De l’intérêt de faire des projets avec ses élèves

Pour ce mois, on a décidé de vous parler de projets, ceux qui nous enthousiasment, ceux qui nous animent et ceux qui font le cœur de notre pratique.

D’abord comment naît un projet ? Personnellement, il mûrit longtemps dans ma tête, il se nourrit de mes discussions, de mes écoutes de podcast, de mes longues marches hebdomadaires et de ce que j’observe et parfois aussi ils tombent comme ça du ciel. C’était le cas pour la plupart des projets mémoire ou civique . J’en ai des dizaines dans le creux de ma tête ; actuellement j’aimerais travailler la solidarité intergénérationnelle, alors pour le moment c’est je ne sais pas comment, avec qui et dans quel cadre mais c’est un truc qui me brancherait bien. Un autre que j’aimerais creuser et qui concerne directement le lieu où je vis,  ce sont les mutations sociales et paysagères du pays basque, la place de la culture locale dans ce programme qui est censé préparer nos jeunes à une société mondialisée et capitaliste. J’aime dans le projet avant tout l’idée.

Ensuite, j’aime dans le projet l’idée qu’il nous mène là où on ne l’avait pas pensé et oui un projet il est avant tout ce qu’en font les élèves mais aussi les partenaires avec lesquels on les monte et c’est tout de même très chouette de sortir du sacro-saint programme. Cette année dans le cadre du prix du livre de géographie avec mes élèves de spécialité, on a lu 5 livres de géographie universitaire, on a parlé de lieux dont on ne parle jamais avec les élèves, des bus du Caire aux mines du Congo, on est parti jusque là toucher la réalité géographique du monde. Pas longtemps, deux heures toutes les 6 semaines, mais c’était très chouette. L’an dernier avec mes 3ème, nous sommes allés dans une base aérienne, on a approché des avions de chasse et regarder le ciel pendant de longues minutes.

Il permet aussi de créer du lien, de découvrir nos élèves de leur permettre de se découvrir.  Tiens, A. se réveille, se révèle, pose des questions sur le fandango, observe attentivement un tableau, G. se balance, cherche son équilibre d’adolescent maladroit dans les pneus déposés par Allan Kaprow dans la nef du CAPC de Bordeaux en 2013, A. et  A.  prennent du plaisir à fabriquer des tawashi, elles en fabriquent, elles en fabriquent pour tout le monde : leurs camarades, leurs professeurs, les futures sixièmes, elles ont découpé toutes les chaussettes usagées du canton et ont décidé que le monde serait plus vert. J’aime être dans ces moments, le témoin aux yeux mouillés de ces révélations, de cette curiosité de l’enfant qui se cache dans l’élève. Il permet aussi de créer du lien avec nos collègues et ce n’est pas moi ni Colette qui vous dirons le contraire, notre histoire d’amitié ce fut d’abord une histoire de projets que l’on montait comme des échanges de balles de ping pong et je pense d’ailleurs que, elle comme moi, nous nous manquons beaucoup sur ce point aussi, j’ai perdu ma meilleure partner in crime pour monter des projets même si on a quand même réussi à mettre en place cette histoire de correspondance.

Enfin, il crée le souvenir. Aujourd’hui à presque 40 ans, qu’est ce qu’on a retenu de l’école ? Des personnalités et des projets. Tout le reste, les équations, les démonstrations, le cours magistral, pas grand chose mais le séjour en Allemagne, la pêche à pied sur le banc d’Arguin, la visite du musée d’Orsay, la cathédrale de Chartres avec un miroir sous le menton, ça s’est resté. Alors ce que j’aime par dessus tout dans le projet, c’est le souvenir qu’on a créé. Il y a quelques mois, j’ai revu un élève que j’avais emmené à la cérémonie franco-américaine de 2014 et il m’a parlé de ses projets, de sa copine, de la fin de ses études et il m’a glissé au moment de se dire au revoir « et puis quand même madame on a assisté à un discours de Barack Obama ensemble, je ne l’oublierai jamais de toute ma vie Madame, je ne l’oublierai jamais ».

Alors cette année, j’ai décidé de les prendre en photos quand ils fabriquent, découpent, imaginent, visitent, manipulent des sources premières, quand ils trient les vêtements, qu’ils rangent, organisent leur vide dressing,… pour ne pas oublier qu’à l’école il y a eu des projets et que ce sont ceux là qui les ont fait devenir les belles personnes qu’ils sont. Ils pourront toujours s’y raccrocher quand ils se seront un peu perdus dans le flot des soucis du quotidien. Et de l’actualité.

Je vous souhaite des milliers d’idées de projets et que quelques uns, même des touts petits, se réalisent.

Baskelles au programme!

Pour clôturer ce mois de Mars,  il était important pour moi de vous parler du projet baskelles dans lequel je me suis embarquée seule, poussée par Colette pour oublier la peine de quitter Saint Yzan.

Baskelles est une association militante pour la lutte LGBTQ+ et de reconnaissance des droits des femmes. Depuis quelques années, elles ont lancé le projet de créer un botin de femmes basques remarquables ou inspirantes afin de convaincre les municipalités de rebaptiser certaines rue, places de ces noms de femmes. Cette action s’accompagne d’une exposition faisant les portraits de ces femmes.

Vernissage Exposition : Chemins pour l'Egalité, femmes de l'ombre à la lumière | Les Bask'ellesPour cette année scolaire, ils ont proposé aux établissements de se lancer eux aussi dans le projet et de réaliser le portrait d’une femme remarquable qui n’avait pas encore été fait.

Je vous avoue que je me suis lancée là dedans sans trop savoir où j’allais et j’ai même failli abandonner, tant que je n’avais pas lancé les élèves là dessus, puis juste avant les vacances, j’ai eu envie d’une séance d’AP festive, alors on a regardé avec mes élèves autour d’un petit goûter les femmes sur lesquelles on pouvait travailler. Après vote, ils ont choisi Catalina de Sourhainde dite Tita de Cambo, sur laquelle il n’y a vraiment pas grand chose;).

Tita de Cambo avec le gant, Federico Amadeo, 1937

Voilà au mois de Novembre ce qu’on savait sur Tita de Cambo, une femme qui joue de la pelote, alors voilà mes premières parties dans les méandres de la recherche historique et plus particulièrement de l’histoire des femmes.

première interrogation comment ça se fait qu’il n’y a rien sur elle, si c’est l’une des premières femmes qui prend l’initiative de jouer à la pelote?

A partir de là nous avons donc exploré dans un premier temps l’historiographie de l’histoire des femmes grâce aux extraordinaires émission de Michele Perrot sur France Culture et sa série histoire des femmes en 10 épisodes 

Puis nous avons travaillé sur la place des femmes au XIXème siècle grâce à des extraits de ce manuel

La place des femmes dans l'histoire - L'ouvrage propose une lecture mixte des programmes scolaires, en y intégrant l'histoire des femmes et du genre.<br /> Chaque chapitre chronologique est composé d'une première partie étudiant la place des femmes dans l'époque étudiée ; une seconde partie est constituée de dossiers documentaires faisant le tour d'une question liée à l'histoire des femmes. Des pistes d'exploitation par niveau (primaire, collège, lycée) permettent à l'enseignant de travailler à partir de chaque dossier.<br /> Sous l'égide de l'association Mnémosyne, association d'historiens dont le but est le développement de l'histoire des femmes et du genre en France, 33 historiens et historiennes participent comme auteurs à cet ouvrage.

