Parler des émotions avec nos enfants et nos élèves

Aujourd’hui, pour finir notre mois sur les émotions, nous avons décidé, comme le mois dernier sur la philosophie, de partager avec vous nos ressources. On les a souvent expérimentées avec nos enfants avant de le faire avec nos élèves.

Le point de vue d’Aude

La première fois que j’ai abordé la question de l’expression des émotions avec mes filles, j’ai utilisé ce livre extrêmement connu aujourd’hui décliné en jeu, en d ‘autres albums, en multitudes de ressources pédagogiques puisque de nombreux enseignants, surtout du premier degré, s’en sont emparés. Il s’agit  de La Couleur des émotions d’Anna Llenas. Ce monstre change de couleurs en fonction de ce qu’il ressent et c’était un très chouette outil pour mettre des mots sur ce que ma fille ressentait quand elle était plus jeune. On  avait adoré d’abord le graphisme et le coloriage version gribouillage. Juste au départ 6 émotions – la joie, la tristesse, la peur, la sérénité, l’amour et la colère – représentées chacune par une couleur. On l’a lu et relu pour débriefer du retour de l’école quand elle avait besoin de raconter et de poser tous ces états comme je lui disais

La couleur des émotions - HOPTOYS

Colette, je sais que tu l’as beaucoup utilisé avec tes enfants, qu’en penses tu ? As tu exploité d’autres albums du même auteur ou des ressources réalisées par des enseignants à partir de cet album ?

Je me rappelle très bien avoir découvert cet album lors d’un de nos premiers casiers surprises (il faut qu’on écrive un article sur cette très belle initiative un jour prochain). J’ai particulièrement adhéré au graphisme et aux choix narratifs : le dialogue entre l’enfant et le monstre mime le dialogue intérieur que cet album nous invite à entreprendre à chaque fois qu’une émotion puissante nous submerge. Ce qui fait de cet album une véritable réussite c’est que non seulement il aborde avec simplicité un thème de psychologie mais il le fait avec poésie. Les nombreuses métaphores utilisées pour décrire les symptômes provoqués par les différentes émotions sont particulièrement évocatrices. C’est une dimension du travail d’Anna Llenas que j’ai eu plaisir à retrouver dans deux autres de ses albums :

et le merveilleux :

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Dernièrement avec l’entrée au collège, j’ai du gérer le stress et la confiance en soi et on a utilisé deux carnets avec des petits exercices ou activités à l’intérieur. Il faut dire que je suis personnellement assez friandes de ce genre d’ouvrages. Je vous en présente deux.

La confiance en soi d’Isabelle Filiozat

Il s’agit d’un cahier d’activités très simple avec des illustrations, à mon sens très poétiques à tel point qu’on a mis du temps à oser découper à l’intérieur. Je le précise parce que cela était un frein dans la mesure où ma deuxième fille était très demandeuse d’activités à l’intérieur et je m’attachais toujours à en faire des photocopies avant, que je ne faisais pas et au final on l’ assez peu utilisé et maintenant nous regrettons toutes les 3. Mes Jujux se trouvent désormais trop grandes pour ce carnet.

Au delà de la confiance, ces activités menées en famille permettent de libérer la parole, d’argumenter, de s’écouter et de ne pas juger l’autre et de développer du coup un vocabulaire autour des émotions de la peur, de l’anxiété, de l’amour, de ce qui rend joyeux, de ce qui apaise,…. Il en existe plusieurs mais que nous n’avons jamais utilisés sur les émotions, la colère et les peurs aussi.

Colette as tu déjà utilisé ou offert ces ouvrages ?  Qu’en penses tu?

Comme vous, on a acheté La confiance en soi mais comme vous, nous n’avons pas osé l’utiliser. Par contre, quand mon fils aîné a traversé une mauvaise période de doute et de remise en question de ses capacités vers 9 ans, je lui ai proposé de correspondre à travers un joli cahier de ma précieuse collection. Je déposais le cahier sous son oreiller le matin, il pouvait y lire toutes les petites fiertés qu’il avait fait naître dans mon cœur dans la journée et il faisait de même à son tour et cachait le cahier sous mon oreiller le soir. Cette correspondance secrète nous a permis de regagner en sérénité. Les petits cahiers sont des outils d’apaisement incroyable quand l’enfant est entré dans l’écriture positivement.

