De l’importance de se dire au revoir

Aujourd’hui, nous allons répondre à des questions qu’on s’est posé mutuellement pour mieux cerner ce besoin impérieux que nous avons au mois de juin de dire au revoir explicitement à nos élèves.

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Colette. -Quand as-tu réalisé qu’il t’était nécessaire de dire au revoir à tes élèves ?

Aude. – Dès mes premières années à St Yzan, j’ai éprouvé l’envie de dire au revoir correctement aux élèves même si, comme je l’ai dit dans ma chronique il y a 15 jours, j’ai mis du temps à trouver la meilleure façon de le faire et avec qui le faire. On a quand même entre 120 et 180 élèves chaque année et c’est difficile de prévoir quelque chose d’aussi bien pour toutes les classes.

Colette. – Je me rends compte, personnellement, que c’est vraiment avec le choc vécu en 2020, avec la pandémie de Covid qui nous a éloigné si longtemps de nos élèves de manière imprévue, que j’ai réalisé à quel point il était primordial d’expliciter la relation affective qui nous relie à nos élèves. En 2020,  nous n’avons pas pu dire au revoir à nos élèves, le retour au collège ayant été tellement différé et chaotique. J’ai beaucoup souffert de ne pas pouvoir leur dire au revoir cette année là. Enfin j’ai surtout beaucoup souffert de ne pas avoir pu toustes les revoir, tout simplement. Je me suis promis que ça n’arriverait plus jamais et l’année dernière pour le confinement de mars, je me suis empressée de fabriquer mes fameux origamis pour les distribuer à toustes mes élèves avant qu’ielles partent au cas où … L’idée c’était de leur dire au revoir quoi qu’il arrive !

Colette. – Est-ce à une occasion précise ou l’as-tu toujours fait depuis que tu enseignes ?

Aude. – C’est la deuxième année que je le fais ainsi avec la classe dont je suis professeure principale. Je réalise un diaporama des activités réalisées et je leur donne une carte rédigée à la main à chacun. J’aimerais l’an prochain ajouter des rituels pour qu’ils se disent au revoir entre eux aussi ou qu’ils puissent prendre conscience du chemin parcouru dans l’année parce qu’ils font tous des progrès, l’évolution compte pour chacun d’entre eux. Avec les classes à projets, je marque aussi le coup, un peu différemment avec un petit cadeau, des photos… L’an dernier c’est la première fois que je le faisais.

Colette. – Saurais-tu expliquer pourquoi tu en as ressenti le besoin ?

Aude. – Sans doute parce que j’avais eu ma mutation et que je savais que je n’aurais pas de nouvelles par les petits frères et sœurs ou les parents que je croiserais. Et bizarrement c’est une des promotions avec laquelle j’ai le plus de lien. Sur le compte instagram de Soline, j’ai vu passer ces lettres et ça m’a paru comme une évidence de mettre en place moi aussi ce rituel. Et toi ?

Colette. – Comme je le disais plus haut, j’ai eu besoin d’expliciter le lien que nous créons avec nos élèves. Ce lien a un début et ce lien a une fin. Mais ce lien existe. Souvent nous ne le nommons pas : est-ce de l’affection ? Est-ce de l’empathie ? Est-ce de l’intérêt ? C’est en écoutant Maxime Rovere parler d’amour pour qualifier les liens qui se tissent dans une classe à l’occasion de la sortie de son livre L’école de la vie que je me suis autorisée à assumer ce sentiment que je ressens depuis mon premier cours devant des élèves. Et comme toute relation s’entretient, je me suis mise à me demander comment entretenir cette relation. Dire merci, dire au revoir nourrit nos relations. C’est exactement pareil avec des élèves.

Colette. – As-tu déjà échangé avec des collègues autour de cette pratique ? Qu’as-tu appris ? Je passe pour un ovni quand je dis que je fais ça. L’ensemble de la salle des professeur.e.s trouve ça très étonnant et trouve que je m’implique bien trop dans mes relations avec mes élèves. Je pense d’ailleurs que ce n’est pas très bien perçu. Je ne l’évoque que très peu, si ce n’est avec toi. ça m’intéresse de savoir si tu a s échangé là dessus avec quelqu’un et ce que tu en penses ?

