L’intelligence du cœur ou le manuel des émotions à glisser dans tous les casiers d’enseignants

J’ai découvert Isabelle Filiozat grâce à un carnet offert par Colette à mes jujux

En ce qui concerne ce petit cahier d’activités, on a mis du temps à se l’approprier parce que faire entrer Isabelle Filliozat dans sa vie, c’est accepter de lire, d’entendre des choses qui vont nous déranger et nous percuter mais c’est aussi en sortir un peu changé et bouleversé dans ses habitudes et dans ses relations aux autres.

Dans les rayons de ma nouvelle bibliothèque, il y  avait donc l‘Intelligence du cœur, avec un petit macaron « reconnu d’utilité personnelle », j’ajouterai à personnelle « collective ».

 

Isabelle Filliozat est psychologue, elle a écrit de nombreux articles, a beaucoup critiqué l’éducation nationale, ce qui a toujours un peu le don de m’agacer mais peut être qu’un jour j’écrirai un petit coup de griffe contre ces auteurs qui vivent en très grande majorité grâce aux deniers d’enseignants et qui contribuent, l’air de rien, à creuser les inégalités face à l’éducation.

Dans le titre, j’ai évoqué le côté utile de cet ouvrage parce qu’il est vraiment conçu comme ça. Elle commence son ouvrage par définir ce qu’est une émotion puis après les traite toutes une par une dans un chapitre. Les tristesses, les  peurs, les colères, les joies, les amours et donne enfin quelques conseils pour les reconnaître, les exprimer, les vivre au grand jour et donc aussi les accepter chez les autres.

Les compétences socio-émotionnelles m’étaient inconnues jusqu’à il y a 5-6 ans  quand j’ai commencé à m’intéresser aux sciences cognitives. Je m’y intéresse et j’essaie de m’auto-former sur ces-dernières depuis l’an dernier après la lecture d’Heureux d’apprendre à l’école de Catherine Gueguen.

Les deux auteures nous expliquent que sans gestion des émotions, inutile d’essayer de développer quoi que ce soit avec les élèves. C’est la base. Si l’élève ne sent pas en sécurité, en confiance, vous pourrez dérouler le meilleur scénario pédagogique, il sera complètement inefficace.

Comme je l’ai dit la semaine dernière dans ma chronique pédagogique, nous sommes complètement incompétents et nos élèves très inégaux face à la gestion des émotions. Alors on peut retenir de ce livre quelques outils pour s’auto-former et quelques passages qui m’ont interpellés.  Je vous les confie ainsi.

D’abord j’ai beaucoup aimé et je réutiliserai, je pense, lors de séances de vie de classe le questionnaire qui permet d’évaluer son quotient émotionnel. Ce petit exercice a le mérite d’être ludique et l’élève peut le faire lui même sans montrer ses résultats à l’enseignant s’il ne le souhaite pas. Il s’agit de calculer après une trentaine de questions son quotient émotionnel.

Ensuite, je vous livre quelques réflexions qui m’ont interpellée et qui m’ont fait réfléchir sur le discours ou l’attitude que je peux avoir face à mes élèves.

« la seule façon de ne pas transmettre aux autres frustrations, rages, terreurs ou désespoirs, c’est de les partager ». Oui, on peut partager sans attendre une plainte ou un réconfort d’ailleurs mais pour expliquer un état d’esprit, une décision et pour que les élèves ne fassent pas d’amalgame. On peut être en colère par exemple parce que les élèves n’adhèrent pas à une séance sur laquelle on n’ a passé du temps, on peut être déçu par son travail personnel mais on n’est pas en colère contre ces élèves, on ne les déteste pas.  Et puis communiquer sur le coup permet d’éviter d’emmagasiner des frustrations  et d’être aigri.

Elle évoque le désir plutôt que le défi. Le défi se fait sous la contrainte, la peur, le regard de l’autre. Alors que le désir est lié à l’anticipation d’un plaisir. Cette phrase est importante pour moi parce qu’elle doit être reliée à la motivation intrinsèque, à ce qui motive l’élève intérieurement, à la volonté de progresser, et non à la motivation extrinsèque, à la note. Trop souvent, le système challenge les élèves, leur donne des objectifs à atteindre et finit par les paralyser. Le fameux « et si j’y arrive pas », et là je sais de quoi je parle, j’étais de ceux là en tant qu’élève.

A plusieurs reprises, elle nous explique comment passer par la communication non violente pour exprimer son émotion et surtout celle de la colère qui se rattache toujours selon elle à une cause plus profonde telle qu’une blessure intérieure, de la frustration ou encore un manque. On en reparlera plus tard mais la communication non violente est un outil dont on ne nous parle jamais lors de nos formations et c’est bien regrettable. On devrait maîtriser cet art de la communication à la perfection afin de pouvoir le transmettre. Heureusement, de plus en plus de collègues du primaire l’enseigne et j’ai bon espoir que d’ici quelques années, on ait de plus en plus d’élèves capables de communiquer sans violence mais il faut aussi former les enseignants et quand on voit le prix de ces formations, c’est juste scandaleux qu’elles ne soient pas inscrites dans notre programme de formation.

Toujours dans le cadre de cette nécessité de communiquer, elle insiste sur l’importance de la réconciliation, du pardon, du refus et de l’exposition d’un besoin. Là ces quelques pages m’ont renvoyé à mes énervements ou mes lassitudes personnelles, j’essaie de plus en plus d’exprimer ce besoin le plus clairement et calmement possible même si je dois admettre que parfois je sens ma voix vaciller, ce qui me fait penser d’abord que comme je le disais plus haut, la communication non violente ça s’apprend et qu’ensuite ça doit renvoyer en moi à des « blessures d’enfant intérieur » comme elle le dit souvent que je n’arrive pas encore à identifier clairement ! Oui ce livre peut avoir une petite vertu thérapeutique. Pour la communication non violente, le livre de référence est bien évidemment celui de Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)

J’ai aussi beaucoup aimé le chapitre sur la tristesse puisqu’il m’a permis effectivement de prendre conscience que souvent elle est à rattacher à un sentiment de perte et de déception, nous avons fait le choix de vivre toujours beaucoup entouré, cela peut avoir des avantages mais aussi des inconvénients et c’est vrai que je suis toujours très triste quand on se coupe la parole ou qu’on dit à un enfant de se taire parce que sa parole d’enfant est jugée moins légitime que celle d’un adulte, moi-même je peux avoir ce défaut là d’ailleurs. Or si on renvoie ces situations familiales ou amicales à la classe, la déception peut être quotidienne, elle peut même se présenter pour les enfants réservés ou atypiques plusieurs fois par jour. Je me suis donc aussi posée la question de ma place d’enseignante dans le groupe classe, à quel moment on sollicite, on encourage, on laisse un élève tranquille, si on peut dire, face au groupe classe.

Autre réflexion intéressante sur le choix, elle insiste sur le fait que la société d’abondance dans laquelle nous vivons nous paralyse d’une part et d’autre part que trop souvent nous faisons des choix par contrainte, par rapport à une éducation, à des conseils d’adultes qui nous entourent et du coup si le choix ne nous convient pas on emmagasine une forme de frustration qui va engendrer de la tristesse et de la colère. Alors là aussi, j’ai eu envie de retenir ce passage d’autant plus que parallèlement à ce livre, j’ai lu un article dans le dernier Flow qui proposait une méthode où quand on est face à un choix, on pose 5 valeurs qui sont non négociables pour nous pour pouvoir faire ce choix. Ces valeurs peuvent être matérielles (le prix, le temps, …), esthétiques mais aussi elles peuvent être liées à des besoins, ce choix doit me permettre de vivre l’aventure, le risque, passer du temps en famille, me passionner pour un sujet, me permettre d’exprimer ma créativité, me rendre heureux,…. et là du coup on entre à mon sens dans quelque chose qui va nous rendre véritablement heureux et l’abondance, l’enthousiasme et la joie sont communicatifs, enfin je pense… Dans le cadre de mon métier, maintenant, je fais ce qui me plaît dans le respect des programmes bien sûr mais si j’ai envie de passer plus de temps sur un thème plutôt que sur un autre je le fais parce que souvent l’élève y trouve aussi plus d’intérêt.

Enfin, elle m’ a fait découvrir Le conte des chaudoudoux qui rejoint un peu l’idée que j’ai développé dans le paragraphe précédent : plus on porte de l’attention les uns aux autres, plus le monde est doux et bienveillant, alors comme je suis intimement persuadée que notre société du XXIème a besoin de douceur et de bienveillance, je vous pose ici le lien pour aller lire le conte des chaudoudoux et je vous invite à l’offrir à votre tour pour que  petit à petit notre société  se remplisse de chaudoudoux, oui, pour que le monde soit imprégné de cette douceur.

Chaudoudoux

Je vous souhaite une bonne semaine de lecture riche en émotions et en découvertes sur ce sujet.

 

Nos élèves et leurs valises : constat d’urgence!

Pour ce mois de Novembre, nous parlerons des émotions dans tous leurs états.

