Il est temps de parler d’écrans !

Avant de parler écrans, on tenait à vous souhaiter une belle et heureuse année 2023. On vous l’espère la plus douce et riche d’expérience et d’émotions.

Pour commencer ce mois écrans et non numérique, on avait envie de vous faire part de notre prise de conscience à travers un entretien. Colette et moi avons une approche de l’exposition aux écrans différente, mais nous sommes parfaitement conscientes qu’elle modifie d’une part le temps et les modes de concentration de nos élèves et d’autre part qu’elle nécessite une éducation spécifique ainsi qu’une adaptation de nos pédagogies.

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Aude. – J’ai pu constater depuis une dizaine d’années, la difficulté de nos élèves à se concentrer et à ne pas sortir leur téléphone en classe. Peux tu nous dire quel est ton avis là dessus ?

Colette. – Je crois que sur ce point là, j’ai la chance d’enseigner en collège : en effet comme le portable y est officiellement interdit, les élèves ne l’utilisent pas dans l’enceinte de l’établissement sous peine de voir leur téléphone confisqué. Nous sommes au moins préservés des effets immédiats sur l’attention de l’usage du téléphone. Par contre, je remarque que l’usage intensif et de plus en plus prématuré du portable impacte très fortement les capacités de lecture de mes élèves : en effet, ils et elles sont de plus en plus nombreux et nombreuses à ne plus parvenir à lire mot à mot un texte, ils et elles semblent ne plus être capables de revenir aux texte pour y trouver des informations, à le comprendre de manière globale. Leur œil n’est plus habitué à suivre de manière linéaire un texte.

Aude. – Tu as fait le choix de ne plus être sur les réseaux sociaux, peux-tu en expliquer les raisons ? Là dessus nos avis divergent, je pars du principe qu’il est nécessaire que nous fréquentions les réseaux sociaux pour être en quelque sorte plus conscients des images auxquels les jeunes sont confrontés et être capable de manipuler l’outil pour pouvoir ensuite sensibiliser nos élèves à leur bonne utilisation. J’ai arrêté de multiplier les réseaux sociaux avec la naissance de Snapchat et je trouve abominable le côté virale de tik tok même si je ne peux en dire plus parce que je n’y suis pas. Je me contente de dire des choses là dessus après lecture d’articles sur ces réseaux.

Colette. – Pour répondre à cette question, je vais reprendre les mots que j’ai écrits en octobre 2020 sur mon blog La collectionneuse de papillons (oui, je me cite moi-même, j’ai un égo démesuré !)

« Mercredi 21 octobre 2020, au réveil, dans le brouillard qui le caractérise, ces mots me parviennent depuis le poste de radio : « Aujourd’hui j’ai décidé de quitter définitivement les réseaux sociaux, de ne plus utiliser Instagram ou Facebook. Je ne veux plus cautionner des réseaux où la haine s’étale sans filtre, où aucune surveillance n’existe, où c’est le règne de l’impunité et de la démagogie. Et où leurs fondateurs, dans leurs bureaux de la Silicon Valley, n’ont aucun compte à rendre ». Ces mots sont ceux de la romancière Leïla Slimani. Ces mots font écho à ce sentiment qui depuis 2 ans déjà me hante, quelque part, là, près du coeur. De l’estomac peut-être. Ce sentiment d’injustice, de lâcheté, d’insécurité. Ce sentiment, je l’ai ressenti la première fois quand une élève de l’établissement scolaire où je travaille a été traquée, humiliée, lynchée via les réseaux sociaux par ses propres camarades. Ses camarades de 12 ans. Et tant d’inconnu.e.s. J’ai appris que ce à quoi elle avait été exposée, avait un nom : le cybersexisme. Bien sûr, une plainte a été déposée, une enquête a été menée. Mais ce sentiment a continué à grandir quand de lumineuses adolescentes de 3e sont venues me voir à la fin d’un cours pour me raconter les photos qu’elles subissaient sur Instagram. J’ai appris récemment que dans le jargon du net on appelait ces photos des « dick pics ». J’ai appris en discutant avec elles que c’était leur lot quotidien. Tous les jours, à un moment ou à un autre, un utilisateur de ce réseau social leur envoie une photo de leur sexe. Elles ont 13 ans, 14, 15 ans. Alors là, j’ai hésité entre l’envie de vomir et l’envie de pleurer. L’envie de les serrer dans mes bras (à l’époque j’aurais pu et l’envie d’aller toucher deux mots à Kevin Systrom et Michel Mike Krieger. Mais rien de tout cela n’aurait vraiment été efficace me direz-vous. Alors on le rapporte à l’administration. Des plaintes sont déposées. Et que se passe-t-il ? Rien. ça a continué : les témoignages de ces jeunes qui sont confronté.e.s quasi quotidiennement à la pornographie et à la violence verbale. […]