Colette. – Et bien il n’y a qu’avec toi que j’ai échangé à ce sujet mais cela me donne très envie de demander à mes amies enseignantes. Je suis certaine que nous ne sommes pas les seules à mesurer combien il est primordial de savoir se dire au revoir.

Colette. – Tu pourrais nous raconter ton plus beau souvenir d’au revoir ?

Aude. – J’en raconterais deux. Il ya eu celui de 2013 avec les 3ème avec lesquels on était partis en Angleterre, ceux du projet Frankton où là finalement je n’avais rien préparé, ils avaient tout fait tout seul, les cadeaux leurs petits mots égrénés un à un et déposés sur mon bureau, c’était incroyable, j’ai pleuré pendant la journée entière, j’aurais aimé les embrasser, les prendre dans mes bras, c’est probablement la seule classe où je me souviens de chacun d’eux, de leur nom, prénom, voix, de leur personnalité avec beaucoup de précisions!

Puis l’an dernier avec la classe défense, c’est deux heures ensemble avec nos tee-shirts, notre collation, nos lettres, les larmes de Y, la gourmandise de S, cette photo que j’ai toujours dans mon téléphone masqués mais aux yeux brillants témoignant du bonheur et de l’émotion  de partager un dernier moment ensemble. Cette classe a été révélatrice dans ma carrière parce qu’elle m’a permis de prendre conscience de l’importance du projet même d’un projet qui au départ ne nous appartient pas, ne nous plaît pas forcément, la force de la sortie « hors du collège en temps de covid » qui permet de créer des liens si importants pour eux et pour nous. La classe était difficile et je n’ai retenu d’eux que leurs qualités.  D’ailleurs avec le recul,  je me demande si j’aurais mis autant de cœur et d’investissement dans ce projet s’il avait été réalisé dans une année normale.

Colette. – Attends tu quelque chose de ce moment particulier ?

Aude. – Je ne sais pas, sans aucun doute oui, je n’attends pas un retour, ce n’est pour moi pas le moment du don et contre don comme à Noël par exemple, mais j’attends une prise de conscience de leur part de mon implication dans mon travail. Je pense d’ailleurs que c’est très déstabilisant pour eux, ils sont parfois gênés, surpris sans aucun doute. Et toi attends tu quelque chose de leur part ?

Colette. – J’attends sans doute qu’ielles mesurent le chemin parcouru et surtout qu’ielles prennent conscience que nous avons vécu ensemble une histoire. Et que cette histoire, qui a été la nôtre pendant un an, est désormais la leur pour l’avenir. Je crois que se joue dans les « au revoir » un certain rapport au temps. Au temps qui passe et dont nous pouvons nous réjouir ensemble.

Colette. – Penses-tu transmettre quelque chose à travers ce rituel ? Quoi ?

Aude. – Comme je l’ai suggéré juste au dessus, je souhaite leur rappeler l’importance des liens que l’on crée à l’école, que nous sommes importants les uns pour les autres. Sans doute que je souhaite transmettre le pouvoir de la gratitude, de l’estime de soi, on a le droit de se remercier, on a le droit de leur dire qu’ils sont des gens bien! Là aussi encore plus en lycée général qu’en REP, la bienveillance, la gratitude, l’estime de soi, la confiance en soi sont loin d’être des valeurs essentielles pour de nombreux collègues et pourtant je reste convaincue que c’est bien plus important. J’aime bien cette citation d’Albert Einstein sur l’école: « Nous passons 15 ans à l’école, et pas une fois, on ne nous apprend la confiance en soi, la passion et l’amour qui sont les fondements de la vie ». j’ose espérer que je contribue à cet enseignement là par ce biais.

Colette. – Comme toi, j’espère à travers ces rituels et bien d’autres, comme le conseil coopératif, l’accueil personnalisé à la porte de la salle, le parrainage-marrainage ou la porte ouverte aux récréations, nourrir chez mes élèves la capacité à écouter, à rester attentive et attentif aux autres et à soi. Se dire au revoir c’est se reconnaître, approuver le chemin tracé ensemble et montrer qu’on a confiance en l’avenir. Ce n’est pas facile mais c’est essentiel. C’est un deuil et c’est une renaissance.

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