Frankton! Vous avez dit Frankton!

En 2011, notre collègue  d’anglais Marie Claude  est venue nous voir pour nous demander de la rejoindre sur un projet interdisciplinaire dont personne ne voulait. Je me souviens de son enthousiasme avec les photographies de ces jeunes soldats morts dans l’estuaire de la Gironde entre les 7 et 11 décembre 1942 lors d’une mission commando opérée depuis l’Angleterre. 12 soldats anglais devaient remonter la Gironde puis la Garonne à bord de kayak la nuit afin de miner des navires allemands à quai à Bordeaux. Elle en parlait comme si elle les avait connu et son enthousiasme ne pouvait que m’embarquer dans ce projet mémoriel même si ce n’est pas ce qui m’attirait le plus comme projet surtout en début de carrière.

Source : http://www.c-royan.com

Elle voyait ce projet sur 2 ans : en 2012-2013 avec une cérémonie franco-britannique à Blanquefort là où deux d’entre eux ont été exécutés avec la présence de correspondants franco-américains , en 2013-2014 avec un voyage en Normandie pour assister à la cérémonie franco-américaine en  présence de François Hollande et Barack Obama.

Source : La Presse de La Manche

Alors, pendant deux ans, elle y a cru, elle a tout fait pour que tout ce qu’elle avait imaginé se réalise. On a écrit des chansons en Anglais et en Français, on a écrit des poèmes lus à deux voix, on est allé marcher, faire du canoé, arpenter les lieux de mémoire où nous avons participé aux cérémonies. On est allé en Angleterre au Dulwich College de Londres puis en Normandie enfin.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dulwich_College

Ce projet il était beau et Marie Claude a eu cette capacité à nous embarquer profs et élèves  avec elle sur les traces de ce commando. Elle s’est battu contre les associations de commémorations pour qu’on fasse vivre les cérémonies sans rester au garde à vous derrière des porte-drapeaux vieillissants, elle s’est battu pour obtenir des autorisations inimaginables, on a fait voter des budgets sans être sûres de nos hébergements. C’est probablement l’un de mes plus beaux projets, le premier, celui qui m’a donné confiance d’en mener ensuite seule ou de les coordonner.

Je terminerai cet article en la remerciant. En 2020, Marie-Claude est décédée, ironie du sort, noyée dans des eaux où elle était persuadée que les corps de ces hommes avaient été retrouvés. Elle m’a permis de comprendre que rien n’est impossible en matière de projets pédagogiques à partir du moment où ils vous guident et vous enthousiasment. Elle a arrêté de mener des projets en 2015 puis a pris sa retraite en 2017 et elle m’a glissé dans le creux de l’oreille que je lui ressemblais un peu, qu’on avait les mêmes valeurs et que je saurai rendre ma pédagogie plus belle. J’admirais chez elle, cette capacité à s’enthousiasmer même à la fin de sa carrière au moment où la plupart des enseignants n’en peuvent plus !

Parfois Marie Claude, je pense fort à toi et à ce projet qui a marqué le début de ma carrière. Je pense que j’essaierai de faire quelque chose autour des 80 ans du débarquement pour se souvenir, pour vivre de grands moments pédagogiques pour les élèves et puis un peu pour toi.

Et en hommage à notre mentor en matière de projet, ce poème liminaire du recueil Cette obscurité qui mine les étoiles, lors de la première année du projet Frankton :

« Mon ami, je t’écris parce que je suis parti,

Mon ami, je ne sais pas ce que tu fais de ta vie,

Mon ami, je ne vis à présent que pour le pays,

Mon ami, la guerre continue sans répit.

 

Continue d’aimer ta famille,

Continue de protéger ma famille,

Continue de profiter de ta famille,

Continue de consoler ma famille.

 

Ici, c’est le jour,

Le jour, je dors

Quand c’est la nuit,

La nuit, je rame

 

Les hommes doivent avancer,

Il faut ramer pour les kayaks,

Les hommes doivent ramer,

Pour qu’avancent les kayaks.

 

Nous étions partis six mais un s’est brisé,

Nous n’étions donc plus que cinq mais un a chaviré,

Nous n’étions donc plus que quatre mais un s’est échoué,

Nous n’étions donc plus que trois mais un s’est fait emporter.

 

Je ne sais pas si je reviendrai bientôt,

Mais bientôt, nous aurons déposé les explosifs,

Les explosifs qui vont détruire les bateaux allemands,

 Les allemands qui seront déséquilibrés,

Mon ami, j’espère que l’on se reverra,

Mon ami, j’espère que l’on se reparlera,

Mon ami, j’espère que l’on se redisputera,

Mon ami, j’espère que l’on se rebattra.

