Feuilleton : Nouvelle Âme – 10

10.

-Ton armoire est effrayante.

Ce sont les premiers mots que Clarisse m’adresse de la journée. Elle n’a même pas daigné dire quelque chose quand, à dix heures, elle est arrivée dans la chambre dans un grand fracas, pour me réveiller à coups de rideaux grands ouverts et d’oreiller sur la tête. Je vais la tuer, me suis-je dit en protégeant mes yeux de la lumière. On ne me réveille pas comme ça sans conséquence ! Avant même que j’ai pu trouver une vengeance à la hauteur de l’erreur, ma bourreau s’en est allée. Bon, la vengeance serait pour plus tard. Enfin, c’est ce que je croyais. J’ai à peine eu le temps d’émerger, de me lever et de me planter devant mon armoire que cette saleté est revenue, un croissant dans la main. Je n’ai même pas tilté à cause de la fatigue. C’est là qu’elle a fait ce commentaire, en m’observant attraper un sweat et un jean d’un air absent :

-Freud a dit un jour que lorsqu’on voit le défaut de quelqu’un, on reconnaît en lui ses propres défauts, je réponds, endormie.

-Freud a aussi dit qu’un placard mal rangé était le reflet de l’âme. A quelques mots près.

Je ne réponds pas. Elle reprend :

-Qu’est-ce qui te tracasse ?

Je soupire.

-J’ai cessé de ranger le jour où mon frère a arrêté de le faire pour moi.

-Mais encore ? Il en a eu marre de toi ? Je le comprends.

Je n’ai pas la force de lui répondre par une pique. Je regarde les vêtements que j’ai choisis. D’habitude, j’en porte chaque week-end. Cela ne devrait pas me déranger d’en porter à nouveau. Mais une étrange envie me saisit quand je pense à celui avec qui je vais passer ma journée. J’ai envie d’impressionner James. Puis mon regard se pose sur un chapeau. J’ai le nécessaire, en plus. Je repose alors le sweat et l’échange contre un veston à motif fleurie et l’ensemble qui va avec.

-Il est mort, je fais après avoir disposé mes vêtements sur mon lit.

Clarisse se tait.

-Pardon. Tu le retrouveras ici, non ?

-J’espère.

-Mais oui ! Fait-elle en me tapant l’épaule. S’il t’aime, il te trouvera.

Je ne sais pas ce qui est arrivée à Clarisse pendant la nuit, mais quand je sors de la salle de bain, elle est toujours là. Maintenant que je suis plus réveillée, mes questions habituelles ont refait leur nid dans ma tête : Où est-ce qu’elle s’en va la nuit ? Pourquoi ? Pourquoi ne répond-t-elle pas à mes questions ? Mais cette fois-ci, l’une d’elle sort du lot. Je tente ma chance :

-Au fait, je t’ai vu parler à une femme, hier soir, près du portail.

-Et ?

Est-ce un encouragement ?

-Et je me demandais… qui elle était. Je veux dire, on ne voit pas de telles femmes à tous les coins de rue, je me justifie en hâte, de peur que Clarisse fuit à coups de « Je n’ai pas à me justifier auprès de toi ».

Clarisse me sonde du regard. Cela dure longtemps. Assez longtemps pour que j’ai le temps de détailler ses yeux marrons, presque noirs, et son visage tout entier. Assez longtemps pour que j’ai le temps d’imaginer tous les scénarios possibles et inimaginables – bien que j’ai l’impression que ce mot ne veut plus rien dire, dans ce monde. Assez longtemps pour que mon cœur se mette à battre la chamade. Enfin, elle sourit :

-Tu le sauras peut-être, un jour.

Puis elle se désintéresse totalement de moi. Comme si cet étrange moment n’avait pas eu lieu. Elle attrape son sac à dos et sa veste, puis ouvre la porte :

-James doit t’attendre, dépêche-toi. Je vous rejoindrai plus tard.

Cela aurait pu se terminer ainsi. Mais non. En sortant, Clarisse fait tomber un objet, de la poche avant de son sac à dos. Mais avant que je n’aie pu faire quoique ce soit, elle est déjà partie. J’observe l’objet, après l’avoir ramassé. C’est une carte de visite. Une élégante écriture violette fait l’éloge d’un bar nommé « Chez Persy ». Des noms romains sont inscrits en-dessous : Hadès, Aphrodite, Hermès, et tout un tas d’autres. Puis une adresse.

Je ne le savais pas encore, mais je contemplais à ce moment-là l’adresse du lieu ayant changé mon existence.

Amélie

Chapitre suivant à la rentrée des vacances.