Feuilleton : Nouvelle Âme – 9

9.

Je m’étire, tandis que James et moi nous accordons une pause pendant ce temps de révision. Cela fait une semaine que j’ai élu domicile dans ce monde et, malheureusement, une chose ne change pas: je révise toujours autant. Ce moment de révision fait partie de la routine que James m’a aidée à mettre en place, et j’avoue que c’est plutôt utile. Les cours sont très chargés, et ces temps devant les bouquins se sont vite rendus essentiels. La plupart du temps, nous révisons juste après avoir fini les cours, pour « battre le fer quand il est encore chaud », d’après James. Heureusement, ma routine ne se résume pas qu’aux cours et aux révisions. Je me suis fait un petit groupe d’amis que je retrouve chaque soir, lors des repas et des temps de jeux, composé de James, Lila, Enzo et Hana. Bien évidemment, Clarisse n’en fait pas partie. D’ailleurs, elle ne tient absolument pas sa promesse. Elle n’est jamais là, à part lors des repas, pendant lesquels elle ne pipe mot. Impossible de la faire parler. Heureusement que James est là, même si j’essaie d’être un poids moindre pour lui. S’occuper de deux âmes ne doit pas être facile.

-On reprend ? me fait mon aristocrate anglais préféré – certainement car c’est le seul que je connais. Qu’est-ce que la Réincarnation ?

-Hum…

A mon grand malheur, il commence par une question complexe.

-Elle consiste à… retourner sur Terre et avoir une nouvelle vie… Heu…

Je sèche. J’ai honte. Cela fait une semaine que j’ai élu domicile dans ce monde. J’ai beau réviser chaque jour, je reste incapable de réciter une simple définition. James m’offre un sourire rassurant, avant de réciter, sans regarder le livre :

-Elle consiste à se réincarner dans un nouveau corps, et donc de commencer une nouvelle vie sous forme humaine. Elle nécessite certains critères : dix ans d’existence dans ce monde et n’avoir commis aucune faute éliminatoire.

En voyant mon regard désemparé, il s’empresse de me rassurer :

-Ne vous en faites pas, Ambre. Certaines âmes ne le savent même pas en sortant de l’école. Enfin, cela ne veut pas dire que vous ne devez pas le savoir ! C’est juste que j’aime réviser avec… Enfin, les cours sont compliqués et…

Cette fois-ci, bien que je ne comprenne un traître mot de son charabia, c’est à moi de le rassurer :

– James, ne vous en faites pas. J’aime réviser avec vous.

Son regard s’éclaire soudainement. Il est d’habitude très joyeux et positif, mais là, tout semble s’être dédoublé. Son sourire est aussi lumineux que le soleil de l’école, qui me chauffe le bout des pieds.

Je soupire d’aise.

-C’est le soleil, qui vous rend si heureuse ? me demande James, en levant les yeux vers l’astre.

-Oui, j’aimais me prélasser au soleil avec mes mamans, quand j’étais en vie.

Son regard se fait interrogateur. Est-il surpris que j’ai assimilé la réalité si vite ? J’ai bien trop de preuves pour continuer à être sceptique. La montre, la traduction, le fait que mes cheveux ne graissent plus, que je suis de moins en moins fatiguée… Et puis, même si je suis dans un complot géant, tant que mes mamans vont bien, je suis heureuse.

-Vous avez deux mères ?

Zut, je l’ai laissé échapper ! Un vieux réflexe m’oblige à jauger le regard de James. Va-t-il m’insulter ? Me rejeter ? Je repense aux harceleurs de mon frère. Ils l’ont poussé à bout. Me l’ont enlevé. Je refuse de croire que James fait partie de l’un d’entre eux. Je vais assumer avec fierté, comme je l’ai toujours fait.

-Oui.

J’attends la sensation familière du rejet, la mâchoire serrée. Elle ne vient pas. A la place, James s’exclame, comme un enfant :

-Cela fait deux fois plus d’histoires avant de dormir, dans ce cas !