 

Mon ami.

Cette obscurité qui mine les étoiles, 3e Bahamas, 2013.

De l’intérêt de faire des projets avec ses élèves

Pour ce mois, on a décidé de vous parler de projets, ceux qui nous enthousiasment, ceux qui nous animent et ceux qui font le cœur de notre pratique.

D’abord comment naît un projet ? Personnellement, il mûrit longtemps dans ma tête, il se nourrit de mes discussions, de mes écoutes de podcast, de mes longues marches hebdomadaires et de ce que j’observe et parfois aussi ils tombent comme ça du ciel. C’était le cas pour la plupart des projets mémoire ou civique . J’en ai des dizaines dans le creux de ma tête ; actuellement j’aimerais travailler la solidarité intergénérationnelle, alors pour le moment c’est je ne sais pas comment, avec qui et dans quel cadre mais c’est un truc qui me brancherait bien. Un autre que j’aimerais creuser et qui concerne directement le lieu où je vis,  ce sont les mutations sociales et paysagères du pays basque, la place de la culture locale dans ce programme qui est censé préparer nos jeunes à une société mondialisée et capitaliste. J’aime dans le projet avant tout l’idée.

Ensuite, j’aime dans le projet l’idée qu’il nous mène là où on ne l’avait pas pensé et oui un projet il est avant tout ce qu’en font les élèves mais aussi les partenaires avec lesquels on les monte et c’est tout de même très chouette de sortir du sacro-saint programme. Cette année dans le cadre du prix du livre de géographie avec mes élèves de spécialité, on a lu 5 livres de géographie universitaire, on a parlé de lieux dont on ne parle jamais avec les élèves, des bus du Caire aux mines du Congo, on est parti jusque là toucher la réalité géographique du monde. Pas longtemps, deux heures toutes les 6 semaines, mais c’était très chouette. L’an dernier avec mes 3ème, nous sommes allés dans une base aérienne, on a approché des avions de chasse et regarder le ciel pendant de longues minutes.

Il permet aussi de créer du lien, de découvrir nos élèves de leur permettre de se découvrir.  Tiens, A. se réveille, se révèle, pose des questions sur le fandango, observe attentivement un tableau, G. se balance, cherche son équilibre d’adolescent maladroit dans les pneus déposés par Allan Kaprow dans la nef du CAPC de Bordeaux en 2013, A. et  A.  prennent du plaisir à fabriquer des tawashi, elles en fabriquent, elles en fabriquent pour tout le monde : leurs camarades, leurs professeurs, les futures sixièmes, elles ont découpé toutes les chaussettes usagées du canton et ont décidé que le monde serait plus vert. J’aime être dans ces moments, le témoin aux yeux mouillés de ces révélations, de cette curiosité de l’enfant qui se cache dans l’élève. Il permet aussi de créer du lien avec nos collègues et ce n’est pas moi ni Colette qui vous dirons le contraire, notre histoire d’amitié ce fut d’abord une histoire de projets que l’on montait comme des échanges de balles de ping pong et je pense d’ailleurs que, elle comme moi, nous nous manquons beaucoup sur ce point aussi, j’ai perdu ma meilleure partner in crime pour monter des projets même si on a quand même réussi à mettre en place cette histoire de correspondance.

Enfin, il crée le souvenir. Aujourd’hui à presque 40 ans, qu’est ce qu’on a retenu de l’école ? Des personnalités et des projets. Tout le reste, les équations, les démonstrations, le cours magistral, pas grand chose mais le séjour en Allemagne, la pêche à pied sur le banc d’Arguin, la visite du musée d’Orsay, la cathédrale de Chartres avec un miroir sous le menton, ça s’est resté. Alors ce que j’aime par dessus tout dans le projet, c’est le souvenir qu’on a créé. Il y a quelques mois, j’ai revu un élève que j’avais emmené à la cérémonie franco-américaine de 2014 et il m’a parlé de ses projets, de sa copine, de la fin de ses études et il m’a glissé au moment de se dire au revoir « et puis quand même madame on a assisté à un discours de Barack Obama ensemble, je ne l’oublierai jamais de toute ma vie Madame, je ne l’oublierai jamais ».

