Le Voyage de Pénélope : lecture croisée.

Aujourd’hui, on vous propose une lecture croisée sur le voyage de Pénélope dont je vous avais livré ma chronique la semaine dernière. mais cette fois-ci Colette se joint à moi pour partager ces réflexions sur cet ouvrage.

J’ai donc posé quelques questions à Colette sur sa lecture et sur les questions que le livre avait soulevé chez moi, j’en ai profité pour répondre à quelques unes de ces réflexions aussi.

On vous souhaite une bonne lecture et des minutes de découvertes philosophiques.

1/ J’ai découvert Marie Robert pendant le confinement avec ses billets philosophiques sur instagram et toi, comment l’as tu découverte? Qu’est ce que tu aimes chez cette autrice?

 

C: J’ai envie de rire en lisant cette question ! C’est toi qui m’as fait découvrir Marie Robert et son compte Instagram « pilosophy is sexy » au cours d’une de nos conversations virtuelles ! Ce que j’aime dans ses mini-chroniques sur ce réseau social, c’est qu’elle a su le détourner de sa fonction première qui est de montrer l’instant. Sur son compte, ce n’est pas l’image qui importe mais les mots. C’est bien joué, je trouve, de réussir à donner à penser philosophiquement sur un réseau qui invite tellement au superficiel. Et puis elle réussit à mettre la réflexion philosophique à la portée de toutes et tous, au gré du quotidien et des expériences humaines. On n’est pas dans la transcendance, on est dans l’immanence !

 

2/ En tant que grande lectrice, qu’as tu pensé de l’histoire de ce livre? Du schéma narratif ? Des personnages principaux et secondaires de ce roman?

 

C: Je n’ai pas vraiment adhéré au personnage principal, une Pénélope que j’ai trouvée artificielle, manichéenne. Je n’ai pas non plus adhéré au rythme de la narration que j’ai trouvé irréaliste : les évènements s’enchaînent à un rythme soutenu, Pénélope passe de la dépression à l’euphorie en quelques mois, elle voyage de pays en pays sans problème, elle guérit de sa dépression en un claquement de doigts, tous les problèmes rencontrés (et pas des moindres : chômage, rupture) sont résolus en quelques pages. J’avoue, je n’y ai pas cru, je n’ai pas pu m’identifier à ce personnage et on sait ô combien l’identification est une étape essentielle en littérature.  Malgré tout, les personnages de ce roman sont des personnages attachants et positifs mais sans la profondeur que j’aime à explorer dans les récits réalistes. Mais ce roman a vraiment quelque chose d’original, grâce aux immersions qu’il nous propose dans des univers de philosophes jusque là complètement inconnus pour moi. Les pages dédiées à Averroès, Christine de Pisan, Machiavel ou Spinoza sont de belles invitations à se plonger dans leurs écrits !

 

3/ Comme je l’ai dit dans ma chronique, ce livre m’a beaucoup questionné ? A-t-il soulevé chez toi autant de questionnements? Si oui lesquels ?

 

C: Sans doute ma lecture a-t-elle été influencée par ta chronique littéraire que j’avais lue avant de commencer ce roman. Par conséquent, je savais d’avance les interrogations que ce livre avait soulever chez toi mais je pense que je n’ai pas été aussi sensible que toi à certaines thématiques comme celle du voyage et de l’aventure. Je dirai que la principale question que ce livre a soulevé chez moi c’est : mais pourquoi ne mettons-nous pas plus de philosophie dans nos vies, dans nos rapports aux autres et à nous-mêmes ? En effet, je suis certaine que le questionnement philosophique est une compétence essentielle pour affronter et faire partie du monde contemporain, tel qu’il est, particulièrement imparfait, incertain et inquiétant.

 

4/ Maintenant permets moi de t’embarquer dans mes questionnements : quelle place a la philosophie dans ta vie personnelle et dans ta vie professionnelle?

 

C: Je n’ai pas adoré la philosophie dans mes études, pourtant en section littéraire, c’était une matière fondamentale mais que je n’ai pu découvrir qu’en terminale… Un peu court pour se faire une idée juste de ce qu’est la philosophie. Surtout que c’était une discipline que nous n’abordions qu’à travers une ribambelle de concepts qui allaient un peu à contre courant de ce que l’expérience nous avait appris. La liberté, que j’avais enfin l’impression de toucher du doigt, avec la philosophie devenait quelque chose de compliqué. Pas de coup de foudre, donc !

