Une classe au lycée

Pour ce mois de Septembre, nous avions très envie de vous parler du rôle du professeur principal et ce que représente pour nous cette charge.

Et pour inaugurer ce mois à thème, j’avais envie de parler de ma frustration de Professeure principale en lycée.

Il y a deux ans, au bout de quelques semaines, je m’aperçois qu’une élève est absente depuis presque 3 semaines. Je demande alors à la cantonnade si l’un de ses camarades à des nouvelles. Un élève me répond mais c’est qui H?? Nous étions à la fin du mois de Novembre, étonnée, je lui rétorque sèchement que ce serait bien qu’il prenne connaissance de l’ensemble de ses camarades, en faisant un bref laïus sur la solidarité de classe,etc…

Un brouhaha se détache et je prends alors conscience que ma classe n’est plus une classe exceptée 8 heures par semaine. Ils ne sont dans quasiment aucun cours ensemble. Langues séparées, spécialités séparées, sections réservées qu’à certains élèves, enseignement scientifique en demi groupe, options en petit effectif,…. Oui la classe au lycée, c’est acté, n’existe plus!

Cette nouvelle me rend triste et je repense avec délice aux premières fêtes, à ce moment de joie où nous avons appris ensemble que nous étions reçus au baccalauréat, à ces camarades qu’on a soutenu, aidé, les repas de classe, les soirées pizza- K7 vidéo qui clôturaient chaque période, les histoires aussi, les premières fois, les premières manifs, les premiers cafés à l’extérieur avec les fiches de révision! Là en 2020, tout ça n’existe pas, tout ce qui a fait nos souvenirs d’adolescents a volé en éclat sans que personne ne s’en rende compte ou si peut être un ou deux spécialistes dans les cabinets du ministère.

Au delà de ces anecdotes de jeunesse, je pense qu’une classe est la première forme de collectivité à laquelle est confronté l’enfant avec tout ce que cela implique. Le respect, la tolérance, la solidarité, l’écoute, la bienveillance, …. et c’est bien dommage que cela fasse défaut dans notre société actuelle. Ou je ne veux pas virer au complotisme mais c’est aussi peut être souhaité de détruire ce qui permet de vivre la fraternité pour nos jeunes, afin de rendre l’individualisme notoire de notre société plus acceptable.

Alors comment fait-on CLASSE? Et bien je n’ai pas encore la solution. L’an dernier, j’avais tenté un projet de classe artistique mais ce fut un échec cuisant parce que ce qui se fait en vie de classe ne rapporte aucun point, parce que l’artiste n’a pas réussi à partager sa pratique correctement au vue d’un nombre d’heures dérisoires que l’établissement lui proposer pour présenter sa pratique, parce qu’il est quasiment impossible d’organiser une sortie sans que certains élèves soient dans l’obligation de rattraper des évaluations du contrôle continu, ou qu’ils subissent une pression pour assister à des « cours jugés plus importants » .

Alors pour cette rentrée, je me pose toujours la question : Comment fait-on CLASSE au lycée? Des réponses les semaines à venir peut être….

Quand les mots de Tristan ont ouvert les fenêtres de la salle A09… (Colette)

Cette année en A09, on s’est installé en cercle pendant les récrés. On a tiré les chaises, on s’est assis sur les tables, parfois par terre et on a instauré trois règles :

  1. chacun.e écoute celui ou celle qui parle sans l’interrompre.
  2. chacun.e attend que la parole lui soit donnée pour parler en toute liberté.
  3. on ne commente et ne conseille que si on nous le demande explicitement.

Et au fil des récrés, j’ai pu écouter Nolan, Maxence, Rayan et Tyanis presque tous les jours. Ymeho, Lucile, Valentine, Thylia parfois. Et tant d’autres. Ancien.nes élèves ou non, régulièrement ou occasionnellement. Avec tristesse ou exaltation. On a beaucoup parlé de la mort des animaux domestiques, quelque fois d’amour, souvent des parents, et la plupart du temps des copains, des copines, des profs et des projets de vacances. C’était comme si on appuyait sur « pause ». C’était comme si on faisait vraiment connaissance. Et c’était vraiment bien.