De là est né une exposition qui a duré 15 jours sur l’histoire des femmes et sur la place des femmes au XIXème siècle.

Jeudi nous irons au musée basque et à la médiathèque de Bayonne pour en connaître plus sur la vie des femmes basques au XIX, pratiques quotidiennes, occasionnelles et extraordinaires en espérant en savoir plus sur Tita!

les élèves s’impatientent un peu mais j’avais vraiment  envie de les mettre à la place des historien.e.s qui travaillent sur les femmes, il était important qu’ils prennent conscience de la difficulté de travailler sur la moitié de l’humanité presque invisible dans les sources.

Alors voilà, je vous laisse avec le suspens de ces recherches et vous propose un bilan à la fin de l’année scolaire.

Les dictées anti-sexistes du mardi !

Comment amener mes adolescents préférés à ouvrir leur regard sur le monde qui les entoure ? Comment les initier à aiguiser leur esprit critique sans pour autant adopter un ton trop moralisateur ? Et bien en partageant avec eux une information qui servira de prétexte à travailler l’orthographe.

J’ai d’abord commencé à instaurer ce rituel avec des dictées d’actu et puis suite à la rencontre avec Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine, mes dictées d’actu sont devenues des dictés anti-sexistes.

L’actualité étant riche d’informations en lien avec les inégalités de genre, ce virage ne fut pas très compliqué à prendre. Je choisis donc une information en lien avec des faits de société, des évènement culturels ou politique et plus récemment – à la demande des élèves – des extraits de textes littéraires (oui, oui, je sais, j’aurais du y penser moi-même !) que je leur lis d’abord à haute voix. Puis je vérifie la compréhension en posant 3 questions : Où ça se passe ? Quand ça se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? Enfin je leur dicte cette information de 2 ou 3 phrases.  Un ou une élève volontaire s’installe à l’ordinateur branché au vidéoprojecteur, il ou elle tape la dictée dans un traitement de texte (dont le correcteur orthographique a été désactivé au préalable) et les autres élèves notent la dictée dans leur classeur. On projette ensuite la dictée de l’élève assis à l’ordinateur et nous corrigeons tous ensemble son texte, en rappelant à l’oral pour chaque erreur la règle d’orthographe qui nous a permis de la corriger.

Je m’adapte sans cesse aux remarques des élèves ou à mon propre cheminement. Le mois de février fut dédié à des dictées en lien avec l’évolution de la législation dans le monde autour de l’I.V.G car j’avais été récemment bouleversée par le film L’évènement adapté du récit d’Annie Ernaux. Ce fut l’occasion d’échanges passionnants avec mes élèves de 3e. Suite à une remarque d’un élève de la classe, je me suis intéressé à la place des hommes dans les questions liées au genre et la dernière dictée a été consacrée à l’introduction du livre de Ben Névert, youtubeur de 29 ans, Je ne suis pas viril.

Je vous livre l’extrait dicté :

« Mon message est qu’il faut sortir du prisme de la masculinité telle qu’elle est définie aujourd’hui pour se défaire de sa toxicité. Je pense sincèrement qu’en montrant de nouvelles masculinités, plus diverses, on dévoile un chemin à tous ces hommes qui ne se retrouvent pas dans le schéma « classique » , qui refoulent leurs émotions et ne s’autorisent pas à être qui ils sont pleinement. »

Source : Je ne suis pas viril, Ben Névert, 2021

 

Histoires de femmes puissantes !

Dans le cadre de notre mois dédié aux outils de l’éducation anti-sexiste, nous vous proposons une sélection de livres que nous avons particulièrement aimés pour nourrir nos réflexions et celles de nos élèves sur la question des inégalités de genre.

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Pour les plus jeunes

Un album : Brindille, Rémi Courgeon, Milan, 2012.

Pavlina est la seule fille de sa famille : elle vit avec 3 grands frères plus âgés et un papa surmené. Pour la répartition des tâches ménagères, tout se joue au bras de fer, mais Pavlina perd souvent en dépit de sa ténacité car Pavlina est une « brindille », tout le monde le sait. Alors un jour, elle arrête le piano pour se consacrer à la boxe. Persévérante, courage, audacieuse, peu à peu elle renverse l’ordre des choses. Je n’en dirai pas plus car cet album est tout en subtilité, rien de manichéen dans l’histoire de cette enfant qui prend son destin en main. Les mains jouent d’ailleurs un rôle essentiel et poétique dans ce récit dont la conclusion, plus que jamais, est une véritable ode à la paix.

Un roman : Renversante, Florence Hinckel, Ecole des Loisirs, 2019 – dès 9-10 ans. 

Voilà un petit récit de science-fiction particulièrement réjouissant ! La narratrice, Léa, est interpellée par son père pour soutenir son frère jumeau, Tom,  afin qu’il puisse plaider pour avoir les mêmes droits que les filles. Léa passe alors en revue l’ensemble des habitudes de la société dans laquelle elle vit, de la classe au monde politique, de l’organisation de la vie privée à celle de la vie professionnelle, pour constater à quel point les garçons sont dédiés à certaines fonctions sans pouvoir ne serait-ce que rêver accéder aux plus brillantes instances. A travers le regard de la narratrice nous redécouvrons une image inversée de notre société et nous rions – jaune – de la constater si caricaturale.

Un documentaire : Destins d’aventurières de Lucile Birba, éditions du Trésor jeunesse, 2020 – dès 7 ans.

Destins d’aventurières dresse le portait de 16 femmes hors du commun. Un album pour découvrir de nouveaux horizons et explorer le monde avec curiosité et enthousiasme. Jeanne Barret, aventurière à bord du bâteau de Bougainville, Mary Fields, postière dans le Far West, Ynes Mexia, botaniste solitaire dans la jungle amazonienne, Jane Goodall qui a consacré sa vie à l’étude des chimpanzés, Sacagawea, Amérindienne de la tribu des Shoshones qui guidera les explorateurs Lewis et Clarke dans leur découverte du Grand Ouest américain, Edith Durham, première femme correspondante de guerre en Albanie et 10 autres figures féminines dont les exploits sont tellement inspirants.

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Pour les plus grands

Comme Colette, je parlerais de trois livres et je rajouterais un bonus pour une émission de la Grande librairie en replay.

Il s’agit des livres que j’avais déposé sur la table thématique au titre volontairement provocateurs:  » des meufs au CDI oui mais libérées! »Sur cette table, la sélection avait été réalisée par des élèves, la documentaliste et moi même. Il s’agissait d’une partie d’un projet plus global menée dans le cadre de mon cours sur l’histoire des femmes, histoire mixte!

