit sa réponse, il continuera invariablement à faire tourner le ronron de la machine… Alors on patiente encore…

– Bien sûr, quand c’est au tour du troisième collègue, il n’y a plus de papier. Quelqu’un se sacrifie pour courir     ?  à la loge,  ?  à l’intendance,   ?  à la reprographie si le service est ouvert (Cochez la bonne case) pour ramener une ramette de papier. Eh bien évidemment, celui qui s’est dévoué se fait disputer : « Quoi ? Mais j’ai déjà rempli les deux bacs ce matin, vous avez utilisé plus de 600 photocopies ! ». Oui c’est vrai, mais dans un bahut de cent vingt profs, ça fait peu par tête ! Et que croient-ils à l’intendance ? Que fait-on de ce papier, sinon  ?  des photocopies pour nos élèves,  ?  des guirlandes pour la classe,  ? de la litière pour le chat (re-cochez la bonne case !)…  Mais revenons au collègue qui revient en salle des profs, tel un sauveur, la précieuse ramette tendue au bout d’un bras vainqueur ! (Toute ressemblance avec La liberté guidant le peuple ne serait que fortuite !).

– Vient le tour du quatrième. Il rentre son code et s’exclame dépité « Oh non, plus de crédit ». On regarde tous le plafond. Qui va lui passer son précieux sésame et se démunir ainsi, au détriment peut-être de sa fin d’année ?

– Le cinquième n’en avait que dix-sept à faire : il n’a qu’une demi-classe ! Tout se passe bien. Quel chanceux ! Il devrait jouer au loto !

– Enfin c’est le tour du collègue qui nous précède. « Ne t’inquiète pas » nous dit-il, « il ne m’en faut que trente sept ». Mais bien sûr, le lycée n’étant pas le paradis, à la trente-sixième arrive le cauchemardesque bourrage ! Là deux possibilités : soit il part en courant, sans revenir « excusez-moi, je vais aller prévenir le service de reprographie » (qui interviendra dans un quart d’heure donc quand la sonnerie aura retenti et que vous serez déjà en cours, sans vos précieuses photocopies), soit il met immédiatement les mains dans le cambouis, ouvre toutes les portes, tourne toutes les manettes, tire tout ce qui peut être tiré dans cette machinerie complexe, se brûle un peu sur des pièces tellement bouillantes qu’on pourrait y faire chauffer le café, trouve enfin sa feuille, qui ne veut pas venir, l’arrache par tous petits morceaux, se prend le capot sur la tête avant qu’un bras bienveillant ne vienne le retenir, puis referme tout d’un coup sec. Et là encore, deux solutions : soit le doux ronronnement repart et votre cœur se remet à battre en même temps, soit la machine affiche toujours ostensiblement « bourrage ».

Désespéré, vous entendez la sonnerie, montez les escaliers d’un pas lent, les épaules basses, tout en vous demandant comment vous allez faire avec vos élèves pour travailler sur   ?  le texte,   ?  le contrôle,  ?  la fiche en autonomie prévus, sans vos photocopies… Le pire, c’est que je me demande si les élèves nous croient quand on leur explique d’une petite voix « la photocopieuse était encore en panne ».

J’aurais pu rajouter un autre contretemps fâcheux, mais cette fois, sans collègue visible ! C’est presque de la magie. Car depuis quelques années, nouvelle avancée technique : les PC du lycée peuvent être en réseau avec la délicate machine devenue imprimante. Et alors ? Et bien au moment où, enfin, plein d’espoirs, vous alliez appuyer sur le bouton, la machine se met à ronronner toute seule et sort des feuilles que parfois personne n’attend, qui finiront à la poubelle pendant qu’un malheureux, à quelques salles de là, s’interroge en vain « où sont mes impressions ?!!! ».

Bien sûr, vous vous dites qu’on ne vous y reprendra plus. Et que vos photocopies vous les ferez dorénavant à l’avance. Mais l’avancé du temps est inéluctable, les journées s’obstinent à ne faire que vingt-quatre heures, et la fois suivante vous vous retrouverez à nouveau à patienter à la machine en stressant juste avant votre cours !

Alors s’il y a un lieu où toutes les prières professorales se rejoignent, c’est sans doute ici. Car on prie tous pour qu’elle fonctionne, au moins jusqu’à ce qu’on ait fini NOS photocopies !

Quoique… il y a un autre endroit qui lui ressemble étrangement… la machine à café ! Mais ça, c’est une autre histoire…

 

PS : Toute ressemblance avec des personnes ayant existé ne serait que… peu fortuite !

PPS : Vous saviez que, comme contribution à la reprographie pour les écoles maternelles et primaires, le ministère versait annuellement 7 700 000,00 € TTC au CFC ?

Une chronique de Rachelle

6 réponses

  1. Bonjour Rachelle,
    .
    Excellente chronique.
    J’attends avec impatience celle qui se rapporte à la machine à café.

    J’ai travaillé, comme instit, il y a quelques années au Québec. A Saint Jean sur Richelieu. ( près d’Iberville au Sud Est de Montréal )
    Le matin, quand j’arrivais à l’école, la secrétaire, Denise Tremblay me demandait avec son accent si particulier:
    <>

    Le rêve.

    Et le directeur, Benoit Fréchette ( à temps plein dans une école primaire de 7 classes ) me demandait si je voulais un café.

    <>

    Après 14 mois, au Québec, quand je suis revenu dans mon village, ( près d’Aix en Provence ) j’avais l’impression d’être revenu au moyen âge.

    En France, nous avons quelques décennies de retard sur nos cousins québécois.

    Mais bon, j’aime bien la France ( et ses mammouths )

    Jacques san….

    1. Merci de vos remarques. Heureuse de voir que cela provoque quelques échos chez certains .
      Jacques, quelle chance d’avoir travaillé au Quebec! En matière de pédagogie, on a tant à apprendre d’eux!

  2. Souvenirs, souvenirs! De la machine à alcool à l’imprimante connectée , tout un pan de vie pas si lointain pour la « jeune » retraitée, la soixantaine bien avancée, avant la radiation définitive. Oui, j’ai bien dit radiation ( très élégant ce mot après quelques décennies de service). Ces différentes machines ont dû nous rendre ionisant(e)s 😉

Laisser un commentaire

buy windows 11 pro test ediyorum