Si cette année, j’ai ouvert grand les bras de mes récrés c’est que l’année dernière Tristan a changé ma vie de prof !

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Tristan a les yeux verts, d’un vert incroyable. Les cheveux longs jusqu’aux épaules et une dent de requin autour du cou. Il parle beaucoup, dès la rentrée. Il parle tout le temps. Très vite, je comprends à quel point cet enfant est singulier. Parce qu’il a des yeux verts, d’un vert incroyable mais surtout parce qu’il occupe l’espace à grands coups d’interjections, de commentaires déplacés, de prises de paroles intempestives. Très vite, il commence à rester dans la salle A09 aux récréations. Pour parler musique, sport, pour parler de sa petite sœur, de sa mère. Et puis de son père aussi. Et la colère déforme alors son visage.

Tristan s’invite ainsi toute l’année en A09, pendant les récréations, pour parler. De tout et de rien. Et je n’ose pas lui fermer la porte au nez. Pour des tas de raisons. Des raisons qui m’échappent et d’autres auxquelles je tiens. Très vite d’autres le suivent. Bérénice. Alyssa. Alice. Quelques minutes. Toute la récré. Mais c’est le brouhaha. Les élèves parlent tous.tes en même temps. Ils et elles ont tous.tes un immense besoin d’exister. Leurs mots m’envahissent, me débordent, me submergent. Et je ne sais pas alors si j’ai envie, moi, de les écouter. Mais je vois combien prendre le temps de les écouter fait briller leur regard et rallume leurs sourires parfois défaits.

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Un an plus tard, et après une deux jours de formation à la communication interpersonnelle, je décide que OUI, j’ai envie de les écouter. Et je décide qu’il est essentiel qu’ils et elles apprennent elleux aussi à écouter, qu’ils et elles transmettent ensuite ce bonheur particulier que procure l’écoute attentive et entière de l’autre. Une écoute qui repose l’esprit et tisse silencieusement des liens entre nous. Des liens légers qui tintent joyeusement dans notre journée si rythmée.

J’instaure alors officiellement des « cercles de parole en récré ».

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Tristan reviendra deux ou trois fois en septembre. Puis il ne viendra plus.

Mais je n’oublie pas ce que je lui dois. Je n’oublie pas tout ce qu’il m’a appris. Je n’oublie pas que c’est en bousculant mes codes qu’il a poussé les murs de ma salle de classe pour qu’elle devienne, le temps des récrés, jardin, oasis, foyer.

Lire à haute voix : faire entendre ses émotions !

Depuis 3 ans, nous faisons passer un test de fluence à nos élèves de 6e dans les premières semaines de septembre. Même si la demande institutionnelle n’a pas vraiment été justifiée, nous pouvons imaginer qu’elle est basée sur le constat que nombreux sont les élèves qui arrivent au collège sans maîtriser parfaitement la lecture, et notamment la lecture à haute voix. Pour ne pas en rester à ce triste constat, nous avons cherché en équipe des projets qui pourraient permettre d’entraîner la fluence de nos élèves. C’est comme ça qu’est né le projet « Des bibliothèques à nos portes ».

Dès le mois d’octobre de l’année dernière, les bibliothécaires de la communauté de communes dont dépend le collège sont venues à la rencontre de tous nos élèves de 6e pour leur présenter les conditions d’emprunt et les animations qu’elles organisaient. Et avec l’une des bibliothécaires, rencontrée grâce à Aude, nous avons proposé à une classe de 6e de participer au concours organisé par La Grande librairie, le concours « Si on lisait à voix haute ».