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Enfin, en cherchant sur internet, j’ai trouvé celui-ci qui est construit comme un journal intime dans lequel on peut se décharger de ces émotions négatives et libérer notre créativité.

Il ne s’agissait pas de  celui-ci mais de Saccage ton carnet que les filles n’ont absolument pas utilisé parce qu’il nécessite une utilisation régulière auquel mes jujux ne s’astreignent pas. Bon parfois en tant que parents, on fait des choix et ce n’est pas toujours les bons c’est comme ça, il faut savoir aussi écouter les enfants.

Je laisse maintenant la plume à Colette qui a expérimenté plus d’outils que moi notamment en classe. Bonne lecture !

Le point de vue de Colette

Bien évidemment, c’est souvent par les livres que j’aime à aborder les rives d’un sujet inconnu. Avec mon fils cadet particulièrement réceptif à ses propres émotions et à celles des autres, on a souvent lu les livres d’Anthony Browne qui permettent des mots sur ce que l’on ressent.  Tout petit c’est Parfois je me sens… qui a eu un franc succès. Au fil des pages, le petit singe, héros de l’histoire, décline les différentes émotions qu’il peut ressentir. Les illustrations d’Anthony Browne, avec une grande économie de moyens, permettent aux plus jeunes de retrouver toutes ces situations quotidiennes qui le plongent en lui même au coeur d’émotions agréables ou désagréables.

Plus grand, ce sont les aventures de Marcel qui nous ont subjugués. Notamment, à travers l’album Marcel et le nuage qui permet d’évoquer avec beaucoup de poésie et de subtilité l’état de tristesse qui peut s’abattre sur nous sans raison.

Enfin, un de nos classiques préférés, Billy se bile, permet d’évoquer les situations de peur, d’angoisse qui peuvent parfois nous paralyser et surtout d’y trouver des solutions à travers la très belle tradition des poupées tracas du Guatemala.

Les jeux aussi permettent d’aborder cet terra incognita qui fait notre monde intérieur. L’un de nos préférés est La météo des émotions inventé et créé par Clerpéé éditions, une micro-structure située à Nantes qui a misé sur le beau ! Plusieurs règles du jeu accompagne les magnifiques cartes de l’artiste fabriquées avec grand soin en France sur un carton particulièrement agréable à toucher. Notre jeu préféré est de tirer une carte au sort et d’imiter l’expression du visage dessiné sur la carte pour le faire deviner aux autres.

Pour terminer cet article j’évoquerai le livre Aidez votre enfant à développer son empathie, exercices et outils pour apprendre à se mettre à la place des autres de Stéphanie Couturier avec les délicates illustrations d’Adéjie.

Parmi les outils proposés, j’utilise régulièrement le bol des émotions en classe lors du cours dont je parlais la semaine dernière sur le vocabulaire des émotions. Je note toute une série d’émotions sur de petits cartons que je mets ensuite dans un bol. Chaque îlot tire au hasard un petit carton et un élève bénévole raconte un souvenir, une anecdote en rapport avec l’émotion tirée au sort qu’il racontera au groupe sans la nommer pour la faire deviner. Et ainsi inviter les autres à entrer en empathie. Je suis à chaque fois impressionnée par la capacité de mes plus jeunes élèves à jouer le jeu de ces confidences émotionnelles. Quelque chose est en train de changer, j’en suis certaine !

Mettre des mots sur ses émotions.

Quand j’ai commencé à utiliser le message clair en cours, une chose m’a tout de suite frappée : les élèves étaient particulièrement motivé.e.s pour essayer d’exprimer leur besoin mais elles/ils ne parvenaient pas toujours à trouver les bons mots pour cerner l’émotion désagréable qui les assaillait. Alors j’ai décidé d’intégrer l’enseignement du vocabulaire des émotions à mes cours de langue.

La jubilation

l’euphorie

l’enthousiasme

l’allégresse

l’affliction

le tourment

le chagrin

l’agacement

l’irritation

l’énervement

la crainte

l’angoisse

la terreur

sont autant de mots pour dire ce qu’on ressent

pour montrer à l’autre le chemin jusqu’à ce qui nous anime

nous agite

nous brouille les pistes

ou illumine notre horizon.