Pourquoi parlez de ça ?  Parce que de plus en plus, nous faisons le constat, Colette et moi, et d’autres collègues d’ailleurs, que nous ne pouvons pas prendre nos élèves  en tant qu’élèves mais dans leur ensemble c’est-à-dire en tant qu’enfants et adolescents avec tout ce qu’ils vivent dans leur vie, les chamboulements qu’ils connaissent personnellement, leurs premières fois, et leur vie familiale souvent très compliquée .  Néanmoins ce constat, je ne l’ai pas fait l’an dernier mais dès le début de ma carrière :  je me souviens de mon année de néo-titulaire en région parisienne. Quelques jours après la rentrée, une élève n’ avait toujours pas de cahier. Je prends ma voie la plus sèche et lui demande son carnet, mets un mot,  une retenue pour rattraper les premières heures du cours non notées sur ce cahier.  La jeune fille a des larmes qui roulent silencieusement sur ses joues, je n’y prête au départ pas attention.  Comme elle est en 5ème, je mets ça sur le compte du peu de punition qu’elle a eu jusqu’à présent, elle est vexée et c’était sans doute ce que j’espérais. Je lui rétorque qu’elle n’avait qu’à y penser et là d’une voix froide, elle m’explique que depuis la fin du mois d’Août, elle est dans un mobil home avec sa maman, elles ont du quitter précipitamment le foyer conjugal … Depuis ce jour, je fais toujours attention au moins au ton que j’emprunte pour punir ce qui relève d’un travail ou d’une attitude qui concerne mon cours mais qui se fait dans la sphère familiale.

Toutefois, depuis le début de la crise sanitaire, nous faisons tout de même le constat que la gestion des émotions de nos élèves est de plus en plus compliquée et qu’elle est devenue indispensable pour créer une ambiance de travail favorable.

Alors pour prendre la mesure de cette nécessité, je vous livre quelques situations qui m’ont le plus touchée ces dernières années.

 

J a 11 ans, il est en sixième, au moment de l’appel, il n’est pas là, une élève de la classe me signale  qu’il s’est caché sous l’escalier et refuse de venir en histoire-géographie parce que j’ai prévu un travail de groupe. Par chance, cette classe a une AESH qui me propose de partir à sa recherche. J est derrière la porte et se met à piétiner et taper dans le mur en opinant de la tête pour me signifier qu’il ne rentrera pas dans la classe, c’était il y a 4 ans et je l’ai envoyé décharger sa colère, sa tristesse chez les CPE, j’étais complètement démunie et surtout je ne savais pas gérer l’élève, seule face aux 24 autres élèves qui attendaient pour se mettre au travail.

C a 15 ans, elle est en troisième, nous sommes en Janvier dernier et le soir même notre premier ministre a prévu une allocution. On pourrait se demander pourquoi  un discours de Jean Castex a une incidence dans la vie de cette jeune fille, elle travaille en groupe avec un élève un peu compliqué et assez agressif avec ses camarades, il lui demande si elle avait vu sa mère pendant les vacances de Noël et là C pleure, toutes les larmes de son corps, ne s’arrête pas. Entre deux sanglots, elle me dit qu’elle a peur de ce que va annoncer le ministre, elle ne veut pas être confinée avec sa « fausse grand-mère ». Je comprends alors que cette jeune fille vit avec son père et sa belle-mère actuellement hospitalisée pour une fin de grossesse difficile et qu’elle est du coup gardée par la maman de sa belle-mère avec qui elle ne s’entend pas. Le démêlage de sa vie dure longtemps, il faut faire parler, rassurer, calmer et remettre au travail. J’ai retrouvé C au bout de 20 bonnes minutes et quelques kleenex, mais j’ai perdu une bonne partie du reste de la classe.

P veut sortir de classe, il réclame à aller prendre du sucre, pas de PAI à ma connaissance, il est grand en Terminale et malgré mon interdiction de sortir de classe, il quitte la classe en colère. Il est allé prendre du sucre, on avait oublié de me dire que depuis l’an dernier, il est en décrochage scolaire et a développé des troubles alimentaires. A son retour en classe, je m’excuse, exprime mon besoin, la nécessité pour moi de savoir où il est, j’en suis encore responsable. La situation s’apaise et le cours redémarre.

Pour finir I a 19 ans, je ne l’ai jamais vue en classe, uniquement en TD en distanciel et par mail, la veille de son premier TD en présentiel, elle m’a écrit à 23h45, elle vient d’avoir une crise d’angoisse en apprenant que sa mère a un cancer du sein, elle est seule dans son studio d’étudiante et a préféré se rendre aux urgences psychiatriques seule, elle a eu peur de ce qu’elle ressentait et de faire une bêtise… Je n’ai pas eu d’autres solutions que d’être dans une empathie virtuelle tout au long du semestre.

Des histoires comme ça, j’en ai choisi 4, mais j’aurais pu en écrire un nombre incroyable. Elles concernent mes élèves que j’aime, oui, je le dis, que j’aime, je ne sais pas faire autrement, ils  me touchent, ils ont entre 11 et 22 ans maintenant avec les vacations que j’ai l’occasion de réaliser et pour tous, je suis parfaitement consciente qu’il s’agit d’une histoire de gestion d’émotions, la colère, la peur, la tristesse, la joie parfois, je suis aussi parfaitement consciente de mon incompétence dans certaines situations. On se sent démuni et désarmé parce qu’accueillir les émotions de nos élèves nécessitent de savoir gérer les nôtres. Pendant très longtemps, je  fuyais les moments où les élèves avaient envie de s’épancher et de raconter leur vie parce que je pleurais tout le temps. Maintenant j’ai arrêté de chercher à me blinder, je pleure avec eux. Alors je suis intimement convaincue que pour que notre société du début du XXIème siècle aille mieux (oui l’heure est grave et je suis grandiloquente)  nous n’avons plus le choix, en tant qu’enseignant nous devons savoir percevoir ces émotions, les recevoir et les accompagner. Comme pour de nombreuses réflexions qui nous animent, Colette et moi, nous avons saisi l’ampleur du problème, nous sommes en formation, en auto- formation parce que notre institution ne nous propose absolument rien ou si peu, parce qu’il y a bien quelques directions, formations qui s’y mettent mais c’est loin d’être généralisé, alors on vous propose quelques outils bricolés, glanés par ci par là tout ce mois-ci.

 

Chronique pédagogique – Le conseil coopératif

Dans notre dernier article, Aude évoquait la formation à l’oral, à la prise de parole dont ses grands élèves sont demandeurs.

Depuis que j’ai lu avec avidité le livre Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée, un livre de Guillaume Caron, Laurent Fillion, Céline Scy et Yasmine Vasseur, je ne jure que par le conseil coopératif en vie de classe et il me semble que c’est un excellent moyen de former à la prise de parole en assemblée, une prise de parole qui respecte à la fois les principes démocratiques et les compétences psycho-émotionnelles essentielles pour avancer ensemble.

Il s’agit d’organiser un moment propice à l’échange autour des sujets qui fondent la vie d’une classe .

Pour encadrer ce moment, un.e président.e dirige la séance, un distributeur ou une distributrice de parole gère les prises de parole, un.e gardien.ne du temps répartit le temps accordé aux différents ordres du jour et un.e gardien.n.e du calme fait de la médiation si nécessaire.

Chaque conseil est divisé en 3 grands moment :

1. Les remerciements et félicitations.

2. Les ordres du jour

3. Les propositions de solution.

Ce sont les élèves seul.e.s qui font conseil, l’enseignant.e peut participer mais doit respecter les mêmes règles de prise de parole que les autres participant.e.s. Il faut donc accepter de descendre de son piédestal, s’asseoir parmi les élèves, lever la main, attendre qu’on vous interroge et accepter que votre proposition ne soit pas retenue par l’assemblée ! Un exercice inhabituel mais tellement passionnant !

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Vendredi, mes élèves de 6e E ont organisé notre deuxième conseil coopératif : Noé était président, Naya gardienne du calme, Lucien gardien du temps et Auguste distributeur de parole. On a commencé par les remerciements. C’est vraiment mon moment préféré. Ces espaces de gratitude sont si rares dans notre société que c’est un véritable délice de les entendre se remercier. « Je voudrais remercier Auguste d’avoir écouté nos demandes au dernier conseil coopératif, j’ai remarqué qu’il ne poussait plus dans le rang » ou encore « je remercie Nina et Audrey d’être là pour moi quand ça va mal ». Quant à moi j’ai remercié Prunille d’avoir accepté d’aller en accompagnement pédagogique une heure de plus par semaine alors que je sais que le travail personnel est une vraie souffrance pour elle.