Une fois par semaine, en demi-groupe, pendant 3 mois, nous avons écouté, entraîné, conseillé 25 élèves de 6e. Au départ, nous leur avions proposé une sélection de textes. Mais leurs lectures étaient particulièrement monotones sur ces textes qu’ils n’avaient pas choisis. Alors nous leur avons proposé de lire leur texte préféré. Et là, l’émotion était au rendez-vous ! Nous avons par la suite organisé une demie-finale puis une finale. Le Covid étant toujours de la partie et les protocoles toujours plus contraignants les uns que les autres, les demie-finales se sont faites pour plusieurs élèves à partir d’enregistrements vidéos. Mais quelle ne fut pas la surprise notamment de découvrir la magnifique lecture de Clémence, particulièrement timide en classe, qui se révélait une excellente lectrice, libérée de la pression sociale, enregistrant chez elle en confiance avec sa mère et sa sœur un extrait du Petit Prince ! Un extrait qui a ravi le cœur du jury composé à cette occasion de notre professeure documentaliste, de notre adjoint, de la bibliothécaire qui avait collaboré avec la classe et de moi-même. La semaine suivante avait lieu la finale et nos 4 candidat.e.s ont été incroyables d’expressivité ! Un extrait de James et la grosse pêche de Roald Dahl, un extrait de La Tresse de Laetitia Colombani, un extrait de Tes seins tombent de Susie Morgenstern et un extrait de A la vie, à la… de Marie-Sabine Roger. Et notre incontournable Petit Prince. Une pluralité de tons, d’écritures, de fictions. Des voix qui chantent, des voix qui murmurent, des voix qui pleurent, des voix qui pétillent. Une véritable fête.

Que retenir de cette expérience ? La lecture à haute voix est un moyen incroyable d’embarquer tout un groupe dans un voyage immobile et éphémère. Un voyage vers l’autre, celui ou celle qui a écrit, mais aussi un voyage vers celui ou celle qui lit. Car à travers nos voix, c’est notre histoire qui se glisse, notre monde intérieur, notre pouvoir de capter l’attention pour la transformer en quelque chose de beau. Juste quelque chose de beau. A vivre ensemble.

Le label E3D espoirs et déconvenues!

Aujourd’hui c’est finalement un bilan amer que je viens faire de nos actions sur l’éducation au développement durable et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, nous avons préféré évoquer l’idée d’une éducation en anthropocène parce que pour le moment je ne vis que de des déceptions dans les actions menées dans le cadre du développement durable : combien de projets avortés, à moitié faits, d’élèves découragés, peu impliqués, peu sollicités, combien de freins de la part des services de gestions, combien de collègues qui ne trouvent pas ça important parce que ce n’est pas un bout du programme, combien d’établissement dans lesquels la direction évoque la volonté d’obtenir le label E3D et puis rien….

J’avoue qu’à l’instant où j’écris je suis franchement découragée par les souris dont on accouche quand on lance des projets EDD. Malheureusement, je n’arrive pas à trouver de solutions pour que cet enseignement soit plus efficace : faut-il plus de moyens ? Plus de temps ? plus d’aide ? plus de formation ? Plus d’obligations à prendre partie à cet engagement? Peut être aussi plus de rémunérations, des directions plus directives ? des personnels dédiés uniquement à cela ? …

Et pourtant, je suis chaque année pleine d’enthousiasme devant les projets que nous avons envie de mener, je suis pleine d’espoirs et regarde admirative les établissements qui semblent avoir réussi à impulser de belles initiatives, oui je continue de m’investir, je ne sais pas trop ce qui m’anime mais je continue de m’animer là sans doute parce que je pense que c’est essentiel, indispensable malgré les lacunes de ces projets.

Je vais continuer à m’inspirer, à me projeter et à faire ma part bien trop modeste à mon goût mais ce sera au moins ça. Je finis par une note positive et valorisante pour mon estime pédagogique :

J’ai déjà réussi à :

  • Co-rédiger une charte du pique nique « zéro déchet »
  • Sensibiliser plusieurs générations d’élèves à l’habitat durable avec des sorties sur Bordeaux
  • Monter un vide-dressing caritatif
  • Organiser le ramassage des papiers sur une année avec une équipe de 4 élèves volontaires

Nous sommes partantes pour des échanges sur ce sujet : où en êtes vous dans vos établissements ? Espoirs et déconvenues ? Ce serait d’ailleurs peut être une idée pour des interviews sur le modèle de l’été dernier.

