Faut-il oser sauter le cap ?

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Aujourd’hui, rares sont les enfants qui ont un ou deux ans d’avance. Le saut de classe, c’est risqué ! Perçu comme un saut en avant beaucoup trop périlleux. Alors qu’il est parfois beaucoup plus dangereux pour l’enfant qui apprend facilement ou qui s’ennuie de le maintenir dans sa classe d’âge…

évolution du pourcentage des passages anticipés en CP
Frein sur l’accélération du cursus scolaire

Alors que les études et les chiffres abondent sur le redoublement, rares sont ceux sur le « raccourcissement de la durée du  cycle d’enseignement ». (L’expression est un peu longue mais c’est officiellement ainsi qu’on nomme maintenant le saut de classe.) On parle aussi d’accélération du cursus scolaire ou de passage anticipé.

Pourquoi un saut de classe ?

Pour lutter contre l’ennui : si pour la plupart des gens, l’ennui est normal et supportable,  il est pour quelques personnes un ennemi redoutable. L’ennui n’offre pas au cerveau en suractivité la possibilité de se poser et de se fixer sur un sujet nourrissant. C’est parfois destructeur.  Une véritable torture ! Baudelaire a introduit ainsi son chef d’œuvre :

(…)

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui !

J’ai demandé aux enfants qui ont sauté une classe à quoi ça leur a servi, ils ont tous répondu par cette idée : à moins s’ennuyer… L’un d’eux a dit : « à faire un an de moins d’école 😉 ». Les raisons suivantes sont donc bien secondaires pour eux, voire inexistantes.

Pour apprendre à apprendre, pour avoir le sens de l’effort : une des caractéristiques des EIP est qu’ils n’apprennent pas à travailler. Le savoir est magique : il tombe du ciel et ne demande aucun effort. Alors, quand la difficulté arrive, qu’il devient nécessaire d’apprendre, le jeune se trouve totalement démuni ! La magie n’opère plus. Et il ne comprend pas. Et peut commencer à vivre des moments difficiles : lacunes, démotivation, voire dépression… Il est donc important de ne pas les laisser s’installer dans la facilité. D’autant plus que lorsqu’un sujet les intéresse, ils peuvent aller extrêmement loin dans la connaissance et devenir de véritables spécialistes. Et c’est ainsi qu’ils s’épanouissent. Avec l’effet éventail, le  Professeur Gagné explique qu’un enfant performant peut apprendre en 4 ans ce que la moyenne apprend en huit ans. À l’inverse, on peut apprendre deux fois moins vite que la moyenne.

Toulouse 1310-25
Sur le site de l’ANPEIP, diaporama du Professeur Gagné

Pour diminuer le décalage, pour s’adapter à la rapidité d’apprentissage car nous n’avançons pas tous à la même vitesse. Les grands randonneurs prétendent qu’il est épuisant pour eux de marcher au rythme des plus lents : que chacun doit marcher à son rythme.

En fait, imposer « une classe scolaire en fonction de l’âge et non du niveau individuel est équivalent à imposer une pointure de chaussure en fonction de l’âge et non pas de la taille du pied » (J.CH. Terrassier, 2002).

Les enfants à haut potentiel sont aussi en général attirés par les plus grands, parce que leur raisonnement et leurs préoccupations ne correspondent pas à leur âge, alors le saut de classe permet de diminuer un peu le décalage. Cela permet aussi de ne pas faire subir à l’enfant un long apprentissage qu’il maîtrise déjà. Proposer une année de CP par exemple à un enfant qui sait déjà lire manque cruellement de sens.

Comment accélérer son cursus ?

Première incontournable : que l’enfant ait envie d’effectuer le grand saut, ce qui n’est pas toujours le cas même quand le besoin se fait sentir. Parce que l’enfant a besoin de repère, qu’il préfère garder les mêmes plutôt que de s’en recréer, parce qu’il ne veut pas quitter ses amis, parce qu’il a peur de ne pas relever le défi ou parce que dans la classe supérieure on travaille plus…

Second incontournable : que ses parents et ses enseignants soient d’accord avec cette idée, ce qui n’est pas facile car c’est prendre un risque ! Et là, on se pose souvent de mauvaises questions : la question de la maturité, de l’écriture pas assez rapide, de la taille de l’enfant, du perfectionnisme (il ne supportera pas de ne pas se retrouver en réussite totale), de l’adaptation, du manque de connaissance…

L’idéal serait de pouvoir faire preuve de souplesse, que le glissement puisse se faire progressivement. De nombreux enseignants du premier degré parviennent à adapter, à utiliser le classes à double niveau pour conduire progressivement l’enfant en classe supérieure. Mais il est possible aussi de procéder par décloisonnement, ou en formule « stage dans la classe supérieure ». Les solutions sont multiples. En réfléchissant ensemble (enfant, parents, enseignants, spécialistes si besoin) on peut trouver la solution la plus adaptée. Mais ne pas s’enfermer dans l’idée que l’enfant ne doit pas prendre d’avance. Qu’il est trop jeune pour apprendre à lire. Ou qu’il n’a pas la maturité. Ou qu’il est trop petit. Ou qu’on lui vole son enfance. Ces idées reçues empêchent de trop nombreux enfants de s’épanouir !