Ces mots sont essentiels pour apprendre à mieux se connaître, s’observer, s’envisager et s’aimer tout entier.

Et une fois que l’on s’aime soi, aimer les autres parce qu’ils sont ce qu’ils sont.

Mais cet apprentissage est difficile car il implique une règle fondamentale qui hélas n’est pas encore une priorité dans la plupart des familles : considérer l’émotion de l’autre comme légitime (souvent parce que les adultes eux-mêmes ne considèrent pas comme légitimes leurs propres émotions – cercle vicieux imparable !)

Pour cet apprentissage, je fais un détour par l’art. Je montre à mes élèves les tableaux sélectionnés dans ce très beau livre :

Ce livre est une invitation incroyable à l’empathie par le jeu. En effet, je sélectionne quelques tableaux parmi ceux que je préfère auxquels j’associe une consigne d’écriture. A travers chaque œuvre, nous explorons une émotion particulière, ses symptômes, ses effets, ses possibles causes. Par le biais de la fiction, nous apprivoisons nos émotions. N’est-ce pas là toute la magie de l’art ? Plus facile d’accès que la littérature, l’image nous permet cette essentielle « alphabétisation émotionnelle » dont parle si souvent Isabelle Filliozat dont nous parlait Aude la semaine dernière.

Allez, je vous laisse avec une de mes œuvres préférées, une œuvre surréaliste de Man Ray. Et je vous le demande : qu’est-ce qui a pu toucher cette femme au point de geler les larmes au bord de ses cils ?

Larmes de verre, Man Ray, 1936.

 

 

 

L’intelligence du cœur ou le manuel des émotions à glisser dans tous les casiers d’enseignants

J’ai découvert Isabelle Filiozat grâce à un carnet offert par Colette à mes jujux

En ce qui concerne ce petit cahier d’activités, on a mis du temps à se l’approprier parce que faire entrer Isabelle Filliozat dans sa vie, c’est accepter de lire, d’entendre des choses qui vont nous déranger et nous percuter mais c’est aussi en sortir un peu changé et bouleversé dans ses habitudes et dans ses relations aux autres.

Dans les rayons de ma nouvelle bibliothèque, il y  avait donc l‘Intelligence du cœur, avec un petit macaron « reconnu d’utilité personnelle », j’ajouterai à personnelle « collective ».

 

Isabelle Filliozat est psychologue, elle a écrit de nombreux articles, a beaucoup critiqué l’éducation nationale, ce qui a toujours un peu le don de m’agacer mais peut être qu’un jour j’écrirai un petit coup de griffe contre ces auteurs qui vivent en très grande majorité grâce aux deniers d’enseignants et qui contribuent, l’air de rien, à creuser les inégalités face à l’éducation.

Dans le titre, j’ai évoqué le côté utile de cet ouvrage parce qu’il est vraiment conçu comme ça. Elle commence son ouvrage par définir ce qu’est une émotion puis après les traite toutes une par une dans un chapitre. Les tristesses, les  peurs, les colères, les joies, les amours et donne enfin quelques conseils pour les reconnaître, les exprimer, les vivre au grand jour et donc aussi les accepter chez les autres.

Les compétences socio-émotionnelles m’étaient inconnues jusqu’à il y a 5-6 ans  quand j’ai commencé à m’intéresser aux sciences cognitives. Je m’y intéresse et j’essaie de m’auto-former sur ces-dernières depuis l’an dernier après la lecture d’Heureux d’apprendre à l’école de Catherine Gueguen.

Les deux auteures nous expliquent que sans gestion des émotions, inutile d’essayer de développer quoi que ce soit avec les élèves. C’est la base. Si l’élève ne sent pas en sécurité, en confiance, vous pourrez dérouler le meilleur scénario pédagogique, il sera complètement inefficace.

Comme je l’ai dit la semaine dernière dans ma chronique pédagogique, nous sommes complètement incompétents et nos élèves très inégaux face à la gestion des émotions. Alors on peut retenir de ce livre quelques outils pour s’auto-former et quelques passages qui m’ont interpellés.  Je vous les confie ainsi.

D’abord j’ai beaucoup aimé et je réutiliserai, je pense, lors de séances de vie de classe le questionnaire qui permet d’évaluer son quotient émotionnel. Ce petit exercice a le mérite d’être ludique et l’élève peut le faire lui même sans montrer ses résultats à l’enseignant s’il ne le souhaite pas. Il s’agit de calculer après une trentaine de questions son quotient émotionnel.

