Apprendre à se connaître… au contact de l’autre !

Cette année, de la Nivelle à la Saye, des lettres vont être échangées. Un projet légèrement suranné, un peu désuet, un projet pour s’écrire, se dire, mais aussi pour rencontrer l’inconnu, cet « étrange étranger », cette » étrange étrangère ». Un projet pour tisser des liens. Parce qu’avec Aude cette année on en a vraiment, vraiment besoin ! Et on parie que nos élèves aussi, qu’ils et elles soient au collège ou au lycée !

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Colette. – Aude, peux-tu expliquer avant toute chose en quoi consiste ce projet ?

Aude. – L’idée est comme tu l’as dit en introduction de créer du lien. Il s’agira d’un échange de trois lettres, une première pour se présenter et se souhaiter la bonne année. Même si avec le Covid, les vœux ont été reçus en février, une où ils décriront leur lieu de vie et une dernière où mes élèves donneront des conseils pour réussir au lycée. J’aime dans ce projet l’idée de l’échange avec un inconnu. J’ai toujours adoré l’échange postale, j’ai longtemps été abonnée à des forums de mail art et de swap personnellement.

Colette. – Comment as-tu présenté le projet à tes élèves et dans quel cadre ? En ce qui me concerne, quand j’ai présenté en AP, le projet à mes élèves de 3e B, je leur ai clairement expliqué que c’était pour continuer de travailler avec toi, malgré la distance. Oui parfois certains projets ont des motivations particulièrement égoïstes ! Mais je crois que mes élèves ne m’en ont pas tenu rigueur étant donné le plaisir qu’ils et elles semblent avoir eu à choisir la lettre qui leur serait destinée ! Je leur ai quand même expliqué que ce projet s’inscrivait dans le cadre de l’objet d’étude « Se raconter, se représenter » et qu’il serait une manière d’expérimenter l’écriture autobiographique au programme de littérature tout en travaillant sur le lien entre territoire et subjectivité en géographie.

Aude. –Moi aussi clairement je leur ai dit que c’était pour garder du lien avec mon ancien établissement, mes anciens élèves et puis toi. Personnellement, je le fais en AP-Vie de classe le vendredi de 17h à 18h pour laquelle on a carte blanche. Alors j’en ai profité pour lancer ça. Mon idée est de montrer l’importance du tutorat, du lien y compris avec des personnes qu’on ne rencontrera jamais, savoir qu’un autre existe et qu’il peut être très différent de soi mais qu’il a les mêmes questionnements universels. Ils l’ont clairement fait pour me faire plaisir, ça se raccroche à rien. Même pour la deuxième lettre, sur le lieu dans lequel ils vivent, ils auront la consigne de décrire un espace productif touristique (lieu dans lequel ils vivent) avec ses avantages et ses inconvénients mais c’est tout de même très tiré par les cheveux ! Juste pour le plaisir d’échanger

Colette. -Quelles compétences disciplinaires ou transdisciplinaires penses-tu travailler avec ce projet ?

Aude. –Clairement la coopération et l’estime de soi. Pas de compétences disciplinaires dans cette correspondance, juste le plaisir d’écrire, d’échanger. Puis ce que j’ai apprécié, c’est qu’ils ont du avoir recours à des compétences peu sollicitées au lycée comme la créativité, la capacité d’introspection.  J’espère aussi la bienveillance, je pense plus que jamais qu’on a besoin de construire un monde bienveillant !

Colette. – Comment tes élèves ont-ils/elles reçu ce projet ?

Aude. –Comme tout ce que je leur propose qui sort de la dissertation, analyse de documents, question problématisée,…. ils ont trouvé ça étrange. Je pense qu’ils commencent à me cataloguer comme une bizarre avec mes rendus sous formes de sketchnote, mes jolies lettres et les exposés explosifs. ;). Ils sont aussi intrigués mais dans l’ensemble ils font ce que l’on leur demande.