Alors cette année, j’ai décidé de les prendre en photos quand ils fabriquent, découpent, imaginent, visitent, manipulent des sources premières, quand ils trient les vêtements, qu’ils rangent, organisent leur vide dressing,… pour ne pas oublier qu’à l’école il y a eu des projets et que ce sont ceux là qui les ont fait devenir les belles personnes qu’ils sont. Ils pourront toujours s’y raccrocher quand ils se seront un peu perdus dans le flot des soucis du quotidien. Et de l’actualité.

Je vous souhaite des milliers d’idées de projets et que quelques uns, même des touts petits, se réalisent.

Les dictées anti-sexistes du mardi !

Comment amener mes adolescents préférés à ouvrir leur regard sur le monde qui les entoure ? Comment les initier à aiguiser leur esprit critique sans pour autant adopter un ton trop moralisateur ? Et bien en partageant avec eux une information qui servira de prétexte à travailler l’orthographe.

J’ai d’abord commencé à instaurer ce rituel avec des dictées d’actu et puis suite à la rencontre avec Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine, mes dictées d’actu sont devenues des dictés anti-sexistes.

L’actualité étant riche d’informations en lien avec les inégalités de genre, ce virage ne fut pas très compliqué à prendre. Je choisis donc une information en lien avec des faits de société, des évènement culturels ou politique et plus récemment – à la demande des élèves – des extraits de textes littéraires (oui, oui, je sais, j’aurais du y penser moi-même !) que je leur lis d’abord à haute voix. Puis je vérifie la compréhension en posant 3 questions : Où ça se passe ? Quand ça se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? Enfin je leur dicte cette information de 2 ou 3 phrases.  Un ou une élève volontaire s’installe à l’ordinateur branché au vidéoprojecteur, il ou elle tape la dictée dans un traitement de texte (dont le correcteur orthographique a été désactivé au préalable) et les autres élèves notent la dictée dans leur classeur. On projette ensuite la dictée de l’élève assis à l’ordinateur et nous corrigeons tous ensemble son texte, en rappelant à l’oral pour chaque erreur la règle d’orthographe qui nous a permis de la corriger.

Je m’adapte sans cesse aux remarques des élèves ou à mon propre cheminement. Le mois de février fut dédié à des dictées en lien avec l’évolution de la législation dans le monde autour de l’I.V.G car j’avais été récemment bouleversée par le film L’évènement adapté du récit d’Annie Ernaux. Ce fut l’occasion d’échanges passionnants avec mes élèves de 3e. Suite à une remarque d’un élève de la classe, je me suis intéressé à la place des hommes dans les questions liées au genre et la dernière dictée a été consacrée à l’introduction du livre de Ben Névert, youtubeur de 29 ans, Je ne suis pas viril.

Je vous livre l’extrait dicté :

« Mon message est qu’il faut sortir du prisme de la masculinité telle qu’elle est définie aujourd’hui pour se défaire de sa toxicité. Je pense sincèrement qu’en montrant de nouvelles masculinités, plus diverses, on dévoile un chemin à tous ces hommes qui ne se retrouvent pas dans le schéma « classique » , qui refoulent leurs émotions et ne s’autorisent pas à être qui ils sont pleinement. »

Source : Je ne suis pas viril, Ben Névert, 2021

 

Pour une éducation anti-sexiste…

Vous connaissez notre amour des mois thématiques ? Le mois de mars, aves sa fameuse journée internationale des droits des femmes, sera donc féministe ou ne sera pas !

Et pour commencer, je vous livre un texte que j’ai écrit pendant le premier confinement à l’occasion d’un atelier d’écriture virtuel mené avec mes amies rencontrées lors de la préparation du CAPES. Ce texte relate comment l’idée qu’une éducation anti-sexiste était encore nécessaire aujourd’hui,  m’est apparue dans toute son évidence. A l’écoute de mes élèves indignées…

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Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Elles avaient 14 ans, presque 15.

Qu’est-ce qu’on a pu débattre ensemble.

Non pas autour d’une tasse de thé, ni autour d’une table ronde, ni même dans l’amphithéâtre d’une université.

Non.

C’était dans la salle A09 d’un collège de REP rural de Haute-Gironde. Le mardi matin souvent.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Le regard brillant, la tête haute, sincères comme on peut l’être quand on a que l’enfance derrière soi, les cheveux longs, parfois très longs, lâchés en magnifique cascade sauvage sur leurs épaules parfaitement dessinées.

Le verbe sincère, cru, tranchant, puissant.

Comme une baïonnette.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’abdication millénaire à porter un soutien-gorge dans nos sociétés. Petite prison du corps qu’on nous offre comme un cadeau précieux parfois dès le plus jeune âge.