On est ensuite passé aux ordres du jour. Une boîte est posée au fond de la salle A09 et les élèves peuvent y déposer leurs demandes au fil des 15 jours qui séparent nos séances de vie de classe. Au début, les élèves ont eu un peu de mal à se passer de moi, ils me jetaient des coups d’œil, attendant sans doute mon approbation. C’est vrai que certains ordres du jour sont surprenants : « Pourrait-on organiser des cours sur l’amour ? » ou encore  » J’ai un problème avec Arthur. Signé : Arthur. » Mais peu à peu, ils ont pris de l’assurance. Il faut dire que notre président de séance était d’un calme incroyable et a su cadrer la parole avec beaucoup d’efficacité et de sérénité. J’ai appris beaucoup en l’observant. La séance a eu du mal à se terminer parce qu’en 15 jours, de nombreux ordres du jour s’étaient accumulés dans la boîte verte du fond de la salle. Mais les élèves ont essayé de trouver des solutions à tous les problèmes soulevés. Il en reste encore une poignée qui seront abordés dans 15 jours.

J’aime particulièrement ces moments car les élèves y respectent plus que jamais le tour de parole. Il semblerait qu’à ce moment là, ils expérimentent le prix de la parole de l’autre, comme s’ils pressentaient qu’elle pouvait changer quelque chose, cette précieuse parole. Changer ce qui se joue entre eux, changer ce qu’on peut vivre au collège et les changer eux-mêmes. Ce sont de tout petits pas, certes, mais qui gagneraient à être généralisés au moins une fois par semaine. C’est ainsi qu’on apprend à faire corps, me semble-t-il. En se parlant. En s’écoutant.

On a une devise au collège depuis la rentrée, une initiative que nous devons à une cheffe d’établissement incroyable. Notre devise c’est « Croire en soi, réussir ensemble ». Il me semble que c’est exactement ce que nous enseigne le conseil coopératif.

 

 

 

 

Mettre de la philosophie dans sa pratique pédagogique

Suite à nos échanges autour de la philosophie des deux dernières semaines, nous vous invitons aujourd’hui à découvrir les supports que nous aimons tout particulièrement proposés à nos enfants ou à nos élèves pour glisser un peu de réflexion métaphysique dans nos pratiques pédagogiques !

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Pour les tout-petits

Les P’tits philosophes de Sophie Furlaud et Jean-Charles Pettier, Dorothée de Monfreid et Soledad Bravi.

J’ai découvert les ateliers de philosophie en maternelle avec un superbe film documentaire de Pierre Barougier et Jean-Pierre Pozzi joliment intitulé Ce n’est qu’un début. On y suit une enseignante de maternelle,Pascaline Dogliani, à la Mée-sur-Seine dans une ZEP de Seine-et-Marne qui met en place des ateliers philosophiques avec ses élèves. Et c’est vraiment une expérience étonnante, vivifiante et motivante que de voir ces tout petits aborder des questions existentielles avec la naïveté, le sérieux et la curiosité caractéristiques de la petite enfance.

L’enseignante travaille notamment à partir de livres et surtout à partir de la rubrique de Pomme d’api intitulée « Les p’tits philosophes » dont les aventures ont été regroupées dans un bel album qui porte le même nom. On suit à travers différents scénarii un groupe de 4 amis-animaux : Chonchon, Mina, Plume et Raoul, qui se posent les grandes questions universelles au hasard de leur vie quotidienne. Noël est l’occasion de se demander « qu’est-ce qu’un cadeau ? », une promenade à la montagne invite à se demander « pourquoi faut-il faire des efforts ? », faire du vélo sans roulettes est l’occasion de se demander « qu’est-ce que grandir ? »…

En écoutant les dialogues naïfs de nos 4 petits amis-animaux,  ce livre nous invite à avoir une véritable démarche de questionnement qui permet d’aborder avec son enfant une certaine forme de spiritualité qu’on réserve encore trop d’habitude aux « grands ». La formation de l’esprit critique, l’apprentissage du débat, de l’écoute de l’autre commence dès que l’enfant entre dans le langage et qu’il peut mettre des mots sur ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il pense. En s’interrogeant avec Chonchon, Plume, Mina et Raoul, c’est une aventure passionnante engageant toute la famille qui commence : l’enfant est accompagné dans ses questions par ses parents et les parents se fabriquent un nouveau regard sur le monde face à des questions qu’ils n’osaient parfois plus se poser.

Prendre le temps ENSEMBLE de s’interroger sur la vie, l’humain, le monde est une aventure de tous les instants que ce petit livre nous invite à partager. Alors tout devient prétexte à philosopher !

Et, franchement, la vie est vraiment plus rigolote quand elle est bousculée par des questions d’enfant !

Alors :

1) Non seulement ce livre est l’occasion de s’interroger sur le monde

2) mais c’est aussi le moyen de formuler avec son enfant des réponses aux questions qui le turlupinent

3) et surtout c’est l’occasion de discuter ensemble, de partager un vrai dialogue un peu en dehors du temps et du quotidien !

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Pour les plus grands

Les Goûters philo, une collection de Brigitte Labbé aux éditions Milan.

J’ai découvert cette collection, il y a fort longtemps puisque c’était lorsque j’étais animatrice en Centre de vacances et de loisirs nous avions pris le livre au mot et deux fois par semaine à l’ombre des platanes sous la chaleur écrasante de l’été nous lisions un petit livre aux enfants âgés de 8 à 12 ans puis nous débattions avec notre goûter  des sujets traités : la mort, l’amour, le travail. C’est probablement l’un de mes meilleurs souvenirs de pédagogies quand j’y repense. Rien n’était préparé, pas d’objectifs notionnels à atteindre, pas de compétences travaillées, juste le plaisir d’échanger avec des petits d’hommes sur des questions universelles.

Mes filles les ont aussi beaucoup utilisés à peu près dans les mêmes conditions à l’école en CM1 CM2.

Donc on vous le conseille pour

1/ Échanger entre générations : adultes, enfants, personnes âgées. Il permet malgré tout un échange en grand groupe (10-12 personnes) avec un bâton de parole par exemple

2/ Commencer l’apprentissage de l’argumentation en relançant la discussion sur les propos tenus dans le livre puis ceux des intervenants au débat

3/ Pour débattre partout, le format poche est quand même idéal à mettre dans le sac à dos lors d’une randonnée, dans la cour de recréation, dans la forêt, sur la plage.

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Pour les ados

Dans cette rubrique, j’évoquerais plutôt des podcasts. J’avais essayé l’an dernier en vie de classe mais il faudrait instaurer un rituel, une fois par période pour que les élèves prennent l’habitude. Les élèves avaient écouté le podcast et pris quelques notes dessus pour ensuite discuter. C’était un peu compliqué parce qu’en grandissant, les adolescents se sentent parfois moins libres de s’exprimer, ils ont peur du regard des autres.

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Celui de Marie Robert a un format idéal de 30 minutes maximum pour ce genre d’expériences

https://www.philosophyissexy.fr/

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On ne serait pas professeur sans évoquer les chemins de la philosophie même si là ça me parait plus ardu et nécessite un temps d’appropriation beaucoup plus important par les adolescents. Il nécessite tout de même d’avoir quelques notions pour se sentir à l’aise avec ce support. Il est à envisager plutôt comme complément d’informations, un travail de documentation afin d’avoir des arguments sur un sujet sur lequel on sera amené à débattre en classe par exemple. En ce qui me concerne je pense à des épisodes sur la notion de démocratie, le racisme ou encore le terrorisme.

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie?p=7

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On aime les podcast parce que c’est gratuit et facile d’accès : les archives sont nombreuses et on peut les archiver sur un padlet par exemple. C’est un format que l’élève peut écouter partout, je ne suis pas fan mais puisqu’ils ont leur téléphone greffé à leurs mains et leurs écouteurs sans fil tout le temps dans les oreilles, autant qu’ils aient de la connaissance diffusée dans leur corps. 😉

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Des jeux à tout âge

Je n’ai jamais testé mais j’ai bien envie d’acquérir le jeu « Dis ta vie »

Le jeu permet aux adolescents de répondre à des questions pas forcément philosophiques comme « Quel est ton rêve le plus fou? »,  « Quel est ton meilleur souvenir de vacances ? » etc.  Un jeu qui peut libérer la parole et permettre à certains, parfois en difficulté sur des sujets qui leur semblent justement trop philosophiques, de prendre la parole et de l’assurance à l’oral.

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« Un brin de jasette » a été notre premier jeu pour discuter à la maison : à travers plus de 250 questions, enfants et parents apprennent à parler de soi, à faire parler de soi, à discuter de ses peurs, de ses désirs, et ce quel que soit son âge. Un de nos jeux favoris pendant les repas.  Il semble ne plus être édité mais on le trouve encore sur les sites d’occasion ou en vide-greniers.

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Les éditions Minus proposent elles aussi une kyrielle de jeux pour lancer le débat, ouvrir la parole, faire fuser les conversations. A là maison, on a testé le kit de discussion « A table » qui alterne des sujets de discussion et des gages pour échapper aux sujets qui dérangent.

Plus récemment, j’ai reçu pour mon anniversaire le jeu « Dilemmes absurdes » qui invitent à débattre à partir de sujets originaux, parfois absurdes mais toujours très riches.

Plusieurs autres titres sont disponibles à découvrir sur le site de cet éditeur hors du commun.

