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John Austin, la parole performative – Parler est-ce le contraire d’agir ?

http://www.ultramuros.ca/documents/Austin-Theo-de-la-communication.pdf

« Oui, je te prends comme épouse« .

La phrase est solennelle. Ce ne sont que quelques mots. Mais elle change toute la vie de deux personnes : elles sont liées par les liens du mariage au moment même où les mots sont prononcés.
Ces mots prononcés lentement à l’église, devant toute l’assemblée sont un acte en soi : elles changent le monde. Ce ne sont pas que des mots qui décrivent le monde. Ils le modifient.
Dire, c’est donc faire. C’est ce que l’on appelle un acte performatoire.
C’est le philosophe anglais Austin qui a découvert ce troublant phénomène.
Focus sur cette formule célèbre « Quand dire, c’est faire »

Au départ, Austin distingue dans les jeux de langage les mots qui permettent de « constater » le monde, et les mots « performatifs », qui ont une dimension active.
Quand je dis « je te félicite », on ne rapporte pas quelque chose, mais on fait quelque chose.

  • Lorsqu’on décrit le monde de manière descriptives, les mots enregistrent un état du monde : world to word.
  • Lorsqu’on agit sur le monde par certaines locutions (performatives), les mots ajoutent un état au monde : word to world.

Les phrases affirmatives ou descriptives ( « la fenêtre est ouverte« ) peuvent être vraies ou fausses.
Les phrases performatives (« la séance est ouverte » ) peuvent réussir ou échouer dans la modification de l’état du monde : si c’est une personne dans le public qui prononce la phrase dans l’assemblée, elle n’a aucune valeur. Si c’est le président de l’assemblée, l’action réussit.

Voilà des exemples de verbes « performatifs » ( qui sont une vraie action quand on les dit ) :
baptiser, léguer, ouvrir la séance, donner un ordre, un avertissement, un conseil, un blâme …

La coupure sémiotique effacée.

La coupure sémiotique distingue le mot de la chose qu’on décrit ( « la carte du territoire » ). Les phrases descriptives utilisent des mots qui se détachent de la réalité. Les mots permettent de se couper du monde, de le maîtriser en nommant les choses.
Voilà l’importance de maîtriser le langage. Non qu’on paraisse plus intelligent en utilisant des mots compliqués, ou variés.
Mais ils permettent de saisir la réalité. Exemple : nous européens avons peu de mot pour parler de la neige, car c’est un phénomène épisodique dont on s’accommode bien. Les esquimaux, eux, ont des dizaines de mots pour le mot neige, pour pouvoir en exprimer toutes les subtiles différences. Pour les esquimaux, c’est important, dans le monde physique dans lequel ils vivent.
La maîtrise du monde passe donc par cette séparation des mots qui décrivent le monde.
Dans les phrases performatives, au contraire, la réalité se confond avec les mots :
« Je vous félicite » confond les 2 niveaux : la phrase énonce un acte qui n’est autre que cette énonciation. La représentation de ce qu’on dit et les mots se mélangent. On a là une « auto-référence ».

La découverte d’Austin a eu une grande influence lorsqu’il fit sa première conférence.
Quand dire c’est faire, la formule choc, qu’on découvrira plus longuement dans le texte original d’Austin.

Le langage décrit la chose, l’énonce. Il est extérieur au réel, et a une valeur énonciatrice. La découverte d’Austin, philosophe anglais, est ce qu’on appelle « les énonciations performatives ». Lorsque je dis « oui, je te prends pour épouse », il ne s’agit pas de décrire une chose, ou faire un reportage sur le mariage, mais il s’agit d’un acte. On ne décrit pas l’état des choses, mais on modifie l’état des choses et du monde. S’unir à jamais avec l’être aimé.

Austin découvre la distinction entre les 2 jeux de langage : le constatif et le performatif.

En ce sens, il ouvre une nouvelle réflexion sur la communication qui  n’est pas qu’échange des messages, des informations, mais produire le monde.

Sa première conférence part de l’histoire des philosophes qui se limitaient à définir si une chose est vraie ou fausse ; qu’il n’y a qu’affirmation [ statement ] qui ne pouvait que « décrire » un état des choses. Austin découvre que parler, c’est agir.

Pour les philosophes, certaines affirmations, douteuses, étaient reléguées au « non sens ». Il s’agit des affirmations, avec les auxiliaires « pouvoir » ou « devoir », souvent des phrases à la 1ere personne du singulier de l’indicatif présent. Austin considère qu’à force de les mettre de côté, ces affirmations douteuses doivent être analysées…

Catégorisation des énoncés performatifs.

« on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui pourtant :

A)     Ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, ne sont pas vraies ou fausses ; et sont telle que

B)      L’énonciation de la phrase est l’exécution d’une action ( ou une partie de son exécution ) qu’on ne saurait décrire tout bonnement comme étant l’acte de dire quelque chose.

Exemples :

E, a ) : Oui [ je le veux ] ( c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime ) ; ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie de mariage.

E, b) : « je baptise ce bateau le « Queen Elizabeth », comme on dit lorsqu’on brise la bouteille contre la coque.

E, c) : «  je donne et lègue ma montre à mon frère », comme on peut lire dans un testament .