Elles m’ont ouvert les yeux sur le piège de la bise en cour de récré non consentie la plupart du temps.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’incroyable ineptie de ne pas mettre à disposition des protections périodiques en libre service dans les collèges et les lycées, sur l’incroyable ineptie de ne pas considérer ce produit comme un produit de première nécessité pour la moitié de l’humanité, et qui devrait donc être remboursé.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’incroyable obscénité des réseaux sociaux, sur les photos de nus utilisées dans d’affreuses tactiques de revanche.

Elles m’ont ouvert les yeux sur les invitations obscènes auxquelles elles sont chaque jour confrontées sur Snapchat ou Instagram. Là, sur leur téléphone. Tout le temps. Partout. Presque inévitable.

Elles m’ont ouvert les yeux sur les horribles chantages par messages audio de leurs propres camarades de classe – garçons ou filles- qui les traitaient de « suceuses » là où quand j’étais ado on disait simplement « fayot ».

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’innommable prédation de certains garçons qui diffusent sans s’interroger des vidéos de mineures obéissant à de sordides pervers.

Avec elles, j’ai appris ce qu’était le « cybersexisme », les « nudes », les « fisha », le « revenge porn ». Leur quotidien.

Avec elles, j’ai appris que le monde des femmes de 2020 n’était pas celui que Simone de Beauvoir, Hubertine Auclert ou Françoise Héritier avaient jadis revendiqué.

Avec elles, j’ai appris tellement.

J’ai appris que très tôt Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine avaient compris qu’en 2020 on est déjà une femme à 14 ans.

Qu’on est déjà une femme quand on vient au monde.

Et que ce mot « femme » est tellement lourd de sens qu’il faudra toute sa vie durant tout faire pour s’en délester.

Et j’ai appris que très tôt elles avaient compris qu’il n’y aurait que deux options possibles : se fondre dans le moule que la société depuis des millénaires a formé.

Ou briser le moule.

Tout en sachant à quel point ce moule est une belle saloperie dont on n’a pu, jusqu’à présent, que tordre un peu les bords.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine n’ont eu besoin d’aucun cours pour apprendre ça.

Mais moi j’ai eu besoin d’elles pour que mes yeux s’ouvrent.

Et plus jamais ne se ferment

Apprendre à se connaître… au contact de l’autre !

Cette année, de la Nivelle à la Saye, des lettres vont être échangées. Un projet légèrement suranné, un peu désuet, un projet pour s’écrire, se dire, mais aussi pour rencontrer l’inconnu, cet « étrange étranger », cette » étrange étrangère ». Un projet pour tisser des liens. Parce qu’avec Aude cette année on en a vraiment, vraiment besoin ! Et on parie que nos élèves aussi, qu’ils et elles soient au collège ou au lycée !

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Colette. – Aude, peux-tu expliquer avant toute chose en quoi consiste ce projet ?

Aude. – L’idée est comme tu l’as dit en introduction de créer du lien. Il s’agira d’un échange de trois lettres, une première pour se présenter et se souhaiter la bonne année. Même si avec le Covid, les vœux ont été reçus en février, une où ils décriront leur lieu de vie et une dernière où mes élèves donneront des conseils pour réussir au lycée. J’aime dans ce projet l’idée de l’échange avec un inconnu. J’ai toujours adoré l’échange postale, j’ai longtemps été abonnée à des forums de mail art et de swap personnellement.

Colette. – Comment as-tu présenté le projet à tes élèves et dans quel cadre ? En ce qui me concerne, quand j’ai présenté en AP, le projet à mes élèves de 3e B, je leur ai clairement expliqué que c’était pour continuer de travailler avec toi, malgré la distance. Oui parfois certains projets ont des motivations particulièrement égoïstes ! Mais je crois que mes élèves ne m’en ont pas tenu rigueur étant donné le plaisir qu’ils et elles semblent avoir eu à choisir la lettre qui leur serait destinée ! Je leur ai quand même expliqué que ce projet s’inscrivait dans le cadre de l’objet d’étude « Se raconter, se représenter » et qu’il serait une manière d’expérimenter l’écriture autobiographique au programme de littérature tout en travaillant sur le lien entre territoire et subjectivité en géographie.