Ma vie sur la route, Gloria Steinem, Harper Collin Poche

Gloria Steinem, nous amène dans cette autobiographie sur la route de sa vie riche et incroyable à en donner presque le tournis. De son enfance atypique avec son père commerçant ambulant à celle de sa vie de jeune femme dans les années 70 en Inde pour finir sur les routes des campagnes électorales américaines. C’est une sacré battante, une femme libre, brillante.  Très tôt elle prend conscience de la société patriarcale dans laquelle on évolue nous les femmes, mais aussi l’ensemble des minorités. Comment se faire entendre quand on n’est pas un homme blanc actif dans ce monde? Porter haut et fort la voix des ces minorités est son combat. Voilà le voyage qu’elle nous invite à faire avec elle: celui de son combat mais surtout de nos combats universels: chercher l’égalité et la fraternité partout tout le temps! Elle nous intronise à travers ce livre ainsi dans le monde du militantisme anglo-saxon et dans les coulisses des campagnes présidentielles des Etats-Unis. Comme pour chercher à expliquer cette domination masculine dans laquelle elle a toujours été obligée de ruser, de négocier, de s’infiltrer pour arriver à ses fins, elle pose une question: « est-ce qu’un organe aussi extérieur et non protégé que le pénis ne rend pas les hommes très vulnérables? Ma vie sur la route : Mémoires d'une icône féministe (HarperCollins) eBook  : Steinem, Gloria: Amazon.fr: Boutique Kindle

On ne peut que vous souhaiter un très beau voyage en compagnie de Gloria!

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La Tresse, de Laeticia Colombani, roman-grasset

La tresse

Ce sont 3 femmes: l’une en Amérique, l’autre en Sicile et la dernière en Inde. Toutes à leurs manières dans leurs sociétés luttent contre les discriminations, les stéréotypes dont les femmes sont victimes, celles qui sont ancrées au plus profond de nos sociétés: faire carrière ou prendre soin de santé,  se marier, avoir des enfants, tenir son rang, sa place, son honneur,…Toutes ces situations qui nous ramènent à notre conditions de minorités, elles ont décidées chacune dans leur coin de s’en débarrasser, d’avancer malgré les qu’en dira-t-on et les conséquences. En faisant ce chemin là, ces trois femmes au destin tellement différents vont se retrouver liées les unes aux autres. Elles se doivent mutuellement leur survie, la poursuite de leur destinée.

A travers ce court roman, L Colombani nous propose de prendre conscience de la sororité qui lie les femmes du monde entier.

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Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, édition Point

Florence Aubenas en 2009 a mené une enquête sur la précarité des femmes en s’inscrivant au pôle emploi de Caen où elle trouve rapidement un emploi à temps partiel à l’hygiène des ferrys en partance pour l’Angleterre.  A travers un récit à la première personne, elle amène le lecteur à prendre conscience de ses travailleuses de l’ombre: celle du soir très tard, celle du matin très tôt, celles qui prennent les transports en commun à contre courant du flot d’actifs que nous sommes. Les invisibles, celles qu’on oublie de saluer le matin pas assez réveillé ou le soir trop fatigué. Et pourtant, on leur doit notre dignité à ces femmes: parce que c’est bien elles qui rendent nos toilettes propres, nos poubelles vidées, nos tables nettoyées, nos portes savons vides redevenus pleins comme par magie, elles qui changent nos rouleaux de papiers toilettes. elles à qui on reproche de laisser leurs enfants livrés à eux mêmes, elles… qu’on devrait remercier un peu plus souvent.

Florence Aubenas met dans la lumière ces travailleuses invisibles et nous invite nous aussi à les éclairer par un salut, une attention, une marque de gratitude. On leur doit au moins ça!

Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas - Poche - Livre - Decitre

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Le petit bonus c’est l’émission de la Grande Librairie de mercredi 9mars qui rassemblait autour de leurs livres deux amies, deux workwives qui se connaissent, s’admirent et se respectent depuis 1955. Michelle Perrot et Mona Ozouf dont je vous parlerais la semaine prochaine

 

Pour une éducation anti-sexiste…

Vous connaissez notre amour des mois thématiques ? Le mois de mars, aves sa fameuse journée internationale des droits des femmes, sera donc féministe ou ne sera pas !

Et pour commencer, je vous livre un texte que j’ai écrit pendant le premier confinement à l’occasion d’un atelier d’écriture virtuel mené avec mes amies rencontrées lors de la préparation du CAPES. Ce texte relate comment l’idée qu’une éducation anti-sexiste était encore nécessaire aujourd’hui,  m’est apparue dans toute son évidence. A l’écoute de mes élèves indignées…

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Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Elles avaient 14 ans, presque 15.

Qu’est-ce qu’on a pu débattre ensemble.

Non pas autour d’une tasse de thé, ni autour d’une table ronde, ni même dans l’amphithéâtre d’une université.

Non.

C’était dans la salle A09 d’un collège de REP rural de Haute-Gironde. Le mardi matin souvent.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Le regard brillant, la tête haute, sincères comme on peut l’être quand on a que l’enfance derrière soi, les cheveux longs, parfois très longs, lâchés en magnifique cascade sauvage sur leurs épaules parfaitement dessinées.

Le verbe sincère, cru, tranchant, puissant.

Comme une baïonnette.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’abdication millénaire à porter un soutien-gorge dans nos sociétés. Petite prison du corps qu’on nous offre comme un cadeau précieux parfois dès le plus jeune âge.

Elles m’ont ouvert les yeux sur le piège de la bise en cour de récré non consentie la plupart du temps.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’incroyable ineptie de ne pas mettre à disposition des protections périodiques en libre service dans les collèges et les lycées, sur l’incroyable ineptie de ne pas considérer ce produit comme un produit de première nécessité pour la moitié de l’humanité, et qui devrait donc être remboursé.

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’incroyable obscénité des réseaux sociaux, sur les photos de nus utilisées dans d’affreuses tactiques de revanche.

Elles m’ont ouvert les yeux sur les invitations obscènes auxquelles elles sont chaque jour confrontées sur Snapchat ou Instagram. Là, sur leur téléphone. Tout le temps. Partout. Presque inévitable.

Elles m’ont ouvert les yeux sur les horribles chantages par messages audio de leurs propres camarades de classe – garçons ou filles- qui les traitaient de « suceuses » là où quand j’étais ado on disait simplement « fayot ».

Elles m’ont ouvert les yeux sur l’innommable prédation de certains garçons qui diffusent sans s’interroger des vidéos de mineures obéissant à de sordides pervers.

Avec elles, j’ai appris ce qu’était le « cybersexisme », les « nudes », les « fisha », le « revenge porn ». Leur quotidien.

Avec elles, j’ai appris que le monde des femmes de 2020 n’était pas celui que Simone de Beauvoir, Hubertine Auclert ou Françoise Héritier avaient jadis revendiqué.

Avec elles, j’ai appris tellement.

J’ai appris que très tôt Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine avaient compris qu’en 2020 on est déjà une femme à 14 ans.

Qu’on est déjà une femme quand on vient au monde.