Quand ?

Quand c’est le bon moment ! Quand c’est évident pour tout le monde. Mais pas toujours.

Il y a autant de sauts de classe qui se passent de façon fluide et sereine que de sauts de classe qui sont le fruit d’un combat des parents ou des enseignants… Certains se déroulent dans l’urgence, en plein milieu d’année scolaire, quand l’enfant est en trop grande souffrance. Mais il faudrait pouvoir anticiper : quand l’enfant ne parvient plus à s’adapter dans sa classe d’âge, avant qu’il se démotive totalement. Avant la dépression. Avant la déscolarisation. Avant la phobie. Avant que ça aille trop mal ! Dans les témoignages, un mot revient souvent : « C’était vital ! » Il est étonnant de remarquer que le saut de classe peut aider un jeune à sortir d’un grand malaise. « J’ai vu mon petit Kangourou qui sautait partout s’éteindre, se renfermer, se courber et devenir une vieille tortue, tête rentrée dans les épaules, dos courbé. Dès les premiers jours du passage anticipé, il est redevenu le jeune kangourou enthousiaste qu’il était. » Le problème, c’est que souvent, l’effet ne dure pas et l’ennui revient !

Parfois, il est même possible d’envisager un raccourcissement de cycle pour un élève qui n’est pas en tête de classe, parce qu’il a besoin de davantage de complexité et de défi pour se raccrocher… oui, c’est possible ! En revanche, dans ces cas-là, il est préférable de faire des essais, des tentatives, d’être prudent car il n’est pas question de mettre l’élève plus en difficulté !

« Si, dans les faits, l’accélération du parcours scolaire est presque exclusivement réservée aux élèves dont les performances scolaires sont remarquables, elle peut être également une réponse pour certains EIP peu performants. (…) Ils ont pu devenir alors sous-réalisateurs et compenser éventuellement leur lassitude par un comportement rêveur ou agité, voire gênant pour la classe et toujours révélateur d’une souffrance. »

P. 6 à 8 du document « Scolariser les élèves intellectuellement précoces ».

Dans quel but ?

Un seul objectif : le mieux-être de l’enfant.

Pour qui ?

Pour les EIP (enfants intellectuellement précoces) mais pas pour tous les EIP et pas seulement pour eux. Pour les élèves qui présentent une facilité et une rapidité d’apprentissage.

Bien entendu, il ne s’agit pas de faire du saut de classe la solution systématique, mais parmi les rares solutions, celle-ci n’est pas assez utilisée. On ne s’imagine pas à quel point laisser un enfant dans sa classe d’âge quand cela n’est pas adapté peut nuire à son bien-être et à sa réussite. Ennui, démotivation, manque de méthode, manque de reconnaissance, manque de confiance… Les rares études montrent que l’accélération du cursus scolaire ne nuit pas à la réussite, au contraire : davantage d’études longues, davantage de mentions très bien au brevet ou au bac.

Ce qui bloque

Le manque de maturité : un classique qu’on oppose presque systématiquement à la demande d’un saut de classe. La maturité et l’autonomie sont les deux mots qui reviennent le plus souvent en équipe éducative et plus souvent encore dans les écoles que dans les collèges ! Demander à des enfants d’être matures et autonomes, c’est tout simplement oublier qu’ils sont des enfants ! C’est renier ce qu’ils sont. Chez les HP, le manque de maturité se conserve toute la vie puisqu’il s’agit souvent d’hypersensibilité, d’hyperémotivité. Petit haut potentiel pleure souvent, réagit de façon démesurée, est susceptible… mais Adulte HP n’est pas mieux, même s’il a appris à regarder le ciel pour ravaler ses larmes. Il est inutile donc d’attendre la maturité affective ou motrice d’un enfant pour envisager un passage anticipé. Josef Schovanec plaisante souvent sur ce sujet: « Je n’ai toujours pas les compétences requises pour passer au CP » … Il est docteur en philosophie, ses livres sont un régal …

« Nous nous acheminons peu à peu vers la question qui hante la scolarité : si vous ne savez ni jouer au cerceau, ni nouer vos lacets, mais que vous vous passionnez pour le calcul différentiel, avez-vous les compétences pour passer en année supérieure de maternelle ? » Je suis à l’Est