Ensuite, je vous livre quelques réflexions qui m’ont interpellée et qui m’ont fait réfléchir sur le discours ou l’attitude que je peux avoir face à mes élèves.

« la seule façon de ne pas transmettre aux autres frustrations, rages, terreurs ou désespoirs, c’est de les partager ». Oui, on peut partager sans attendre une plainte ou un réconfort d’ailleurs mais pour expliquer un état d’esprit, une décision et pour que les élèves ne fassent pas d’amalgame. On peut être en colère par exemple parce que les élèves n’adhèrent pas à une séance sur laquelle on n’ a passé du temps, on peut être déçu par son travail personnel mais on n’est pas en colère contre ces élèves, on ne les déteste pas.  Et puis communiquer sur le coup permet d’éviter d’emmagasiner des frustrations  et d’être aigri.

Elle évoque le désir plutôt que le défi. Le défi se fait sous la contrainte, la peur, le regard de l’autre. Alors que le désir est lié à l’anticipation d’un plaisir. Cette phrase est importante pour moi parce qu’elle doit être reliée à la motivation intrinsèque, à ce qui motive l’élève intérieurement, à la volonté de progresser, et non à la motivation extrinsèque, à la note. Trop souvent, le système challenge les élèves, leur donne des objectifs à atteindre et finit par les paralyser. Le fameux « et si j’y arrive pas », et là je sais de quoi je parle, j’étais de ceux là en tant qu’élève.

A plusieurs reprises, elle nous explique comment passer par la communication non violente pour exprimer son émotion et surtout celle de la colère qui se rattache toujours selon elle à une cause plus profonde telle qu’une blessure intérieure, de la frustration ou encore un manque. On en reparlera plus tard mais la communication non violente est un outil dont on ne nous parle jamais lors de nos formations et c’est bien regrettable. On devrait maîtriser cet art de la communication à la perfection afin de pouvoir le transmettre. Heureusement, de plus en plus de collègues du primaire l’enseigne et j’ai bon espoir que d’ici quelques années, on ait de plus en plus d’élèves capables de communiquer sans violence mais il faut aussi former les enseignants et quand on voit le prix de ces formations, c’est juste scandaleux qu’elles ne soient pas inscrites dans notre programme de formation.

Toujours dans le cadre de cette nécessité de communiquer, elle insiste sur l’importance de la réconciliation, du pardon, du refus et de l’exposition d’un besoin. Là ces quelques pages m’ont renvoyé à mes énervements ou mes lassitudes personnelles, j’essaie de plus en plus d’exprimer ce besoin le plus clairement et calmement possible même si je dois admettre que parfois je sens ma voix vaciller, ce qui me fait penser d’abord que comme je le disais plus haut, la communication non violente ça s’apprend et qu’ensuite ça doit renvoyer en moi à des « blessures d’enfant intérieur » comme elle le dit souvent que je n’arrive pas encore à identifier clairement ! Oui ce livre peut avoir une petite vertu thérapeutique. Pour la communication non violente, le livre de référence est bien évidemment celui de Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)

J’ai aussi beaucoup aimé le chapitre sur la tristesse puisqu’il m’a permis effectivement de prendre conscience que souvent elle est à rattacher à un sentiment de perte et de déception, nous avons fait le choix de vivre toujours beaucoup entouré, cela peut avoir des avantages mais aussi des inconvénients et c’est vrai que je suis toujours très triste quand on se coupe la parole ou qu’on dit à un enfant de se taire parce que sa parole d’enfant est jugée moins légitime que celle d’un adulte, moi-même je peux avoir ce défaut là d’ailleurs. Or si on renvoie ces situations familiales ou amicales à la classe, la déception peut être quotidienne, elle peut même se présenter pour les enfants réservés ou atypiques plusieurs fois par jour. Je me suis donc aussi posée la question de ma place d’enseignante dans le groupe classe, à quel moment on sollicite, on encourage, on laisse un élève tranquille, si on peut dire, face au groupe classe.