Colette. -Ont-ils formulé des attentes particulières ? Ou des réticences ? 

Aude. –Comme des grands ados, ils voulaient savoir l’objectif, pour certains j’ai quand même du agiter des carottes pour qu’ils me rendent leur première lettre. Ils ne sont pas du tout habitués à échanger avec des plus jeunes et sont pour le moment très réticents à du tutorat ou quelconque activités qui les mettent en lien avec des élèves plus jeunes qu’eux. Donc je dirais que l’exercice les a amusé et j’en parlerai dans ma réponse à la question suivante mais comme je voulais garder le mystère de l’établissement avec lequel ils échangeaient, ils étaient un peu sceptiques. Ce sont des élèves qui ont besoin de savoir où ils vont, qu’est ce que ça va leur rapporter. D’ailleurs je reviens sur ta question sur les compétences. Je pense que du coup on travaille aussi la motivation intrinsèque! et toi comment ont-ils réagi?

Colette. – Ils et elles ont été ravies ! D’abord intrigué.e.s, puis à l’affût de celui ou celle qui deviendrait leur mystérieux.se correspondant.e, ils et elles ont travaillé comme jamais, pendant 50 minutes, j’ai pu assister à un atelier d’écriture des plus investis ! Ce que j’ai beaucoup aimé c’est répondre à leurs demandes de corrections stylistiques, orthographiques et syntaxiques particulièrement sincères et attentives (ce qui est n’arrive jamais en situation d’écriture classique). Et le miracle que j’ai pu observé c’est que des élèves très décrocheurs en temps normal, ont fait ce travail avec plaisir et en totale autonomie. L’enthousiasme était évident !

Colette. – Comment décrirais-tu le moment où elles/ils ont écrit leur première lettre ?

Aude. –Alors là ce fut magique, à partir du moment où je leur ai allumé le feu de cheminée sur google screen, qui se sont levés pour aller chercher leur matériel pour faire leur jolis lettres, qu’ils savaient qu’ils avaient carte blanche, que je ne lirais pas leur lettre pour ceux qui ne voulaient pas, je pense qu’ils ont pris beaucoup de plaisir à le faire et maintenant j’ai hâte de leur distribuer leur réponse.

Colette. – Comment qualifierais-tu cette première expérience de correspondance ? Est-ce d’ailleurs ta première expérience de ce genre ?

Aude. – C’est très chouette et je pense vraiment que c’est un exercice que les élèves aiment beaucoup et qui permet de développer les compétences socio-émotionnelles, je souhaite le mettre en place beaucoup plus vite l’an prochain en allant peut être plus loin dans le type d’échange avec peut être une petite pochette surprise. vraiment travailler le don et le contre don.

Non ce n’est pas ma première expérience de correspondances. j’en ai fait en tant qu’élève pendant des années avec des correspondants allemands et j’adorais ça. Ensuite au lycée, j’adhérais à l’international youth club. j’ai cherché sur le net mais j’ai l’impression que ça n’existe plus et là j’ai correspondu quelques temps avec une sénégalaise et on s’est échangé une lettre avec une australienne mais les frais d’envoi nous ont refroidi. Je pense que ça c’est un peu perdu avec le développement d’internet.

Puis l’an dernier, dans le cadre de la CDSG, les élèves ont échangé par correspondance avec des futurs pilotes de châsse. Je pense que tout le monde y a pris du plaisir. J’ai trouvé cette expérience très enrichissante pour nos élèves.  Ils ont pu prendre conscience certes des forces  mais aussi des faiblesses de ces jeunes hommes qui démarrent une carrière brillante et exigeante. Lorsque je dis ça, je pense à la surprise des élèves en lisant que certains avaient eu des difficultés pour réussir les concours d’entrées ou les sélections pour cette filière, ou  la peur qu’ils peuvent ressentir lors des examens médicaux ou bien encore leurs difficultés pour certains à dire ce qu’ils ressentent lorsqu’ils pilotent.