Et que ce mot « femme » est tellement lourd de sens qu’il faudra toute sa vie durant tout faire pour s’en délester.

Et j’ai appris que très tôt elles avaient compris qu’il n’y aurait que deux options possibles : se fondre dans le moule que la société depuis des millénaires a formé.

Ou briser le moule.

Tout en sachant à quel point ce moule est une belle saloperie dont on n’a pu, jusqu’à présent, que tordre un peu les bords.

Maëva, Léa, Lyson, Célia, Sabrina, Loane, Shana, Lisa, Laurine n’ont eu besoin d’aucun cours pour apprendre ça.

Mais moi j’ai eu besoin d’elles pour que mes yeux s’ouvrent.

Et plus jamais ne se ferment

Apprendre à se connaître… au contact de l’autre !

Cette année, de la Nivelle à la Saye, des lettres vont être échangées. Un projet légèrement suranné, un peu désuet, un projet pour s’écrire, se dire, mais aussi pour rencontrer l’inconnu, cet « étrange étranger », cette » étrange étrangère ». Un projet pour tisser des liens. Parce qu’avec Aude cette année on en a vraiment, vraiment besoin ! Et on parie que nos élèves aussi, qu’ils et elles soient au collège ou au lycée !

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Colette. – Aude, peux-tu expliquer avant toute chose en quoi consiste ce projet ?

Aude. – L’idée est comme tu l’as dit en introduction de créer du lien. Il s’agira d’un échange de trois lettres, une première pour se présenter et se souhaiter la bonne année. Même si avec le Covid, les vœux ont été reçus en février, une où ils décriront leur lieu de vie et une dernière où mes élèves donneront des conseils pour réussir au lycée. J’aime dans ce projet l’idée de l’échange avec un inconnu. J’ai toujours adoré l’échange postale, j’ai longtemps été abonnée à des forums de mail art et de swap personnellement.

Colette. – Comment as-tu présenté le projet à tes élèves et dans quel cadre ? En ce qui me concerne, quand j’ai présenté en AP, le projet à mes élèves de 3e B, je leur ai clairement expliqué que c’était pour continuer de travailler avec toi, malgré la distance. Oui parfois certains projets ont des motivations particulièrement égoïstes ! Mais je crois que mes élèves ne m’en ont pas tenu rigueur étant donné le plaisir qu’ils et elles semblent avoir eu à choisir la lettre qui leur serait destinée ! Je leur ai quand même expliqué que ce projet s’inscrivait dans le cadre de l’objet d’étude « Se raconter, se représenter » et qu’il serait une manière d’expérimenter l’écriture autobiographique au programme de littérature tout en travaillant sur le lien entre territoire et subjectivité en géographie.

Aude. –Moi aussi clairement je leur ai dit que c’était pour garder du lien avec mon ancien établissement, mes anciens élèves et puis toi. Personnellement, je le fais en AP-Vie de classe le vendredi de 17h à 18h pour laquelle on a carte blanche. Alors j’en ai profité pour lancer ça. Mon idée est de montrer l’importance du tutorat, du lien y compris avec des personnes qu’on ne rencontrera jamais, savoir qu’un autre existe et qu’il peut être très différent de soi mais qu’il a les mêmes questionnements universels. Ils l’ont clairement fait pour me faire plaisir, ça se raccroche à rien. Même pour la deuxième lettre, sur le lieu dans lequel ils vivent, ils auront la consigne de décrire un espace productif touristique (lieu dans lequel ils vivent) avec ses avantages et ses inconvénients mais c’est tout de même très tiré par les cheveux ! Juste pour le plaisir d’échanger

Colette. -Quelles compétences disciplinaires ou transdisciplinaires penses-tu travailler avec ce projet ?

Aude. –Clairement la coopération et l’estime de soi. Pas de compétences disciplinaires dans cette correspondance, juste le plaisir d’écrire, d’échanger. Puis ce que j’ai apprécié, c’est qu’ils ont du avoir recours à des compétences peu sollicitées au lycée comme la créativité, la capacité d’introspection.  J’espère aussi la bienveillance, je pense plus que jamais qu’on a besoin de construire un monde bienveillant !

Colette. – Comment tes élèves ont-ils/elles reçu ce projet ?

Aude. –Comme tout ce que je leur propose qui sort de la dissertation, analyse de documents, question problématisée,…. ils ont trouvé ça étrange. Je pense qu’ils commencent à me cataloguer comme une bizarre avec mes rendus sous formes de sketchnote, mes jolies lettres et les exposés explosifs. ;). Ils sont aussi intrigués mais dans l’ensemble ils font ce que l’on leur demande.

Colette. -Ont-ils formulé des attentes particulières ? Ou des réticences ? 

Aude. –Comme des grands ados, ils voulaient savoir l’objectif, pour certains j’ai quand même du agiter des carottes pour qu’ils me rendent leur première lettre. Ils ne sont pas du tout habitués à échanger avec des plus jeunes et sont pour le moment très réticents à du tutorat ou quelconque activités qui les mettent en lien avec des élèves plus jeunes qu’eux. Donc je dirais que l’exercice les a amusé et j’en parlerai dans ma réponse à la question suivante mais comme je voulais garder le mystère de l’établissement avec lequel ils échangeaient, ils étaient un peu sceptiques. Ce sont des élèves qui ont besoin de savoir où ils vont, qu’est ce que ça va leur rapporter. D’ailleurs je reviens sur ta question sur les compétences. Je pense que du coup on travaille aussi la motivation intrinsèque! et toi comment ont-ils réagi?

Colette. – Ils et elles ont été ravies ! D’abord intrigué.e.s, puis à l’affût de celui ou celle qui deviendrait leur mystérieux.se correspondant.e, ils et elles ont travaillé comme jamais, pendant 50 minutes, j’ai pu assister à un atelier d’écriture des plus investis ! Ce que j’ai beaucoup aimé c’est répondre à leurs demandes de corrections stylistiques, orthographiques et syntaxiques particulièrement sincères et attentives (ce qui est n’arrive jamais en situation d’écriture classique). Et le miracle que j’ai pu observé c’est que des élèves très décrocheurs en temps normal, ont fait ce travail avec plaisir et en totale autonomie. L’enthousiasme était évident !

Colette. – Comment décrirais-tu le moment où elles/ils ont écrit leur première lettre ?

Aude. –Alors là ce fut magique, à partir du moment où je leur ai allumé le feu de cheminée sur google screen, qui se sont levés pour aller chercher leur matériel pour faire leur jolis lettres, qu’ils savaient qu’ils avaient carte blanche, que je ne lirais pas leur lettre pour ceux qui ne voulaient pas, je pense qu’ils ont pris beaucoup de plaisir à le faire et maintenant j’ai hâte de leur distribuer leur réponse.

Colette. – Comment qualifierais-tu cette première expérience de correspondance ? Est-ce d’ailleurs ta première expérience de ce genre ?