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Voici quelques ressources parfaitement incomplètes mais en  cours de construction. Il est important pour nous de permettre dans tous les cas d’établir une relation de confiance où l’élève va pouvoir débattre, argumenter, converser sans jugement.

Frédéric Lenoir, qui est un des spécialistes de la pratique de la philosophie à l’école en France,  rappelle qu’il est nécessaire d’établir un cadre précis et des rituels pour instaurer cette prise de parole confiante.

Il rappelle aussi l’importance de cette pratique dès le plus jeune âge pour permettre le développement de la créativité, de l’argumentation, de l’esprit critique mais aussi de la tolérance et de la communication non violente.

Pour découvrir ce philosophe, on vous conseille l’épisode n° 1 du podcast Innovation en éducation « La philo et la méditation à l’école, ça marche ».

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Lors de mon cours sur la démocratie en première, nous évoquions le grand débat qui a eu lieu suite à la crise des gilets jaunes et aux réunions mises en place dans le cadre d’une démocratie participative. Certains élèves, à juste titre, évoquaient leur probable incapacité à prendre part à ce genre de réunion parce qu’ils ne sentent pas suffisamment former et expert dans cet exercice pour y participer. Voilà tout est dit, je pense, dans cette réflexion d’élèves du haut de leur 16-17 ans :  ils attendent d’apprendre  à débattre, ils sont prêts, il n’y a plus qu’à se doter des bons outils.

Le Voyage de Pénélope : lecture croisée.

Aujourd’hui, on vous propose une lecture croisée sur le voyage de Pénélope dont je vous avais livré ma chronique la semaine dernière. mais cette fois-ci Colette se joint à moi pour partager ces réflexions sur cet ouvrage.

J’ai donc posé quelques questions à Colette sur sa lecture et sur les questions que le livre avait soulevé chez moi, j’en ai profité pour répondre à quelques unes de ces réflexions aussi.

On vous souhaite une bonne lecture et des minutes de découvertes philosophiques.

1/ J’ai découvert Marie Robert pendant le confinement avec ses billets philosophiques sur instagram et toi, comment l’as tu découverte? Qu’est ce que tu aimes chez cette autrice?

 

C: J’ai envie de rire en lisant cette question ! C’est toi qui m’as fait découvrir Marie Robert et son compte Instagram « pilosophy is sexy » au cours d’une de nos conversations virtuelles ! Ce que j’aime dans ses mini-chroniques sur ce réseau social, c’est qu’elle a su le détourner de sa fonction première qui est de montrer l’instant. Sur son compte, ce n’est pas l’image qui importe mais les mots. C’est bien joué, je trouve, de réussir à donner à penser philosophiquement sur un réseau qui invite tellement au superficiel. Et puis elle réussit à mettre la réflexion philosophique à la portée de toutes et tous, au gré du quotidien et des expériences humaines. On n’est pas dans la transcendance, on est dans l’immanence !

 

2/ En tant que grande lectrice, qu’as tu pensé de l’histoire de ce livre? Du schéma narratif ? Des personnages principaux et secondaires de ce roman?

 

C: Je n’ai pas vraiment adhéré au personnage principal, une Pénélope que j’ai trouvée artificielle, manichéenne. Je n’ai pas non plus adhéré au rythme de la narration que j’ai trouvé irréaliste : les évènements s’enchaînent à un rythme soutenu, Pénélope passe de la dépression à l’euphorie en quelques mois, elle voyage de pays en pays sans problème, elle guérit de sa dépression en un claquement de doigts, tous les problèmes rencontrés (et pas des moindres : chômage, rupture) sont résolus en quelques pages. J’avoue, je n’y ai pas cru, je n’ai pas pu m’identifier à ce personnage et on sait ô combien l’identification est une étape essentielle en littérature.  Malgré tout, les personnages de ce roman sont des personnages attachants et positifs mais sans la profondeur que j’aime à explorer dans les récits réalistes. Mais ce roman a vraiment quelque chose d’original, grâce aux immersions qu’il nous propose dans des univers de philosophes jusque là complètement inconnus pour moi. Les pages dédiées à Averroès, Christine de Pisan, Machiavel ou Spinoza sont de belles invitations à se plonger dans leurs écrits !

 

3/ Comme je l’ai dit dans ma chronique, ce livre m’a beaucoup questionné ? A-t-il soulevé chez toi autant de questionnements? Si oui lesquels ?

 

C: Sans doute ma lecture a-t-elle été influencée par ta chronique littéraire que j’avais lue avant de commencer ce roman. Par conséquent, je savais d’avance les interrogations que ce livre avait soulever chez toi mais je pense que je n’ai pas été aussi sensible que toi à certaines thématiques comme celle du voyage et de l’aventure. Je dirai que la principale question que ce livre a soulevé chez moi c’est : mais pourquoi ne mettons-nous pas plus de philosophie dans nos vies, dans nos rapports aux autres et à nous-mêmes ? En effet, je suis certaine que le questionnement philosophique est une compétence essentielle pour affronter et faire partie du monde contemporain, tel qu’il est, particulièrement imparfait, incertain et inquiétant.

 

4/ Maintenant permets moi de t’embarquer dans mes questionnements : quelle place a la philosophie dans ta vie personnelle et dans ta vie professionnelle?

 

C: Je n’ai pas adoré la philosophie dans mes études, pourtant en section littéraire, c’était une matière fondamentale mais que je n’ai pu découvrir qu’en terminale… Un peu court pour se faire une idée juste de ce qu’est la philosophie. Surtout que c’était une discipline que nous n’abordions qu’à travers une ribambelle de concepts qui allaient un peu à contre courant de ce que l’expérience nous avait appris. La liberté, que j’avais enfin l’impression de toucher du doigt, avec la philosophie devenait quelque chose de compliqué. Pas de coup de foudre, donc !

C’est en devenant mère, que j’ai redécouvert la philosophie grâce à un magasine pour enfants, Pomme d’Api, dans lequel tous les mois, on retrouvait Les P’tits philosophes de Dorothée de Monfreid. Et là, enfin, on se posait de vraies et belles questions qui bousculent et donnent du grain à moudre en soi même : qu’est-ce que la mort ? Pourquoi faut-il faire des efforts ? Qu’est-ce qu’un ami ? Avec mes enfants, tout-petits à ce moment là, ce fut l’occasion de débats, d’échanges, de confrontation d’idées. Des moments particulièrement précieux.

Et puis j’ai vu Ce n’est qu’un début de Jean-Pierre Pozzi, un documentaire qui nous donne à voir une initiation au débat philosophique en maternelle. On y suit une enseignante de maternelle, Pascaline Dogliani, à la Mée-sur-Seine dans une ZEP de Seine-et-Marne qui met en place des ateliers philosophiques avec ses élèves. Et c’est vraiment une expérience étonnante, vivifiante et motivante que de voir ces tout-petits aborder des questions existentielles avec la naïveté, le sérieux et la curiosité caractéristiques de la petite enfance.

 

A: Jusqu’à présent, il y avait très peu de place pour la philosophie dans ma vie. Comme toi, je n’ai pas du tout accrochée à ces cours lors de mon année de terminale. Après pendant mes études, à plusieurs reprises je m’étais fait la réflexion que ça me manquait dans le cadre de cours d’histoire politique, de géopolitique ou de géographie des représentations.

Dans ma vie de jeune animatrice en colonie de vacances, j’ai découvert la collection des gouters philo chez Milan jeunesse dont on parlera la semaine prochaine et j’ai trouvé ça super chouette d’avoir un petit bouquin rapide à lire qui peut servir de supports à des discussions pourtant essentiels avec les enfants !

Il n’y a que très peu de temps, que je considère qu’il est nécessaire d’initier les enfants à la philosophie ou aux réflexions philosophiques bien avant la terminale.

Je dirai donc qu’actuellement, j’aimerais dans un premier temps, approfondir mes connaissances dans cette discipline pour mieux m’en servir et mieux la transmettre, voire faire des projets autour de l’éloquence par exemple !

 

4bis? Quel rapport as-tu au voyage, à la quête de sens à travers le voyage, la fuite même? Penses- tu que cela puisse être une solution?

 

C: Vaste question ! Le voyage me fait peur… Je suis persuadée que l’aventure est au coin de la rue, dans les mots d’un livre ou entre les murs de ma salle de classe, alors le voyage ne m’a jamais fait rêver. Par contre, je vis avec quelqu’un qui adore voyager, qui ne se projette que dans les escapades prévues pendant les vacances et qui aurait adoré vivre à l’étranger. Nous avons du faire des compromis mutuellement et grâce à lui, j’ai découvert la joie de la découverte d’autres horizons. Mais ce n’est pas une chose facile pour moi, je ne suis pas à l’aise à l’étranger. Sans doute parce que je ne parle aucune langue étrangère correctement. Fuir pour moi n’est pas une solution mais ménager des temps d’évasion (on en reparlera peut-être dans un autre article) me semble salvateur étant donné nos modes de vies occidentaux modernes où la routine pourrait très vite nous submerger, nous momifier. La vie c’est le mouvement, non ?

