Aujourd’hui place à un livre qui a été écrit quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty. Plusieurs personnalités du monde du spectacle et de la littérature ont écrit une lettre à cet.te enseignant.e qui a probablement changé leur vie. Nous étions curieuses du rendu et puis, nous aimons toujours lire quelques lignes de Christiane Taubira ou Philippe Torreton. Nous vous livrons donc une lecture commune de ce recueil.

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Aude. – Quelle est la lettre qui t’as le plus émue ?
Colette.- C’est une question particulièrement difficile ! Plusieurs lettres m’ont touché en plein cœur. Je crois avoir été particulièrement touchée par la lettre de Caroline Laurent à Miss Frezal, sa professeure d’anglais de 6e. Parce que leur histoire est extraordinaire, qu’elle ne se limite pas à une année de collège, qu’elle se prolonge sur 4 ans, puis qu’elle s’inscrit dans le temps de toute une vie. Et qu’elle témoigne de tout ce qui peut se jouer entre un.e élève et un.e enseignant.e au delà des savoirs, de l’apprentissage, de la discipline. Caroline Laurent ose le dire : parfois ce qui se tisse c’est de l’amour.
Aude. – En ce qui me concerne, c’est probablement celle Marie de Darrieussecq, « Enseigner génération après génération » parce que j’ai pleuré, parce que c’est une très belle histoire de transmission au sens large du terme. J’aime tellement cette idée que nous sommes le produit de multiples rencontres que nous faisons et que nos parents ont faites. Je ne m’y attendais pas du tout parce que, en commençant ce livre, je me disais : « un livre qui va flatter mon égo parce qu’il rend hommage au corps enseignant, ça ne va pas me faire de mal en cette période de crise sanitaire qui ne cesse de durer » mais ce livre m’a interrogée sur ce qui fait un bon professeur. La plupart des lettres évoquent à la fois la bienveillance, la capacité à pousser au dépassement de soi et enfin la richesse culturelle et intellectuelle de l’enseignant. D’ailleurs quelles sont selon toi les qualités d’un bon enseignant ?
Colette. – Je crois qu’avant tout un.e bon.ne enseignant.e doit être lui-même/elle-même face à ses élèves. J’aime particulièrement cette citation de Jaurès qui m’accompagne depuis des années : « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce l’on est. » Si on ne triche pas, ne se cache pas derrière des attitudes dites professorales, alors une relation de confiance s’installe entre enseignant.e.s et élèves, confiance absolument nécessaire pour que notre travail ensemble soit efficace. Je dirai que les qualités principales doivent être l’écoute active, l’empathie, la rigueur et l’ambition. Et un soupçon d’audace et de créativité ne gâtent rien ! Et toi qu’en penses-tu ?
Aude. – Je suis entièrement d’accord avec toi, inutile de faire croire que l’on est sévère, cultivé… Ce qui fait notre richesse c’est ce que l’on est et après les élèves accrochent ou pas. Un bon enseignant et là je citerai ma tutrice, c’est celui qui arrive à faire progresser le ventre mou de la classe, pas les 5 plus mauvais, ils sont malheureusement tellement en difficulté que toi seul ne suffit pas, ni les 5 meilleurs qui n’ont pas besoin de toi, il s’agit des 20 autres. Avec l’expérience, je nuance un peu son propos parce que je pense qu »‘on peut faire progresser tout le monde », y compris les 5 loulous en difficulté et les 5 meilleurs. Mais , personnellement je m’appuierai sur ce curseur, est-ce que je les ai fait progresser?
Aude. – Personnellement je me suis demandée si je pourrais être cette enseignante qui change une vie. T’es tu posée cette question en lisant ce livre ?
