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Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Sartre : la mauvaise foi, ne pas assumer sa liberté d’être ce que l’on veut.

Dans le premier texte, Sartre se demande si je suis ce que mon passé a fait de moi. La réponse est clairement NON. C’est davantage mon présent et mon futur qui font mon passé… paradoxal ?

Les actes passés sont irréversibles, certes mais leurs significations ne sont pas immuables. En effet, en soi, ils sont neutres; seuls mes actes présents et futurs décideront si ils ont été positifs ou négatifs, déterminants, révélateurs ou anecdotiques. « le passé que j’ai à être » : le passé est sans cesse réécrit par mes actions présentes. Je suis libre de donner le sens que je veux, non pas simplement en réfléchissant, mais en agissant. On peut généraliser à toute l’histoire. Un fait n’est jamais historique au présent, ou plutôt son sens dépend du moment où je le raconte. Par exemple, la révolution française n’était pas racontée de la même manière sous la monarchie qui l’a suivie que maintenant où nous vivons en démocratie. L’historien nous renseigne tout autant sur son présent que sur son passé.

Ainsi ma conscience est aussi capacité à se situer dans le temps, se mémoriser, se projeter dans le temps, futur (conscience historique)(penser aussi à l’importance de la mémoire dans l’identité personnelle). Mais le passé n’est ni un fardeau ni un poids que j’aurais à porter et qui déterminerait ma vie. Pour Sartre, il n’y a point de destin, de fatalité; surtout parce que je ne peux trouver d’excuse dans un passé qui aurait fait ce que je suis. Cette lâcheté de se déresponsabiliser, il la nomme mauvaise foi.

C’est ce qu’il illustre dans le deuxième texte par l’exemple du garçon de café. Il joue à être garçon de café pour s’empêcher de penser à ce qu’il pourrait être. Il fait semblant de ne pouvoir être autre chose d’être complétement et seulement gdc comme cette table est table. Autrement dit, il remplit sa conscience d’une essence. Pourquoi ?

Parce qu’il a peur. De quoi ? de la liberté et de l’angoisse de devoir choisir et assumer ses choix, ses erreurs, ses échecs. C’est plus simple, plus réconfortant, rassurant de ne pas se poser de question et de jouer à être gdc. Mais cette liberté, il ne peut la fuir car il a une conscience. Il est responsable de ce qu’il est. Il ne peut trouver d’excuses. Pour l’homme « l’existence précède l’essence » ‘L’existentialisme est un humanisme : cela signifie que son identité, qui il est, il ne peut le dire qu’après avoir vécu. « l’homme est la somme de ses actes » (idem). Le sujet ne peut affirmer ce qu’il est qu’après avoir agi. Il n’est donc pas figé dans une essence qui le déterminerait comme ce crayon est déterminé à être et rester crayon. Il « a à être », son identité se révèle donc dans le temps, il devient, elle est à construire, c’est une quête. (Les choses sont en-soi; les consciences sont pour-soi).

Ceci ne signifie pas que l’on devient ce qu’on était déjà en puissance (potentiellement), ou que l’on ne fait que dérouler ce qui était en germe, sous-jacent (comme la graine pour l’arbre) car ceci réintroduirait un déterminisme, un destin.

Sartre s’oppose notamment à la notion de créature présente dans la religion. En effet, comme le crayon, la créature a d’abord été pensée, inventée avant d’exister. Son existence est donc écrite. Mais cette phrase est une lutte contre toute justification d’une existence à partir d’une soi-disante nature, essence : la royauté, la ségrégation, discrimination, le sexisme, le positivisme scientifique…

Ainsi par exemple, les ethnologues du début du siècle cherchaient à faire des différences ethniques des inégalité et une hiérarchie entre les cultures (évolutionnisme, ethnocentrisme).(cf article)

De même, la société du début du 20è siècle considérait qu’il existait une « nature », une essence féminine, qui justifiait leur statut dans la société, leur fonction ou droits. Les femmes étaient alors « faites pour…(les tâches ménagères » et pas faites pour…’les postes à responsabilité) ». La citation de Simone de Beauvoir « On ne nait pas femme, on le devient » (Le deuxième Sexe) »Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu’il existe pour soi, l’enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié.  »

Mais cette formule a une origine. Son origine est dans l’œuvre du grand Erasme, exactement dans son traité d’éducation « De pueris instituendis », « Comme éduquer les enfants » paru en 1519 et traduit en français en 1537. Il dit : « on ne naît pas homme on le devient ». Homme au sens générique : l’homme n’est pas comme un cheval ou un arbre, il doit tout apprendre, et surtout se former. Et cette formation il la reçoit de l’enseignement des livres, et de la culture : c’est le sens au pluriel du mot « humanité » : les humanités, c’est ce qui fait de vous un homme, un être humain. Tel est le point de départ de la Renaissance.Mais en usant de cette formule, Erasme ne l’inventait pas : il la reprenait en la transformant, d’une autre, datant, elle, des premiers siècles de la chrétienté.Très exactement celle d’un père de l’église, Tertullien.Né entre 150 et 160 à Carthage mort en 220 à Carthage, de famille berbère, il se convertit à la fin du IIème siècle. Il écrit alors une « Apologétique », ce qui veut dire « art de défendre et d’expliquer sa position ». Où on peut lire ceci : « il fut un temps où nous riions, comme vous, de ces vérités. Car nous sortons de vos rangs. On ne naît pas chrétien, on le devient. »L’histoire de cette formule est donc passionnante, car c’est l’histoire d’une série de corrections successives.Tertullien, Erasme, Beauvoir : tous trois s’opposent à une certaine idée de la « nature humaine ».Pour Tertullien, la nature de l’homme doit être rachetée par la conversion, le changement radical, se convertir, c’est se tourner vers dieu. Et donc se comporter autrement, se conduire d’une certaine manière. Pour Erasme, notre « nature » est dans la raison que nous tenons de Dieu. Mais l’humanité de l’homme est à construire, c’est un programme, ce n’est pas une donnée. (Ce qui pourrait inspirer davantage notre système éducatif). La rupture vient de ce qu’il va en confier la tâche à la culture antique, dont Tertullien, le premier, se moquait : qu’importe Platon ou Homère, quand on a dieu ?Avec S. de B. et sa fameuse formule, l’angle d’attaque est totalement différent. il n’y a plus de « nature humaine » du tout. Il ne s’agit plus d’être racheté par la conversion ou sublimé par les humanités : il s’agit de comprendre que nous sommes le résultat d’une construction. C’est là le premier pas, indispensable, vers notre liberté. »

