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Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Textes technique

« La différence décisive entre les outils et les machines trouve peut-être sa meilleure illustration dans la discussion apparemment sans fin sur le point de savoir si la machine doit « s’adapter » à la nature de l’homme. (…) Pareille discussion ne peut-être que stérile : si la condition humaine consiste en ce que l’homme est un être conditionné pour qui toute chose, donnée ou fabriquée, devient immédiatement condition de notre existence ultérieure, l’homme s’est « adapté » à un milieu de machines dès le moment où il les a inventées. Elles sont certainement devenues une condition de notre existence aussi inaliénable que les outils aux époques précédentes. L’intérêt de la discussion à notre point de vue tient donc plutôt au fait que cette question d’adaptation puisse même se poser. On ne s’était jamais demandé si l’homme était adapté ou avait besoin de s’adapter aux outils dont il se servait : autant vouloir l’adapter à ses mains. Le cas des machines est tout différent. Tandis que les outils d’artisanat, à toutes les phases du processus de l’œuvre, restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu’il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. Cela ne veut pas dire que les hommes, en tant que tels, s’adaptent ou s’asservissent à leurs machines ; mais cela signifie bien que, pendant toute la durée du travail à la machine, le processus mécanique remplace le rythme du corps humain. L’outil le plus raffiné reste au service de la main qu’il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et éventuellement le remplace tout à fait. »

Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne (1958)

Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et oeuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’oeuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, cornme1es événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient à peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les oeuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage: mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine.

Hannah Arendt, La Crise de la culture

 

 

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