Bonnes vacances !

Éduquer aux gestes citoyens : l’élection des délégués de classe

Pas plus tard que cette semaine, je réécoutais le premier épisode de la série Comment s’éduque-t-on à la démocratie? que l’émission Etre et Savoir a réalisé avant la campagne présidentielle dans laquelle il est donné quelques statistiques comme le nombre d’élèves qui sont délégués de classe une fois pendant leur scolarité, l’accumulation des fonctions, le regard que porte les élèves sur ces pratiques électorales au sein de l’école.

Il en ressort que dans l’ensemble ils sont attachés à ces pratiques, qu’un quart des élèves assurent un an la fonction de délégués de classes et c’est bien mais dans l’autre sens, le turn over sur cette fonction montre que nos élèves sont parfaitement conscients du peu d’importance qu’on leur donne, qu’ils ne sont que trop peu écoutés et que souvent ça reste, comme dans notre société, l’apanage des bons élèves, c’est-à-dire de l’élite.

Alors concrètement comment initie-t-on nos élèves à l’engagement citoyen?

Il est clair que le moment le plus important est le temps de l’ élection des délégués de classe qui a lieu la dernière semaine de septembre et la première semaine d’octobre chaque année.

Je vous livre trois de mes marottes pédagogiques sur ce sujet :

  • faire campagne : cette semaine, je vais distribuer à mes élèves candidats une affiche pour faire campagne qu’ils devront présenter et diffuser à leur camarade. C’est d’autant plus important qu’au lycée, les élèves au sein des classes se connaissent très mal. La profession de foi est obligatoire pour les candidats et tous les ans je l’adapte et en change la forme afin qu’elle soit adaptée à mes élèves. Mais je tiens à cet exercice qui permet d’une part de faire prendre conscience que la mission n’est pas anecdotique et d’autre part de la responsabilité qu’ils ont envers leurs camarades.
profession de foi distribuée cette année
  • préparer le conseil de classe : comment prendre la parole, qu’a t-on le droit de dire et de ne pas dire ? Représenter les instances administratives et représentatives de l’établissement afin que les interventions de mes délégués soient écoutées et considérées, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

  • communiquer les résultats de leurs actions au sein de la classe en vie de classe ou encore sur les tableaux d’affichages de l’établissement et dans l’idéal sur internet.

Alors bien sûr, on pourrait aller encore plus loin et je suis d’ailleurs toujours insatisfaite des résultats. Je travaille désormais à essayer de leur faire prendre conscience de la nécessité d’un engagement politique et social aussi minime soit-il, y compris dans mes cours ou dans d’autres instances comme le journal de l’établissement qui est entièrement géré par des élèves mais qui souvent n’osent pas ou manquent de temps, l’engagement des éco-délégués, ou encore dans le CVL (Conseil des délégués pour la Vie Lycéenne).

Voilà et d’ailleurs je dois avouer que l’une de mes plus grandes satisfactions d’enseignante et de les voir adultes et engagés dans une cause, une association, voire un parti politique.

On vous souhaite des ferveurs politiques dans vos classes et dans vos vies ces prochains jours.

Dans la bibliothèque de… Lucie ! épisode 2

« Pour chaque item de cette liste, indique-tes références et les raisons qui t’ont poussé à les citer. » Cette semaine, c’est Lucie qui a accepté de jouer le jeu !

  • Un livre découvert dans ta scolarité qui t’a marqué et les raisons qui expliquent ce choix.

La métamorphose de Kafka en 3ème, sans hésitation ! C’était la première fois qu’une prof de français nous laissait le choix parmi une sélection (il y avait aussi Le joueur de Dostoïevski et un autre dont je ne me souviens plus). La maline n’avait proposé que des textes courts mais percutants.

Premier choc et premières interrogations : ce postulat improbable est forcément signifiant, où l’auteur veut-il en venir ? Si je savais déjà qu’un auteur mort pouvait me passionner, j’ai découvert qu’un prof pouvait m’orienter vers un texte intéressant. C’est d’ailleurs grâce à cette prof (dont je ne me souviens pas du nom, quelle honte !) que je me suis orientée vers la section littéraire où bien d’autres œuvres m’ont marquée !