Et puis vendredi dernier, un collègue a été assassiné. Suite à un cours qu’il avait donné sur la liberté d’expression à partir des caricatures de Mahomet publiées en 2006 par Charlie Hebdo. Et j’apprends que le jeune homme qui en est arrivé à commettre cet acte barbare utilisait Instagram pour communiquer avec un jihadiste, qu’il avait un compte Twitter qui avait fait l’objet de plusieurs signalements, qu’un père d’élève de ce professeur a diffusé impunément une vidéo donnant des informations personnelles sur cet enseignant sur plusieurs réseaux sociaux. Tout cela dans l’impunité la plus complète. Tout cela parce que nous ne parvenons pas à légiférer pour assurer le respect de toutes et de tous sur les réseaux sociaux.

Tout cela, je le sais bien, est bien plus compliqué. Tout cela, sans doute, parce que notre projet de société n’est plus vraiment lisible. Tout cela, sans doute, parce que les individualités prennent le pas sur la collectivité.

Alors, lorsque j’ai entendu les mots de Léïla Slimani, mercredi matin, au réveil, dans le brouillard qui le caractérise, je me suis dit : toi aussi, tu peux faire ça. Quitter FB et Instagram. »

Aude. – Comment fais-tu pour rendre les élèves vigilants à l’utilisation des réseaux sociaux et de leur téléphone portable de manière plus général ?

Colette. – Ma dernière initiative en la matière est une séquence d’enseignement consacrée à l’usage du numérique dans le cadre de l’objet d’étude du programme de 3e « Progrès et rêves scientifiques ». Je propose une lecture du début de la nouvelle de science-fiction d’Alain Damiaso intitulée Scarlett et Novak qui raconte la dépendance d’un jeune homme à son téléphone portable. Je ne lis pas la nouvelle en entier, je m’arrête au moment où le héros se rend compte qu’il a perdu son précieux portable, que toute sa vie lui a été volée et qu’il doit retourner seul chez lui. Les élèves doivent écrire la suite du texte telle qu’ils et elles l’imaginent. Nous lisons ensuite leur écrits. Et à partir de ce qu’ils et elles ont imaginé, on s’interroge sur la portée du texte : est-ce vraiment de la science-fiction ? Que nous dit ce texte de nos propres usages ? Sommes-nous devenus dépendant.e.s de nos téléphones portables ? Réfléchissent-ils à notre place ? C’est l’occasion de s’initier au débat et au sujet de réflexion. Je leur propose aussi d’écouter quelques titres phares d’artistes contemporaines que j’adore : « Monsieur Pomme » de Suzane, « La Machine » de Luce et « Amour, haine et danger » d’Angèle sur lesquels ils et elles travaillent en groupe. L’idée n’est pas d’asséner une morale de l’usage du téléphone portable mais simplement de les inviter à prendre de la distance et à aiguiser leur esprit critique concernant leur rapport à cet outil. Ce qu’ils et elles y gagnent. Ce qu’ils et elles y perdent.

Aude: En EMC, je travaille beaucoup sur la source: qui produit l’information? Comment peut-on la vérifier ou la contredire et en histoire-géographie, lorsque je pratique la recherche documentaire, je les oblige à multiplier les natures des informations qu’ils exploitent et de plus en plus, je reste vigilante à la façon dont ils font des recherches sur internet. Trop souvent, les élèves s’arrêtent et n’utilisent que la première itération donnée par google, ils se découragent devant des articles scientifiques en ligne.

Aude. – Que penses tu de l’utilisation du téléphone portable dans les pratiques pédagogiques ?