 

A: En ce qui me concerne pour le moment l’absence de voyage ou le très peu de voyage que j’effectue est l’un des plus grands regrets dans ma vie. C’est d’ailleurs quand j’y pense quelque chose qui peut me mettre en colère ou me rendre triste. Quand je fais la liste de tous les lieux que j’aimerais découvrir par moi-même et que je ne peux pas par manque de temps, d’argent, de personne avec qui y aller. Je suis sur le point de me dire que je vais finir par voyager seul même si cette option me terrorise encore un peu ! C’est une envie qui est considérée dans mon entourage   comme très égoïste parce que je ne passerai du coup pas de temps avec certains membres de ma famille, certaines personnes y compris très proches cherchent toujours à me décourager : pas assez d’argent, pas assez de temps pour des travaux, pas assez de temps en famille. Finalement,  plus ça va plus je me dis que si, on a tout ça ! C’est juste que je dois changer l’ordre des priorités, il faut juste que j’accepte de ne plus céder et de ne plus culpabiliser.

Pourquoi j’attache autant d’importance au voyage. Justement parce que je pense que c’est une ouverture culturelle indispensable, à la fois qui t’ouvre à la rencontre et tu sais combien j’aime la rencontre avec l’autre au sens très large du terme, les individus, la nourriture, les lieux,  la culture, les contes, mais aussi à la réflexion, le voyage te mets dans une position d’insécurité qui te pousse à demander de l’aide, à être observateur, à réfléchir à ton rapport à l’autre….

En revanche, je ne partirais, probablement jamais pour fuir une situation ou pour changer de vie, je suis aussi profondément attachée au dicton quand on ne s’est pas où on va, on s’est toujours d’où l’on vient et j’aime cette idée des lieux refuges. Moi qui ai déménagé 7 fois dans ma vie, j’ai besoin de savoir qu’il y a des lieux qui seront toujours pour moi un point de départ ou un retour aux sources ! ce sont d’ailleurs des lieux où je n’ai jamais habité.

 

4 ter? Qu’est ce que le bonheur selon toi, trop vaste question sans doute? Je dirai plus tôt qu’est-ce que réussir sa vie selon toi? Comment penses-tu accompagner ce questionnement avec tes enfants et avec tes élèves ?

 

C: Question particulièrement difficile en effet… Réussir sa vie selon moi, c’est explorer au mieux ce que l’on est, aussi bien en tant que corps qu’en tant qu’esprit. Explorer dans le sens de faire l’effort constant de fouiller, de chercher, d’interroger, et de savourer ce qu’on trouve, même si c’est décevant par rapport à nos fantasmes, rêves, attentes. Apprendre à aimer ce qu’on va trouver au bout de nos recherches. Se mettre à l’épreuve.

 

Je ne sais pas comment j’accompagne ce questionnement avec mes enfants ou mes élèves. En prenant le temps d’écouter peut-être. De faire attention à leurs besoins et d’essayer de leur montrer comment dire ses besoins sans honte, sans fard. L’utilisation du message clair en classe est un outil qui m’y aide et que j’utilise aussi en famille dès que possible. Tu sais à quel point la lecture du livre de Marshall B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) a été une révélation pour moi. Je pense qu’accompagner les enfants à cerner ce qui les nourrit est essentiel pour vivre une vie épanouie.

 

A: Je t’ai posé cette question, parce que dans mon sketchnote de rentrée, j’avais mis une case projet et un élève a répondu être heureux tout simplement, alors que je n’avais même pas pensé à cette réponse et que moi aussi je me suis souvent dit et même encore j’associe trop souvent le bonheur à des projets, des carrières, des évolutions, des avancées, des changements, bref à du mouvement. Même si de plus en plus, je me rends compte que le bonheur se niche dans des toutes petites situations, là tout le temps, un livre avec un thé, un morceau de musique qu’on aime bien, une promenade, le chaleur du soleil sur son épaule,…Donc pour moi réussir sa vie c’est justement avoir la capacité de se dire, là ici et maintenant je suis bien, je me sens bien avec les bonnes personnes, le bon travail,… je me lève et je sais que quoiqu’il arrive je vais être contente de ma journée.

Justement j’essaie de leur enseigner ça qu’il faut savoir profiter de ce que nous offre la vie, et qu’il faut savoir se saisir de tout y compris du pain noir.

De plus en plus j’ai à cœur de leur dire que rien n’est déterminant dans la vie, les choix qu’ils font sont importants mais ce n’est pas déterminant, je leur dis aussi de mettre de côté les injonctions, les « quand dira-t-on ? » et le regard des autres. La vie est trop courte et peut s’arrêter brutalement donc il faut savoir profiter de ce que l’on a et faire ce que l’on a envie et ce pourquoi on a l’intuition que ça va nous faire du bien  et arrêter de s’imposer des personnes, des actions qui nous agacent!

 

 

5/ Enfin j’ai évoqué la pratique de la philosophie à l’école, qu’en penses tu ? En quoi cela sera nécessaire voire indispensable?

 

C: Comme je l’ai dit plus haut, je pense que faire de la philosophie dès le plus jeune âge, dès le début de la parole, avec des enfants de petite, moyenne et grande section, soignerait bien des maux de notre école et de notre société. Savoir interroger qui l’on est en tant qu’humain, faisant partie d’une espèce, permettrait de remettre très tôt l’individu à sa juste place, notamment au milieu des autres humains, mais aussi au cœur de la nature et de l’univers. La philosophie, si elle faisait partie de nos vies quotidiennes, permettrait de relativiser un certain nombre de problèmes, qui n’en sont que parce que nous y plaquons un discours social sclérosant…

 

A: Si je t’ai posé la question c’est parce que je pense qu’il faut vraiment initier dès le plus jeunes âge les enfants et nos élèves à réfléchir, dire ce qu’ils ressentent, interroger le bien, le mal, la douleur, l’amour, l’amitié, la passion, le travail, notre rapport à la nature,….notre quotidien universel à tous. Il faut être « sages » avant d’être vieux c’est à ce prix-là que notre société va entrer en transition ! c’est hyper idéologique de ma part mais je pense qu’il faut savoir s’interroger sur ce que nous vivons en permanence. Ce matin on me demandait de m’inscrire à des ateliers de réflexion sur l’évaluation et il y en avait un intitulé comment être juste dans notre travail d’évaluation ? J’ai trouvé que c’était très philosophique comme question et très intéressant de prendre le temps de discuter de ça ensemble entre professionnel de l’évaluation. Pourtant je n’ai pas fait ce choix parce que je savais que la réaction de certains collègues et le manque d’accompagnement que l’on aurait sur cette question me rendrait triste d’assister finalement à un atelier qui va s’avérer stérile.

 

6/ Comme je sais que tu le pratiques comment tu t’y prends?

 

C: Comme je le disais à la question 4, après avoir vu Ce n’est qu’un début, comme toujours, quand je suis inspirée par une pratique pédagogique, je l’ai tenté avec mes élèves. Alors avec mes 6e Fynn, en 2015, on a organisé sur le temps de Vie de classe, des petits déjeuners philosophiques : je lisais un album, nous cherchions ensemble une problématique suscitée par l’album et les élèves débattaient ensemble pour proposer des réponses à cette problématique. Les élèves apportaient des crêpes, des brioches, des cookies, des jus de fruits. C’était un moment hors du temps et particulièrement riche. J’ai réitéré l’expérience en partenariat avec la CDC de la commune à laquelle est rattaché le collège. Une intervenant est venue pour mener des débats philosophiques en classe. Depuis, j’essaie d’en organiser au moins un au cours d’une séquence de littérature.

 

7/ Quelle est la réaction des élèves?

 

C: Ce sont des heures incroyables ! D’un seul coup, ils prennent une toute autre dimension : des êtres pensants à part entière. Ils s’interrogent, proposent des réponses, s’écoutent VRAIMENT pour tisser du lien entre leurs différentes visions des choses. Ils n’ont pas encore les concepts, mais ils ont l’expérience et finalement c’est le plus important. Comme tout se passe à l’oral, les plus en difficulté dans le système scolaire français qui base presque tout sur l’écrit, trouvent leur place. Et leurs débats sont toujours constructifs…

 

8/ Je te laisse cette citation à méditer.

«  Pénélope tu n’es pas ici par hasard. Tu veux vivre quelque chose, ton cœur brûle, ta tête t’assaille de réflexions mais tu refuses de plonger. […] Tu sais chaque individu a un rôle à jouer. Chaque personne peut utiliser la force de son esprit pour devenir acteur de son existence et du monde qui l’entoure »

Quel est ton point de vue là-dessus ?

 

C: J’en suis entièrement convaincue : dans le microcosme humain, chaque être compte et aura de l’influence sur les autres rouages qui composent notre humanité. Après, il nous faut aussi relativiser : à l’échelle cosmique, nous ne sommes que d’infimes « poussières d’étoiles », pour reprendre l’expression d’un astrophysicien cher à mon cœur, Hubert Reeves, qui m’a fait beaucoup réfléchir jeune adulte quand je l’ai découvert. Sciences et philosophie ont tellement de points communs. J’espère qu’on aura l’occasion d’en reparler !