C’est en devenant mère, que j’ai redécouvert la philosophie grâce à un magasine pour enfants, Pomme d’Api, dans lequel tous les mois, on retrouvait Les P’tits philosophes de Dorothée de Monfreid. Et là, enfin, on se posait de vraies et belles questions qui bousculent et donnent du grain à moudre en soi même : qu’est-ce que la mort ? Pourquoi faut-il faire des efforts ? Qu’est-ce qu’un ami ? Avec mes enfants, tout-petits à ce moment là, ce fut l’occasion de débats, d’échanges, de confrontation d’idées. Des moments particulièrement précieux.

Et puis j’ai vu Ce n’est qu’un début de Jean-Pierre Pozzi, un documentaire qui nous donne à voir une initiation au débat philosophique en maternelle. On y suit une enseignante de maternelle, Pascaline Dogliani, à la Mée-sur-Seine dans une ZEP de Seine-et-Marne qui met en place des ateliers philosophiques avec ses élèves. Et c’est vraiment une expérience étonnante, vivifiante et motivante que de voir ces tout-petits aborder des questions existentielles avec la naïveté, le sérieux et la curiosité caractéristiques de la petite enfance.

 

A: Jusqu’à présent, il y avait très peu de place pour la philosophie dans ma vie. Comme toi, je n’ai pas du tout accrochée à ces cours lors de mon année de terminale. Après pendant mes études, à plusieurs reprises je m’étais fait la réflexion que ça me manquait dans le cadre de cours d’histoire politique, de géopolitique ou de géographie des représentations.

Dans ma vie de jeune animatrice en colonie de vacances, j’ai découvert la collection des gouters philo chez Milan jeunesse dont on parlera la semaine prochaine et j’ai trouvé ça super chouette d’avoir un petit bouquin rapide à lire qui peut servir de supports à des discussions pourtant essentiels avec les enfants !

Il n’y a que très peu de temps, que je considère qu’il est nécessaire d’initier les enfants à la philosophie ou aux réflexions philosophiques bien avant la terminale.

Je dirai donc qu’actuellement, j’aimerais dans un premier temps, approfondir mes connaissances dans cette discipline pour mieux m’en servir et mieux la transmettre, voire faire des projets autour de l’éloquence par exemple !

 

4bis? Quel rapport as-tu au voyage, à la quête de sens à travers le voyage, la fuite même? Penses- tu que cela puisse être une solution?

 

C: Vaste question ! Le voyage me fait peur… Je suis persuadée que l’aventure est au coin de la rue, dans les mots d’un livre ou entre les murs de ma salle de classe, alors le voyage ne m’a jamais fait rêver. Par contre, je vis avec quelqu’un qui adore voyager, qui ne se projette que dans les escapades prévues pendant les vacances et qui aurait adoré vivre à l’étranger. Nous avons du faire des compromis mutuellement et grâce à lui, j’ai découvert la joie de la découverte d’autres horizons. Mais ce n’est pas une chose facile pour moi, je ne suis pas à l’aise à l’étranger. Sans doute parce que je ne parle aucune langue étrangère correctement. Fuir pour moi n’est pas une solution mais ménager des temps d’évasion (on en reparlera peut-être dans un autre article) me semble salvateur étant donné nos modes de vies occidentaux modernes où la routine pourrait très vite nous submerger, nous momifier. La vie c’est le mouvement, non ?

 

A: En ce qui me concerne pour le moment l’absence de voyage ou le très peu de voyage que j’effectue est l’un des plus grands regrets dans ma vie. C’est d’ailleurs quand j’y pense quelque chose qui peut me mettre en colère ou me rendre triste. Quand je fais la liste de tous les lieux que j’aimerais découvrir par moi-même et que je ne peux pas par manque de temps, d’argent, de personne avec qui y aller. Je suis sur le point de me dire que je vais finir par voyager seul même si cette option me terrorise encore un peu ! C’est une envie qui est considérée dans mon entourage   comme très égoïste parce que je ne passerai du coup pas de temps avec certains membres de ma famille, certaines personnes y compris très proches cherchent toujours à me décourager : pas assez d’argent, pas assez de temps pour des travaux, pas assez de temps en famille. Finalement,  plus ça va plus je me dis que si, on a tout ça ! C’est juste que je dois changer l’ordre des priorités, il faut juste que j’accepte de ne plus céder et de ne plus culpabiliser.