Autre réflexion intéressante sur le choix, elle insiste sur le fait que la société d’abondance dans laquelle nous vivons nous paralyse d’une part et d’autre part que trop souvent nous faisons des choix par contrainte, par rapport à une éducation, à des conseils d’adultes qui nous entourent et du coup si le choix ne nous convient pas on emmagasine une forme de frustration qui va engendrer de la tristesse et de la colère. Alors là aussi, j’ai eu envie de retenir ce passage d’autant plus que parallèlement à ce livre, j’ai lu un article dans le dernier Flow qui proposait une méthode où quand on est face à un choix, on pose 5 valeurs qui sont non négociables pour nous pour pouvoir faire ce choix. Ces valeurs peuvent être matérielles (le prix, le temps, …), esthétiques mais aussi elles peuvent être liées à des besoins, ce choix doit me permettre de vivre l’aventure, le risque, passer du temps en famille, me passionner pour un sujet, me permettre d’exprimer ma créativité, me rendre heureux,…. et là du coup on entre à mon sens dans quelque chose qui va nous rendre véritablement heureux et l’abondance, l’enthousiasme et la joie sont communicatifs, enfin je pense… Dans le cadre de mon métier, maintenant, je fais ce qui me plaît dans le respect des programmes bien sûr mais si j’ai envie de passer plus de temps sur un thème plutôt que sur un autre je le fais parce que souvent l’élève y trouve aussi plus d’intérêt.

Enfin, elle m’ a fait découvrir Le conte des chaudoudoux qui rejoint un peu l’idée que j’ai développé dans le paragraphe précédent : plus on porte de l’attention les uns aux autres, plus le monde est doux et bienveillant, alors comme je suis intimement persuadée que notre société du XXIème a besoin de douceur et de bienveillance, je vous pose ici le lien pour aller lire le conte des chaudoudoux et je vous invite à l’offrir à votre tour pour que  petit à petit notre société  se remplisse de chaudoudoux, oui, pour que le monde soit imprégné de cette douceur.

Chaudoudoux

Je vous souhaite une bonne semaine de lecture riche en émotions et en découvertes sur ce sujet.

 

Nos élèves et leurs valises : constat d’urgence!

Pour ce mois de Novembre, nous parlerons des émotions dans tous leurs états.

Pourquoi parlez de ça ?  Parce que de plus en plus, nous faisons le constat, Colette et moi, et d’autres collègues d’ailleurs, que nous ne pouvons pas prendre nos élèves  en tant qu’élèves mais dans leur ensemble c’est-à-dire en tant qu’enfants et adolescents avec tout ce qu’ils vivent dans leur vie, les chamboulements qu’ils connaissent personnellement, leurs premières fois, et leur vie familiale souvent très compliquée .  Néanmoins ce constat, je ne l’ai pas fait l’an dernier mais dès le début de ma carrière :  je me souviens de mon année de néo-titulaire en région parisienne. Quelques jours après la rentrée, une élève n’ avait toujours pas de cahier. Je prends ma voie la plus sèche et lui demande son carnet, mets un mot,  une retenue pour rattraper les premières heures du cours non notées sur ce cahier.  La jeune fille a des larmes qui roulent silencieusement sur ses joues, je n’y prête au départ pas attention.  Comme elle est en 5ème, je mets ça sur le compte du peu de punition qu’elle a eu jusqu’à présent, elle est vexée et c’était sans doute ce que j’espérais. Je lui rétorque qu’elle n’avait qu’à y penser et là d’une voix froide, elle m’explique que depuis la fin du mois d’Août, elle est dans un mobil home avec sa maman, elles ont du quitter précipitamment le foyer conjugal … Depuis ce jour, je fais toujours attention au moins au ton que j’emprunte pour punir ce qui relève d’un travail ou d’une attitude qui concerne mon cours mais qui se fait dans la sphère familiale.

Toutefois, depuis le début de la crise sanitaire, nous faisons tout de même le constat que la gestion des émotions de nos élèves est de plus en plus compliquée et qu’elle est devenue indispensable pour créer une ambiance de travail favorable.

Alors pour prendre la mesure de cette nécessité, je vous livre quelques situations qui m’ont le plus touchée ces dernières années.