Colette. – Pour moi utiliser le téléphone portable des élèves comme outil pédagogique c’est avouer que l’éducation nationale n’a pas les moyens de fournir à chaque élève le matériel nécessaire pour se former au numérique… Le plus souvent quand nous demandons à nos élèves d’utiliser leur téléphone portable, c’est que nous pallions au manque de matériel informatique de nos établissements. Exactement comme l’institution nous a demandé lors de la pandémie de 2020 d’assurer la continuité pédagogique sans nous fournir d’ordinateur ou de connexion internet… Il faut se former au numérique et former nos élèves avec nos propres moyens. Cela me dérange. Je trouve cette demande malhonnête.

Aude. – Quelle est la politique de l’établissement par rapport à l’usage des portables ? En ce qui me concerne, ils ont droit de les utiliser tout le temps sauf en classe, et encore même en classe, parfois je finis par céder parce qu’ils oublient leur manuel et qu’ils demandent à utiliser la version numérique. Je vois qu’ils travaillent avec, mais je constate aussi que dans les couloirs leur utilisation isole certains élèves ou au contraire occupe des élèves qui sont souvent seuls. Ils jouent, écoutent de la musique voire regardent des séries. Personnellement cela me rend triste et m’inquiète sur leurs capacités à créer du lien autrement que par le biais de l’écran. Je constate d’ailleurs qu’en ce qui me concerne, il est parfois plus facile pour moi de dire des choses par SMS ou message whatsapp que de vive voix.

Colette. – Au collège, l’usage du téléphone est défini par le code de l’éducation. Les portables sont interdits dans l’enceinte du collège. Et je trouve que c’est une excellente chose étant donné ce qui arrive en dehors du collège par le biais des portables. Chaque année, l’établissement recense un nombre effarant d’infractions, de diffamations, de situations de harcèlement liés à l’utilisation d’internet via les téléphones portables.

Aude. Enfin comment gères-tu les écrans dans l’éducation de tes enfants?

Ici c’est très compliqué, nous reconnaissons mon mari et moi que nous l’utilisons beaucoup. Mes filles n’ont pour le moment pas de portables mais ont accès à des ordinateurs portables ou des tablettes soit pour jouer, soit pour lire des fan fictions ou manga en ligne ou encore et c’est tout récent pour programmer. Je n’arrive pas du tout à contrôler ce à quoi elles ont accès. Je lis vaguement au dessus de leur épaule, je vois bien que les jeux installés sur la tablette familiale semblent sans conséquences et nous essayons de limiter le temps d’accès aux écrans mais de plus en plus elles biaisent la règle justement par la lecture ou la programmation qui nécessitent des temps d’accès plus longs aux écrans, bref c’est une adaptation quotidienne à leurs pratiques.

Il y a aussi tout ce qui est consommation de séries sur les différentes plate-forme là aussi est ce qu’on considère que c’est du temps d’exposition aux écrans ou non? et là aussi en ce qui me concerne, nous sommes issus de familles où la télévision tournait et tourne encore en bruit de fond permanent, elle est là, on ne la regarde pas forcément et du coup j’avoue avoir parfois manqué de vigilance par rapport à ça. Régulièrement quand elles étaient plus jeunes, mes filles ont regardé des dessins animées pour que je puisse corriger quelques paquets de copies ou que je puisse préparer des cours tranquillement.

Enfin, pour ce qui est de l’éducation de mes enfants aux écrans, je trouve d’une part qu’il y a beaucoup de jugement des autres parents, de la société par rapport à cette éducation aux écrans et j’ai l’impression de toujours mal faire et d’autre part, je trouve que nous manquons d’aide, de formation, d’informations sur le rapport que nous devons entretenir avec nos écrans. Il est nécessaire aussi d’interroger là toute la société sur notre rapport aux écrans, je pense au livre Les enfants sont rois de Delphine de Vigan, effrayant et dans le même temps sur Instagram par l’algorithme je pourrais suivre des centaines de mamans qui exposent de manière plus ou moins conscientes leurs enfants aux écrans.

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Les enfants sont rois, Delphine de Vigan, 2021.

Bref, je pense que l’exposition aux écrans et l’usage qu’on en fait doit se discuter, se négocier et nécessite une adaptation permanente comme s’ils avaient toujours un temps d’avance.

