L’amour a-t-il une place à l’école ?

Colette. – En premier, j’aimerais te poser la question qui donne son titre à cet article : l’amour a-t-il une place à l’école ?

Pendant très longtemps je t’aurais répondu que non l’amour n’a pas sa place à l’école parce que je me considérais comme une instructrice et non une éducatrice, j’avais toujours du mal avec ces phrases toutes faites qu’on nous transmet dans nos formations initiales : « vous ne pouvez pas avoir de l’affection pour vos élèves, vous devez vous blinder,… » et puis il y a eu la REP, la pandémie, ces quelques 1 000 adolescents désormais qui se sont assis face à moi pour m’écouter, m’apprécier et même m’aimer un peu et cette citation d’Albert Einstein qui m’a fait dire et Merde, je vais les aimer mes élèves un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ;).

Voici la citation à méditer:

« Nous passons 15 ans à l’école, et pas une fois on nous apprend la confiance en soi, la passion, et l’amour qui sont les fondements de la vie. « 

Colette. – C’est toi qui as eu l’idée d’un mois thématique consacré à l’amour : pourrais-tu expliquer ce qui t’a donné envie de proposer ce sujet ?

J’ai eu envie de parler d’amour parce que c’est un sujet qui me passionne depuis trois ans maintenant, depuis la pandémie en fait ! Je pense que plus que jamais on ne peut pas faire ce métier sans amour pour l’enseignement avant toute chose, la passion de transmettre, d’éduquer, sans amour pour nos élèves aussi et puis parce que je suis assez sensible aux courants de pensée actuelle qui prônent la nécessité d’une révolution romantique dans notre société, et une révolution commence par des êtres éduqués. J’avais en effet lu ce numéro d’Usbeck et Rica et je me suis interrogée : comment penser comme ça dans ma classe, mon établissement, mon enseignement

USBEK & RICA n.35 : l'amour, le projet politique du siècle : pour une  copropriété d'internet - Usbek Et Rica - Usbek Et Rica - Mook - Paris  Librairies

C’est complètement partisan mais il faut se dire qu’on s’aime les uns les autres, qu’on a besoin des uns des autres, qu’on doit prendre soin des autres, et la base de tout cela c’est l’amour. Et là, j’ai une autre citation qui me guide et qui est de Maria Montessori :

« Tout le monde parle de paix mais personne n’éduque à la paix. On éduque pour la compétition et la compétition marque le début de toutes les guerres. Quand on éduquera pour la coopération et pour nous offrir les uns les autres de la solidarité, ce jour-là alors on éduquera à la paix.« 

Tout est dit n’est-ce-pas?

Puis c’est peut être parce que nous sommes le spectateurs des premiers amours mais je pense que c’est indispensable de parler d’amour, de respect, de consentement, de tolérance, mais aussi de sexe, de protection, de MST,…. avec nos élèves pour être un adulte de plus qui accompagne ces découvertes qui peuvent être sublimes mais aussi traumatisantes pour certains d’entre eux. L’amour fait partie de leur vie, il passe une grande partie de leur vie avec nous alors c’est indéniable l’amour doit être dans les écoles.

Colette. – Il est indéniable que l’école est le lieu d’interactions intenses. Mais penses-tu que les enseignant.e.s enseignent l’art d’interagir ? Si oui, comment ?

Je ne sais pas. La seule chose que je sais, c’est que je regrette que trop souvent nous sommes nous aussi des « handicapés de l’amour », de la communication non violente, de la bienveillance et je constate que pour certains adultes, les mots qu’ils utilisent sont dévastateurs pour les élèves. Mais après on ne peut pas en vouloir à un collègue qui a toujours été déprécié, qui a construit son parcours professionnel dans l’humiliation, dans le rabaissement, dans les concours parfois ratés plusieurs fois avec des phrases comme « tu n’es pas fait pour ça », « êtes vous surs d’être au bon endroit ? » « comment voulez vous enseigner la dissertation si vous n’avez pas compris ce qu’est une problématique », « enseigner c’est faire la guerre et je pense que vous n’avez pas les armes »… d’enseigner avec amour et d’enseigner l’art de l’interaction avec confiance et bienveillance.