 

J a 11 ans, il est en sixième, au moment de l’appel, il n’est pas là, une élève de la classe me signale  qu’il s’est caché sous l’escalier et refuse de venir en histoire-géographie parce que j’ai prévu un travail de groupe. Par chance, cette classe a une AESH qui me propose de partir à sa recherche. J est derrière la porte et se met à piétiner et taper dans le mur en opinant de la tête pour me signifier qu’il ne rentrera pas dans la classe, c’était il y a 4 ans et je l’ai envoyé décharger sa colère, sa tristesse chez les CPE, j’étais complètement démunie et surtout je ne savais pas gérer l’élève, seule face aux 24 autres élèves qui attendaient pour se mettre au travail.

C a 15 ans, elle est en troisième, nous sommes en Janvier dernier et le soir même notre premier ministre a prévu une allocution. On pourrait se demander pourquoi  un discours de Jean Castex a une incidence dans la vie de cette jeune fille, elle travaille en groupe avec un élève un peu compliqué et assez agressif avec ses camarades, il lui demande si elle avait vu sa mère pendant les vacances de Noël et là C pleure, toutes les larmes de son corps, ne s’arrête pas. Entre deux sanglots, elle me dit qu’elle a peur de ce que va annoncer le ministre, elle ne veut pas être confinée avec sa « fausse grand-mère ». Je comprends alors que cette jeune fille vit avec son père et sa belle-mère actuellement hospitalisée pour une fin de grossesse difficile et qu’elle est du coup gardée par la maman de sa belle-mère avec qui elle ne s’entend pas. Le démêlage de sa vie dure longtemps, il faut faire parler, rassurer, calmer et remettre au travail. J’ai retrouvé C au bout de 20 bonnes minutes et quelques kleenex, mais j’ai perdu une bonne partie du reste de la classe.

P veut sortir de classe, il réclame à aller prendre du sucre, pas de PAI à ma connaissance, il est grand en Terminale et malgré mon interdiction de sortir de classe, il quitte la classe en colère. Il est allé prendre du sucre, on avait oublié de me dire que depuis l’an dernier, il est en décrochage scolaire et a développé des troubles alimentaires. A son retour en classe, je m’excuse, exprime mon besoin, la nécessité pour moi de savoir où il est, j’en suis encore responsable. La situation s’apaise et le cours redémarre.

Pour finir I a 19 ans, je ne l’ai jamais vue en classe, uniquement en TD en distanciel et par mail, la veille de son premier TD en présentiel, elle m’a écrit à 23h45, elle vient d’avoir une crise d’angoisse en apprenant que sa mère a un cancer du sein, elle est seule dans son studio d’étudiante et a préféré se rendre aux urgences psychiatriques seule, elle a eu peur de ce qu’elle ressentait et de faire une bêtise… Je n’ai pas eu d’autres solutions que d’être dans une empathie virtuelle tout au long du semestre.

Des histoires comme ça, j’en ai choisi 4, mais j’aurais pu en écrire un nombre incroyable. Elles concernent mes élèves que j’aime, oui, je le dis, que j’aime, je ne sais pas faire autrement, ils  me touchent, ils ont entre 11 et 22 ans maintenant avec les vacations que j’ai l’occasion de réaliser et pour tous, je suis parfaitement consciente qu’il s’agit d’une histoire de gestion d’émotions, la colère, la peur, la tristesse, la joie parfois, je suis aussi parfaitement consciente de mon incompétence dans certaines situations. On se sent démuni et désarmé parce qu’accueillir les émotions de nos élèves nécessitent de savoir gérer les nôtres. Pendant très longtemps, je  fuyais les moments où les élèves avaient envie de s’épancher et de raconter leur vie parce que je pleurais tout le temps. Maintenant j’ai arrêté de chercher à me blinder, je pleure avec eux. Alors je suis intimement convaincue que pour que notre société du début du XXIème siècle aille mieux (oui l’heure est grave et je suis grandiloquente)  nous n’avons plus le choix, en tant qu’enseignant nous devons savoir percevoir ces émotions, les recevoir et les accompagner. Comme pour de nombreuses réflexions qui nous animent, Colette et moi, nous avons saisi l’ampleur du problème, nous sommes en formation, en auto- formation parce que notre institution ne nous propose absolument rien ou si peu, parce qu’il y a bien quelques directions, formations qui s’y mettent mais c’est loin d’être généralisé, alors on vous propose quelques outils bricolés, glanés par ci par là tout ce mois-ci.

 

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