Aude. –Moi aussi clairement je leur ai dit que c’était pour garder du lien avec mon ancien établissement, mes anciens élèves et puis toi. Personnellement, je le fais en AP-Vie de classe le vendredi de 17h à 18h pour laquelle on a carte blanche. Alors j’en ai profité pour lancer ça. Mon idée est de montrer l’importance du tutorat, du lien y compris avec des personnes qu’on ne rencontrera jamais, savoir qu’un autre existe et qu’il peut être très différent de soi mais qu’il a les mêmes questionnements universels. Ils l’ont clairement fait pour me faire plaisir, ça se raccroche à rien. Même pour la deuxième lettre, sur le lieu dans lequel ils vivent, ils auront la consigne de décrire un espace productif touristique (lieu dans lequel ils vivent) avec ses avantages et ses inconvénients mais c’est tout de même très tiré par les cheveux ! Juste pour le plaisir d’échanger

Colette. -Quelles compétences disciplinaires ou transdisciplinaires penses-tu travailler avec ce projet ?

Aude. –Clairement la coopération et l’estime de soi. Pas de compétences disciplinaires dans cette correspondance, juste le plaisir d’écrire, d’échanger. Puis ce que j’ai apprécié, c’est qu’ils ont du avoir recours à des compétences peu sollicitées au lycée comme la créativité, la capacité d’introspection.  J’espère aussi la bienveillance, je pense plus que jamais qu’on a besoin de construire un monde bienveillant !

Colette. – Comment tes élèves ont-ils/elles reçu ce projet ?

Aude. –Comme tout ce que je leur propose qui sort de la dissertation, analyse de documents, question problématisée,…. ils ont trouvé ça étrange. Je pense qu’ils commencent à me cataloguer comme une bizarre avec mes rendus sous formes de sketchnote, mes jolies lettres et les exposés explosifs. ;). Ils sont aussi intrigués mais dans l’ensemble ils font ce que l’on leur demande.

Colette. -Ont-ils formulé des attentes particulières ? Ou des réticences ? 

Aude. –Comme des grands ados, ils voulaient savoir l’objectif, pour certains j’ai quand même du agiter des carottes pour qu’ils me rendent leur première lettre. Ils ne sont pas du tout habitués à échanger avec des plus jeunes et sont pour le moment très réticents à du tutorat ou quelconque activités qui les mettent en lien avec des élèves plus jeunes qu’eux. Donc je dirais que l’exercice les a amusé et j’en parlerai dans ma réponse à la question suivante mais comme je voulais garder le mystère de l’établissement avec lequel ils échangeaient, ils étaient un peu sceptiques. Ce sont des élèves qui ont besoin de savoir où ils vont, qu’est ce que ça va leur rapporter. D’ailleurs je reviens sur ta question sur les compétences. Je pense que du coup on travaille aussi la motivation intrinsèque! et toi comment ont-ils réagi?

Colette. – Ils et elles ont été ravies ! D’abord intrigué.e.s, puis à l’affût de celui ou celle qui deviendrait leur mystérieux.se correspondant.e, ils et elles ont travaillé comme jamais, pendant 50 minutes, j’ai pu assister à un atelier d’écriture des plus investis ! Ce que j’ai beaucoup aimé c’est répondre à leurs demandes de corrections stylistiques, orthographiques et syntaxiques particulièrement sincères et attentives (ce qui est n’arrive jamais en situation d’écriture classique). Et le miracle que j’ai pu observé c’est que des élèves très décrocheurs en temps normal, ont fait ce travail avec plaisir et en totale autonomie. L’enthousiasme était évident !

Colette. – Comment décrirais-tu le moment où elles/ils ont écrit leur première lettre ?

Aude. –Alors là ce fut magique, à partir du moment où je leur ai allumé le feu de cheminée sur google screen, qui se sont levés pour aller chercher leur matériel pour faire leur jolis lettres, qu’ils savaient qu’ils avaient carte blanche, que je ne lirais pas leur lettre pour ceux qui ne voulaient pas, je pense qu’ils ont pris beaucoup de plaisir à le faire et maintenant j’ai hâte de leur distribuer leur réponse.

Colette. – Comment qualifierais-tu cette première expérience de correspondance ? Est-ce d’ailleurs ta première expérience de ce genre ?

Aude. – C’est très chouette et je pense vraiment que c’est un exercice que les élèves aiment beaucoup et qui permet de développer les compétences socio-émotionnelles, je souhaite le mettre en place beaucoup plus vite l’an prochain en allant peut être plus loin dans le type d’échange avec peut être une petite pochette surprise. vraiment travailler le don et le contre don.

Non ce n’est pas ma première expérience de correspondances. j’en ai fait en tant qu’élève pendant des années avec des correspondants allemands et j’adorais ça. Ensuite au lycée, j’adhérais à l’international youth club. j’ai cherché sur le net mais j’ai l’impression que ça n’existe plus et là j’ai correspondu quelques temps avec une sénégalaise et on s’est échangé une lettre avec une australienne mais les frais d’envoi nous ont refroidi. Je pense que ça c’est un peu perdu avec le développement d’internet.

