Ecrire pour exister- Côté pédagogie.

Pour compléter la chronique publiée hier, aujourd’hui Aude et moi vous livrons le fruit de nos réflexions pédagogiques liées au visionnage du film Ecrire pour exister.
Freedom Writers, Richard LaGravenese, 2007
Toi qui as vu un certain nombre de films sur la pédagogie ou qui ont pour cadre l’école, que dirais-tu que ce film a de particulier ? Pourquoi a-t-il retenu ton attention ? Aude. – Justement, je trouve qu’il fait très quelconque au début comme de nombreux films sur l’éducation aux États Unis : tu regardes Sister act 2 ça commence presque pareil mais je trouve ça intéressant parce qu’elle aime ses élèves, parce qu’elle ose s’écouter, je trouve ça aussi intéressant parce que ce film met en avant l’idée qui a longtemps prévalu et qui heureusement a  tendance à disparaître avec les recherches récentes sur les sciences cognitives, que la pédagogie c’est inné, qu’on devient un bon prof sur le tas. Quand j’ai commencé ma carrière, il y a 13 ans, c’était un peu ça. On te jetait en première ligne dans un collège violence et prévention ou ambition réussite et c’est là que tu faisais tes armes, or comme tous les métiers l’enseignement, ça s’apprend, il faut nous former, je regrette encore de me dire que je suis actuellement en train de m’auto-former à la discipline positive parce que tu en as entendu parler et que par chance notre cheffe d’établissement adhère complètement à cette pratique. Même chose pour les pédagogies coopératives ou la pédagogie de projet dont on va parler dans la prochaine question. Si je peux faire un peu de politique, et je ne parle même pas de la réforme des concours qui va mettre sur le terrain des jeunes étudiants qui seront dégoûtés par le métier avant même de commencer parce que non seulement ils n’auront pas le bagage dans le domaine pédagogique et ils ne l’auront pas dans le domaine scientifique, alors si tu as ni l’un ni l’autre comment tu fais de la didactique ? Colette. – Alors justement mon petit bémol concernerait le fait que le film donne un peu l’impression que cette enseignante trouve toute seule en moins d’un an des solutions incroyables à des problèmes de discipline, de démotivation, d’irrespect, de manque de confiance, de méthode de travail quand même particulièrement corsés ! Elle n’est pas du tout accompagnée dans sa première expérience, l’administration de son établissement ne la soutient pas, ses collègues ne sont pas particulièrement encourageants. Et pourtant, elle bouleverse l’ordre des choses à la force de sa seule volonté. Elle s’en donne les moyens certes. Si je compare avec mon propre parcours, je me dis qu’elle a réalisé l’importance du développement des compétences psycho-sociales, l’importance de la coopération bien plus vite que moi ! Je ne sais pas si c’est réaliste de ce point de vue, il m’a fallu lire tellement de bouquins, rencontrer tellement de collègues, essayer tellement de choses pour arriver à observer des progrès dans la relation à l’école de mes élèves que je trouve « suspect » d’y arriver en moins d’un an ! D’un point de vue général, c’est un film très optimiste sur les changements qu’une pédagogie de projet peut entraîner dans la vie sociale, affective et intellectuelle des élèves : est-ce que tu t’y retrouves ? Aude. – Oui complètement ! Ce que j’aime dans la pédagogie de projet, c’est d’abord le lien que tu crées avec tes élèves, tu ne peux pas tricher, à un moment tu t’es tellement investie en temps, intellectuellement, culturellement, émotionnellement que tu ne peux plus te planquer derrières des programmes, des compétences, des fiches et que sais-je… et ça les élèves finissent toujours par percevoir ta sincérité et ton investissement. Ensuite, j’aime observer l’évolution des élèves parce que c’est forcément sur du temps long, ils sont eux aussi obligés de se mouiller, ils ne peuvent plus se cacher, si ça leur plaît, ils foncent aussi ! Colette. – En fait c’est vraiment le message que m’a rappelé le film : si toi, l’enseignante tu fonces, tu es prête à rêver en grand, les élèves suivront, rien ne peut t’arrêter (sauf peut-être un satané virus et encore !) J’ai vraiment eu cette sensation la première année où j’ai enseigné, seule année où j’ai pu vraiment me consacrer corps et âme à mes élèves (parce que je n’avais qu’une classe en responsabilité, parce que je n’avais pas de famille dont j’étais responsable et que je vivais à 10 minutes de mon lieu de travail…) En une année, on a écrit des textes, qu’on a décidés de publier, qu’on a auto-édités avec les moyens du bord, qu’on a vendus lors d’une journée portes-ouvertes au profit d’une association recueillant des fonds pour soigner les cancers pédiatriques, on a participé sur nos Week-ends à des évènements pour l’association en question, on a écrit des sketches à la manière de Desperate Housewives et les élèves ont réussi à me convaincre de jouer ces sketchs en public. On a trouvé une salle, on a répété tout le mois de juin alors que les cours étaient terminés et on a joué devant une salle remplie de gens bien intentionnés ! C’était génial. Je ne sais pas si ces élèves s’en souviennent mais pour moi ce sera une expérience inoubliable ! Quelles activités pédagogiques as-tu retenues parmi celles évoquées dans le film ? Y-en-a-t-il que tu aimerais mettre en place ?  