  • Un livre que tu conseillerais à tes élèves.

Mes élèves sont en CP et découvrent la lecture. Je trouve difficile de leur conseiller des livres. Soit ils sont adaptés à leur niveau de lecture mais un peu « niais », soit (et je préfère) je les oriente vers des albums et ils ont l’impression que je les prends pour des bébés. Mais il y a beaucoup d’albums de très grande qualité et le fait que l’illustration prenne plus de place que le texte permet de ne pas mettre le jeune lecteur en surcharge cognitive. Et lire soi-même un livre qu’on nous a lu petit permet de boucler une boucle d’une certaine façon, j’aime beaucoup l’idée.

  • Trois livres ou films que tu conseillerais à un prof qui débute sa carrière.

Je suis souvent déçue par les livres ou les films sur les profs. Je ne retrouve pas mon expérience. Je préfère les œuvres « à la marge », qui parlent d’un aspect du métier l’air de rien.

Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier aborde déjà (en 1980) le burn-out dont sont victimes de plus en plus de collègues. Il questionne au passage sur la vision que les profs ont de leur métier et ce qu’ils souhaitent transmettre.

Dans un registre très différent, j’ai beaucoup aimé Le cercle des Petits philosophes de Cécile Denjean, avec Frédérique Lenoir. Ce film montre bien (s’il était encore besoin) que les enfants ne sont pas des récipients à remplir de connaissances mais bien des personnes capables de mener une réflexion et de nous apprendre quantité de choses !

Un livre pour finir. L’histoire d’Helen Keller m’a bousculée. Si Ann Sullivan a permis à une petite fille sourde aveugle et muette de communiquer, d’apprendre à lire et à écrire, il est anormal que nous ayons des élèves en situation d’échec scolaire. Malheureusement les contraintes matérielles, temporelles et financières de notre métier nous empêchent d’aller au bout de l’accompagnement dont certains enfants auraient besoin. Mais je suis sortie de cette lecture pleine d’envie et d’espoir !

  • Une ressource pédagogique qui a révolutionné ta pratique.

Le site maternailes.fr de Christine Lemoine. Il a ouvert des horizons dont je rêvais et m’a donné l’élan pour me lancer dans des ateliers en libre inscription, qui permettent de rendre les élèves véritablement acteurs de leurs apprentissages et de jouer sur quantité de variables didactiques.

  • Un livre qui te fait rire.

N’importe quel roman de Roald Dahl.

  • Un autre qui te fait pleurer.

Quelqu’un m’attend derrière la neige de Timothée de Fombelle.

  • Un autre qui te détend après une semaine de conseils de classe et autres commissions éducatives.

J’ai la chance de ne pas vivre ça, seulement la semaine de rendez-vous parents-enseignants ! Je n’ai donc pas de livre dédié à ces situations, je poursuis la lecture en cours.

 

Se dire au revoir…

Voilà, sans crier gare le mois de Juin est arrivé et le temps de se dire au revoir à nos élèves avec.

Avec Colette, on avait envie de vous partager les raisons qui nous poussent à faire de ce mois un moment très particulier.

Aujourd’hui la parole est à Aude !

Être et avoir en DVD : Nicolas Philibert - L'intégrale (Jusqu'ici...) - AlloCiné

D’abord, j’ai longtemps vécu la dernière séance avec mes élèves comme la dernière scène d’Être et Avoir de Nicolas Philibert : la main tremblante sur la porte, un au revoir à chacun, un dernier conseil à certains avec la voix vacillante et la larme à l’œil. Je me souviens avoir écrit une petite chronique sur papier il y a de ça une dizaine d’années sur mon classeur rose de professeure principale, celui qui transporte leur vie pendant 9 mois.