Pourquoi j’attache autant d’importance au voyage. Justement parce que je pense que c’est une ouverture culturelle indispensable, à la fois qui t’ouvre à la rencontre et tu sais combien j’aime la rencontre avec l’autre au sens très large du terme, les individus, la nourriture, les lieux,  la culture, les contes, mais aussi à la réflexion, le voyage te mets dans une position d’insécurité qui te pousse à demander de l’aide, à être observateur, à réfléchir à ton rapport à l’autre….

En revanche, je ne partirais, probablement jamais pour fuir une situation ou pour changer de vie, je suis aussi profondément attachée au dicton quand on ne s’est pas où on va, on s’est toujours d’où l’on vient et j’aime cette idée des lieux refuges. Moi qui ai déménagé 7 fois dans ma vie, j’ai besoin de savoir qu’il y a des lieux qui seront toujours pour moi un point de départ ou un retour aux sources ! ce sont d’ailleurs des lieux où je n’ai jamais habité.

 

4 ter? Qu’est ce que le bonheur selon toi, trop vaste question sans doute? Je dirai plus tôt qu’est-ce que réussir sa vie selon toi? Comment penses-tu accompagner ce questionnement avec tes enfants et avec tes élèves ?

 

C: Question particulièrement difficile en effet… Réussir sa vie selon moi, c’est explorer au mieux ce que l’on est, aussi bien en tant que corps qu’en tant qu’esprit. Explorer dans le sens de faire l’effort constant de fouiller, de chercher, d’interroger, et de savourer ce qu’on trouve, même si c’est décevant par rapport à nos fantasmes, rêves, attentes. Apprendre à aimer ce qu’on va trouver au bout de nos recherches. Se mettre à l’épreuve.

 

Je ne sais pas comment j’accompagne ce questionnement avec mes enfants ou mes élèves. En prenant le temps d’écouter peut-être. De faire attention à leurs besoins et d’essayer de leur montrer comment dire ses besoins sans honte, sans fard. L’utilisation du message clair en classe est un outil qui m’y aide et que j’utilise aussi en famille dès que possible. Tu sais à quel point la lecture du livre de Marshall B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) a été une révélation pour moi. Je pense qu’accompagner les enfants à cerner ce qui les nourrit est essentiel pour vivre une vie épanouie.

 

A: Je t’ai posé cette question, parce que dans mon sketchnote de rentrée, j’avais mis une case projet et un élève a répondu être heureux tout simplement, alors que je n’avais même pas pensé à cette réponse et que moi aussi je me suis souvent dit et même encore j’associe trop souvent le bonheur à des projets, des carrières, des évolutions, des avancées, des changements, bref à du mouvement. Même si de plus en plus, je me rends compte que le bonheur se niche dans des toutes petites situations, là tout le temps, un livre avec un thé, un morceau de musique qu’on aime bien, une promenade, le chaleur du soleil sur son épaule,…Donc pour moi réussir sa vie c’est justement avoir la capacité de se dire, là ici et maintenant je suis bien, je me sens bien avec les bonnes personnes, le bon travail,… je me lève et je sais que quoiqu’il arrive je vais être contente de ma journée.

Justement j’essaie de leur enseigner ça qu’il faut savoir profiter de ce que nous offre la vie, et qu’il faut savoir se saisir de tout y compris du pain noir.

De plus en plus j’ai à cœur de leur dire que rien n’est déterminant dans la vie, les choix qu’ils font sont importants mais ce n’est pas déterminant, je leur dis aussi de mettre de côté les injonctions, les « quand dira-t-on ? » et le regard des autres. La vie est trop courte et peut s’arrêter brutalement donc il faut savoir profiter de ce que l’on a et faire ce que l’on a envie et ce pourquoi on a l’intuition que ça va nous faire du bien  et arrêter de s’imposer des personnes, des actions qui nous agacent!

 

 

5/ Enfin j’ai évoqué la pratique de la philosophie à l’école, qu’en penses tu ? En quoi cela sera nécessaire voire indispensable?

 

C: Comme je l’ai dit plus haut, je pense que faire de la philosophie dès le plus jeune âge, dès le début de la parole, avec des enfants de petite, moyenne et grande section, soignerait bien des maux de notre école et de notre société. Savoir interroger qui l’on est en tant qu’humain, faisant partie d’une espèce, permettrait de remettre très tôt l’individu à sa juste place, notamment au milieu des autres humains, mais aussi au cœur de la nature et de l’univers. La philosophie, si elle faisait partie de nos vies quotidiennes, permettrait de relativiser un certain nombre de problèmes, qui n’en sont que parce que nous y plaquons un discours social sclérosant…

 