 

A: Je pense que nous avons une destinée dans laquelle nous avons un rôle à jouer mais les hasards n’en sont pas toujours. J’écoute actuellement beaucoup de podcasts qui évoque la question de l’intuition, je pense qu’on se crée des situations qui correspondent à nos besoins. Surtout oui nous sommes acteurs de nos propres vies, plus que celle des autres d’ailleurs, on fait un métier dans lequel on sait très bien que tu peux tendre la main et la personne en face ne peut malheureusement jamais la saisir. C’est très personnel mais je comprends de moins en moins et ne supportent plus les personnes qui rejettent la faute sur toi, ou les autres, qui évoquent toujours les contraintes avant les possibilités, qui ne se donnent pas les moyens de devenir effectivement acteur de leur vie ! Justement nous sommes que de passages, des poussières d’étoiles alors en gros pour moi il vaut mieux être et vivre en âme et conscience. Comme on dit il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets !

 

Le Voyage de Pénélope, une odyssée de la pensée, Marie Robert.

J’aime chez Marie Robert @philosophyissexy sa capacité à parler du sens de nos vies en collant à l’actualité, à nos besoins, avec des mots simples. Elle a ce sixième sens qu’est l’intuition, celui de deviner ce que les gens ont besoin de lire pour entamer la journée. Je vous invite d’ailleurs à aller la découvrir sur ces différents réseaux sociaux : https://www.philosophyissexy.fr/

Alors quand son livre est sorti en début d’hiver, j’étais très attirée par sa lecture, il faisait partie de ma booklist. Il a fallu un petit cadeau et le début de l’été pour me plonger quelques jours dans l’Odyssée de Pénélope. Quelle audace de se dire : « et tiens si Pénélope arrêter d’attendre Ulysse ». Je triche un peu, ce n’est pas vraiment cette histoire que Marie Robert nous raconte. Mais j’aime assez l’idée et je me dis que si j’avais un peu plus de talent et de patience pour écrire, c’est probablement ce que je ferai.

Marie Robert nous invite donc à suivre le cheminement de Pénélope qui vient de quitter Victor son compagnon rencontré en Terminale. Il a tout du gendre idéal, il est architecte, il plaît à ses parents. Quant à elle, elle a 30 ans, elle fait des études de droits sans trop savoir pourquoi, elle a un travail auquel elle ne trouve aucun sens, elle se pose des milliers de questions et vit une vie étriquée « parfaite au premiers abords : un travail, un compagnon, des amis, une famille mais des milliers de questions en sourdine qui l’empêche de vivre en grand,  puis un jour, elle se lève avec des grains de sable sur ses pieds et décide de tout « foutre en l’air », de tout remettre en cause, de tout quitter et de partir à Ithaque à la rencontre de Pénélope celle de l’Odyssée. A partir de là, bien évidemment, elle n’arrive pas à Ithaque mais bien plus loin grâce aux rencontres de la vie qui lui font parcourir l’Europe des philosophes de l’Antiquité au XVIIIème siècle.

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Que m’apporte la lecture de ce livre ? Des questionnements plus que jamais ! Est-ce dû à l’âge – le milieu de vie approchant… ? A ce changement de vie qui m’attend et à la peur mêlée à l’excitation qu’il me donne, au fait qu’il correspondait à ma dernière étape dans mes projections au long cours ?

D’abord je suis toujours admirative de ces personnes qui peuvent tout larguer pour partir à l’aventure, je me suis toujours demandée si j’en étais capable et c’est très philosophique justement mais je suis pour le moment de ceux qui pensent que pour vivre heureux il faut vivre prudemment. Aurais-je un jour des regrets moi aussi de ne pas avoir tenté la grande aventure ? D’accepter de me laisser porter par la vie, les rencontres, le hasard, le destin ?

Ensuite, au pouvoir de la rencontre, j’aime cette idée que nos vies sont intimement liées les unes aux autres et que parfois les rencontres que vous pensez éphémères, hasardeuses, professionnelles,… deviennent des rencontres fondatrices qu’elles soient très courtes comme la rencontre de Pénélope avec la DJ Jeanne dans le train qui la mène d’Amsterdam à Berlin ou plus longue et qui, pour vous ne savez quelle raison,  s’arrêtent. Je sais désormais qu’il faut savoir les saisir, j’aime la magie de la rencontre et je reconnais dans ma vie que j’ai rencontré des personnes parfois que j’ai fréquentées très peu de temps mais qui m’ont apporté bien plus que ce que je pensais. Je pense à ce poète des temps modernes qui faisait écrire des maximes sur des feuilles des platanes à l’encre de Chine à des enfants en colonie de vacances en Touraine. J’avais 20 ans et la trouille au ventre de ne pas réussir mes études, de ne jamais rencontrer mon âme sœur, de ne pas avoir d’amis qui m’accompagneraient jusqu’au bout de la vie. Il m’a offert un conte au creux de l’oreille à la belle étoile qui parlait du poète Antonio Machado parce que je lisais la nuit tard quand les enfants étaient tous endormis L’alchimiste de Paulo Coelho. Tous ces textes avaient un point commun la quête de sens  : qu’est-ce qu’on cherche dans vie ? Je ne lui ai jamais dit mais « Merci, le sens de la vie n’est pas le but mais le chemin. »

Mais revenons-en à ma question : est-ce que j’arrive à bien entretenir ces rencontres, est-ce que je leur rends la pareille ? Est que ces rencontres me servent autant à moi qu’à elles ? Et je m’interroge sur ma capacité à communiquer ce que je ressens mais aussi à écouter, à saisir les messages. Suis-je moi-même une belle rencontre ?

Troisième questionnement : qu’est-ce qu’être heureux ? A quel moment on a réussi sa vie ? Vous savez le fameux épisode de la rolex à 50 ans, ces injonctions de la société, un mari ou une femme des enfants avant 35 ans, une situation stable être propriétaire,… Injonctions qui, même si aujourd’hui tout le monde reconnaît que ça ne tient pas à ça, sont malgré tout persistantes dans nos inconscients collectifs.

Quelle place pour la philosophie dans ma vie et même dans nos vies ? Pour la plupart d’entre nous, nous en faisons 4*36H en Terminale puis après plus rien. Avec la crise sanitaire, depuis un an et demi je me suis souvent interrogée sur la place des sciences humaines dans notre société : est ce que si on accordait plus de place à la réflexion, à la philosophie, aux sciences sociales, à l’histoire, la géographie, l’anthropologie, la sociologie, la littérature, les sciences politiques, est ce qu’on aurait géré cette crise autrement individuellement et collectivement ?

Enfin parce qu’en tant qu’enseignante, elle me fait me demander si on ne peut pas en faire avant de la philosophie ? Comment ? à quelle hauteur ? Avec quelle légitimité, vous savez quand on n’a pas un capes de philosophie a priori on ne peut pas enseigner cette discipline et cette question renvoie aux limites de notre projet éducatif pour la société du XXIème siècle, le cloisonnement des matières, le manque d’heure, les choix que nous devons faire.

Alors voilà vous l’aurez sans doute compris cette lecture m’a un peu retourné non par l’histoire car des voyages qui servent à découvrir le sens de la vie, il y en a des milliers mais parce que Marie Robert a bien cette capacité à nous parler de tout ça avec des mots simples, à transmettre cette passion pour la philosophie avec beaucoup de simplicité, elle a dépoussiéré la philosophie.

Je m’en vais d’ailleurs de ce pas lire sa newsletter qui m’attend dans ma boîte mail – délice du café du dimanche après-midi avant la sieste. Et puis je vais commander ses deux autres ouvrages dans ma librairie préférée !

Ils sont très grands!

Pour cette première brève pédagogique, j’avais besoin de poser des mots sur ma première rentrée au lycée. Cette mutation était liée à une volonté de changer de lieu de vie et non à un besoin d’évoluer professionnellement. J’aimais le collège, je ne dis pas qu’un jour, je n’y reviendrai pas et je pense que j’avais encore une marge de progression. Quand j’ai appris la nouvelle d’ailleurs, mes sentiments étaient partagés parce que justement j’avais le sentiment que je n’avais pas exploré toutes les possibilités que pouvaient m’offrir le collège.

Alors me voilà au lycée, professeure principale d’une classe de première avec des groupes de Première et de Terminale en tronc commun et un groupe en spécialité. Oui parce qu’avec la réforme du lycée, nous n’avons plus des classes mais des groupes avec des élèves qui ne se connaissent que très peu au final et du coup il n’y a pas forcément la dynamique d’une Classe justement. Tiens un premier changement !

Petit à petit, je pose mes marques, ils ne se rangent jamais et certains s’assoient dans la salle avant même que je n’arrive. Personnellement j’aime bien accueillir mes élèves, je ne suis pas attachée au rang quasi militaire mais j’aime ce moment où ils passent la porte un à un pour que je leur dise bonjour, or au lycée, vous pouvez ne jamais avoir ce moment, alors depuis 15 jours inlassablement je leur demande d’éteindre leur téléphone dans le couloir, je leur demande de se ranger parce que j’ai à cœur de dire bonjour à chacun de mes élèves personnellement.