Puis je me souviens d’un « Au revoir » avec la première classe de troisième dont j’ai été professeure principale et des larmes qui m’ont envahi pendant toute la journée, incapable de gérer mes émotions devant mes élèves, de ces cadeaux, de ces mots, de l’organisation de cette séance par mes élèves. c’était incroyable et c’était en 2013.

Après il y a eu des au revoir plus froids, moins attachants, plus collectifs, les traditionnels goûters et films partagés ensemble, les petits déjeuners-jeux de société qui me laissaient un peu sur ma fin.

Puis j’ai lu un extrait de Rapeller les enfants d’Alexis Potschke où il dit:

« Il n’y a pas que les programmes qui ne sont pas finis ; il y a aussi les années de nos élèves. Il y en a qui s’évaporent ; on croit les revoir mais on ne les revoit plus ; la fin d’année est en points de suspension, elle n’est que suspendue, elle ne reprendra pas: une année scolaire ne se reprend pas : elle se remplace ».

Et tous ces « au revoir » un peu frustrants, mal vécus m’ont permis de me dire que non il fallait se dire au revoir correctement. Partager une année scolaire avec un.e élève ce n’est pas rien, ce n’est pas une connaissance de vue, quelqu’un dont on dit « je vois qui c’est », non on le/la connait, on le/la devine, on l’apprivoise, on l’amène sur des chemins où ielle apprend, ielle se dévoile, ielle se révèle, où on l’accompagne. Sur ce chemin, il y a celleux qui sont devant, à qui on ne donne que quelques indications pour ne pas se perdre, il y a celleux sur lesquel.le.s on crie, pour qu’ielles ne tombent pas, ne s’écorchent pas, se remettent en selle et il y a celleux à qui on tient la main très fort tout le temps  ou parfois, puis il y a celleux pour lesquel.le.s on s’arrête, on s’accroupit et on réconforte. On a vécu des petites et grandes fiertés, on a vécu des grandes émotions alors il est important de créer des « au revoir » à la hauteur de tout ces moments.

Désormais, je tiens à ce que  la dernière séance soit une belle séance d’au revoir. J’aime préparer et soigner cette séance. On ressort les activités réalisées dans l’année, je leur prépare un petit diaporama avec des photos d’elleux en train de travailler, en sortie, en projets, une petite collation, on a ressorti les vœux et les fiertés de l’année, on les relit ensemble et enfin je leur donne une petite carte personnalisée où je leur dis au revoir, je leur laisse une dernière phrase pour l’an prochain, pour les années à venir, pour qu’ielles se souviennent de leur valeur, pour les remercier, parce que oui c’est important de remercier, de leur dire qu’ielles nous ont rendu heureux, qu’on se souviendra nous aussi d’elleux, qu’on s’est inquiété pour elleux, qu’on a envie de savoir ce qu’ielles deviennent et qu’ielles pourront toujours un peu compter sur nous, bref qu’ielles auront désormais leur place à côté des milles et un.e autre élèves que j’ai eu dans ma carrière au fond de mon cœur, de leur dire qu’on est conscient qu’ielles ne sont pas uniquement des élèves à qui on dit « en progrès, peut mieux faire et Félicitations! » .

Alors cette année, on a encore failli me voler ce moment et il n’était pas comme je l’aurais souhaité mais on l’a eu, ielles ont eu leur petite carte, leurs derniers mots, un à un, juste pour se dire au revoir correctement. On se crée tout simplement un souvenir indélébile de leur jeunesse.

Toustes les enseignants ont leur façon de dire au revoir :  je me permettrai de glisser ici les « au revoir » d’un être qui m’est très cher, à ses élèves.  Lui il laisse son compte facebook et il communique ainsi parfois dix ans après avec certain.e.s d’entre elleux, ses élèves,… ielles lui demandent encore des conseils d’orientations, ielles lui déposent  quelques pages  de mémoires à corriger, une vieille photo d’un voyage scolaire retrouvée lors d’un déménagement, une photo d’un bébé … et il prend toujours beaucoup de plaisir et met un point d’honneur à leur répondre parce qu’il aime les voir grandir comme nous toustes.