Colette. – Pour l’instant, un seul de mes enfants a un téléphone portable. Il a bientôt 14 ans et possède un téléphone connecté à Internet depuis l’année dernière. Il a eu droit à un téléphone parce qu’il nous l’a demandé en argumentant son désir. Il avait écrit un texte pour nous convaincre de l’utilité d’un téléphone – à touches à l’époque ! Le fameux téléphone à touches n’a pas fait long feu, et nous avons offert un téléphone avec connexion internet pour le remplacer. Le temps d’écran y est contrôlé depuis le téléphone de mon mari. Notre priorité était que le temps d’écran n’empiète pas sur le sommeil et le travail personnel. Nous avons la chance d’avoir un enfant d’une maturité assez rare à cet âge : il n’utilise pas son téléphone régulièrement. Cependant nous avons eu la mauvaise surprise de découvrir qu’il s’était créé un compte FB sans notre autorisation. Après discussion, il s’avère qu’il l’a fait pour suivre l’actualité de ses équipes sportives préférées, celles de son club de hand et celles de Terra Aventura. Concernant l’ordinateur, il ne l’utilise que pour travailler et la pandémie a largement accéléré les choses à ce niveau. Quant aux consoles de jeux, nous en avons deux, une Nintendo DS et une Nintendo Swicth que les enfants n’utilisent qu’une heure chacun (temps contrôlé) le mercredi, le week-end et les vacances scolaires. Ils ne peuvent y jouer que dans le salon, l’idée est de jouer un maximum ensemble, sous la responsabilité d’un adulte. Pour ce qui est de la télévision, c’est la même règle : une heure le mercredi, le week-end et les vacances. Et nous la regardons toujours en famille. Je pense que le seul secret en matière d’éducation au numérique c’est la communication : il faut s’intéresser à ce que nos enfants consultent sur internet et en parler le plus souvent possible. Sans négliger une sensibilisation aux dangers auxquels ils peuvent être confrontés.

Aude. – et justement en parlant d’adaptation, as-tu adapté tes pratiques pédagogiques pour éduquer ou sensibiliser les élèves à leur consommation d’écrans ?

Colette. – J’essaie d’intégrer le thème de l’usage du numérique à mes séquences d’enseignement, surtout en 3e comme évoqué plus haut. En 6e, comme je travaille surtout autour de l’éco-citoyenneté, nous abordons la question de l’impact écologique des téléphones portables à l’occasion des dictées vertes de la semaine ou encore le vocabulaire propre à la recherche en ligne lors de nos recherches documentaires : qu’est-ce qu’un moteur de recherche ? un navigateur ? que sont les cookies ? le RGPD ? les données personnelles ? qu’est-ce que cela consomme de regarder un film en streaming, d’utiliser un cloud, etc… Mon rêve – peut-être pour 2023 – serait de proposer aux familles de mes élèves un défi à relever et à documenter : 10 jours sans écran, l’impact de cette expérience sur le bien être physique, mental et sur les relations aux autres. Il faudrait déjà tester ce défi à l’échelle de ma famille ! En serions-nous capables ? Et toi ça te tente ?

Aude: Je pense que déjà partir sur l’idée de 48h, 72h, ce serait déjà très bien;). Je sais que 10 jours, ce serait impossible y compris pour moi. Mais pendant des vacances quelques jours, pourquoi pas? ça me laisserait sans doute plus de temps pour dessiner par exemple, mais personnellement, j’apprécie aussi la créativité qui émerge sur internet et les milliers d’idées que je retiens ou pas et qui m’inspirent, je trouve aussi qu’il y a du beau sur internet et la toile donne une visibilité à des pratiques de loisirs qui sont très intéressantes. Par exemple, dans le cadre, des mes loisirs brodées ou tricotées, j’aime beaucoup participé à des SAL (Stitch along) en français: broder au long court et j’aime cette idée que par le biais d’internet des femmes partout en France, en Europe voire dans le monde vont réaliser un ouvrage sur le même thème, j’adore ensuite regarder l’interprétation de chacun, l’universalité des réflexions sur le sujet,…ça m’émeut beaucoup cette force là d’internet, même si je ne suis pas dupe et que je me rends bien compte que ces pratiques deviennent de plus en plus commerciales et permettent à certaines créatrices ou artistes de vendre leurs produits

Je voulais en parler dans les ressources à proposer mais au CDI, il y a un ouvrage à destination des élèves qui s’appelle la digitale détox! Comment finir par se débarrasser de son téléphone, il y a des défis dedans et je comptais en proposer quelques uns à mes élèves sur la dernière période et tenter de les réaliser moi-même ça peut être un point de départ pour un challenge familial.

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