Si la liberté humaine est absolue, le sujet est néanmoins engagé dans une situation donnée (facticité = fait d’être de telle manière). Mais c’est l’homme qui donne un sens à la situation. Ainsi, une situation n’est pas insupportable en soi, elle le devient parce qu’un projet de révolte lui a donné ce sens. “Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’Occupation“. Une situation tragique rend d’autant plus urgente l’action. Le monde n’est jamais que le miroir de ma liberté.

La liberté est vue par Sartre comme un pouvoir de néantisation, comme un dépassement du donné (l’homme est un “pour-soi”). Néantiser signifie créer des possible au sein du monde tel qu’il est, figé, c’est y introduire de la liberté.

Etre condamné à être libre, cela signifie qu’on ne saurait trouver à ma liberté d’autres limites qu’elle-même“. Ne pas choisir, c’est encore choisir (choisir de ne pas choisir). La seule limite à ma liberté est ma mort, laquelle transforme mon existence en essence, en être, en destin. Mourir c’est être (= ne plus exister)

L’homme vit pourtant mal cette situation de totale liberté. Il invente ainsi des subterfuges, notamment la mauvaise foi. La mauvaise foi consiste à faire semblant de croire que l’on est pas libre, c’est se rêver chose (repensons au coupe-papier). le garçon de café ou la coquette tente d’être en soi, à se couler dans le monde en tant que chose. La conscience, nous dit Sartre, cherche toujours à coïncider avec elle-même, à se remplir d’être, à se faire “en-soi”

L’homme fait de la facticité son excuse pour se faire en-soi. Sartre distingue 6 modes de facticité, c’est-à-dire de déterminations pesant sur l’homme :

  • le fait de naître dans une société et une époque donnée
  • le fait d’avoir un corps
  • le fait d’avoir un passé
  • le fait d’exister dans un monde qui nous préexiste
  • le fait d’exister parmi d’autres sujets (question de l’intersubjectivité)
  • le fait de mourir (finitude)

Pour Sartre, il faut assumer notre contingence.

je ne cautionne pas tout dans la vidéo… :) mais philosophiquement c’est bon

https://www.youtube.com/watch?v=Rfxish9B9Hc&feature=youtu.be&feature=iv&src_vid=1ngGLEtHpBQ&annotation_id=annotation_3774503713

posted by charlierenard in autrui,conscience,HLPTerm,liberté,morale,sujet and have Comments (5)

5 comments

  1. Ping by Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? La mauvaise foi | PhiloStjo on 5 octobre 2015 at 10 h 52 min

    […] J.-P. Sartre, l Être et le Néant, Collection Tel, Éd. Gallimard, 1943, pp. 555-556. […]

  2. Commentaire by Franck Richard on 23 février 2016 at 20 h 50 min

    Sur cette question, il me semble que l’essai de Maxime Decout, « En toute mauvaise foi » (Minuit, 2015), apporte des réponses à la fois neuves et éclairantes. Il pose en effet d’abord le problème du rapport de la mauvaise foi à l’inconscient pour montrer comment la littérature apporte de toutes autres réponses à ce questionnement philosophique. La littérature est en effet plus concernée par la mauvaise foi que les autres sciences humaines parce que son discours, faisant exister ce qui n’est pas et ne pas exister ce qui est, repose justement sur une mauvaise foi problématique et souvent cachée. Le pari de l’essai est de penser la mauvaise foi dans la littérature mais aussi la littérature comme mauvaise foi. De renverser, une fois n’est pas coutume, l’ordre des lectures : non pas seulement lire la littérature à l’aide de la théorie sartrienne de la mauvaise foi mais aussi lire la pensée sartrienne de la mauvaise foi à travers la littérature. Et la mauvaise foi a tout à gagner à

  3. Commentaire by charlierenard on 23 février 2016 at 20 h 57 min

    Sans doute trouverait-on à développer ce point dans son essai « Qu’est-ce que la littérature ? »

  4. Ping by Plan du cours sur le sujet : Conscience / Inconscient / Autrui/ Désir | PhiloStjo on 15 septembre 2016 at 19 h 27 min

    […] a-Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? La mauvaise foi (garçon de café) […]

  5. Ping by Oral de rattrapage : Oeuvres, textes, analyse | PhiloStjo on 5 juin 2017 at 15 h 00 min

    […] sur la conscience, la liberté (ES, […]

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