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Ravel : Présentation et Analyse de l’oeuvre

Le Concerto pour la main gauche en ré majeur de Maurice Ravel est un concerto pour piano et orchestre en un seul mouvement composé entre 1929 et 1931 et créé à Vienne le 5 janvier 1932 par son dédicataire, le pianiste autrichien manchot Paul Wittgenstein. L’originalité de cette œuvre, à la « véhémence tragique » et à la virtuosité considérable, réside dans sa partie pianistique, écrite pour la seule main gauche de l’exécutant.

En 1929, un an après l’achèvement du Boléro, Ravel reçut presque simultanément deux commandes de concerto : la première vint du chef d’orchestre Serge Koussevitzky, qui s’apprêtait à célébrer les cinquante ans de l’Orchestre symphonique de Boston, pour qui il allait composer le Concerto en sol ; la seconde du pianiste Paul Wittgenstein, frère du philosophe Ludwig Wittgenstein, qui avait perdu le bras droit durant la Première Guerre mondiale sur le front russe.

Le Concerto pour la main gauche fut composé presque en même temps que le Concerto en sol, réclamant à Ravel des mois de travail acharné. Le compositeur n’entendit jamais son œuvre jouée dans sa version pour piano et orchestre. Il assista à la création par Paul Wittgenstein, dans une version arrangée pour deux pianos, à Vienne en novembre 1931. Cette création pour le moins houleuse mit un terme à la collaboration entre les deux hommes. Le pianiste avait en effet pris la liberté d’effectuer quelques « arrangements » dans l’œuvre (en fait de profonds remaniements) pour que celle-ci soit mieux à sa convenance. « Je suis un vieux pianiste et cela ne sonne pas », avait-il déclaré à Ravel pour justifier ces libertés. Ravel répliqua : « Je suis un vieil orchestrateur et cela sonne ! » Le compositeur quitta précipitamment Vienne et s’opposa un moment à la venue de Wittgenstein à Paris. Ce dernier ayant l’exclusivité du Concerto pour six ans, il était beaucoup trop tard pour Ravel lorsque l’œuvre fut créée à Paris dans sa forme originelle par Jacques Février sous la direction de Charles Munch, le 19 mars 1937. Bien plus tard, Wittgenstein regretta ses paroles et rendit justice à Ravel :

« Cela me prend toujours du temps d’entrer dans une musique difficile. Je suppose que Ravel en fut très déçu et j’en fus navré. Mais on ne m’a jamais appris à faire semblant. Ce n’est que plus tard, après avoir étudié le concerto pendant des mois, que je commençai à en être fasciné et que je réalisai de quelle grande œuvre il s’agissait. »

— Cité dans La musique pour piano de Maurice Ravel, New York, 1967

Le Concerto pour la main gauche est aujourd’hui une des œuvres les plus jouées et les plus mondialement appréciées de Maurice Ravel, quoique moins populaire car moins accessible que son faux jumeau, le Concerto en sol.

Le concerto est construit en un seul mouvement, qui comprend plusieurs épisodes :

  • un Lento à 3/4, avec des passages en 2/4
  • un Più Lento
  • un Andante
  • un accelerando aboutissant à un Allegro en 6/8
  • un Più vivo ed accelerando
  • un retour au Lento du début
  • un Allegro conclusif

 

Instrumentation du Concerto pour la main gauche
Cordes
1 piano soliste, 1 harpe, premiers violons, seconds violons, altos,violoncelles, contrebasses
Bois
1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 1 clarinette en mi ?,2 clarinettes (en la), 1 clarinette basse (en la), 2 bassons, 1 contrebasson
Cuivres
4 cors en fa, 3 trompettes en ut,2 trombones, 1 tuba
Percussions
timbales, triangle, caisse claire, cymbales,grosse caisse, wood-block, tam-tam

Beaucoup de spécialistes considèrent le Concerto pour la main gauche comme l’un des plus parfaits du répertoire. Il s’agit d’une œuvre violente, grandiose et dramatique, peinture d’une querelle fatale entre le piano et la masse orchestrale. Ramassée sur le plan de la longueur (le Concerto est d’un seul tenant, bien que l’on puisse y distinguer trois mouvements), cette œuvre est l’une des plus rythmées et des plus énergiques de Ravel.

« Dans une œuvre de cette nature, il est indispensable que la texture ne donne pas l’impression d’être plus mince que celle d’une partie écrite pour les deux mains. Aussi ai-je recouru à un style qui est bien plus proche de celui, volontiers imposant, des concertos traditionnels. Après une première partie empreinte de cet esprit apparaît un épisode dans le caractère d’une improvisation qui donne lieu à une musique de jazz. Ce n’est que par la suite qu’on se rendra compte que l’épisode en style jazz est construit, en réalité, sur les thèmes de la première partie. »

— Maurice Ravel, cité dans le Daily Telegraph du 11 juillet 1931

Ravel analysa au cours de la composition de cette œuvre des études de Saint-Saëns pour la main gauche, et s’inspira du Deuxième concerto de Liszt qu’il admirait volontiers. Le compositeur a introduit de nombreuses touches de jazz dans la seconde partie, et les percussions jouent dans l’ensemble de l’œuvre un rôle fondamental et obsédant. Le concerto donne lieu par ailleurs à des déferlements sonores comme il en existe peu chez Ravel. Pour le soliste, affronter ce monument peut relever de la gageure: la partie solo est extrêmement ardue, la main gauche seule devant couvrir le territoire des deux mains.

« À deux mains le chant et l’accompagnement se jouxtent, se juxtaposent, se pénètrent parfois, mais en conservant leur dualité d’origine; ici les deux émergent du même moule […]. Par ailleurs, c’est au pouce qu’est dévolu le rôle principal dans l’expression mélodique. Bien épaulé par le bloc des autres doigts, il va, par le jeu latéral du poignet et celui de sa musculature propre, s’imprimer profondément dans le clavier avec une qualité de pénétration qui n’est qu’à lui. »

— Marguerite Long, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, 1971

Cette musique est la plus noire écrite par Ravel (avec celle de Gaspard de la nuit et de La Valse). Suivant l’analyse de Marcel Marnat, le Concerto pour la main gauche s’inscrit dans la lignée de La Valse et du Boléro. À leur image, il est une œuvre exaltante et fataliste à la fois, il est un tourbillon d’inquiétudes, de perplexité face à un monde qui, à l’orée des années 30, semble à nouveau promis au désastre. À leur image, il s’achève par une véritable mise à mort musicale. La fin de ce chef-d’œuvre est réellement inoubliable : le piano, qui vient d’achever une cadence en clair-obscur, intensément poétique, d’une difficulté technique redoutable, est finalement rejoint et avalé par l’orchestre, pour mourir sous un ultime pilonnage des percussions. L’œuvre ne comporte aucun programme particulier, pourtant on peut considérer que Ravel y a placé tout ce que les horreurs de la guerre pouvaient lui inspirer (de par le triste sort qu’avait subi son dédicataire, et de par son vécu personnel en tant que soldat).

« Tout ici est grandiose, monumental, à l’échelle des horizons flamboyants, des monstrueux holocaustes où se consument les corps et s’engloutit l’esprit, des vastes troupeaux humains grimaçant de souffrance et d’angoisse. Et cette fresque colossale, aux dimensions d’un univers calciné, ce sont les cinq doigts de la main senestre, reine des mauvais présages, qui vont en brosser les âpres reliefs. »

— Marguerite Long, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, 1971

https://www.youtube.com/watch?v=vTHhXpfhO3k

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