Néanmoins, je pense que l’entrée des compétences socio-émotionnelles dans nos parcours de formation contribue à faire comprendre aux enseignants qu’ils doivent changer leur manière de communiquer. A chaque fois que j’ai eu des formations à ce sujet, des collègues ont vécu des prises de conscience considérables et j’ai aussi pu me rendre compte que beaucoup rejetaient ce type de formation par crainte de se dévoiler et d’interagir trop intimement ne serait-ce qu’avec leurs collègues. Cela viendra, comme tout, l’éducation nationale est un ensemble de personnes qui finissent toutes par adhérer à ce qu’on lui martèle.

Colette. – On ne va pas revenir sur les fragilités de notre formation mais penses-tu qu’il existe des outils à notre portée pour aider à faire émerger l’amour au coeur de nos cours ?

Je dirai des jeux, des formations, mais malheureusement parler d’émotions, de sentiments et enseigner en y faisant attention demande du temps et du temps nous en manquons cruellement. Je pense aussi que la direction est primordiale dans la place que l’on donne à l’amour. Ensuite, je pense que c’est encore délicat de faire un cours, en tout cas dans ma discipline, sur l’importance d’aimer. Je commence l’année en EMC avec ce clip d’une télévision hollandaise: all that we share

Certains élèves sont très agacés et très critiques parce qu’ils pensent que ce genre de clip n’a pas lieu d’être dans un cours.

Colette. – As-tu une anecdote à partager avec nous où tu as ressenti que là, oui, il y avait de l’amour entre les êtres ?

Je dirai dans des classes à projets, dans des voyages scolaires, il y a toujours de l’amour entre les êtres. Je pense à notre collègue de technologie Florence qui soigne ces élèves en voyage scolaire comme elle soignerait son fils : elle nettoie les verrues, tient les cheveux des jeunes filles qui vomissent, masse les chevilles tordues, ce ne sont que des gestes d’amour.

Je pense aussi à une 6ème B atypique que j’avais de 16h à 17h où il y avait un élève avec un handicap moteur très visible qui s’est mis à pleurer puis un premier élève, puis un second, puis tous ont commencé à lui énumérer ses qualités, c’était magique. Je pense aussi à une alerte anti intrusion où une élève m’a caressé la main pendant 20 minutes parce que ça la rassurait.

Je pense à la salle des profs, un chocolat dans le casier parce qu’on s’est énervé l’heure d’avant et que le collègue l’a entendu à travers la cloison, la solidarité qui existe dans les moments difficiles, aller à un rendez vous parents que l’on appréhende à deux, écouter les rendez vous manqués, les divorces annoncés, les enfants qui vont mal,…

Puis ensuite entre eux, ces élèves qui se donnent la main, s’embrassent, se prennent dans les bras, dorment sur les épaules des uns des autres.

Les infirmières qui écoutent, les AED qui consolent, qui tutorent, les CPE qui redonnent confiance, qui travaillent l’estime de soi, qui donnent le courage de repartir en cour, dans la cour de récréation, le chef d’établissement qui accueille les élèves à l’entrée, qui va chercher dans les voitures les phobiques scolaires et qui les aident à passer la porte du collège avec une main sur l’épaule ou le sac à dos au bout de la main.

Il y a aussi les élèves qui demandent un câlin, qui vous saoulent de paroles et de questions pour ne pas quitter votre salle, au lycée, les cafés partagés un peu gauches dans le couloir, ceux qui remercient timidement, maladroitement, qui reviennent, qui saluent discrètement au supermarché, qui vous embrassent, qui vous écrivent dix ans plus tard…

Il y en a plein de l’amour dans notre métier si on regarde bien !

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