Colette. – Pour beaucoup, il faut quand même relativiser : ces profs à qui 40 personnalités écrivent, n’ont pas littéralement changé leur vie (ça c’est le titre accrocheur et sensationnaliste choisi par l’éditeur pour répondre à un évènement lui-même hors-du commun). Non, dans ce recueil, on trouve le témoignage d’ancien.ne.s élèves qui ont élu dans la multitude des enseignant.e.s à qui ils et elles ont eu affaire, celui ou celle qui émettait encore de la lumière dans leur mémoire. Je suis particulièrement reconnaissante à des auteur.e.s comme Nicolas Mathieu ou Marie Darrieussecq qui ont choisi de ne pas rendre un hommage à un.e professeur.e en particulier mais à toutes celles et tous ceux qui ont donné « sa pente à [leur] chemin » . Je suis persuadée que l’enseignant.e qui a marqué tel.le élève ne sera pas le/la même pour son/sa camarade d’à côté. Je suis persuadée que chaque enseignant.e laisse son empreinte obscure ou lumineuse dans la vie de tous ses élèves. Je me base sur ma propre expérience : je me souviens de tou.te.s mes enseigant.e.s depuis la maternelle. Ils et elles ont tous participé à faire l’adulte que je suis. A leur manière plus ou moins flamboyante. Ce qui m’amène à répondre -enfin- à ta question : oui, je suis certaine, sans prétention, que pour certain.e.s de mes élèves j’ai changé un petit quelque chose. Eux ont bien changé quelque chose en moi…
Aude. – Les anciens élèves que sont les auteur.es de ces lettres sont finalement très exigeants avec leur professeur et témoignent tous de l’importance de l’exigence qu’on leur a imposé. Penses tu que les élèves ont effectivement cette exigence envers nous?
Colette. – J’en suis certaine et d’autant plus convaincue après plusieurs années d’enseignement en R.E.P. J’ai commencé à enseigner sans penser à l’ambition et l’exigence. Je pensais juste à la bienveillance. Et je crois qu’il faut absolument que cette fameuse bienveillance soit soutenue par une exigence non négociable. Qu’il y a même encore plus d’urgence aujourd’hui qu’à l’époque où les auteur.e.s du livre ont été à l’école, à formuler cette exigence. Elle seule permet à l’enfant de se donner les moyens de se dépasser, de voir au delà de ce qu’il/elle aurait appris sans nous. Il faut leur apprendre à viser les sommets de la connaissance, ne serait-ce que pour qu’ils/elles sachent que ces sommets existent, qu’ils/elles peuvent y prétendre comme tout élève de ce pays dont le livre défend les valeurs à travers la référence à Samuel Paty.
Aude. – La très grande majorité des lettres évoque des professeurs de lettres comme prof qui ont changé leur vie. Toi qui est prof de lettres pour quelles raisons selon toi ?
Colette. – Je pense qu’il y a un biais qui nous amène à cette conclusion : la plupart des auteur.e.s du livre, si je ne me trompe pas, sont des écrivain.e.s, des artistes, des journalistes… Des femmes et des hommes de lettres. Aurait-on lu les mêmes lettres en interrogeant Cédric Villani, Esther Duflo ou Claudie Aigneré ? C’est toute la limite de ce genre d’exercice qui ne se veut sans doute pas exhaustif et pluriel. Cependant la littérature nous plonge dans notre vie intérieure, au cœur des émotions et c’est sans doute ce qui explique, qu’à l’adolescence, le prof de lettres incarne le lieu de tous les possibles. Imaginaire, créativité, évasion sont au rendez-vous quand la littérature est enseignée avec conviction ! Et puis, secrètement, tous les profs de lettres se rêvent sans doute en Mr Keating récitant des poèmes debout sur une table !
Aude. – Autre question liée aux disciplines : pourquoi n’y a-t-il pas ou très peu de profs de sciences qui nous emportent selon toi ? Si moi aussi je mène cette réflexion, je retiens une professeur d’histoire-géographie, une professeur de lettres, un prof de musique et enfin un prof de SES.
Colette. – Je réponds en partie à cette question dans ma réponse précédente. Je pense que si un autre panel de contributeurs avaient été appelés à témoigner, on aurait eu une floppée de profs de sciences, d’économie, de gestion, de droit… Quand je pose ta question à mon mari qui a un parcours différent du mien, il me répond que c’est sa prof de gestion de première et terminale qui a marqué positivement son parcours (et je peux en témoigner, cette femme a réussi à lui redonner confiance en ses capacités comme aucun autre professeur n’avait réussi à le faire avant elle…) Bien entendu pour moi qui suis professeure de lettres, ce sont 3 enseignantes de lettres qui ont marqué mon parcours. Mais je pense que c’est lié d’abord à mon goût pour la littérature, avant d’être lié à leurs personnalités. Elles auraient enseigné les mathématiques, je ne suis pas certaine qu’elles seraient restées dans ma mémoire !
Aude. – Philippe Torreton conclut sa lettre avec « Merci mes pères de France », penses-tu que nous sommes des « pères de France » pour nos élèves ?
Colette. – Je vais te répondre par une boutade : je suis absolument certaine d’être une deuxième « maman » pour beaucoup de mes élèves, mais je crois que cela n’a rien à voir avec le sentiment patriotique ! Qu’en penses-tu ? Tes lycéens t’appellent-ils « maman » parfois ?
