Quelle efficacité de la politique industrielle en France ?

Dans un article paru en octobre 2020 (Réindustrialisation et gouvernance des entreprises multinationales, CEPII), l’économiste Vincent Vicard s’interroge sur les conditions d’efficacité des politiques industrielles en s’appuyant sur des données statistiques comparatives entre la France et l’Allemagne.

Vincent Vicard montre que l’efficacité des politiques de réindustrialisation en France comme en Europe est conditionnée par la prise en compte des caractéristiques des firmes présentes sur le territoire européen ainsi que la prise en compte des stratégies qu’elles mettent en œuvre. Depuis deux décennies, la question de la politique industrielle est centrale en France au sein des politiques structurelles (débat sur les ressorts de la compétitivité de l’économie française notamment en comparaison de l’Allemagne). Si les mesures qui agissent sur la réduction du coût des facteurs se sont révélées peu efficaces en France (pensons au CICE mis en place sous la présidence Hollande), c’est en raison de l’absence de prise en compte des spécificités de la gouvernance des firmes en France et en Allemagne. Vicard identifie trois différences principales :

  • Les firmes dont le siège social est installé en France sont souvent très compétitives sur les marchés mondiaux alors que leur implantation sur le territoire français décroit. Ce phénomène va de pair avec l’extension des chaines de valeur mondiales (CVM) et n’est donc pas propre aux firmes liées à l’hexagone mais il prend dans le cas français des proportions fortes : il existe un processus de dissociation géographique croissant entre le lieu de conception des produits et les lieux d’implantation de la production industrielle. Les gouvernements qui mettent en œuvre des politiques industrielles sont ainsi privés d’une partie du « retour sur investissement » de ces politiques (peu d’impact sur la stabilisation de l’emploi industriel par exemple). Cet argument n’est pas nouveau. Dans ses publications (Nos temps modernes, 2000 ; Trois leçons sur la société post-industrielle, 2006), Daniel Cohen montre que les économies « post-industrielles » présentent cette caractéristique de développer des appariements sélectifs et de dissocier géographiquement les lieux de gouvernance des firmes des lieux de production (par opposition, dans la société industrielle, les dirigeants travaillent sur le même site de production que les ouvriers). Vicard montre que ce processus est moins marqué en Allemagne où les activités de production industrielles restent davantage localisées sur le territoire germanique.
  • Les firmes dont le siège social est installé en France présentent une moindre représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance (50 % des administrateurs sont des salariés dans les firmes de plus de 2000 salariés en Allemagne contre seulement 15 % en France). Cette différence change significativement le mode de gouvernance quant aux stratégies des firmes en matière d’implantation des activités productives sur le territoire national : l’incitation à conserver des sites industriels en Allemagne est plus forte.
  • Les choix de gouvernance des firmes sont aussi fonction du degré d’éloignement géographique entre les centres de décisions (siège social) et les sites de production. Lorsque cet éloignement est fort (comme c’est plutôt le cas en France), les stratégies des firmes suite à un choc de compétitivité ne sont pas les mêmes : les firmes dont les sites de production sont plus dispersés et plus éloignés du siège optent pour des mesures généralement moins favorables aux salariés (pas seulement en terme de rémunération mais aussi en terme de pérennité des emplois).

En fin de compte, cet article majeur montre que, pour être efficaces, les politiques économiques doivent à la fois produire de la contrainte (des règles qui s’imposent aux firmes) et de l’incitation pour modifier les comportements stratégiques. Cela suppose que les décideurs publics commencent par identifier rationnellement la nature de ces comportements stratégiques, sans quoi les politiques industrielles continueront de manquer d’efficacité.

Le lien vers l’article de Vincent Vicard :

http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/pb/abstract.asp?NoDoc=12755

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