Bref prendre connaissance de l’autre est toujours si enrichissant et maintenant je pense qu’il est temps que mes élèves reçoivent rapidement leurs réponses pour qu’ils adhèrent pleinement au projet. et toi quels sont tes ressentis sur ce début de projet ?

Colette. – Ce fut un plaisir incroyable de découvrir mes élèves sous une autre lumière, ce projet leur a permis d’aller puiser ailleurs que dans leurs compétences scolaires et pour mes élèves les plus en détresse scolairement ou psychologiquement, ce projet a d’un coup donné du sens à l’écrit, objectif que je recherche depuis longtemps dans toutes les activités d’écriture que je propose et que je touche rarement du doigt ! Je sais que c’est sans doute un moment fugitif de travail collaboratif consenti mais je suis très heureuse de l’avoir connu !

 

On se donne RDV en Juin pour faire le point sur ce projet ?

 

 

 

Lettres à ce prof qui a changé ma vie – Enseigner la liberté

Aujourd’hui place à un livre qui a été écrit quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty. Plusieurs personnalités du monde du spectacle et de la littérature ont écrit une lettre à cet.te enseignant.e qui a probablement changé leur vie. Nous étions curieuses du rendu et puis, nous aimons toujours lire quelques lignes de Christiane Taubira ou Philippe Torreton. Nous vous livrons donc une lecture commune de ce recueil.

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Aude. – Quelle est la lettre qui t’as le plus émue ?

Colette.- C’est une question particulièrement difficile ! Plusieurs lettres m’ont touché en plein cœur. Je crois avoir été particulièrement touchée par la lettre de Caroline Laurent à Miss Frezal, sa professeure d’anglais de 6e. Parce que leur histoire est extraordinaire, qu’elle ne se limite pas à une année de collège, qu’elle se prolonge sur 4 ans, puis qu’elle s’inscrit dans le temps de toute une vie.  Et qu’elle témoigne de tout ce qui peut se jouer entre un.e élève et un.e enseignant.e au delà des savoirs, de l’apprentissage, de la discipline. Caroline Laurent ose le dire : parfois ce qui se tisse c’est de l’amour.

Aude. – En ce qui me concerne, c’est probablement celle Marie de Darrieussecq, « Enseigner génération après génération » parce que j’ai pleuré, parce que c’est une très belle histoire de transmission au sens large du terme. J’aime tellement cette idée que nous sommes le produit de multiples rencontres que nous faisons et que nos parents ont faites. Je ne m’y attendais pas du tout parce que, en commençant ce livre, je me disais : « un livre qui va flatter mon égo parce qu’il rend hommage au corps enseignant, ça ne va pas me faire de mal en cette période de crise sanitaire qui ne cesse de durer  » mais ce livre m’a interrogée sur ce qui fait un bon professeur. La plupart des lettres évoquent à la fois la bienveillance, la capacité à pousser au dépassement de soi et enfin la richesse culturelle et intellectuelle de l’enseignant. D’ailleurs quelles sont selon toi les qualités d’un bon enseignant ?

Colette. – Je crois qu’avant tout un.e bon.ne enseignant.e doit être lui-même/elle-même face à ses élèves. J’aime particulièrement cette citation de Jaurès qui m’accompagne depuis des années : « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce l’on est. » Si on ne triche pas, ne se cache pas derrière des attitudes dites professorales, alors une relation de confiance s’installe entre enseignant.e.s et élèves, confiance absolument nécessaire pour que notre travail ensemble soit efficace. Je dirai que les qualités principales doivent être l’écoute active, l’empathie, la rigueur et l’ambition. Et un soupçon d’audace et de créativité ne gâtent rien ! Et toi qu’en penses-tu ?