Puis l’an dernier, dans le cadre de la CDSG, les élèves ont échangé par correspondance avec des futurs pilotes de châsse. Je pense que tout le monde y a pris du plaisir. J’ai trouvé cette expérience très enrichissante pour nos élèves.  Ils ont pu prendre conscience certes des forces  mais aussi des faiblesses de ces jeunes hommes qui démarrent une carrière brillante et exigeante. Lorsque je dis ça, je pense à la surprise des élèves en lisant que certains avaient eu des difficultés pour réussir les concours d’entrées ou les sélections pour cette filière, ou  la peur qu’ils peuvent ressentir lors des examens médicaux ou bien encore leurs difficultés pour certains à dire ce qu’ils ressentent lorsqu’ils pilotent.

Bref prendre connaissance de l’autre est toujours si enrichissant et maintenant je pense qu’il est temps que mes élèves reçoivent rapidement leurs réponses pour qu’ils adhèrent pleinement au projet. et toi quels sont tes ressentis sur ce début de projet ?

Colette. – Ce fut un plaisir incroyable de découvrir mes élèves sous une autre lumière, ce projet leur a permis d’aller puiser ailleurs que dans leurs compétences scolaires et pour mes élèves les plus en détresse scolairement ou psychologiquement, ce projet a d’un coup donné du sens à l’écrit, objectif que je recherche depuis longtemps dans toutes les activités d’écriture que je propose et que je touche rarement du doigt ! Je sais que c’est sans doute un moment fugitif de travail collaboratif consenti mais je suis très heureuse de l’avoir connu !

 

On se donne RDV en Juin pour faire le point sur ce projet ?

 

 

 

Que nous souhaiter en 2022 !

A nous enseignant.e.s, que nous souhaiter en 2022 ?

J’aurais pu réclamer à corps et à cris des postes et moins d’élèves en classe. Des classes mobiles et flexibles. Des moyens supplémentaires !

Pour faire référence au contexte de cette rentrée, j’aurais pu demander des masques FFP2, des auto-tests avec des écouvillons, du gel hydroalcoolique et compagnie !

Mais en fait je vais nous souhaiter de la passion, de l’amour et de la tendresse.

Oui de la passion, pour notre métier, notre mission, notre discipline afin d’avoir des idées, d’avoir la capacité de rebondir, de nous adapter au contexte sanitaire puis à ce monde qui change. Je vous invite d’ailleurs à suivre, à lire, à écouter ce qui concerne l’enseignement en Anthropocène ! La passion nous permettra d’être toujours à la hauteur de la mission qui nous incombe au sein de notre cité, probablement la plus noble, celle de former les citoyennes et les citoyens de demain !

De l’amour pour nos élèves : on a eu beau me répéter qu’il ne fallait pas les aimer trop fort,  je ne sais pas faire autrement ! J’aime mes élèves, j’aime être le témoin de ce qu’ils vont devenir. L’année 2021,  si je devais en faire un bilan, m’a permis de travailler les compétences socio-émotionnelles et l’estime de soi de mes élèves et quel bonheur d’entrapercevoir leur cœur. Alors je vous souhaite de vous ouvrir à ce travail là avec vos élèves ou de continuer à l’explorer si besoin !

De la tendresse pour nous, pour vos collègues. Je vous souhaite de parsemer la salle des profs de douceurs, de petits bonbons dans les casiers, d’affiches pour décorer vos casiers, d’attentions de « Secret Santa », de galettes et de mots doux. Nous en avons plus que besoin !

Meilleurs vœux pédagogiques ! Haut les cœurs et force et courage pour cette année 2022.

Et bien sûr, de la passion, de l’amour et de la tendresse !

Aude.

 

 

S’écrire à soi même, rituel de passage.

Il est un livre que j’aime partager avec mes élèves de 3e à n’importe quel moment de l’année. Mais tout particulièrement en Janvier. Ce livre c’est Lettres à l’ado que j’ai été, un collectif sous la direction de Jack Parker. Dans ce livre 28 auteur.e.s jouent le jeu du voyage dans le temps et écrivent à leur moi adolescent des années en arrière. Pour le conseiller, le rassurer, lui dire ce qui changera. Lui dire ce qui ne changera pas. Ce livre remporte toujours un franc succès. On me demande souvent de le prêter. Il y a quelque chose d’universel, d’intemporel dans ses voix qui se livrent en quelques mots.