J’ouvre de grands yeux. Un soulagement immense prend place en moi. Aucune mauvaise réaction ? J’avoue me fier au cliché, mais j’attendais un peu plus de véhémence de la part d’un aristocrate anglais. Ou alors, pas ce genre de véhémence…

-Ne me regardez pas ainsi, Ambre, fait-il en éclatant de rire. Ce n’est pas parce que j’ai vécu sous le règne de la reine Victoria que j’ai l’esprit aussi vieux !

Je me gratte la nuque, gênée.

-Sérieusement, Ambre, je ne vous en veux pas. Les clichés ont la peau dure, et vous venez à peine d’arriver. Et puis, il faut dire que je ne fais pas dans le moderne, hein ? fait-il en ouvrant les bras, affichant son costume violet, aux broderies d’or – que je n’ai pas manqué de complimenter le matin-même, d’ailleurs. Oh, en parlant de monde moderne, ne vaudrait-il pas mieux que nous nous tutoyons ?

Je hoche la tête, avant de répondre à sa question initiale :

-T-tu ne fais pas dans le moderne, mais cela fait ton charme.

A ma grande surprise, il détourne le regard, rougissant. Est-ce à cause du tutoiement ? Un éclair passe dans mon esprit, et une vague de tristesse s’empare de moi. Non, il n’a simplement pas l’habitude des compliments.

-P-pouvons nous continuer les révisions ? bégaie-t-il, en essayant de reprendre contenance.

J’ai envie d’insister sur le fait que oui, même si on ne lui dit pas souvent, il est beau. Très, même. Mais cela serait sûrement intrusif, alors je me replonge dans les livres, me promettant cependant de revenir à la charge plus tard.

Nous ne remballons nos affaires que lorsque les premières étoiles apparaissent dans le ciel. Il est bientôt l’heure du repas, et nous devons poser nos affaires avant de nous rendre au réfectoire. Quand je reviens près du réfectoire, après avoir déposé mes affaires, je m’adosse au mur. James n’est pas encore là. Faute de mieux, je prends alors le temps de regarder la cour. Elle est grandement peuplée. Des profs sortent du bâtiment de cours, des élèves entrent et sortent en continu des dortoirs. Il en va de même pour le portail, qui laisse entrer et sortir ceux voulant probablement fêter l’arrivée du week-end.

C’est parmi eux que je la vois. Clarisse, accompagnée de la plus belle femme que j’ai vu de toute ma vie. Grande, les cheveux blonds, coupés au carré et bouclés. Sa taille est fine et ses courbes généreuses. Sa robe, style année 50, complète le tout. Elle ressemble aux pin-up, que j’ai eu l’occasion de voir déambuler dans l’école, mais en cent fois plus belle. Elle parle à Clarisse d’un air pressé, et je remarque avec amusement qu’elle est obligée de se baisser pour chuchoter quelque chose à Clarisse. Elles ont toutes deux une mine sérieuse, bien trop sérieuse pour une fin de week-end. J’ai envie d’aller les voir. Mais avant que j’ai pu esquisser un pas, James arrive, tout sourire :

-Ils proposent du bœuf bourguignon, aujourd’hui ! Allons-y.

-Attends, James. Tu sais qui c’est ?

Je lui montre Clarisse et la femme, qui continuent de discuter près du portail.

-Navré, mais je ne sais absolument pas. Clarisse a toujours été très secrète sur sa vie. Cependant, une chose est sûre, elle n’est pas de l’école.

-Ah ?

-Oui. Elles ont l’air d’avoir envie que personne ne les entende, mais seules les nouvelles Âme et les garants peuvent franchir la protection invisible, située à cinq mètres du portail. Mesure de sécurité, ajoute-t-il après avoir vu mon regard étonné. De toute façon, sans la questionner, tu ne sauras rien, Ambre.

Je suppose que je n’obtiendrai des informations qu’en parlant à Clarisse. Je souris à James et l’invite à entrer, toujours l’image de Clarisse et cette femme dans la tête.

Amélie

Chapitre suivant la semaine prochaine.