Autre nouveauté, la moitié de mes élèves sont espagnols, je n’ai donc pas d’élève à l’aise à l’oral, le cours d’histoire géographie et encore plus d’EMC est difficile pour eux parce qu’ils n’ont pas tout le prérequis des cours du collège qui en font des élèves presque formatés, c’est un peu bête mais ils posent un regard presque exotique sur la révolution française ou les principes et valeurs républicains.

J’ai des élèves qui sont autonomes et qui travaillent à la maison pour une grande majorité d’entre eux. Ils prennent des notes, assument leur personnalité, leurs looks vestimentaires, leurs réflexions et leur façon de penser naissante,…. Je pourrai décliner mes découvertes sur mon public lycéen encore sur quelques lignes,…

Pourquoi passer un peu de temps sur ces anecdotes ? parce que cette rentrée avec des très grands n’est faite que de petits moments comme ça où il faut s’apprivoiser, apprendre à se connaître, s’adapter, accommoder avec les élèves mais aussi les collègues, les contraintes, le lieu… pour que dans quelques années, tout soit fluide, pour que je puisse d’ici quelques temps déployer tout mon art au sens artisan du terme, pédagogique.

Oui parce que dans le même temps, les problématiques comme les moments de miracles pédagogiques sont les mêmes qu’ailleurs. Comment leur donner confiance en eux ? Comment susciter de l’ambition ? Comment leur montrer qu’un ailleurs est possible pour apprécier d’autant plus le retour ici dans quelques années, voire décennies au bord de la mer. Comment gérer l’hétérogénéité ? Comment les faire progresser ? Comment différencier ? Comment harmoniser les pratiques pédagogiques ? Comment travailler en équipe ? Quels projets monter ? ….

Cette rentrée avec des très grands me permet effectivement de constater que nos élèves d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient, sont les adultes de demain, mais aussi les enfants d’aujourd’hui avec deux ans de vie masqués, un rapport aux autres chamboulé,…. et nous nous devons ou plutôt je me dois d’être à la hauteur de cette idée, je me dois de les accompagner pour qu’ils deviennent la meilleure version d’eux-mêmes. Ces pierres précieuses que l’on façonne nous les enseignants exigent un travail d’orfèvre, j’en suis plus que jamais convaincue.

Aude

Les Héritières

Aujourd’hui, petit retour sur notre séance ciné-pédagogique dédiée au film Les Héritières de Nolwen Lemesle, un film qui suit Sanou, élève brillante, qui a grandi dans le 93 et intègre le prestigieux lycée Henri-IV. En échange d’une bourse, elle devient la tutrice de Khady, une élève de son ancien collège. Au fil de l’année, les deux jeunes femmes affirment leurs choix. Ce film nous a bousculées, alors on vous en parle par ici !

Les Héritières, Nolwen Lemesle, 2021.

L’école de l’ambition

Tout d’abord, une question cruciale : pourquoi as-tu aimé ce film ? Pourquoi me l’avoir conseillé ?

J’ai aimé ce film parce qu’il parle de l’ambition si difficile à  faire naître chez les adolescents. Ils sont faits de telle manière qu’ils ont quand même beaucoup de mal à se projeter d’abord parce qu’ils ne connaissent finalement que peu de choses du fait de leur jeune âge puis que selon leur milieu social, les horizons sont tellement bouchés qu’ils ne peuvent pas se projeter dans quoi que ce soit. Je te l’ai conseillé parce que c’est aussi une histoire de femmes : je reste persuadé parce qu’on les éduque comme ça qu’elles ont plus d’ambition scolaire que les garçons et quand même temps cette ambition est étouffée par les familles. Il y a plus de femmes en médecines que d’hommes qui réussissent mais elles ne sont que très peu dans des spécialités longues de chirurgie, il y a plus de femmes que d’hommes dans l’éducation mais elles sont majoritaires dans l’enseignement élémentaire et au collège et beaucoup moins au lycée et encore moins à l’université. En outre, et  c’est d’ailleurs un véritable fléau dans les R.E.P : l’éducation genrée inconsciente qui fait qu’en gros les filles doivent être sages et scolaires, ne pas faire de vague, voire être transparentes, alors que ces messieurs peuvent et doivent exister par le paraître, la confrontation, le règne dans la cour de récréation

Des personnages habités !

 Contrairement à d’autres films sur l’école que nous avons aimés voir, ici ce sont des élèves qui sont mises en avant. Le binôme Kadhi et Sanou est un binôme subtil. Qu’en as-tu pensé ?

Il pose la question du tutorat, de la coopération, de l’entraide. Comment on l’enseigne, comment on le transmet ? Qui le fait, le professeur principal, le prof d’histoire-géographie-EMC ? Toute la communauté éducative? Ne doit-on pas envisager là aussi de réfléchir à une progression commune comme un programme de lettres, de maths ou d’histoire-géographie.  Au départ il est imposé par la CPE, il est d’ailleurs soumis à des conditions que ni l’une ni l’autre n’a intérêt à ce qu’il capote. Pour Sanou, il est synonyme d’argent indispensable à ses yeux pour être acceptée par son nouveau groupe classe. Le problème du sweat « cohésion de classe » à 30 euros qu’elle ne peut pas payer est déterminant pour comprendre l’intérêt du tutorat.  Il finit par fonctionner et encore là aussi la scène du petit frère oublié par Kadhi montre la difficulté des adolescents à s’entourer « des bonnes personnes » aux yeux des adultes et la difficulté de la mise en place du tutorat parce qu’il est encore dans nos écoles, dans notre société encore trop ponctuel, c’est un mode de transmission qui être très peut utilisé même si il est très noble à mes yeux. d’ailleurs quand tu commences ta carrière d’enseignants tu as un tuteur, à mon sens on devrait en avoir un pendant plusieurs années et surtout quand on a en besoin, quand on change d’établissement par exemple, d’entreprise, de travail, et à tous les âges de la vie, même pour le départ à la retraite.

Des valeurs, une famille sans long discours, où chacun.e a une place prédéfinie : les incursions dans l’appartement de la famille de Sanou renforce le discours donné sur l’école et montre à quel point les valeurs promues par un pays ne sont pas forcément en adéquation avec les valeurs de tous ses citoyens, toutes ses citoyennes. Qu’en as-tu pensé ?

C’est tout le problème de notre projet de société en France, une nation française qui se rassemble autour de valeurs parfois si peu vécues dans les familles, je pense surtout à l’égalité filles-garçons, et l’école a un grand rôle à jouer là dedans en faisant entrer aussi les parents dans l’école, en éduquant constamment l’ensemble de la société. L’actualité nous le montre encore récemment sur la question de la vaccination et la liberté. Les valeurs sont mal comprises mais parce que là aussi on ne se donne sans doute pas les moyens de bien faire le lien entre notre projet de société et ses valeurs et les choix qu’un gouvernement fait. Les familles sont représentatives des familles en difficulté : elles sont rattrapées par leur culture par exemple. La maman de Sanou a un rôle important, elles veut que ses filles s’en sortent, elles est très pointilleuses sur l’usage de la langue française dans les conversations familiales et dans le même temps pour le papa, aux yeux des autres familles ce qui est important c’est d’aller chercher son petit frère au foot le vendredi soir. Néanmoins dans la famille de Sanou il y a malgré tout une famille très unie, très solidaire. Les nouveaux camarades de Sanou ne sont jamais vus dans leur famille, excepté la scène de la fête où d’ailleurs les parents sont absents.Souvent aussi de nombreuses familles n’ont pas connaissance de toutes les aides dont elles pourraient bénéficier, à un moment c’est en pointillé mais on comprend que la famille de Kadhi bénéficie d’un HLM depuis peu de temps, Kadhi dit ne pas aimer ce logement parce qu’il lui rappelle l’absence de son père. Là aussi tout est question de moyens, de communication, d’accompagnement, il faut accompagner les Françaises et les Français dans ses démarches, et dans le même temps quand ils n’en ont plus besoin, les accompagner pour passer à une situation moins dépendantes des aides sociales mais encore faut-il se donner les moyens de cet accompagnement. Ma sœur et ma belle-sœur travaillent dans le social et se plaignent que chaque année, le nombre de familles qu’elles suivent augmentent sans moyens supplémentaires.

La seule adulte représentative du système scolaire c’est la CPE, Mme Lebel. Elle semble jouer un rôle déterminant dans l’orientation des élèves, un rôle dont je n’ai jamais été témoin. Qu’en as-tu pensé ? Est-ce crédible ?