Aude. – Je suis entièrement d’accord avec toi, inutile de faire croire que l’on est sévère, cultivé… Ce qui fait notre richesse c’est ce que l’on est et après les élèves accrochent ou pas. Un bon enseignant et là je citerai ma tutrice, c’est celui qui arrive à faire progresser le ventre mou de la classe, pas les 5 plus mauvais, ils sont malheureusement tellement en difficulté que toi seul ne suffit pas, ni les 5 meilleurs qui n’ont pas besoin de toi, il s’agit des 20 autres. Avec l’expérience, je nuance un peu son propos parce que je pense qu »‘on peut faire progresser tout le monde », y compris les 5 loulous en difficulté et les 5 meilleurs. Mais , personnellement je m’appuierai sur ce curseur, est-ce que je les ai fait progresser?

Aude. – Personnellement je me suis demandée si je pourrais être cette enseignante qui change une vie. T’es tu posée cette question en lisant ce livre ?
Colette. – Pour beaucoup, il faut quand même relativiser : ces profs à qui 40 personnalités écrivent, n’ont pas littéralement changé leur vie (ça c’est le titre accrocheur et sensationnaliste choisi par l’éditeur pour répondre à un évènement lui-même hors-du commun). Non, dans ce recueil, on trouve le témoignage d’ancien.ne.s élèves qui ont élu dans la multitude des enseignant.e.s à qui ils et elles ont eu affaire, celui ou celle qui émettait encore de la lumière dans leur mémoire. Je suis particulièrement reconnaissante à des auteur.e.s comme Nicolas Mathieu ou Marie Darrieussecq qui ont choisi de ne pas rendre un hommage à un.e professeur.e en particulier mais à toutes celles et tous ceux qui ont donné « sa pente à [leur] chemin » . Je suis persuadée que l’enseignant.e qui a marqué tel.le élève ne sera pas le/la même pour son/sa camarade d’à côté. Je suis persuadée que chaque enseignant.e laisse son empreinte obscure ou lumineuse dans la vie de tous ses élèves. Je me base sur ma propre expérience : je me souviens de tou.te.s mes enseigant.e.s depuis la maternelle. Ils et elles ont tous participé à faire l’adulte que je suis. A leur manière plus ou moins flamboyante. Ce qui m’amène à répondre -enfin- à ta question : oui, je suis certaine, sans prétention, que pour certain.e.s de mes élèves j’ai changé un petit quelque chose. Eux ont bien changé quelque chose en moi…

Aude. – Les anciens élèves que sont les auteur.es de ces lettres sont finalement très exigeants avec leur professeur et témoignent tous de l’importance de l’exigence qu’on leur a imposé. Penses tu que les élèves ont effectivement cette exigence envers nous?

Colette. – J’en suis certaine et d’autant plus convaincue après plusieurs années d’enseignement en R.E.P. J’ai commencé à enseigner sans penser à l’ambition et l’exigence. Je pensais juste à la bienveillance. Et je crois qu’il faut absolument que cette fameuse bienveillance soit soutenue par une exigence non négociable. Qu’il y a même encore plus d’urgence aujourd’hui qu’à l’époque où les auteur.e.s du livre ont été à l’école, à formuler cette exigence. Elle seule permet à l’enfant de se donner les moyens de se dépasser, de voir au delà de ce qu’il/elle aurait appris sans nous. Il faut leur apprendre à viser les sommets de la connaissance, ne serait-ce que pour qu’ils/elles sachent que ces sommets existent, qu’ils/elles peuvent y prétendre comme tout élève de ce pays dont le livre défend les valeurs à travers la référence à Samuel Paty.

Aude. – La très grande majorité des lettres évoque des professeurs de lettres comme prof qui ont changé leur vie. Toi qui est prof de lettres pour quelles raisons selon toi ?

