Vic, faut qu’on parle !

Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.

victor-hugo-poeme

Ok, Vic. Je peux t’appeler Vic ?

J’ai pris le parti d’essayer d’utiliser ton poème avec ma classe de CAP, dans le cadre de la séquence « Se construire ». Il est vrai que souvent, dans ce type de classe, on part vraiment du gros œuvre, on est loin de Valérie Damidot qui maroufle un mur avec des petits poneys pour Mila et Emy, dont le réflexe vomitif en dit long sur leur réaction. Mais je m’égare. Je suis devant mes petits bouts de chou, mes chenapans, mes bambins, et je récite ton texte, tout d’abord cette première strophe. Style emporté, moralisateur, tout est dit en quelques vers, et moi je bombe le torse à l’idée d’être celui qui va mener les élèves loin de l’échafaud et du bagne.

« Non, mais moi j’y viens de tôle, c’est le sang là-bas, tu sais qu’on a la Play et la 4G. »

Patatras. Je dégonfle du torse, et, l’air hagard, je regarde Sami qui vient de décrédibiliser MA strophe, en vantant les mérites de la zonzon devant ses camarades médusés. Voilà que se lance un vaste débat autour des parloirs trop courts, des fouilles à l’entrée, que j’ai pas pu lui donner à mon daron son cadeau d’anniv (un couteau suisse ? Vraiment ? Même s’il est bricoleur et débrouillard…), et du temps accordé à la muscu. Tout ça les torses bombés.

Moi qui pensait brandir l’épouvantard de la prison, me voilà à prendre des notes sur son fonctionnement.

«  En plus, t’as vu Elams il a tourné son clip, mon frère il joue dedans t’as vu, c’est le mec qui fait des tractions derrière, comme il est frais !! »

Vic, faut qu’on parle, car je suis pas trop sûr des chiffres que t’avances là…

Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut. 

 L’âme en liberté

Doucement Vic ! Doucement ! Je te sens fébrile. Plusieurs choses. Pour planer déjà, les gamins n’utilisent plus forcément les livres. Je te jure que quand je vois certains élèves arriver le matin, je ne me dis pas qu’ils ont passé la nuit avec La Chartreuse de Parme. Davantage SUR la tchatcheuse de Paname. Non, moi Stendhal ne me fait pas voyager et ne me donne pas le regard d’un lapin pris dans les phares. Non, les livres, hélas, les ramènent sur terre. Quand j’ai proposé un défi lecture à ma classe de seconde, donc de lire trois ouvrages durant l’année, j’ai vu dans leur regard de la supplication, je lisais «  Mais Monsieur POURQUOI vous nous faites ça, À NOUS !!!!!! » .

Je disais évasion, ils pensaient punition, je clamais découverte, ils me répondaient enfermement. La prison intérieure PAR le livre.

L’âme en liberté, je l’avais ken.

Non Vic, si on peut proposer aux auteurs de snapchatter leurs œuvres, avec filtres hamster en prime ; ou de faire une visio déclamatoire de leurs poèmes sur FB on est bon : Ut Pictura Poesis 2017. Et bim dans ta face.


L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.

 

Voilà voilà. Un sanctuaire. Une chapelle. Et le cours d’avant je viens de parler de la laïcité à l’école. J’ai l’air fin, moi. Trouvons donc une autre métaphore. Non, Julien, pas les émissions de télé que tu regardes. Non, Julien, je ne collerai pas le mot sanctuaire derrière le patronyme de Hanouna. Les propositions fusent et de ce brainstorming improvisé surgit soudain la réponse de Tituan.

«  Monsieur, l’école, le sanctuaire c’est comme le stade Vélodrome. Le cœur, celui des Marseillais. La lueur, celle des fumigènes, une vertu, c’est droit au but. »

Voilà. C’est imparable. On oublie un petit peu l’idée du livre je vous l’accorde, mais les élèves sont d’accord pour que je les guide lors d’une sortie au stade. On arrive toujours sur du positif en somme. De la prison au sport. On progresse.

Et du sport au clown

La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat.
Faute d’enseignement, on jette dans l’état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral. 

 

«  Monsieur là, il parle du clown là, le film qui fait tarpin peur, je l’ai vu ce week-end, il bouffe le bras au petit dans l’égout. Monsieur, on pourra le passer en classe ? »

– Mmmmoui Bastien, il y a effectivement une idée de peur ; mais là c’est plutôt l’absence de connaissances et d’éducation qui propulsent les hommes dans cet état de semi-monstres, tu comprends ?

–  Oui, Monsieur, mais on pourra le passer le clown du coup ? »

Allumons les esprits, c’est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.

 

Merci Vic. Grâce à toi, je peux enfin caser mes recherches de DEA sur Nicolas Flamel, alors que j’étais persuadé qu’elles ne me serviraient à rien. Me voilà improvisé prof d’histoire, mais aussi de SVT (non Tania, ne sois pas outrée, tu confonds germe et gerbe, il n’y a rien de sale là-dedans, reste à ta place). Et bien sûr, prévenir en sortant la Direction que les élèves pensent désormais qu’il y a du cuivre dans l’école. Ça va encore me retomber dessus cette histoire. Merci Vic.

Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.

 

Vic. Y a pas à dire. T’es ce qu’on appelle aujourd’hui un ambianceur. La conclusion du poème, donc ?

 

«  Que c’est la faute de la société si les gens sont des voleurs ! Elams dans son clip il le dit de toute manière. »

«  À qui le jour sourit. Là il parle de vous. Les profs vous vous mettez bien, en vacances tout le temps ou alors vous faites grève, Monsieur vous avez pas honte de retirer le flambeau des gens, sérieux ? »

«  C’est la faute à Sarkozy, mon père y dit. »

 

Bien bien bien.

«  Allez les enfants, on arrête là et on met le film du clown, ça va à tout le monde ? »

Une chronique de Frédéric Lapraz

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