Rappeler les enfants !

Pour ce mois de Février qui commence, nous avons eu envie de vous présenter une sélection de livres et d’activités autour de l’écriture de soi. Et notamment une sélection de textes d’enseignant.e.s, de celles et ceux qui décident avec courage, ironie ou tendresse d’écrire sur leur profession. Des journaux de profs. Des fragments d’éternité. Du quotidien bousculé.

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Je partage aujourd’hui un billet que j’avais écrit en 2020, après des mois de confinement, et de correspondance effrénée avec mes élèves,  sur le blog collectif A l’ombre du grand arbre, consacré à la littérature jeunesse sous toutes ces formes. Je partage aujourd’hui un peu de ce coup de coeur que j’avais eu pour Rappeler les enfants d’Alexis Potschke.

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Il était donc un roman qui racontait les premières années d’un jeune professeur de lettres exerçant en région parisienne. Et ce jeune professeur est tout particulièrement sensible à la beauté des moments partagés avec ses élèves. De chaque petite scène racontée dans ce roman qui se construit au fil des trimestres, émerge des portraits d’une grande douceur, d’une incroyable tendresse, d’une infinie poésie. Et d’une humanité sincère. D’une humanité qui cette année, pendant trois mois, m’a terriblement manqué : l’humanité de la salle de classe.

Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après”, c’est qu’il m’a permis l’espace de quelques pages de renouer avec ce qui fait l’essence même de mon métier et dont cette année j’ai du me passer tout un trimestre sans l’avoir choisi. Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après” c’est qu’il m’a rappelé combien j’aimais moi aussi capter l’infinie poésie des regards d’adolescents, la lumière de leur visage entre deux âges, leur parole vive et belle comme un ruisseau, le flot d’émotions dont leurs journées semblent tissées. Il m’a rappelé combien il était primordial d’être présent.e.s les un.es pour les autres. En vrai, en chair et en os. Sans écran entre nous…

A quelques pages de la fin, il y a ce discours improvisé par le narrateur un jour que ses élèves du club théâtre lui ont souhaité son anniversaire.

“Vous savez, j’ai eu plusieurs vies avant d’être professeur […] Je ne fêtais plus mon anniversaire parce que je m’étais rendu compte que j’avais arrêté de grandir. C’était autre chose.

Vieillir, a dit Elsa.

Oui, Elsa, vieillir. Vieillir. Je ne grandissais plus, je vieillissais. Les anniversaires ont commencé à me faire un peu peur, je voyais le compteur tourner ; je n’étais pas très vieux pourtant, mais je n’aimais plus ça. Je voyais le temps qui passait, qui passait. Et puis, finalement, je suis devenu professeur.

-Heureusement, a flatté Céleste.

-Oui, heureusement. Parce que, vous savez, j’aime mon métier. Oui, vous devez le savoir. J’aime vraiment mon métier.

Bien sûr, au club théâtre, c’est facile d’aimer son métier. Mais même quand mes élèves sont pénibles, même quand ils me fâchent, je suis toujours content de les retrouver. Ce qu’il y a de bien avec mon métier -, c’est qu’il change tous les jours. Je n’ai pas la routine des champs, des bureaux, de l’usine. C’est vrai que c’est un peu fatigant, parfois, mais j’aime ça, ne jamais savoir comment va être ma journée.

Quand je suis avec vous, que l’on discute, que l’on répète, et que j’essaie de vous apprendre des choses, que j’ai le bonheur de vous voir les apprendre, que je vous vois grandir aussi, j’ai l’impression, moi d’apprendre aussi, d’apprendre de vous. Vous, vous qui êtes là et qui m’écoutez, vous êtes mon antidote au temps qui passe, parce que le temps a du sens, maintenant, et je crois que c’est ce qu’il lui manquait. C’est pour ça qu’il me faisait peur.

Alors je n’attends plus les cadeaux, et ça ne reviendra pas, je n’attends plus rien, mais je n’en ai plus peur, de mon anniversaire, parce que je n’ai plus peur de vieillir.

Vous savez, depuis que je suis professeur, depuis que je côtoie mes élèves – et mes élèves, ce ne sont pas que mes cent vingt élèves, ce n’est pas que ceux que j’ai ou que j’ai eus, ce sont tous les élèves de ce collège-, depuis que je côtoie mes élèves, que je vous côtoie, vous, eh bien, voilà : j’ai arrêté de vieillir. Je ne vieillis plus, et c’est grâce à vous.

Et vous savez quoi ? Il faut que je vous le dise… depuis que je vous connais, vous, mes élèves, je crois même… je crois même que j’ai recommencé à grandir.

-Monsieur, a dit Charlotte, monsieur, je crois qu’Elsa pleure.”

Voilà.

J’ai hâte.

J’ai hâte de retrouver mes élèves.

Pour continuer à grandir.

Et entendre quel “monde d’après” ils désirent ardemment.

Et m’y atteler, de toutes mes forces, à ma petite mesure.

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