Colette. – Je pense qu’il y a un biais qui nous amène à cette conclusion : la plupart des auteur.e.s du livre, si je ne me trompe pas, sont des écrivain.e.s, des artistes, des journalistes… Des femmes et des hommes de lettres. Aurait-on lu les mêmes lettres en interrogeant Cédric Villani, Esther Duflo ou Claudie Aigneré ? C’est toute la limite de ce genre d’exercice qui ne se veut sans doute pas exhaustif et pluriel. Cependant la littérature nous plonge dans notre vie intérieure, au cœur des émotions et c’est sans doute ce qui explique, qu’à l’adolescence, le prof de lettres incarne le lieu de tous les possibles. Imaginaire, créativité, évasion sont au rendez-vous quand la littérature est enseignée avec conviction ! Et puis, secrètement, tous les profs de lettres se rêvent sans doute en Mr Keating récitant des poèmes debout sur une table !

Aude. – Autre question liée aux disciplines : pourquoi n’y a-t-il pas ou très peu de profs de sciences qui nous emportent selon toi ? Si moi aussi je mène cette réflexion, je retiens une professeur d’histoire-géographie, une professeur de lettres, un prof de musique et enfin un prof de SES.

Colette. – Je réponds en partie à cette question dans ma réponse précédente. Je pense que si un autre panel de contributeurs avaient été appelés à témoigner, on aurait eu une floppée de profs de sciences, d’économie, de gestion, de droit… Quand je pose ta question à mon mari qui a un parcours différent du mien, il me répond que c’est sa prof de gestion de première et terminale qui a marqué positivement son parcours (et je peux en témoigner, cette femme a réussi à lui redonner confiance en ses capacités comme aucun autre professeur n’avait réussi à le faire avant elle…) Bien entendu pour moi qui suis professeure de lettres, ce sont 3 enseignantes de lettres qui ont marqué mon parcours. Mais je pense que c’est lié d’abord à mon goût pour la littérature, avant d’être lié à leurs personnalités. Elles auraient enseigné les mathématiques, je ne suis pas certaine qu’elles seraient restées dans ma mémoire !

Aude. – Philippe Torreton conclut sa lettre avec « Merci mes pères de France », penses-tu que nous sommes des « pères de France » pour nos élèves ?

Colette. – Je vais te répondre par une boutade : je suis absolument certaine d’être une deuxième « maman » pour beaucoup de mes élèves, mais je crois que cela n’a rien à voir avec le sentiment patriotique ! Qu’en penses-tu ? Tes lycéens t’appellent-ils « maman » parfois ?

Aude. –Absolument pas ! Justement, c’est la différence que je constate avec le lycée et qui a peut être biaisé mes questions précédentes, j’ai l’impression que les lycéens savent que nous ne sommes pas des parents de substitution, sentiment que je pouvais avoir en collège. Ils ont des attentes scolaires, de formation pour l’avenir, d’accompagnement à la citoyenneté, à l’ouverture culturelle et imposent de fait parce qu’ils savent formuler ses demandes une forme d’exigence qu’ils estiment indispensable à leur réussite. Justement la difficulté est de saisir aussi la demande de celui qui dessine au fond de la classe et qui a du mal à noter ton cours qui lui ne te demande rien trop bousillé par le système scolaire pour certains d’entre eux.

Pour revenir à la dimension patriotique de notre métier. L’école et le prof d’histoire géo plus particulièrement ne peuvent pas tout faire. Je dis toujours, on ne peut pas colmater les brèches de la société avec une colle UHU

Aude. – Enfin dernière question as-tu envie de faire cet exercice, d’écrire une lettre à ce prof qui a changé ta vie ? En as-tu eu un d’ailleurs? Et si oui qui ? Je suis curieuse !

