Les livres vagabonds

Autostop

AUTOSTOP

   Ils l’avaient trouvé sur le bord de la route, un jour de pluie. Il était sale. Il sentait mauvais…Néanmoins, mon oncle le fît monter dans la voiture, après avoir pris la précaution de mettre un plastique pour protéger la couverture-housse du siège arrière.

C’était le temps des départs en vacances… On trouvait de tout sur les routes.

– Je suis sûre qu’on l’a abandonné intentionnellement!

Le cœur de ma tante fondait comme neige au soleil sur le chemin de la maison. Pourtant le nouveau venu ne semblait pas désespéré… Non, il regardait au dehors sans rien dire, le nez collé à la vitre.

Ils l’appelèrent Hector.

Cela lui allait très bien, selon ma tante. A cause de ses grands yeux tristes, ajouta-t-elle d’un air entendu. Où avait-elle lu de la tristesse dans ses yeux ?

On lui aménagea un coin sous l’escalier, avec un gros coussin et une cuvette pour faire ses besoins. Fine cuisinière, ma tante comprit très vite les goûts de son protégé. Elle se mit à lui mijoter des petits plats qu’il dégustait en cachette dans la cuisine, lorsque mon oncle était au travail.

En revanche, il observa nos habitudes, et de sa propre initiative, entreprit de nous aider… Les fleurs, par exemple. De lui-même, il apprit à les arroser… Il fallait le voir, l’air important, coiffé du vieux chapeau de paille de mon oncle, se faufiler entre les tulipes géantes !

Ma tante, a toujours prétendu qu’il était parfaitement heureux. Je n’en suis pas si sûr. Soit, il était aimable, allait chercher le journal, les provisions de la semaine, et annonçait les visiteurs d’une humeur toujours égale… Mais je l’ai surpris plus d’une fois près de la fenêtre donnant sur la cour, en train de rêver!

Un jour, Hector revint, après les courses accompagné d’un homme.

– Veuillez m’excuser… Je vois que vous l’avez recueilli…

Il était mou et froid et avait un regard cruel, dit ma tante lorsqu’il fut parti. Pendant tout l’entretien avec l’inspecteur, Hector garda le silence. D’une voix distraite, il répondit cependant à certaines questions. Il comprenait certainement ce qui se passait, j’en jurerais, et ses yeux allaient de l’un à l’autre.

L’inspecteur a bredouillé de vagues paroles sur les dangers auxquels on s’exposait en ramassant un inconnu sur la route… Carte de séjour périmée, etc. Ma tante, je m’en souviens, voulait l’interrompre, mais mon oncle, terrorisé, lui faisait de grands signes… Bref, l’homme a accepté un peu d’argent et il est parti sans difficultés.

Qui nous avait dénoncés ? Nous avons tout de suite pensé à Madame Groll, cotre voisine, qui a son fils au Ministère.

Enfin, tout se terminait bien… Et Hector faisait partie de la maison, maintenant.

Et puis, il a fallu ces inscriptions sur les murs du vécé ! Des dessins et des phrases obscènes. Craignant la colère de mon oncle, ma tante me força à repeindre les murs avant le soir. Le lendemain, les dessins apparurent sur les murs du couloir!  Nous nous attendions à un drame. Mais mon oncle ne s’émut nullement, à notre stupéfaction. Il sourit même en regardant les graffiti.

Peut-être a-t-il parfois besoin d’une compagne, dît-il.

– Hector ? s’écria ma tante, penses-tu! Il est si jeune ! Quel âge peut-il avoir ? trente-huit-trente-neuf ans! C’est difficile à dire.

En tous les cas. Je sais qu’il ne restera plus longtemps chez nous.

F Laguionie, Les puces de Sable, 1980

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