E,d) : «  je donne et lègue six pence parce qu’il pleuvra demain ».

Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase ( dans les circonstances appropriées, évidemment ) , ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. »

Les énonciations ne sont ni vraies ni fausses. Austin appelle ces énonciations comme phrase performative , dérivé de l’anglais « perform », action.

D’autres termes sont possibles : énonciations « contractuelles » ( « je parie »), ou déclaratoires ( « je déclare la guerre »). Voire l’impératif.

Prononcer ces mots peut être capital ( comme le message ou la déclaration de guerre ).

Austin insiste que les circonstances doivent être appropriées. Pour se marier, il faut que je ne sois pas déjà marié ( au sens chrétien ). Pour déclarer la guerre, il faut que je sois bien la personne appropriée ( un chef d’état ). Pour un pari, il faut qu’il y ait un partenaire qui l’accepte ( je dis « d’accord » par exemple ). Austin précise encore que ces mots doivent être prononcés « sérieusement », et qu’il s’agit d’un acte intérieur, voire spirituel. «  Notre parole, c’est notre engagement ».

Austin parle des conditions de « malheurs » ( infelicities ) que rencontrent les propositions performatives. Lorsque les conditions ou contexte ne sont pas réunis, ces propositions sont « malheureuses » car déplacées, sans action. Par exemple, si la phrase « la scéance est ouverte » est prononcée par le président autorisé de l’assemblée, un nouvel état au monde apparaît ( la réunion débute ). Par contre si c’est le pompier de service qui l’annonce, la proposition performative est nulle.

L’énonciation vraie ou fausse de ces affirmations n’a pas lieu d’être. « en aucun cas nous ne disons que l’énonciation était fausse », mais plutôt que l’énonciation ou mieux l’acte ( la promesse par exemple ) était nulle et non avenue [void], ou non exécutée.

La découverte des énonciations ( et non des énoncés ) performatives a eu un grand retentissement, à l’époque, et une grande influence de John L. Austin ; bien que ce philosophe anglais soit mort à 48 ans.

Le pouvoir des mots, ou l’insulte comme agression.

L’insulte est une expression, un comportement dégradant, offensif vers celui à laquelle on l’adresse.

L’insulte est en ce sens un acte performatoire : celui qui veut insulter veut déstabiliser, anéantir celui à qui l’insulte est adressée. Et c’est le cas, souvent. A « Sale Pédé », ou « Sale noir », ou « salope », l’insulté intègre ces mots, et le change même physiquement : peur ,  suée, colère.

Les mots ont ainsi une valeur d’action réelle, ici évidemment nuisible.

Cf article sur l’insulte.

  « Quand dire, c’est faire »

On considère généralement quela théorie des actes de langage est née avec la publication posthume en 1962 d’un recueil de conférences données en 1955 par John Austin, How to do Things with Words. Le titre français de cet ouvrage, Quand dire, c’est faire (1970), illustre parfaitement l’objectif de cette théorie : il s’agit en effet de prendre le contre-pied des approches logiques du langage et de s’intéresser aux nombreux énoncés qui, tels les questions ou les ordres, échappent à la problématique du vrai et du faux. Dire « Est-ce que tu viens ? » ou « Viens ! » conduit à accomplir, à travers cette énonciation, un certain type d’acte en direction de l’interlocuteur (en lui posant une question ou en lui donnant un ordre).

Les énoncés auxquels Austin s’est intéressé en tout premier lieu sont les énoncés dits performatifs. Un énoncé performatif, par le seul fait de son énonciation, permet d’accomplir l’action concernée : il suffit à un président de séance de dire « Je déclare la séance ouverte » pour ouvrir effectivement la séance. L’énoncé performatif s’oppose donc à l’énoncé constatif qui décrit simplement une action dont l’exécution est, par ailleurs, indépendante de l’énonciation : dire « J’ouvre la fenêtre » ne réalise pas, ipso facto, l’ouverture de la fenêtre, mais décrit une action. L’énoncé performatif est donc à la fois manifestation linguistique et acte de réalité.

Les exemples d’énoncés performatifs sont nombreux : « Je jure de dire la vérité », « Je te baptise », « Je parie sur ce cheval », « Je t’ordonne de sortir », « Je vous promets de venir », etc. Dans le détail, l’identification et la caractérisation des énoncés performatifs se heurte à un certain nombre de difficultés. D’une part, les performatifs ne sont tels que dans des circonstances précises, car ils doivent répondre à des conditions de « succès » : seul le président devant l’assemblée réunie peut dire avec effet « Je déclare la séance ouverte »

Ainsi, lorsque le maire prononce la formule rituelle « je vous marie », il marie par la seule énonciation de cette phrase ; même chose lorsqu’on baptise un enfant ou un navire, lorsqu’on fait une promesse, etc. Mais seules les personnes habilitées et dans le contexte prévus assurent la « félicité » de l’action.

http://philocite.blogspot.fr/2016/03/commentaire-dans-quand-dire-cest-faire.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Langshaw_Austin

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One comment

  1. Ping by II les pouvoirs et fonctions de la parole | PhiloStjo on 8 mars 2017 at 16 h 55 min

    […] fonction performative […]

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