PhiloStjo

Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Parole et pouvoir : les sophismes

https://atelierphilosophique.wordpress.com/2016/09/07/exercice-identifier-des-sophismes/

Un sophiste (du grec ancien sophistès : « spécialiste du savoir », formé à partir de sophia : « savoir, sagesse ») désigne à l’origine un orateur et un professeur d’éloquence de la Grèce antique, dont la culture et la maîtrise du discours en font un personnage prestigieux dès le ve siècle av. J.-C. (en particulier dans le contexte de la démocratie athénienne), et contre lequel la philosophie va en partie se développer.

La sophistique désigne par ailleurs à la fois le mouvement de pensée issu des sophistes de l’époque de Socrate, mais aussi le développement de la réflexion et de l’enseignement rhétorique, en principe à partir du ive siècle av. J.-C., en pratique à partir du IIe siècle dans l’Empire romain. Leurs détracteurs (dont le plus célèbre fut Platon) estiment que, n’ayant en vue que la persuasion d’un auditoire, que ce soit dans les assemblées politiques ou lors des procès en justice, les sophistes développent des raisonnements dont le but est uniquement l’efficacité persuasive, et non la vérité, et qui à ce titre contiennent souvent des vices logiques, bien qu’ils paraissent à première vue cohérents : des « sophismes ». Les sophistes ne s’embarrassaient pas de considérations quant à l’éthique, à la justice ou à la vérité.

Cependant, depuis le XIXe siècle et parallèlement à l’effondrement progressif des principes moraux et éthiques acquis depuis l’antiquité, certains commencent à voir en eux non plus des rhéteurs vaniteux ou des jongleurs d’idées sans principes, mais des penseurs sérieux, parfois tragiques militants d’un humanisme qu’on rapprocherait à bon droit de l’époque des Lumières, à moins qu’ils ne soient les précurseurs de notre « postmodernité

À l’origine, l’appellation de sophiste n’est pas considérée comme injurieuse. Le philosophe Socrate et son élève Platon ont changé la connotation du nom de sophiste.

Le Pseudo-Platon définit le sophiste : « Chasseur salarié de jeunes riches et distingués ». C’est Platon qui a popularisé le mot dans un sens péjoratif par ses dialogues, dans lesquels Socrate discute souvent avec des sophistes pour analyser leurs raisonnements : opposé aux méthodes sophistiques, il s’y intéressa pour leur concept de « relativisme de la vérité », concept en totale opposition avec la philosophie socratique selon laquelle il n’existe qu’une vérité et c’est en la cherchant que l’on est dans le Bien, le Beau, et le Juste. Il peut ainsi s’exercer à combattre les impostures qui jouent sur la vraisemblance pour piéger leurs auditeurs, ou encore paraître avoir raison en toute circonstance, buts considérés immoraux.

Xénophon, autre disciple de Socrate, va jusqu’à donner le nom de sophiste aux pythagoriciens ; Aristote a ensuite fondé la science de la logique, visant à classer les différentes formes de raisonnement (ou syllogismes) en faisant le tri entre ceux qui sont cohérents et ceux qui font simplement semblant de l’être, en particulier dans le traité intitulé Réfutations sophistiques.

Les Grecs faisaient la différence entre la sophrôsuné (sagesse-mesure/modération) et la sophia (sagesse-savoir). Parmi ceux qui s’intéressaient à cette dernière, il y eut d’abord les sophoi (sages, en particulier les Sept sages), puis les philosophoi (chercheurs de sophia, philosophes – voir Pythagore). Entre les deux se situent les sophistai (spécialistes de sophia, les premiers emplois du mot portent surtout sur un savoir technique, par ex. la musique). Sans pour autant former une école en soi, les membres de ce groupe avaient en commun plusieurs idées nouvelles. Au cours du Ve siècle av. J.-C., un certain nombre de sophistes, issus pour la plupart de cités périphériques ou de petite taille, parcourent la Grèce pour donner des leçons de sophia. Ces leçons sont payantes et même très chères, mais les sophistes promettent à leurs élèves (le plus souvent, de jeunes aristocrates) une rapide réussite. Au contraire du sophos ou du philosophos, qui tendent à transformer leurs disciples en sophoi et philosophoi à leur tour, les sophistes ne veulent pas former des sophistai, mais, concrètement, des gens aptes à réfléchir, à prendre des décisions, à argumenter et à gouverner. Ils détournèrent leur attention des sciences et de la philosophie pour la porter sur des études plus pratiques, principalement la rhétorique, la politique et la loi, compétences dont avaient besoin les jeunes Grecs afin d’assurer leur succès. Une partie de leur idéal éducatif survit encore dans la notion moderne de « sophistication ». Ils encourageaient aussi une certaine connaissance des arts et métiers. Ils suscitent un grand engouement, mais aussi des réactions de la part de ceux qui estiment qu’ils sont des révolutionnaires. On ne possède presque rien de leurs œuvres, sans doute parce que leur enseignement était payant : ils n’avaient pas intérêt à l’offrir librement au public.