Aude. – C’est très chouette et je pense vraiment que c’est un exercice que les élèves aiment beaucoup et qui permet de développer les compétences socio-émotionnelles, je souhaite le mettre en place beaucoup plus vite l’an prochain en allant peut être plus loin dans le type d’échange avec peut être une petite pochette surprise. vraiment travailler le don et le contre don.

Non ce n’est pas ma première expérience de correspondances. j’en ai fait en tant qu’élève pendant des années avec des correspondants allemands et j’adorais ça. Ensuite au lycée, j’adhérais à l’international youth club. j’ai cherché sur le net mais j’ai l’impression que ça n’existe plus et là j’ai correspondu quelques temps avec une sénégalaise et on s’est échangé une lettre avec une australienne mais les frais d’envoi nous ont refroidi. Je pense que ça c’est un peu perdu avec le développement d’internet.

Puis l’an dernier, dans le cadre de la CDSG, les élèves ont échangé par correspondance avec des futurs pilotes de châsse. Je pense que tout le monde y a pris du plaisir. J’ai trouvé cette expérience très enrichissante pour nos élèves.  Ils ont pu prendre conscience certes des forces  mais aussi des faiblesses de ces jeunes hommes qui démarrent une carrière brillante et exigeante. Lorsque je dis ça, je pense à la surprise des élèves en lisant que certains avaient eu des difficultés pour réussir les concours d’entrées ou les sélections pour cette filière, ou  la peur qu’ils peuvent ressentir lors des examens médicaux ou bien encore leurs difficultés pour certains à dire ce qu’ils ressentent lorsqu’ils pilotent.

Bref prendre connaissance de l’autre est toujours si enrichissant et maintenant je pense qu’il est temps que mes élèves reçoivent rapidement leurs réponses pour qu’ils adhèrent pleinement au projet. et toi quels sont tes ressentis sur ce début de projet ?

Colette. – Ce fut un plaisir incroyable de découvrir mes élèves sous une autre lumière, ce projet leur a permis d’aller puiser ailleurs que dans leurs compétences scolaires et pour mes élèves les plus en détresse scolairement ou psychologiquement, ce projet a d’un coup donné du sens à l’écrit, objectif que je recherche depuis longtemps dans toutes les activités d’écriture que je propose et que je touche rarement du doigt ! Je sais que c’est sans doute un moment fugitif de travail collaboratif consenti mais je suis très heureuse de l’avoir connu !

 

On se donne RDV en Juin pour faire le point sur ce projet ?

 

 

 

Lettres à ce prof qui a changé ma vie – Enseigner la liberté

Aujourd’hui place à un livre qui a été écrit quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty. Plusieurs personnalités du monde du spectacle et de la littérature ont écrit une lettre à cet.te enseignant.e qui a probablement changé leur vie. Nous étions curieuses du rendu et puis, nous aimons toujours lire quelques lignes de Christiane Taubira ou Philippe Torreton. Nous vous livrons donc une lecture commune de ce recueil.

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Aude. – Quelle est la lettre qui t’as le plus émue ?

Colette.- C’est une question particulièrement difficile ! Plusieurs lettres m’ont touché en plein cœur. Je crois avoir été particulièrement touchée par la lettre de Caroline Laurent à Miss Frezal, sa professeure d’anglais de 6e. Parce que leur histoire est extraordinaire, qu’elle ne se limite pas à une année de collège, qu’elle se prolonge sur 4 ans, puis qu’elle s’inscrit dans le temps de toute une vie.  Et qu’elle témoigne de tout ce qui peut se jouer entre un.e élève et un.e enseignant.e au delà des savoirs, de l’apprentissage, de la discipline. Caroline Laurent ose le dire : parfois ce qui se tisse c’est de l’amour.

Aude. – En ce qui me concerne, c’est probablement celle Marie de Darrieussecq, « Enseigner génération après génération » parce que j’ai pleuré, parce que c’est une très belle histoire de transmission au sens large du terme. J’aime tellement cette idée que nous sommes le produit de multiples rencontres que nous faisons et que nos parents ont faites. Je ne m’y attendais pas du tout parce que, en commençant ce livre, je me disais : « un livre qui va flatter mon égo parce qu’il rend hommage au corps enseignant, ça ne va pas me faire de mal en cette période de crise sanitaire qui ne cesse de durer  » mais ce livre m’a interrogée sur ce qui fait un bon professeur. La plupart des lettres évoquent à la fois la bienveillance, la capacité à pousser au dépassement de soi et enfin la richesse culturelle et intellectuelle de l’enseignant. D’ailleurs quelles sont selon toi les qualités d’un bon enseignant ?

Colette. – Je crois qu’avant tout un.e bon.ne enseignant.e doit être lui-même/elle-même face à ses élèves. J’aime particulièrement cette citation de Jaurès qui m’accompagne depuis des années : « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce l’on est. » Si on ne triche pas, ne se cache pas derrière des attitudes dites professorales, alors une relation de confiance s’installe entre enseignant.e.s et élèves, confiance absolument nécessaire pour que notre travail ensemble soit efficace. Je dirai que les qualités principales doivent être l’écoute active, l’empathie, la rigueur et l’ambition. Et un soupçon d’audace et de créativité ne gâtent rien ! Et toi qu’en penses-tu ?

Aude. – Je suis entièrement d’accord avec toi, inutile de faire croire que l’on est sévère, cultivé… Ce qui fait notre richesse c’est ce que l’on est et après les élèves accrochent ou pas. Un bon enseignant et là je citerai ma tutrice, c’est celui qui arrive à faire progresser le ventre mou de la classe, pas les 5 plus mauvais, ils sont malheureusement tellement en difficulté que toi seul ne suffit pas, ni les 5 meilleurs qui n’ont pas besoin de toi, il s’agit des 20 autres. Avec l’expérience, je nuance un peu son propos parce que je pense qu »‘on peut faire progresser tout le monde », y compris les 5 loulous en difficulté et les 5 meilleurs. Mais , personnellement je m’appuierai sur ce curseur, est-ce que je les ai fait progresser?

Aude. – Personnellement je me suis demandée si je pourrais être cette enseignante qui change une vie. T’es tu posée cette question en lisant ce livre ?
Colette. – Pour beaucoup, il faut quand même relativiser : ces profs à qui 40 personnalités écrivent, n’ont pas littéralement changé leur vie (ça c’est le titre accrocheur et sensationnaliste choisi par l’éditeur pour répondre à un évènement lui-même hors-du commun). Non, dans ce recueil, on trouve le témoignage d’ancien.ne.s élèves qui ont élu dans la multitude des enseignant.e.s à qui ils et elles ont eu affaire, celui ou celle qui émettait encore de la lumière dans leur mémoire. Je suis particulièrement reconnaissante à des auteur.e.s comme Nicolas Mathieu ou Marie Darrieussecq qui ont choisi de ne pas rendre un hommage à un.e professeur.e en particulier mais à toutes celles et tous ceux qui ont donné « sa pente à [leur] chemin » . Je suis persuadée que l’enseignant.e qui a marqué tel.le élève ne sera pas le/la même pour son/sa camarade d’à côté. Je suis persuadée que chaque enseignant.e laisse son empreinte obscure ou lumineuse dans la vie de tous ses élèves. Je me base sur ma propre expérience : je me souviens de tou.te.s mes enseigant.e.s depuis la maternelle. Ils et elles ont tous participé à faire l’adulte que je suis. A leur manière plus ou moins flamboyante. Ce qui m’amène à répondre -enfin- à ta question : oui, je suis certaine, sans prétention, que pour certain.e.s de mes élèves j’ai changé un petit quelque chose. Eux ont bien changé quelque chose en moi…

Aude. – Les anciens élèves que sont les auteur.es de ces lettres sont finalement très exigeants avec leur professeur et témoignent tous de l’importance de l’exigence qu’on leur a imposé. Penses tu que les élèves ont effectivement cette exigence envers nous?

