Feuilleton : Nouvelle Âme – 1

1.

Un bip incessant. C’est la seule chose que j’entends depuis au moins trente secondes. Je ne vois rien, je ne sens rien, et la seule chose dont je me souviens, c’est cet énorme vacarme qui a laissé place à ce bip. Suis-je encore en vie ? Je n’en ai pas la moindre idée. Par contre, ce que je sais, c’est que si la mort est comme ça, je préfère encore retourner sous les roues de cette voiture.

-Mademoiselle ?

Une voix ? Un infirmier ? J’essaie de bouger, mais je ne sens toujours rien. C’est à peu près à ce moment-là que je dois commencer à paniquer, non ? Pourquoi est-ce que je ne ressens rien ? Même la panique m’a quitté. 

Petit à petit, mes yeux s’habituent à la lumière. Enfin, c’est ce que je suppose. En tout cas, le voile blanc se dissipe peu à peu. Et je me retrouve… Dans une infirmerie ?! Un homme en habit d’infirmier et aux cheveux incroyablement blancs me sourit.

-Bienvenue parmi nous, me dit-il. Oh, doucement !

Il pose sa main sur la mienne quand j’essaie de me lever du lit où je suis allongée. Ce contact me glace. Justement car il n’y en a pas. Je ne ressens pas sa main sur la mienne. Je ne sens pas la chaleur de sa peau. Je ne sens pas les draps se froisser sous moi. Je les vois, c’est tout. Cette fois-ci, la panique s’éveille en moi, comprenant enfin que c’est à son tour d’entrer en scène. Me voyant m’affoler, l’infirmier se volatilise, et revient quelques instants plus tard avec une seringue à la main.

-Ne t’en fais pas, c’est un médicament.

S’il m’a piqué, en tout cas, je ne sens rien. Petit à petit, mon sens du toucher semble revenir. Je sens enfin le lit sous moi, et la fraîcheur du lieu. Je me calme peu à peu.

-Enfin ! Désolé de cette arrivée compliqué. Les accidentés ont toujours du mal, au début.

-Vous devez en avoir l’habitude, je réponds, un hôpital si grand…

Il se gratte la nuque. Il paraît gêné. Vu son âge, il doit être stagiaire, ici. Le pauvre, s’il veut s’habituer à l’endroit, il lui faudra du courage.

-Oui. Bref, il faut que vous vous leviez. 

Ses mots m’étonnent. Il dit que je suis une accidentée, et ensuite il veut que je me lève comme si de rien n’était ? Je m’apprête à protester quand il m’attrape doucement par le bras et m’aide à me lever. Voyant bien que je n’ai pas le choix, je ne dis rien. Nous longeons une allée de lits, tous occupés par au moins une personne. Ce qui me frappe, c’est la diversité des personnes alitées : enfant, adulte, semblant venir de tous les continents, heureux ou en train de pleurer… Cependant, j’évite de les regarder. J’ai l’impression que chaque lit est une bulle, et il est hors de question que je la perce à cause de mon regard. 

Nous passons la porte, et entrons dans un vaste hall, complètement différent de ce à quoi on s’attend en entrant dans un hôpital. Aucun infirmier pressé, aucun blessé, juste des hommes en costumes, et des patients complètements perdus. L’infirmier me prend par les épaules et me sourit :

-Bonne chance à toi, Ambre !

Il connaît mon prénom ?! Je m’apprête à lui demander comment ça se fait, mais il est déjà parti. J’observe l’endroit où j’ai atterri. Des femmes et des hommes aux cheveux blancs immaculés se tiennent derrière des bureaux au style moderne. Des hommes aux costumes noirs se tiennent dos au mur, à distance régulièrement, un peu comme des gardes. L’ambiance d’hôpital a totalement disparu. On se croirait plutôt dans le hall d’une entreprise aux employés constamment occupés. Je détonne complètement, avec ma veste en cuir et mes longs cheveux blonds. Ceci-dit, je ne devrais pas m’en faire. D’autres personnes ayant l’air aussi perdues que moi virevoltent dans tous les sens. L’un fait les cent pas, tandis que l’autre se ronge les ongles… Les deux options ne m’enchantant pas réellement, je m’avance vers une femme derrière un bureau. Elle ne lève même pas la tête quand je m’assois devant elle.

-Bonjour, je commence, je…

-Nom ?

-Pardon ?

Je suis estomaquée. La politesse est donc morte, ici ?

-Votre nom.

-Roy, je dis en me retenant de lui lancer une pique cinglante.

-Prénom ?

Grâce à cet interrogatoire, elle apprend que je m’appelle Ambre, que j’ai dix-huit ans, que je suis française, née à Montpellier, et que je ne connais pas mes parents biologiques.

-Quels sont vos derniers souvenirs avant d’atterrir dans l’infirmerie ?

Je réfléchis. Une voiture fonce sur moi. Un klaxon retentit. Une douleur sourde. Elle note tout cela, imprime un papier et me le donne.

-Maintenant, il faut que vous descendiez jusqu’au rez-de-chaussée, sortiez du bâtiment et attendiez que quelqu’un vienne vous chercher. Ce quelqu’un s’appelle…

Elle vérifie son ordinateur.

-Clarisse Wilson. Vous lui donnerez ce papier et lui obéirez au doigt et à l’œil.

-Et si j’en ai pas envie ? je demande, en croisant les bras.

-Bonne chance pour survivre, dans ce cas, fait-elle en ricanant. Enfin, si je puis me le permettre. Car personne ne survit ici. Bienvenue dans le monde des morts.

Je me lève en ignorant ses remarques. Le monde des morts ? Et puis quoi encore ? Je prends son fichu papier, et ne la salue même pas. Que faire, maintenant ? Je réfléchis. Les hommes qui se tiennent contre les murs ne me semblent pas amicaux du tout. N’ayant pas d’autres choix, je prends l’ascenseur déjà bondé.

J’aurais mieux fait de prier qu’il s’écrase.

Amélie

Chapitre suivant la semaine prochaine…