Les sophistes célèbres furent Protagoras, expert en droit, Gorgias, maître de la rhétorique, Prodicos, l’un des premiers à étudier le langage et la grammaire, Antiphon (un des rares sophistes Athéniens) et Hippias d’Élis, une véritable encyclopédie vivante qui prétendait tout savoir. Il y en eut bien d’autres, dont certains charlatans, qui pouvaient porter l’éristique à un état dérisoire. Pour eux, la finalité se limitait à la victoire des arguments face à l’adversaire. Par exemple, Thrasymaque prétendait que par nature, le faible n’a aucun droit sur le fort ; Calliclès, dont l’existence réelle est controversée, est aussi en tout cas un excellent exemple et pour ainsi dire un archétype de cette tendance. À cause de joutes oratoires, Aristote a qualifié d’agonistique (d’????, signifiant « lutte ») cette pratique de la parole. Mais en dépit de cet aspect douteux, c’est entre autres à travers la critique socratique des arguments des sophistes que s’est constituée la méthodologie philosophique, sans oublier leur contribution aux progrès des sciences grammaticales et linguistiques.

Prodicos fit évoluer l’analyse du langage par son approche des différentes significations des mots. Sa contribution la plus significative se trouve dans sa méfiance de l’utilisation polysémique du verbe qui le pousse à établir un usage de mots ayant un sens précis dans lequel chaque expression doit faire référence à une seule et même chose.

Bien qu’on connaisse mal le détail des idées professées par les sophistes, il y avait certainement de grandes différences de l’un à l’autre. Cependant, ils semblent tous s’être intéressés aux domaines suivants :

  • L’analyse rationnelle des situations, des caractères, des lieux, des événements ;
  • L’étude non spéculative (comme celle des anciens physiciens d’Ionie), mais pragmatique de tous les domaines qui puissent être connus. En d’autres termes, face à un phénomène donné, la pensée traditionnelle faisait appel à la mythologie, les physiciens à une théorie sur la constitution du monde, tandis que les sophistes en faisaient une étude phénoménologique et posaient les questions : À quoi cela peut-il me servir ? Comment pourrais-je le maîtriser ? D’une certaine manière, les sophistes sont les ancêtres de la pensée techno-scientifique.
  • L’analyse du langage, non pour lui-même, mais en tant que moyen de persuasion, c’est-à-dire la rhétorique ;
  • L’usage synonymique des mots, dans un sens strict, en vertu duquel chaque nom doit se référer à un seul et unique objet.

La curiosité sans limites des sophistes et leur pragmatisme font qu’ils ont souvent été jusqu’à remettre en cause l’existence des dieux. Les œuvres de Protagoras auraient été détruites par autodafé

Pour Platon, les sophistes ne sont pas un simple repoussoir, mais des adversaires sérieux dont les doctrines méritent d’être combattues. Socrate attaque les sophistes qui, par leur relativisme et leur nominalisme, sont les ennemis de l’idéalisme platonicien. Platon ne critique cependant que modérément les « grands » sophistes : les dialogues de Platon mettent en scène des joutes entre des disciples de ceux-ci et Socrate, qui en vient aisément à bout, les déconsidère et les ridiculise. Les principaux reproches portent sur les points suivants :

  • Les sophistes font payer leurs leçons comme d’autres maîtres de technaï (sculpteurs, potiers, etc.), alors que la sagesse (sophia) ne peut être ravalée au rang de technè et que la faire payer, c’est la corrompre. Platon était issu de l’aristocratie, alors que les sophistes étaient issus du peuple et des classes populaires (et souvent étrangers ou métèques dans la Grèce antique).
  • Les sophistes sont amoraux, puisque leur enseignement peut servir tout aussi bien à donner des armes à l’injustice, alors qu’ils prétendent donner à leurs élèves une éducation.
  • Les sophistes manipulent le langage et préfèrent l’efficacité à la vérité.

Cependant, certaines thèses philosophiques défendues par les sophistes sont prises au sérieux par Platon :

  • Thèses épistémologiques : Les sophistes sont considérés comme relativistes par Platon. Protagoras affirme ainsi que « L’homme est la mesure de toute chose ». Cela signifie que la vérité n’est pas quelque chose d’indépendant de l’homme, mais qu’elle dépendra de sa perspective. En allant à peine plus loin, on soutiendra la thèse que rien n’est vrai, et que tout est relatif. Il n’y a pas de doute que la doctrine des Idées est une tentative de sortir du relativisme des sophistes.
  • Thèses politiques : Elles ne sont pas séparables des thèses épistémologiques. Si l’homme est la mesure de toute chose, alors les lois de la cité ne sont pas guidées par ce qui est bien en soi, mais par ce que les hommes sont convenus d’adopter. C’est le positivisme juridique, par opposition au naturalisme. Les lois sont conventionnelles et non pas fondées sur une morale transcendante. Il est évident que le projet de fonder la politique sur la compétence de ses dirigeants à saisir l’Idée du Bien, c’est-à-dire à être philosophe, est la réponse de Platon au conventionnalisme politique.
  • Thèses morales : Si rien n’est vrai en soi, alors rien n’est bien en soi, d’où l’assimilation de la vertu à la puissance. Est vertueux celui qui est capable d’assouvir ses désirs, c’est-à-dire son bien propre, plutôt que le bien commun. De plus, ce bien est assimilé au plaisir, alors que Platon veut l’associer au respect de la justice.
posted by charlierenard in HLP1ère,la parole,prépa and have Comments (2)

2 comments

  1. Ping by II les pouvoirs et fonctions de la parole | PhiloStjo on 3 janvier 2017 at 14 h 53 min

    […] sophismes […]

  2. Ping by HLP parole 2 : émergence à l’Antiquité – PhiloStjo on 24 septembre 2020 at 14 h 19 min

    […] sophismes  […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

buy windows 11 pro test ediyorum