Le problème de l’écriture, trop lente : effectivement, un grand nombre d’enfants à haut potentiel n’est pas à l’aise avec l’écrit. Mais l’apprentissage passe-t-il exclusivement par l’écrit ? Il est possible d’apprendre à lire et à compter sans maîtriser l’écrit. Il est aussi possible d’alléger la tâche écrite au moins un temps. Même sans accélération du cursus scolaire, ces jeunes ont souvent besoin de quelques séances de graphothérapie car ils aiment bien sauter les étapes : ils ne passent pas par la marche à quatre pattes, ils apprennent à écrire plus vite que la musique et sans prendre le temps d’intégrer la forme des lettres, ils cherchent déjà le mouvement de l’écriture…

D’autres arguments sont souvent érigés comme des digues : il faut bien sûr les observer mais prendre le temps de réfléchir ensemble et de rester ouvert à toutes les possibilités. Les enfants nous étonnent souvent. Le manque de connaissances peut être vite rattrapé quand ils sont motivés. On peut leur faire confiance… et oser sauter le pas !

Le pourcentage des sauts de classe n’a cessé de diminuer durant ce dernier demi-siècle alors que l’on tend vers une personnalisation des parcours : personnalisation qui se joue dans les contenus et les moyens avec les adaptations et les aménagements, mais aussi dans le rythme, la durée. C’est donc un vrai paradoxe d’assister à ce coup de frein sur l’accélération! Faut-il reculer pour mieux sauter ?

« L’éducation de l’enfant doit viser à favoriser l’épanouissement de sa personnalité et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités »  Convention internationale des droits de l’enfant.

Une chronique de Claire

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Les ressources

Pour aller plus loin

 

 

 

 

6 réponses

  1. Mon fils a toujours détesté l’école et a été diagnostiqué précoce à 7 ans (11 aujourd’hui). Il est dans une école privée qui met en avant la prise en charge de la précocité. Mais pour autant ça a été très compliqué avec son instit de CM1 et CM2 (classe double niveau). Elle n’a jamais voulu admettre l’ennui (« comment ce n’est pas possible ! avec tout ce que je fais pour eux !) Mon fils rentrait de l’école en me disant :
    – les autres réfléchissent, mois je sais.
    – je dors 16h par jour, 10h la nuit et 6h à l’école.
    – en CM2 je déconnecte mon cerveau tellement c’est la routine.
    Fin de 1er trimestre de CM2 j’ai demandé un passage anticipé en 6°, qui a bien-sûr été refusé (trop immature, on va le mettre en difficulté …). Il faut dire que mon fils plafonnait à 10 de moyenne …
    Il est donc passé en 6° cette année, et même si son rapport à l’école demeure tendu, il est beaucoup plus épanoui. Il est passé à 16 de moyenne et lors de la dernière réunion parent-prof, son prof de maths m’a dit : A pourrait suivre sans problème le niveau supérieur … Mais j’ai peur que le saut de classe en cours de collège ce ne soit un peu trop tard/compliqué ?

    1. Florence, le saut de classe est possible au collège et même au lycée. Il faut juste que votre fils soit motivé. Vous pouvez contacter la cellule EIP de votre académie pour être aidée dans cette démarche. Si vous sentez que l’ennui reprend le dessus, que le risque de démotivation est important, je crois qu’il ne faut pas hésiter.

    2. Bonsoir Florence,
      Je suis a peu de choses près dans la même situation. Mon fils a été détecté à l’âge de 6 ans, durant son année de CP.
      Le psychologue spécialisé a conseillé un passage anticipé en CE2, une fois l’année de CP réalisée.
      Ce qui a été refusé par la direction. Du fait qu’il ne se plaignait pas trop en CE1. Je n’ai pas réitéré ma demande auprès de l’école.
      Cette année il est en CM1 et c’est la cata ! ses notes rejoignent tout doucement la moyenne sans travail, alors qu’il a toujours été toujours très bon élève.
      Il me dit qu’il s’ennuie, il ne veut plus aller à l’école, « l’école c’est pour les bébés ».. mange tout depuis le CE1 (règle, crayons, stylos etc…).
      Je ne sais pas trop quoi faire !! le bilan psychologique date du CP..
      À lire sur le site de Sophie Cote : « Saut de classe ».
      Merci pour vos conseils

  2. Article très intéressant et très exhaustif sur les questions que l’on peut et doit se poser dans ce genre de cas. J’ai ainsi vu 2 élèves (venant d’un système scolaire étranger) inscrits en CM2 (à cause de leur age) passer en 6ème en cours d’année dans mon établissement, et ça leur a été plus que profitable !

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