Aude. –Absolument pas ! Justement, c’est la différence que je constate avec le lycée et qui a peut être biaisé mes questions précédentes, j’ai l’impression que les lycéens savent que nous ne sommes pas des parents de substitution, sentiment que je pouvais avoir en collège. Ils ont des attentes scolaires, de formation pour l’avenir, d’accompagnement à la citoyenneté, à l’ouverture culturelle et imposent de fait parce qu’ils savent formuler ses demandes une forme d’exigence qu’ils estiment indispensable à leur réussite. Justement la difficulté est de saisir aussi la demande de celui qui dessine au fond de la classe et qui a du mal à noter ton cours qui lui ne te demande rien trop bousillé par le système scolaire pour certains d’entre eux.
Pour revenir à la dimension patriotique de notre métier. L’école et le prof d’histoire géo plus particulièrement ne peuvent pas tout faire. Je dis toujours, on ne peut pas colmater les brèches de la société avec une colle UHU
Aude. – Enfin dernière question as-tu envie de faire cet exercice, d’écrire une lettre à ce prof qui a changé ta vie ? En as-tu eu un d’ailleurs? Et si oui qui ? Je suis curieuse !
Colette. – En fait, je l’ai déjà fait ! Deux fois et au moment même où nos chemins se séparaient. En 3e, j’ai eu une enseignante de Français que j’aimais beaucoup. Elle était aussi ma professeure d’allemand. Et cette année là c’était notre professeure principale. Elle a du partir assez tôt dans l’année en arrêt longue maladie. Ce fut un drame pour nous. Je ne me souviens plus très bien ni comment ni pourquoi, mais elle nous a invités chez elle au cours de son arrêt. Elle lisait mes rédactions à la classe, m’a poussé à m’inscrire à un concours de poésie et a pris le temps de m’écrire, une magnifique carte pop-up, avec un bateau qui prenait le large pour m’encourager à écrire. Ce que j’ai fait pendant des années. Alors je ne lui ai pas écrit pour lui dire qu’elle avait changé ma vie mais pour la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour moi cette année là. Et des années plus tard, pendant mes études supérieures, j’ai rencontré LA professeure. C’est elle qui m’a tout appris de la littérature, comment m’y plonger, et surtout comment l’analyser. Elle ne brillait pas que par son immense intelligence interprétative, elle la partageait. C’est la première enseignante qui m’a transmis des méthodes, des méthodes imparables qui m’ont permis de comprendre que je pouvais TOUT analyser à force de rigueur et de travail. Ce sont ses méthodes que j’ai appliquées tout au long de mes études et ce sont ses méthodes que je m’efforce de transmettre encore aujourd’hui. Cette femme-là a été un véritable mentor, ma précieuse Athéna. Je lui ai confié ma maîtrise à relire, et quelques années plus tard mon premier roman. Et à chaque fois, elle m’a accompagnée de sa confiance et de son expertise. Exigeante et bienveillante. Tu me donnes envie de prendre de ses nouvelles ! Et toi, à qui écrirais-tu ?
Aude. – Probablement à ma professeure d’histoire géographie que j’ai eu de la 4ème à la Première qui m’a véritablement donné la vocation, si je ne devais en choisir qu’un. J’aimais le récit qu’elle faisait des évènements historiques, elle a été ma professeure principale en 3ème et en 1ère. Elle était à la fois très exigeante et très bienveillante justement. Je lui avais écrit un mot de remerciement en terminale après le baccalauréat puis j’avais eu l’occasion de discuter longuement avec elle quelques jours après avoir appris que j’étais reçue au collège. Elle était aussi très pudique et mettait beaucoup de distance avec ses élèves. Je me souviens qu’en terminale justement elle m’avait expliqué qu’elle n’avait pas pris ma classe pour que je vois une autre façon de travailler. Mais après je garde un souvenir incroyable de mon enseignant de CM1-CM2 : école ouverte, Freinet et voyage scolaire étaient au programme dans une école sans grillage et sans mur et ensuite je garde dans mon cœur une enseignante de la fac avec qui je travaille aujourd’hui qui m’a ramassé à la cuillère après l’oral de l’agrégation externe parce qu’elle mettait de l’humanité dans ses couloirs si impersonnels parfois de l’université. En y réfléchissant, j’aime croire que je suis un peu des trois ! Dans tous les cas des passionné.es de l’enseignement !