Je leur lis le début de la lettre de Navie :

« Chère Virginie, ou plutôt chère Momo, parce que tu as quinze ans et que les seules personnes qui t’appellent « Virginie » ce sont les adultes et c’est jamais bon signe.

Ça fait des années que tu fantasmes sur ta vie future. Tu n’arrêtes pas d’imaginer où tu seras dans dix ans, mais surtout avec qui. C’est comme si tu n’avais pas peur de ton avenir professionnel, comme si tu savais, instinctivement, que ça ne serait pas le plus gros challenge. C’est comme si tu avais cristallisé toutes les angoisses de la terre, en un seul endroit, l’amour.

En ce moment, Momo, je vois un psy et nous parlons beaucoup de toi. C’est une chance que de pouvoir parler, j’ai des choses à te dire. De celles qui ne changeront pas le cours des choses, je n’aime pas les paradoxes temporels, mais qui t’aideront à être un peu plus solide.

Depuis toujours, ce qui t’anime c’est de savoir si, plus tard, tu vas aimer et surtout si tu vas être aimée. J’adorerai te rassurer, te dire que tu n’es plus comme ça, que l’amour n’est pas ton tout, ton centre, mais ce serait mentir. Tu oublies encore trop souvent d’être le sujet de ton amour. »

Et puis l’année dernière, j’ai proposé à mes élèves le jour de nos retrouvailles en Janvier, de s’écrire à eux-mêmes. Mais à eux-mêmes dans un an. Les invitant à faire le voyage temporel dans l’autre sens. Pendant 30 minutes, ils et elles ont écrit à celui, à celle qu’il ou elle serait 12 mois plus tard.

Je garde la liasse des 20 lettres de mes 3e B depuis un an sur mon bureau. Et mon premier geste pédagogique, le lundi 3 janvier, ce sera de poster ces 20 lettres.

Être sa propre surprise.

Un cadeau à soi même pour commencer l’année.

 

Mais pourquoi donner des calendriers de l’avant à nos élèves?

Colette a démarré les chroniques du mois de Décembre par le bienveilleur invisible réalisé l’an dernier lors de la sédantarisation des classes. En ce qui me concerne, l’an dernier à la même période, j’ai développé le calendrier de l’avant (non il n’y pas de fautes, laïcité oblige, il s’agit d’un calendrier de l’avant vacances de Noël). J’avais moi aussi le besoin de créer du lien avec mes élèves et la géographe que je suis,  a aussi eu envie de les amener hors les murs de la classe!

Alors, je leur ai demandé de prendre un cahier et d’en faire un carnet de voyage et on est parti avec mes 6ème, à la découverte des sites classés patrimoine mondial de l’UNESCO et avec mes troisième pour un road trip aux Etats-Unis en 12 étapes.

je vous laisse les liens ici si le cœur vous en dit de suivre ses périples.

Pour les troisième, les élèves avaient donc un carnet de voyage à me rendre dans lequel il racontait au moins 4 étapes sur les 12 et pour les 6ème, j’avais organiser un rituel de présentation en plus de leur carnet de voyage. On pourrait se dire mais quel est l’intérêt c’est hors programme, et bien d’abord justement comme ce n’est pas le programme, certains élèves s’en emparent bien plus et ils travaillent sans se rendre compte de nombreuses compétences essentielles dans la réussite au collège, écrire pour communiquer, se repérer dans l’espace, compléter des production graphiques, communiquer à l’oral,…

https://download.pearltrees.com/s/pic/or/-258202821?pearlId=414104537

https://download.pearltrees.com/s/pic/or/-258202820?pearlId=414104536

https://download.pearltrees.com/s/pic/or/-258202819?pearlId=414104535

Ensuite ce sont des moments où l’on crée du lien, ils aiment, ils adorent, ils rêveraient d ‘y aller en vrai, ils ont peur de l’avion,…. toutes ces phrases lâchées là qui nous permettent de mieux connaître nos élèves et d’humaniser un peu plus en cours nos heures de cours. Bref, on perd du temps sur le sacro saint programme mais on y gagne tout à côté.

Cette année, il est incomplet parce qu’il est en cours de découverte et c’est pour moi assez compliqué de communiquer dessus auprès de mes élèves, en plus de tout le reste, il s’agissait d’en faire un sur la réduction des déchets et la découverte des objectifs du développement durable, je le garde sous le coude et essaierai de mieux l’exploiter l’an prochain en y faisant participer des élèves à sa réalisation.