Colette. – J’en suis certaine et d’autant plus convaincue après plusieurs années d’enseignement en R.E.P. J’ai commencé à enseigner sans penser à l’ambition et l’exigence. Je pensais juste à la bienveillance. Et je crois qu’il faut absolument que cette fameuse bienveillance soit soutenue par une exigence non négociable. Qu’il y a même encore plus d’urgence aujourd’hui qu’à l’époque où les auteur.e.s du livre ont été à l’école, à formuler cette exigence. Elle seule permet à l’enfant de se donner les moyens de se dépasser, de voir au delà de ce qu’il/elle aurait appris sans nous. Il faut leur apprendre à viser les sommets de la connaissance, ne serait-ce que pour qu’ils/elles sachent que ces sommets existent, qu’ils/elles peuvent y prétendre comme tout élève de ce pays dont le livre défend les valeurs à travers la référence à Samuel Paty.

Aude. – La très grande majorité des lettres évoque des professeurs de lettres comme prof qui ont changé leur vie. Toi qui est prof de lettres pour quelles raisons selon toi ?

Colette. – Je pense qu’il y a un biais qui nous amène à cette conclusion : la plupart des auteur.e.s du livre, si je ne me trompe pas, sont des écrivain.e.s, des artistes, des journalistes… Des femmes et des hommes de lettres. Aurait-on lu les mêmes lettres en interrogeant Cédric Villani, Esther Duflo ou Claudie Aigneré ? C’est toute la limite de ce genre d’exercice qui ne se veut sans doute pas exhaustif et pluriel. Cependant la littérature nous plonge dans notre vie intérieure, au cœur des émotions et c’est sans doute ce qui explique, qu’à l’adolescence, le prof de lettres incarne le lieu de tous les possibles. Imaginaire, créativité, évasion sont au rendez-vous quand la littérature est enseignée avec conviction ! Et puis, secrètement, tous les profs de lettres se rêvent sans doute en Mr Keating récitant des poèmes debout sur une table !

Aude. – Autre question liée aux disciplines : pourquoi n’y a-t-il pas ou très peu de profs de sciences qui nous emportent selon toi ? Si moi aussi je mène cette réflexion, je retiens une professeur d’histoire-géographie, une professeur de lettres, un prof de musique et enfin un prof de SES.

Colette. – Je réponds en partie à cette question dans ma réponse précédente. Je pense que si un autre panel de contributeurs avaient été appelés à témoigner, on aurait eu une floppée de profs de sciences, d’économie, de gestion, de droit… Quand je pose ta question à mon mari qui a un parcours différent du mien, il me répond que c’est sa prof de gestion de première et terminale qui a marqué positivement son parcours (et je peux en témoigner, cette femme a réussi à lui redonner confiance en ses capacités comme aucun autre professeur n’avait réussi à le faire avant elle…) Bien entendu pour moi qui suis professeure de lettres, ce sont 3 enseignantes de lettres qui ont marqué mon parcours. Mais je pense que c’est lié d’abord à mon goût pour la littérature, avant d’être lié à leurs personnalités. Elles auraient enseigné les mathématiques, je ne suis pas certaine qu’elles seraient restées dans ma mémoire !

Aude. – Philippe Torreton conclut sa lettre avec « Merci mes pères de France », penses-tu que nous sommes des « pères de France » pour nos élèves ?

Colette. – Je vais te répondre par une boutade : je suis absolument certaine d’être une deuxième « maman » pour beaucoup de mes élèves, mais je crois que cela n’a rien à voir avec le sentiment patriotique ! Qu’en penses-tu ? Tes lycéens t’appellent-ils « maman » parfois ?

Aude. –Absolument pas ! Justement, c’est la différence que je constate avec le lycée et qui a peut être biaisé mes questions précédentes, j’ai l’impression que les lycéens savent que nous ne sommes pas des parents de substitution, sentiment que je pouvais avoir en collège. Ils ont des attentes scolaires, de formation pour l’avenir, d’accompagnement à la citoyenneté, à l’ouverture culturelle et imposent de fait parce qu’ils savent formuler ses demandes une forme d’exigence qu’ils estiment indispensable à leur réussite. Justement la difficulté est de saisir aussi la demande de celui qui dessine au fond de la classe et qui a du mal à noter ton cours qui lui ne te demande rien trop bousillé par le système scolaire pour certains d’entre eux.

Pour revenir à la dimension patriotique de notre métier. L’école et le prof d’histoire géo plus particulièrement ne peuvent pas tout faire. Je dis toujours, on ne peut pas colmater les brèches de la société avec une colle UHU

Aude. – Enfin dernière question as-tu envie de faire cet exercice, d’écrire une lettre à ce prof qui a changé ta vie ? En as-tu eu un d’ailleurs? Et si oui qui ? Je suis curieuse !

Colette. – En fait, je l’ai déjà fait ! Deux fois et au moment même où nos chemins se séparaient. En 3e, j’ai eu une enseignante de Français que j’aimais beaucoup. Elle était aussi ma professeure d’allemand. Et cette année là c’était notre professeure principale. Elle a du partir assez tôt dans l’année en arrêt longue maladie. Ce fut un drame pour nous. Je ne me souviens plus très bien ni comment ni pourquoi, mais elle nous a invités chez elle au cours de son arrêt. Elle lisait mes rédactions à la classe, m’a poussé à m’inscrire à un concours de poésie et a pris le temps de m’écrire, une magnifique carte pop-up, avec un bateau qui prenait le large pour m’encourager à écrire. Ce que j’ai fait pendant des années. Alors je ne lui ai pas écrit pour lui dire qu’elle avait changé ma vie mais pour la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour moi cette année là. Et des années plus tard, pendant mes études supérieures, j’ai rencontré LA professeure. C’est elle qui m’a tout appris de la littérature, comment m’y plonger, et surtout comment l’analyser. Elle ne brillait pas que par son immense intelligence interprétative, elle la partageait. C’est la première enseignante qui m’a transmis des méthodes, des méthodes imparables qui m’ont permis de comprendre que je pouvais TOUT analyser à force de rigueur et de travail. Ce sont ses méthodes que j’ai appliquées tout au long de mes études et ce sont ses méthodes que je m’efforce de transmettre encore aujourd’hui. Cette femme-là a été un véritable mentor, ma précieuse Athéna. Je lui ai confié ma maîtrise à relire, et quelques années plus tard mon premier roman. Et à chaque fois, elle m’a accompagnée de sa confiance et de son expertise. Exigeante et bienveillante. Tu me donnes envie de prendre de ses nouvelles ! Et toi, à qui écrirais-tu ?