Aude. – je ne sais pas si je retiens une activité mais plutôt des idées véhiculées par ces pratiques. Il y a quatre choses que je retiens : 1) confronter les élèves à la difficulté : on leur donne Le Journal d’Anne Frank pas la version édulcorée, on leur donne un vrai livre pas le librio à deux euros, c’est une question de respect et j’ai presque honte d’en avoir pris presque conscience avec ce film mais là dessus elle a raison, il faut arrêter de rogner pour des histoires de budget parce qu’ils sont trop jeunes ou trop immatures ou trop mauvais. 2) Ils ont droit a du beau, du grand, du rêve. D’ailleurs quand on regarde le matériel Montessori c’est exactement cette idée. Jean Pierre Aurières, qui amène chaque année ses lycéens dans un pays très lointain, est également dans la même démarche, il considère que le voyage est formateur mais le grand, l’inoubliable, celui d’une vie,… doit être accessible y compris en lycée pro ou en filière techno en Seine St Denis. Je me souviens d’élèves amenés à Londres en avion et au retour je me souviens de G. qui m’a dit avec les larmes aux yeux : « Madame merci parce que peut-être que je ne pourrais plus jamais me payer un billet d’avion… » Et je  sais par les décisions qu’il a prises pour son orientation par la suite, qu’il s’est donné les moyens d’avoir de quoi se repayer un billet d’avion! 3)Troisièmement,  ne pas avoir peur du grand projet et ça dans ma pratique j’ai encore un peu de mal à me défaire des croyances limitantes, des contraintes administratives, comme démarcher des personnalités, lever des fonds, mobiliser les collègues,… aller au bout des démarches comme quand elle fait venir la personne qui a caché Anne Franck depuis les Pays Bas ou qu’elle fait imprimer le livre. Les élèves retiendront ça, l’exceptionnel !
Miep Gies (1987)
En 2014 avec notre collègue d’anglais nous avons eu la chance d’assister à la cérémonie de commémoration du débarquement en présence de Barack Obama et François Hollande ! Quand je croise cette génération, ils ne me parlent que de ça, tout le reste c’est à la poubelle comme le cahier vert de l’année de troisième. Alors, si j’ose dire c’est l’indice récupérateur bien plus que ton cours avec tes fiches en comic 12 😉 4) Dernière chose, aimer ses élèves, s’investir personnellement et aller plus loin dans l’accompagnement des compétences socio-émotionnelles. Alors c’est ma ligne de progression actuellement et c’est peut être pour ça que ça me parle, mais là aussi pendant des années, je me suis accrochée à une phrase d’un formateur IUFM qui m’avait dit : « notre boulot s’arrête à la porte du collège sinon après tu te crames émotionnellement » et bien je pense que c’est un métier où on n’ a pas le choix, on doit se cramer émotionnellement c’est à ce prix là que nous prenons du plaisir dans notre métier qui peut parfois être ingrat et à ce prix là que l’on gagne la confiance des élèves et qu’on accompagne leur réussite. Colette. – Tu as dit l’essentiel me semble-t-il ! En tant que professeure de français, je retiens quand même cette superbe idée de faire écrire les élèves sur l’année, dans ses très beaux carnets à l’américaine (ils doivent avoir un nom) qu’ils peuvent laisser, à l’abri, dans l’armoire de la classe s’ils souhaitent que l’enseignante les lisent. Je trouve que cette démarche touche à quelque chose d’essentiel. On n’est plus dans l’évaluation, on n’est plus dans le travail pour acquérir des connaissances, des compétences, etc. On est juste là pour mieux vivre. Mieux être. Ensemble. Et ça passe par une meilleure connaissance de soi, qu’à mon sens, seule l’écriture nous permet. Et quelle confiance. J’ai adoré le moment où elle ouvre l’armoire pour la première fois et où elle trouve TOUS les carnets… A partir de là, leurs relations ne pourra plus jamais être une relation d’enseignant/enseigné. Leur relation est toute autre, c’est une relation de cœur à cœur.

Rendez-vous lundi prochain pour quelques conseils de films qui ont nourri nos réflexions pédagogiques !

     

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