Je vous propose ici d’autres calendriers vus chez des collègues tout aussi chouettes

Celui de Soline sur le blog s’éveiller et s’épanouir

Celui d’Amandine sur le blog la légèreté des lettres

et celui de Pimp my class qui est professeur des écoles. qui est un peu différent parce qu’il est sur une période avec des rituels mais on peut l’adapter avec des défis dans le secondaire;)

Je vous souhaite une belle dernière semaine de cours avant les congés de Noël et c’est donc le moment de mettre quelques paillettes dans nos classes!

Chronique pédagogique – Les Anges gardiens

Aujourd’hui, je partage avec vous un article écrit l’année dernière à la même époque. Peu de choses ont changé. Mais on rejouera le jeu des anges gardiens.

Colette

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Cette année est vraiment particulière.

A l’école aussi.

Toute la journée, de 6 à 65 ans, avancez masqué.e.s !

A chaque début de cours, les mains désinfectez !

Toutes les sorties scolaires, annulez ! .

Les projets ? Renoncez !

Les classes ? Sédentarisez !

Les cours de récréation ? Morcelez !

Alors, nous, dans l’ombre des protocoles et de nos ordinateurs à 150 €, on coud comme on peut de toutes petites miettes de rêve, d’espoir.

On bricole des petits bouts de papier trempés de larmes silencieuses.

On glisse de la douceur, de l’écoute, un brin de folie anachronique dans les moments que l’on partage avec elles, avec eux, petit.e.s d’Homme au coeur grand mais tourneboulé par ce qui fait leur actualité.

On ose parler d’amour, oui, là en classe.

L’amour de l’autre.

Là, l’autre, celui que tu ne peux plus embrasser, caresser, effleurer.

Celui dont on ne voit que les yeux.

Dont on devine à peine le menton, les lèvres, le nez sous l’affreuse peau de papier.

Dont on fantasme les traits.

Que l’on voudrait étreindre de nos sourires cachés.

Alors on propose de jouer le jeu.

Le jeu des anges gardiens.

Oui… en attendant….

En attendant, soyons ça, les un.e.s pour les autres…

Des anges gardiens.

Mettre des mots sur ses émotions.

Quand j’ai commencé à utiliser le message clair en cours, une chose m’a tout de suite frappée : les élèves étaient particulièrement motivé.e.s pour essayer d’exprimer leur besoin mais elles/ils ne parvenaient pas toujours à trouver les bons mots pour cerner l’émotion désagréable qui les assaillait. Alors j’ai décidé d’intégrer l’enseignement du vocabulaire des émotions à mes cours de langue.

La jubilation

l’euphorie

l’enthousiasme

l’allégresse

l’affliction

le tourment

le chagrin

l’agacement

l’irritation

l’énervement

la crainte

l’angoisse

la terreur

sont autant de mots pour dire ce qu’on ressent

pour montrer à l’autre le chemin jusqu’à ce qui nous anime

nous agite

nous brouille les pistes

ou illumine notre horizon.

Ces mots sont essentiels pour apprendre à mieux se connaître, s’observer, s’envisager et s’aimer tout entier.

Et une fois que l’on s’aime soi, aimer les autres parce qu’ils sont ce qu’ils sont.

Mais cet apprentissage est difficile car il implique une règle fondamentale qui hélas n’est pas encore une priorité dans la plupart des familles : considérer l’émotion de l’autre comme légitime (souvent parce que les adultes eux-mêmes ne considèrent pas comme légitimes leurs propres émotions – cercle vicieux imparable !)

Pour cet apprentissage, je fais un détour par l’art. Je montre à mes élèves les tableaux sélectionnés dans ce très beau livre :

Ce livre est une invitation incroyable à l’empathie par le jeu. En effet, je sélectionne quelques tableaux parmi ceux que je préfère auxquels j’associe une consigne d’écriture. A travers chaque œuvre, nous explorons une émotion particulière, ses symptômes, ses effets, ses possibles causes. Par le biais de la fiction, nous apprivoisons nos émotions. N’est-ce pas là toute la magie de l’art ? Plus facile d’accès que la littérature, l’image nous permet cette essentielle « alphabétisation émotionnelle » dont parle si souvent Isabelle Filliozat dont nous parlait Aude la semaine dernière.

Allez, je vous laisse avec une de mes œuvres préférées, une œuvre surréaliste de Man Ray. Et je vous le demande : qu’est-ce qui a pu toucher cette femme au point de geler les larmes au bord de ses cils ?

Larmes de verre, Man Ray, 1936.

 

 

 

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