Aude. – Probablement à ma professeure d’histoire géographie que j’ai eu de la 4ème à la Première qui m’a véritablement donné la vocation, si je ne devais en choisir qu’un. J’aimais le récit qu’elle faisait des évènements historiques, elle a été ma professeure principale en 3ème et en 1ère. Elle était à la fois très exigeante et très bienveillante justement. Je lui avais écrit un mot de remerciement en terminale après le baccalauréat puis j’avais eu l’occasion de discuter longuement avec elle quelques jours après avoir appris que j’étais reçue au collège. Elle était aussi très pudique et mettait beaucoup de distance avec ses élèves. Je me souviens qu’en terminale justement elle m’avait expliqué qu’elle n’avait pas pris ma classe pour que je vois une autre façon de travailler. Mais après je garde un souvenir incroyable de mon enseignant de CM1-CM2 : école ouverte, Freinet et voyage scolaire étaient au programme dans une école sans grillage et sans mur et ensuite je garde dans mon cœur une enseignante de la fac avec qui je travaille aujourd’hui qui m’a ramassé à la cuillère après l’oral de l’agrégation externe parce qu’elle mettait de l’humanité dans ses couloirs si impersonnels parfois de l’université. En y réfléchissant, j’aime croire que je suis un peu des trois !  Dans tous les cas des passionné.es de l’enseignement !

 

 

Rappeler les enfants !

Pour ce mois de Février qui commence, nous avons eu envie de vous présenter une sélection de livres et d’activités autour de l’écriture de soi. Et notamment une sélection de textes d’enseignant.e.s, de celles et ceux qui décident avec courage, ironie ou tendresse d’écrire sur leur profession. Des journaux de profs. Des fragments d’éternité. Du quotidien bousculé.

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Je partage aujourd’hui un billet que j’avais écrit en 2020, après des mois de confinement, et de correspondance effrénée avec mes élèves,  sur le blog collectif A l’ombre du grand arbre, consacré à la littérature jeunesse sous toutes ces formes. Je partage aujourd’hui un peu de ce coup de coeur que j’avais eu pour Rappeler les enfants d’Alexis Potschke.

*

Il était donc un roman qui racontait les premières années d’un jeune professeur de lettres exerçant en région parisienne. Et ce jeune professeur est tout particulièrement sensible à la beauté des moments partagés avec ses élèves. De chaque petite scène racontée dans ce roman qui se construit au fil des trimestres, émerge des portraits d’une grande douceur, d’une incroyable tendresse, d’une infinie poésie. Et d’une humanité sincère. D’une humanité qui cette année, pendant trois mois, m’a terriblement manqué : l’humanité de la salle de classe.

Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après”, c’est qu’il m’a permis l’espace de quelques pages de renouer avec ce qui fait l’essence même de mon métier et dont cette année j’ai du me passer tout un trimestre sans l’avoir choisi. Si ce livre m’a permis de penser/panser mon “monde d’après” c’est qu’il m’a rappelé combien j’aimais moi aussi capter l’infinie poésie des regards d’adolescents, la lumière de leur visage entre deux âges, leur parole vive et belle comme un ruisseau, le flot d’émotions dont leurs journées semblent tissées. Il m’a rappelé combien il était primordial d’être présent.e.s les un.es pour les autres. En vrai, en chair et en os. Sans écran entre nous…

A quelques pages de la fin, il y a ce discours improvisé par le narrateur un jour que ses élèves du club théâtre lui ont souhaité son anniversaire.

“Vous savez, j’ai eu plusieurs vies avant d’être professeur […] Je ne fêtais plus mon anniversaire parce que je m’étais rendu compte que j’avais arrêté de grandir. C’était autre chose.

Vieillir, a dit Elsa.

Oui, Elsa, vieillir. Vieillir. Je ne grandissais plus, je vieillissais. Les anniversaires ont commencé à me faire un peu peur, je voyais le compteur tourner ; je n’étais pas très vieux pourtant, mais je n’aimais plus ça. Je voyais le temps qui passait, qui passait. Et puis, finalement, je suis devenu professeur.

-Heureusement, a flatté Céleste.

-Oui, heureusement. Parce que, vous savez, j’aime mon métier. Oui, vous devez le savoir. J’aime vraiment mon métier.

Bien sûr, au club théâtre, c’est facile d’aimer son métier. Mais même quand mes élèves sont pénibles, même quand ils me fâchent, je suis toujours content de les retrouver. Ce qu’il y a de bien avec mon métier -, c’est qu’il change tous les jours. Je n’ai pas la routine des champs, des bureaux, de l’usine. C’est vrai que c’est un peu fatigant, parfois, mais j’aime ça, ne jamais savoir comment va être ma journée.

Quand je suis avec vous, que l’on discute, que l’on répète, et que j’essaie de vous apprendre des choses, que j’ai le bonheur de vous voir les apprendre, que je vous vois grandir aussi, j’ai l’impression, moi d’apprendre aussi, d’apprendre de vous. Vous, vous qui êtes là et qui m’écoutez, vous êtes mon antidote au temps qui passe, parce que le temps a du sens, maintenant, et je crois que c’est ce qu’il lui manquait. C’est pour ça qu’il me faisait peur.

Alors je n’attends plus les cadeaux, et ça ne reviendra pas, je n’attends plus rien, mais je n’en ai plus peur, de mon anniversaire, parce que je n’ai plus peur de vieillir.

Vous savez, depuis que je suis professeur, depuis que je côtoie mes élèves – et mes élèves, ce ne sont pas que mes cent vingt élèves, ce n’est pas que ceux que j’ai ou que j’ai eus, ce sont tous les élèves de ce collège-, depuis que je côtoie mes élèves, que je vous côtoie, vous, eh bien, voilà : j’ai arrêté de vieillir. Je ne vieillis plus, et c’est grâce à vous.

Et vous savez quoi ? Il faut que je vous le dise… depuis que je vous connais, vous, mes élèves, je crois même… je crois même que j’ai recommencé à grandir.

-Monsieur, a dit Charlotte, monsieur, je crois qu’Elsa pleure.”

Voilà.

J’ai hâte.

J’ai hâte de retrouver mes élèves.

Pour continuer à grandir.

Et entendre quel “monde d’après” ils désirent ardemment.

Et m’y atteler, de toutes mes forces, à ma petite mesure.

Tous au spectacle!

La semaine dernière Colette me proposait un crible de questions pour vous expliquer l’intérêt de la sortie au cinéma. Cette semaine, on inverse les rôles pour évoquer les avantages d’amener nos élèves au contact du spectacle vivant!

 Comment s’organise une sortie culturelle en soirée? je veux tout savoir, je n’en ai jamais fait.