A: Si je t’ai posé la question c’est parce que je pense qu’il faut vraiment initier dès le plus jeunes âge les enfants et nos élèves à réfléchir, dire ce qu’ils ressentent, interroger le bien, le mal, la douleur, l’amour, l’amitié, la passion, le travail, notre rapport à la nature,….notre quotidien universel à tous. Il faut être « sages » avant d’être vieux c’est à ce prix-là que notre société va entrer en transition ! c’est hyper idéologique de ma part mais je pense qu’il faut savoir s’interroger sur ce que nous vivons en permanence. Ce matin on me demandait de m’inscrire à des ateliers de réflexion sur l’évaluation et il y en avait un intitulé comment être juste dans notre travail d’évaluation ? J’ai trouvé que c’était très philosophique comme question et très intéressant de prendre le temps de discuter de ça ensemble entre professionnel de l’évaluation. Pourtant je n’ai pas fait ce choix parce que je savais que la réaction de certains collègues et le manque d’accompagnement que l’on aurait sur cette question me rendrait triste d’assister finalement à un atelier qui va s’avérer stérile.

 

6/ Comme je sais que tu le pratiques comment tu t’y prends?

 

C: Comme je le disais à la question 4, après avoir vu Ce n’est qu’un début, comme toujours, quand je suis inspirée par une pratique pédagogique, je l’ai tenté avec mes élèves. Alors avec mes 6e Fynn, en 2015, on a organisé sur le temps de Vie de classe, des petits déjeuners philosophiques : je lisais un album, nous cherchions ensemble une problématique suscitée par l’album et les élèves débattaient ensemble pour proposer des réponses à cette problématique. Les élèves apportaient des crêpes, des brioches, des cookies, des jus de fruits. C’était un moment hors du temps et particulièrement riche. J’ai réitéré l’expérience en partenariat avec la CDC de la commune à laquelle est rattaché le collège. Une intervenant est venue pour mener des débats philosophiques en classe. Depuis, j’essaie d’en organiser au moins un au cours d’une séquence de littérature.

 

7/ Quelle est la réaction des élèves?

 

C: Ce sont des heures incroyables ! D’un seul coup, ils prennent une toute autre dimension : des êtres pensants à part entière. Ils s’interrogent, proposent des réponses, s’écoutent VRAIMENT pour tisser du lien entre leurs différentes visions des choses. Ils n’ont pas encore les concepts, mais ils ont l’expérience et finalement c’est le plus important. Comme tout se passe à l’oral, les plus en difficulté dans le système scolaire français qui base presque tout sur l’écrit, trouvent leur place. Et leurs débats sont toujours constructifs…

 

8/ Je te laisse cette citation à méditer.

«  Pénélope tu n’es pas ici par hasard. Tu veux vivre quelque chose, ton cœur brûle, ta tête t’assaille de réflexions mais tu refuses de plonger. […] Tu sais chaque individu a un rôle à jouer. Chaque personne peut utiliser la force de son esprit pour devenir acteur de son existence et du monde qui l’entoure »

Quel est ton point de vue là-dessus ?

 

C: J’en suis entièrement convaincue : dans le microcosme humain, chaque être compte et aura de l’influence sur les autres rouages qui composent notre humanité. Après, il nous faut aussi relativiser : à l’échelle cosmique, nous ne sommes que d’infimes « poussières d’étoiles », pour reprendre l’expression d’un astrophysicien cher à mon cœur, Hubert Reeves, qui m’a fait beaucoup réfléchir jeune adulte quand je l’ai découvert. Sciences et philosophie ont tellement de points communs. J’espère qu’on aura l’occasion d’en reparler !

 

A: Je pense que nous avons une destinée dans laquelle nous avons un rôle à jouer mais les hasards n’en sont pas toujours. J’écoute actuellement beaucoup de podcasts qui évoque la question de l’intuition, je pense qu’on se crée des situations qui correspondent à nos besoins. Surtout oui nous sommes acteurs de nos propres vies, plus que celle des autres d’ailleurs, on fait un métier dans lequel on sait très bien que tu peux tendre la main et la personne en face ne peut malheureusement jamais la saisir. C’est très personnel mais je comprends de moins en moins et ne supportent plus les personnes qui rejettent la faute sur toi, ou les autres, qui évoquent toujours les contraintes avant les possibilités, qui ne se donnent pas les moyens de devenir effectivement acteur de leur vie ! Justement nous sommes que de passages, des poussières d’étoiles alors en gros pour moi il vaut mieux être et vivre en âme et conscience. Comme on dit il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets !

 

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