Et je suis finalement toujours attendrie par ces moments là, il y a celleux qui reçoivent du pâté, du vin et des stylos, il y a celleux  qui ont des dessins et des mots doux, il y a celleux qui ont des confidences…  Parce que finalement dire au revoir à ses élèves, c’est un peu comme une séparation douloureuse, un lien qu’on a tissé et qu’il faut rompre rapidement  et toustes les enseignant.e.s trouvent ça, j’en suis convaincue, un peu déchirant.

Nous espérons que vous vivrez des « au revoir » à la hauteur des liens tissés avec vos élèves.

Bon mois de Juin.

C’est l’histoire des « Meilleures »

Les Meilleures - film 2020 - AlloCiné

C’est l’histoire d’une séance de cinéma presque improvisée. Je travaille désormais en ville où l’on peut amener des élèves sur un créneau de deux heures au lycée, c’était en octobre dernier et j’ai amené une classe de première que je n’ai qu’en EMC pour traiter la question de la tolérance, du respect, de l’interconnaissance, de la confiance en soi et dans quelle mesure notre société française permet l’existence de cela.

Il s’agit d’un film que je découvre en même temps qu’eux. Il est réalisé par Marion Desseigne Ravel, c’est son premier long métrage et elle est dans la salle.

C’est l’histoire d’un amour entre deux jeunes filles dans le quartier de la goutte d’or à Paris, dans un quartier où il faut se donner un rôle pour survivre en terme de relation sociale. C’est une histoire de femmes, de filles, de la dureté du jugement qu’on se porte les unes sur les autres, sur la survie de l’apparence, de l’image, de la réputation que l’on se donne. C’est l’histoire de la découverte de soi, de sa sexualité, de l’amour, de ce qui nous fait chavirer. Marcher en équilibre sur ce fil qu’est la vie en société, ne pas tomber, ne pas se montrer fragile, touchée, ne pas briser la carapace, ne pas être vulnérable. Seulement l’amour avec un grand A celui qui nous transporte, qui nous porte qui nous donne des ailes, il nous rend vulnérable. C’est ainsi et c’est aussi ce qu’on découvre à l’adolescence.

C’est l’histoire de cette classe d’adolescents de 16-17 ans qui discutent de tout ça avec la réalisatrice et l’organisateur du festival avec une aisance surprenante, c’est l’histoire de l’acceptation de la diversité de notre société.  l’organisateur du festival pleure, il constate le chemin parcouru en dix ans sur la mise en lumière de tous ces amours, de cette tolérance grandissante et il a confiance en ces jeunes.

C’est mon histoire d’apprendre, de grandir avec eux, de les découvrir, de leur donner confiance en eux, de leur permettre de s’affirmer dans leur exceptionnalité !

C’est mon histoire de parler d’amour quand on parle de cohésion sociale et nationale parce que cette cohésion elle ne peut être acceptée que si elle est vécue, elle ne peut être comprise que si on se respecte et qu’on se comprend les uns les autres ! C’est l’histoire de la tolérance.

Je vous conseille vivement cette histoire avec vos élèves!

Spirit Day !

Tout a commencé un jour de mai, en 2021. Ce jour là, E., alors élève de 3e B, propose de consacrer la dictée anti-sexiste du mardi à la journée du 17 mai, journée mondiale de lutte contre l’homophobie. A cette occasion, suite à la dictée en question, je réalise pour chaque élève une brochure avec des conseils culturels pour découvrir les thématiques liées à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle. Inspiré.e.s par cette brochure, les élèves proposent alors de créer la leur : l’atelier « Amours sincères » est né !

Ce sont donc 10 élèves volontaires de 4e et de 3e qui vont rester au collège, en salle informatique, plusieurs mardis soirs de 17h à 18h pour réaliser leur propre brochure culturelle présentant des séries, des chanteuses et des chanteurs ainsi que des livres qui permettent, selon elles, selon eux, de mieux comprendre la communauté LGBTQIA+.  Ielles sont tellement motivé.e.s qu’ielles proposent alors de présenter leur brochure aux autres élèves à l’occasion de la journée « Portes ouvertes » de juin 2021. Celle-ci, hélas, n’aura pas lieu, et c’est sur la proposition de nos CPE et avec l’accord enthousiaste de notre principale, que nous avons proposé aux élèves de revenir au collège en octobre 2021, à l’occasion d’une journée dédiée à la lutte contre le harcèlement LGBTIphobe : le « Spirit Day ».