Pour tout te dire, c’est très simple : en équipe nous épluchons les programmations des différentes salles de spectacle de Bordeaux, de la CUB et de la Haute-Gironde dès le mois de Juin. Nous sélectionnons les spectacles qui correspondent à des entrées du programme de Français des différents niveaux, nous choisissons bien entendu les salles où les scolaires, notamment le collégiens, sont les bienvenus, puis nous regardons les dates pour qu’elles coïncident avec le calendrier scolaire. Nous contactons ensuite les salles de spectacle retenues et nous réservons 48 places pour chaque niveau. Ensuite c’est la foire d’empoigne car comme nous ne pouvons amener que des volontaires puisque ces sorties sont hors temps scolaires, nous sommes obligées d’inventer des stratagèmes tous plus alambiqués les uns que les autres pour sélectionner les heureux élus, ceux qui pourront s’offrir le luxe de prendre le bus scolaire de nuit pour traverser la moitié du département pour aller voir du THEATRE !!!

Peux tu nous raconter comment tu sélectionnes les spectacles à aller voir avec les élèves?

Nous le faisons en équipe en fonction des entrées du programme. C’est vraiment très aléatoire puisque cela dépend beaucoup de l’offre culturelle. Mais mes collègues sont vraiment très volontaires et nous sommes souvent prêtes à faire des kilomètres pour voir une pièce qui collera parfaitement à une entrée du programme ou dont nous sommes sûres que la troupe va époustoufler nos apprentis spectateurs.

Existe-t-il des freins à la mise en place de genre de projet?

L’argent bien entendu ! En effet, comme notre collège se situe en zone rurale, nous sommes loin des lieux culturels qui proposent du spectacle vivant. La réservation d’un bus nous coûte toute de suite près de 400 €, ce qui explique  pourquoi nous amenons si peu d’élèves : nous ne louons qu’un seul bus pour ses sorties. Personnellement, je préfèrerai amener des classes entières mais les subventions qui nous sont allouées pour mettre en place le projet « Théâtre en soirée » ne couvrent pas le transport. En ville, il est bien plus facile d’amener les élèves au spectacle puisque les lieux culturels peuvent être rejoints à pieds ou en transport en commun ce qui réduit considérablement le coût des sorties scolaires. Un nouveau frein a vu le jour depuis deux ans : certaines salles de spectacle n’ouvrent plus aux scolaires l’ensemble de leur programmation… Seuls certains spectacles ciblés sont accessibles aux collégiens, ce qui a été vécu par l’équipe comme une forme de censure.

Quel est l’intérêt pédagogique d’amener les élèves voir du spectacle vivant?

Pour beaucoup de nos élèves de REP rural, aller voir du spectacle vivant n’est pas une habitude familiale pour de multiples raisons géographiques et économiques. C’est donc tout d’abord l’occasion de se confronter à de nouvelles pratiques culturelles. C’est surtout l’occasion de travailler un genre littéraire très particulier, le théâtre, que l’on ne peut aborder sans le VIVRE en tant que spectateur. La question des choix scénographiques, l’expérience de la voix, des corps, des lumières, de la musique, tout ce qui fait l’essence même du théâtre a surtout lieu sur scène, les lectures ne suffisent pas à le comprendre. C’est pourquoi le théâtre est avant tout une expérience plutôt qu’une somme de connaissances. Et puis, comme toujours avec les sorties scolaires, elles permettent de vivre un moment suspendu ensemble qui nourrit une certaine complicité entre enfants et adultes, complicité qui sera essentielle pour poursuivre les apprentissages pour certains d’entre eux.

Souvent ce sont des soirées et c’est payant, tous les élèves n’y vont pas, du coup comment l’exploites tu dans ta pratique pédagogique?

C’est le point faible de notre projet, point faible lié aux contraintes géographiques et économiques déjà évoquées. Il est très difficile de l’exploiter en classe puisque c’est un projet qui n’inclut pas tout le monde. Par conséquent, en général, j’invite les élèves qui sont sortis, à rendre compte du spectacle sous forme d’article pour le site du collège ou en leur confiant la responsabilité d’une partie de la séquence sur le théâtre, notamment concernant le questionnement lié à la mise en scène.

Peux tu nous raconter l’une de tes plus belles sorties en soirée avec tes élèves?

Je raconterai notre dernière sortie au théâtre : après deux ans de disette culturelle, nous avons pu renouer cette année avec le spectacle vivant ! Le 14 décembre, nous nous sommes rendus avec les 6e volontaires dans un théâtre de la CUB pour assister à un one woman show particulièrement touchant : « Cartable » de Gloria da Queija. Pendant 1h30, nous avons suivi les déboires et les enchantements d’une enseignante en primaire. Seule en scène, la comédienne, qui a enseigné pendant 10 ans, nous brosse le portrait de toutes celles et tous ceux qui font vivre l’école républicaine : de l’enseignante dévouée à l’inspecteur déconnecté des réalités du métier, de l’élève brillant à la petite fille endeuillée, complètement noyée par sa tristesse, des collègues péremptoires au père d’élève dépassé, la comédienne joue tous les rôles avec une énergie incroyable. C’était drôle et vrai. Sincère. Les élèves ont été impressionnés par la qualité et la générosité du jeu de la comédienne. C’était un spectacle qui permettait d’aborder l’essence même du théâtre : une humaine sur scène qui incarnait toute une palette de personnages. Sans décor, sans costumes. Juste une humaine. Qui jouait avec nos émotions. Sans oublier de nous faire réfléchir !

En quoi est-ce selon toi un moment privilégié?

Le spectacle vivant est une expérience totale, à la fois intellectuelle et physique. Tous nos sens sont requis pour profiter pleinement de ce qui se joue devant nos yeux. A tout moment, tu peux être « contaminée » par ce qui se passe sur scène. Il y a une sorte de mise en danger de ton univers, de ton intégrité, de ton identité. Certes il y a le fameux « quatrième mur » qui te protège de ce qui se passe sur scène, mais ce quatrième mur semble souvent prêt à s’effondrer ( nombreux sont les spectacles contemporains où les comédien.ne.s franchissent allégrement ce fameux mur). D’ailleurs c’était assez édifiant, lors de la sortie avec les 6e dont j’ai parlée précédemment, certains n’avaient pas les codes propres au théâtre et quand la comédienne interpellait les élèves imaginaires de sa classe, certains élèves répondaient à voix haute, ils n’avaient pas compris que c’était la particularité du jeu théâtral. Ces sorties sont essentielles aussi pour ça : elles apprennent à nos élèves à appréhender les règles du jeu. Du jeu de la vie en société, cette société qui s’est construite avant eux sur des traditions, des codes que nous nous devons de leur transmettre pour mieux qu’ils les transgressent, ou les transforment à l’avenir.

On espère qu’on vous donnera envie d’amener vos élèves au théâtre, à l’opéra, dans des salles de concert, dans des festivals, partout où le spectacle doit avoir lieu!

on vous laisse avec les salles préférées de Colette

Le Champ de Foire à Saint André de Cubzac

Le TNBA

L’espace culturel du Bois Fleuri

 

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