Colette. – En fait, je l’ai déjà fait ! Deux fois et au moment même où nos chemins se séparaient. En 3e, j’ai eu une enseignante de Français que j’aimais beaucoup. Elle était aussi ma professeure d’allemand. Et cette année là c’était notre professeure principale. Elle a du partir assez tôt dans l’année en arrêt longue maladie. Ce fut un drame pour nous. Je ne me souviens plus très bien ni comment ni pourquoi, mais elle nous a invités chez elle au cours de son arrêt. Elle lisait mes rédactions à la classe, m’a poussé à m’inscrire à un concours de poésie et a pris le temps de m’écrire, une magnifique carte pop-up, avec un bateau qui prenait le large pour m’encourager à écrire. Ce que j’ai fait pendant des années. Alors je ne lui ai pas écrit pour lui dire qu’elle avait changé ma vie mais pour la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour moi cette année là. Et des années plus tard, pendant mes études supérieures, j’ai rencontré LA professeure. C’est elle qui m’a tout appris de la littérature, comment m’y plonger, et surtout comment l’analyser. Elle ne brillait pas que par son immense intelligence interprétative, elle la partageait. C’est la première enseignante qui m’a transmis des méthodes, des méthodes imparables qui m’ont permis de comprendre que je pouvais TOUT analyser à force de rigueur et de travail. Ce sont ses méthodes que j’ai appliquées tout au long de mes études et ce sont ses méthodes que je m’efforce de transmettre encore aujourd’hui. Cette femme-là a été un véritable mentor, ma précieuse Athéna. Je lui ai confié ma maîtrise à relire, et quelques années plus tard mon premier roman. Et à chaque fois, elle m’a accompagnée de sa confiance et de son expertise. Exigeante et bienveillante. Tu me donnes envie de prendre de ses nouvelles ! Et toi, à qui écrirais-tu ?

Aude. – Probablement à ma professeure d’histoire géographie que j’ai eu de la 4ème à la Première qui m’a véritablement donné la vocation, si je ne devais en choisir qu’un. J’aimais le récit qu’elle faisait des évènements historiques, elle a été ma professeure principale en 3ème et en 1ère. Elle était à la fois très exigeante et très bienveillante justement. Je lui avais écrit un mot de remerciement en terminale après le baccalauréat puis j’avais eu l’occasion de discuter longuement avec elle quelques jours après avoir appris que j’étais reçue au collège. Elle était aussi très pudique et mettait beaucoup de distance avec ses élèves. Je me souviens qu’en terminale justement elle m’avait expliqué qu’elle n’avait pas pris ma classe pour que je vois une autre façon de travailler. Mais après je garde un souvenir incroyable de mon enseignant de CM1-CM2 : école ouverte, Freinet et voyage scolaire étaient au programme dans une école sans grillage et sans mur et ensuite je garde dans mon cœur une enseignante de la fac avec qui je travaille aujourd’hui qui m’a ramassé à la cuillère après l’oral de l’agrégation externe parce qu’elle mettait de l’humanité dans ses couloirs si impersonnels parfois de l’université. En y réfléchissant, j’aime croire que je suis un peu des trois !  Dans tous les cas des passionné.es de l’enseignement !

 

 

Rappeler les enfants !

Pour ce mois de Février qui commence, nous avons eu envie de vous présenter une sélection de livres et d’activités autour de l’écriture de soi. Et notamment une sélection de textes d’enseignant.e.s, de celles et ceux qui décident avec courage, ironie ou tendresse d’écrire sur leur profession. Des journaux de profs. Des fragments d’éternité. Du quotidien bousculé.

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Je partage aujourd’hui un billet que j’avais écrit en 2020, après des mois de confinement, et de correspondance effrénée avec mes élèves,  sur le blog collectif A l’ombre du grand arbre, consacré à la littérature jeunesse sous toutes ces formes. Je partage aujourd’hui un peu de ce coup de coeur que j’avais eu pour Rappeler les enfants d’Alexis Potschke.

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Il était donc un roman qui racontait les premières années d’un jeune professeur de lettres exerçant en région parisienne. Et ce jeune professeur est tout particulièrement sensible à la beauté des moments partagés avec ses élèves. De chaque petite scène racontée dans ce roman qui se construit au fil des trimestres, émerge des portraits d’une grande douceur, d’une incroyable tendresse, d’une infinie poésie. Et d’une humanité sincère. D’une humanité qui cette année, pendant trois mois, m’a terriblement manqué : l’humanité de la salle de classe.

Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après”, c’est qu’il m’a permis l’espace de quelques pages de renouer avec ce qui fait l’essence même de mon métier et dont cette année j’ai du me passer tout un trimestre sans l’avoir choisi. Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après” c’est qu’il m’a rappelé combien j’aimais moi aussi capter l’infinie poésie des regards d’adolescents, la lumière de leur visage entre deux âges, leur parole vive et belle comme un ruisseau, le flot d’émotions dont leurs journées semblent tissées. Il m’a rappelé combien il était primordial d’être présent.e.s les un.es pour les autres. En vrai, en chair et en os. Sans écran entre nous…

A quelques pages de la fin, il y a ce discours improvisé par le narrateur un jour que ses élèves du club théâtre lui ont souhaité son anniversaire.

“Vous savez, j’ai eu plusieurs vies avant d’être professeur […] Je ne fêtais plus mon anniversaire parce que je m’étais rendu compte que j’avais arrêté de grandir. C’était autre chose.

Vieillir, a dit Elsa.

Oui, Elsa, vieillir. Vieillir. Je ne grandissais plus, je vieillissais. Les anniversaires ont commencé à me faire un peu peur, je voyais le compteur tourner ; je n’étais pas très vieux pourtant, mais je n’aimais plus ça. Je voyais le temps qui passait, qui passait. Et puis, finalement, je suis devenu professeur.

-Heureusement, a flatté Céleste.

-Oui, heureusement. Parce que, vous savez, j’aime mon métier. Oui, vous devez le savoir. J’aime vraiment mon métier.

Bien sûr, au club théâtre, c’est facile d’aimer son métier. Mais même quand mes élèves sont pénibles, même quand ils me fâchent, je suis toujours content de les retrouver. Ce qu’il y a de bien avec mon métier -, c’est qu’il change tous les jours. Je n’ai pas la routine des champs, des bureaux, de l’usine. C’est vrai que c’est un peu fatigant, parfois, mais j’aime ça, ne jamais savoir comment va être ma journée.

Quand je suis avec vous, que l’on discute, que l’on répète, et que j’essaie de vous apprendre des choses, que j’ai le bonheur de vous voir les apprendre, que je vous vois grandir aussi, j’ai l’impression, moi d’apprendre aussi, d’apprendre de vous. Vous, vous qui êtes là et qui m’écoutez, vous êtes mon antidote au temps qui passe, parce que le temps a du sens, maintenant, et je crois que c’est ce qu’il lui manquait. C’est pour ça qu’il me faisait peur.

Alors je n’attends plus les cadeaux, et ça ne reviendra pas, je n’attends plus rien, mais je n’en ai plus peur, de mon anniversaire, parce que je n’ai plus peur de vieillir.

Vous savez, depuis que je suis professeur, depuis que je côtoie mes élèves – et mes élèves, ce ne sont pas que mes cent vingt élèves, ce n’est pas que ceux que j’ai ou que j’ai eus, ce sont tous les élèves de ce collège-, depuis que je côtoie mes élèves, que je vous côtoie, vous, eh bien, voilà : j’ai arrêté de vieillir. Je ne vieillis plus, et c’est grâce à vous.

Et vous savez quoi ? Il faut que je vous le dise… depuis que je vous connais, vous, mes élèves, je crois même… je crois même que j’ai recommencé à grandir.

-Monsieur, a dit Charlotte, monsieur, je crois qu’Elsa pleure.”

Voilà.

J’ai hâte.

J’ai hâte de retrouver mes élèves.

Pour continuer à grandir.

Et entendre quel “monde d’après” ils désirent ardemment.

Et m’y atteler, de toutes mes forces, à ma petite mesure.

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