A la fin des vacances d’été, avant leur rentrée au lycée, nous nous retrouvons avec les élèves volontaires pour organiser leur intervention. Ils et elles proposent de partir de la chanson « Amour censure » d’Hoshi pour élaborer une séance de sensibilisation qu’ielles proposent de mener pour toutes les classes de 4e.

Le jeudi 21 octobre 2021, 5 élèves de seconde et une élève de 3e  sont donc intervenu.e.s pendant 7 heures auprès de toutes les classes de 4e du collège pour un atelier de sensibilisation au harcèlement LGBTIphobe.

Le jeudi 21 octobre 2021, ielles ont fait vibrer les couleurs de l’arc-en-ciel dans leurs voix mais aussi dans les regards des adolescent.e.s qui les ont écouté.e.s, questionné.e.s, salué.e.s, remercié.e.s.

Le jeudi 21 octobre 2021, il s’est passé ce truc improbable dans un collège de REP rural de Haute-Gironde : toute la journée, on a parlé d’amour.

D’amour toujours, d’amour tout court.

D’amours sincères.

Le mois de mai sera le mois des fiertés !

Elle s’est avancée vers moi. C’était un vendredi de veille de vacances. Dernière heure de cours. Nous étions en demi-groupe. Elle m’a demandé si je pouvais l’appeler Peter et dire « il » quand je parlerai d’elle. De lui.

J’ai dit « oui » sans réfléchir car le cours devait commencer et que comme toujours, on est embarqué dès que l’on passe la porte de la salle de classe. J’ai dit « oui ». Et j’ai vu le sourire partout sur son visage. Enfin dans ses yeux surtout. Parce que notre histoire se passe en décembre 2020 et que de toute l’année nous ne nous sommes vus que masqués. J’ai dit « oui », j’ai pensé que rien que pour son sourire ça en valait la peine. J’ai dit « oui » mais très vite j’ai compris que ce serait plus compliqué.

Il a fallu en parler à l’infirmière. Il a fallu téléphoner à la famille de Peter. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre fois. Cinq fois. Il a fallu insister pour rencontrer ses parents. C’est la cheffe qui s’y est collée. Un vendredi soir. Les parents de Peter étaient attendus. Ils ne venaient pas. Alors elle les a appelés. Elle leur a dit très gentiment : « On vous attend ». Ils sont venus.

Ils ont dit que c’était une passade, que c’était normal à l’adolescence, que c’était une étape, que ça passerait. Il a fallu essayer de faire concorder ce qui se passait dans ma salle de classe avec ce qui se passait à la maison.

Il a fallu se parler. S’écouter.

Très sincèrement, je sais que se parler n’a pas suffi…

Alors il a fallu en parler en équipe.

Il a fallu en parler en classe. ça tombait bien parce que cette année là avec cette classe de 6e nous participions au prix de littérature jeunesse de l’UNICEF et nous avions dans la sélection un album, Je suis Camille, qui raconte le nouveau départ d’ une jeune fille transgenre.

Grâce à cet album, Peter a pu parler de lui.

Expliquer.

Demander : « je voudrais que vous m’appeliez Peter. »

Et ses 25 camarades, comme moi, quelques semaines plus tôt, ont répondu « oui ».

C’est avec lui que les questions d’identité de genre sont rentrées dans ma vie. Et qu’elles ne me quitteront plus parce qu’elles m’ont permis d’entendre les autres voix qui appellent. Les voix de Cubby, de Slighty, de Nibs.

Les entendre est une première étape. Pour les accompagner, joyeusement et sincèrement, il faudra que nous soyons nombreuses et nombreux.

C’est pourquoi, ici, le mois de mai sera le mois des fiertés.

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