Les CPE ont souvent un point de vue différent, ils, elles ciblent bien souvent les personnalités des élèves les plus pénibles bien plus rapidement et avec beaucoup plus de nuances que nous. Disons qu’en entretien individuel avec l’enfant puis la famille, elles saisissent la partie immergée de l’iceberg. Ils, elles ont aussi la place que le chef d’établissement leur donne, certaines ont presque un rôle d’adjoint et elles accompagnent beaucoup l’orientation, dans certains établissements, elles ne font que de la discipline mais je pense que leur métier change. Ils, elles sont les acteurs et les actrices pour moi justement de tout ce qui est nécessaire dans un projet éducatif du XXIème en tant que création d’un lien entre les familles et les profs, la mise en place de la coopération, l’éducation au compétences socio-émotionnelles. Lors du conseil de classe, en arrière plan il y a des billets de gratitude sur la fenêtre de son bureau, les élèves semblent avoir remercié des profs, d’autres élèves … Je trouve que c’est une bonne initiative.

Sanou, Kadhi, Mme Lebel, les sœurs et la mère de Sanou  : les femmes sont à l’honneur dans ce film. Est-ce que pour toi cela a un rapport avec le titre ? Comment as-tu compris ce titre ? De quoi les protagonistes sont-elles les héritières d’après toi ?

Les femmes sont avant tout les héritières d’un système sociétal patriarcal. Elles ont inconsciemment acquis chacune de leur place et même si elles ont toutes consciences qu’elles doivent se plier à la volonté du chef de famille, elles ont aussi parfaitement compris et essaient de saisir les droits qu’elles ont. Mme Lebel incarne l’idéal vers lequel on devrait aller. Le fil témoigne aussi d’une solidarité féminine, une sororité et pour illustrer cette notion, j’aime beaucoup l’amitié naissante de Sanou avec sa camarade de classe d’Henri IV. Avec beaucoup de subtilité, elle lui apprend les codes

Une vision ambivalente du système scolaire français

 Une école à deux vitesses : n’est-ce pas le sujet de film ?

Malheureusement oui, nous ne le savons que trop bien. Je conseille d’ailleurs de regarder un reportage un peu ancien réalisé par arte qui suit des jeunes scolarisés au lycée Janson de Sailly de la seconde jusqu’à leur 26 ans. La pression, l’exigence n’est pas la même que dans aucun autre établissement. Je ne savais même pas que c’était possible mais à un moment donné tu comprends que les élèves font le programme de 1ère en seconde, et de terminale en première et des chapitres de prépa en terminale. Meilleure élève en Seine St Denis, elle n’arrive pas à raccrocher les wagons et aucune aide n’est apporté.

La scène de demande d’audience pour en rentrer en SI m’a semblé complètement surréaliste, improbable dans un lycée lamba : en avais-tu déjà entendu parler ?

Oui pour moi aussi cette scène n’est pas réaliste surtout même dans la continuité du film, le rôle des délégués de classe est quand même incarné par une histoire de sweat à slogan, ce qui laisse penser qu’il y a peu de place pour la parole des élèves et là on lui accorde un entretien. Après dans les pratiques actuelles, je trouverais ça normal qu’on écoute un.e élève qui veut expliquer ses résultats. On en a déjà parlé toutes les deux mais nous sommes pour des conseils de classes de 6 heures où chaque élève viendrait assister à son compte rendu;). Après avec la réforme du lycée, il n’y a plus de filière SI contingenté en principe, tous les lycées sont sensés proposer cette option comme toutes les autres, dans les faits c’est moins sur.

Une France à deux vitesses : n’est-ce pas aussi -et surtout- le sujet de ce film ?

Oui aussi et je dirai même à 3, 4, 5. Parce que les différents groupes sociaux s’ignorent, se méconnaissent. C’est l’une de mes plus grandes préoccupations actuellement, nous manquons incroyablement de cohésion, et d’ailleurs petit note d’humour, si on m’avait dit, quand j’ai commencé ma carrière, que je trouverais ça génial de travailler en partenariat avec l’armée (via le biais d’une classe défense et sécurité globale) pour travailler ce principe républicain plus que jamais indispensable à faire acquérir à mes élèves, je ne l’aurai pas cru 😉 alors que je suis profondément antimilitariste. Mais plus je lis et regarde cette institution, plus je me dis que c’est la seule encore un peu capable de proposer une chance pour tous et toutes de faire carrière et d’y progresser rapidement.

En temps que géographe, as-tu apprécié la manière de la réalisatrice de filmer Paris et sa banlieue, notamment le plan panoramique final depuis les bâtiments de la BNF  ?

Ce n’est pas à ça que j’ai accordé le plus d’importance, néanmoins dans ce film je trouve qu’on rentre dans les différents territoires par la grande échelle, la macro, la chambre universitaire, le CDI du collège et la bibliothèque d’Henri IV, les appartements du XVI et l’appartement de la famille de Sanou, les cages d’escaliers, le périph qu’on ne traverse pas. D’ailleurs quand je suis à Paris sur des lignes comme la 4 ou la 5, je suis toujours surprise de voir qu’il y a des lieux qu’on ne franchit pas : les Halles, St Michel… Ce sont des stations où le métro se vide d’une certaine catégorie de population et se remplit d’une autre, les gens se croisent sur 10 secondes sur un quai.

Pour finir, comme nous aimons faire des liens entre la manière dont nous enseignons et les films que nous voyons, pourquoi nos collèges et nos lycées publics (de REP notamment) ne pourraient-ils pas s’inspirer de ces parcours d’excellence qui mettent le travail au cœur de la scolarité ?

Ce film m’interroge notamment sur notre niveau d’exigence… Parce qu’aujourd’hui et là aussi, on l’a déjà évoqué dans « Ecrire pour exister », il y a aussi deux visions de l’enseignement. Celle encore basée sur un système méritocratique avec le plus on est bon et plus on accède aux filières d’excellence qui se caractérisent par les classes prépa et les grandes écoles dont certaines familles ignorent l’existence d’ailleurs, y compris d’excellents élèves (j’en ai deux dans mes proches;) et une vision de l’enseignement qui prône le bien être à l’école, la bienveillance. Mais trop souvent, y compris chez une majorité d’enseignant, la bienveillance ne rime pas avec exigence et c’est d’ailleurs faux. Les ouvrages de discipline positive expliquent bien qu’être bienveillant ce n’est pas baisser le niveau ou ajuster les notes ou les niveaux de compétences pour faire monter un taux de réussite, c’est évaluer le progrès plutôt que le niveau, c’est mettre en valeur les efforts plutôt qu’un trait de caractère, c’est donner des conseils plutôt que condamner. Dans le film, j’avais retenu la violence de l’appréciation d’un de ses professeurs de Prépa sur Sanou : « erreur de casting ». Le niveau d’exigence, on doit l’instaurer individuellement chacun dans sa pratique. Il faut inlassablement nous auto-former parce que l’institution ne nous propose rien surtout dans les bons établissements parce que l’ensemble de la société s’imagine qu’un bon lycée = des bons profs mais quand on sait comment ça marche, un bon lycée= un vieux prof;) motivé – ou pas d’ailleurs !

Des films à l’école, sur l’école, dans l’école !

Depuis plusieurs années, avec plusieurs collègues-amies, on s’est organisé régulièrement des séances de cinéma pédagogique. Parce que les films qui mettent l’école à l’honneur nous tiennent à cœur, nous voulions vous en présenter quelques uns en ce mois de septembre 2021. Voilà donc quelques idées de films qui ont retenu notre attention au fil des ans !

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Dans la vidéothèque de Colette

En 2018, sortait au cinéma, La Vie scolaire de Grand Corps Malade et Mehdi Idir. Pour la fan absolue de Grand corps malade que je suis, cette sortie était déjà un évènement. Mais quand une collègue m’a appris que toute l’équipe venait pour une avant-première dans un cinéma proche du collège où je travaille, alors là ce fut l’hystérie générale 🙂 Alors avec un certain nombre de mes collègues – nos C.P.E, des enseignant.e.s, notre chef, des A.E.D – on a été à l’avant-première ! J’avais même embarqué mes deux enfants, alors que je me doutais bien que certaines scènes ne seraient pas très adaptées à leur âge 🙂 Mais il n’y avait personne pour les garder alors ils en ont profité ! Tout ça pour vous dire que ce film a été un petit évènement dans ma vie de prof à tous les niveaux. Et aussitôt vu, aussitôt programmé dans mes projets de l’année suivante. Et le 10 Septembre 2019, nous avons amené 4 classes de 3e le voir au cinéma. S’en sont suivis de longs débats interprétatifs, mêlant analyse cinématographique et lecture de paysages. Un travail interdisciplinaire géographie-français qui depuis 2 ans rythme mon début d’année.
La Vie scolaire, Grand Corps Malade et Mehdi Idir, 2018.
Ah, oui, le speech ! Alors dans ce film on suit Samia Zibrat, une C.P.E qui vient de changer de région et qui arrive dans le collège des Francs-Moisins, à Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, à la rentrée. On découvre au fil des plans, toute l’équipe pédagogique du collège, les assistants d’éducation, la principale, l’équipe enseignante. Personne n’est oublié, caractéristiques intéressante à souligner car les films sur l’école se borne souvent à l’équipe enseignante. Là, c’est ce qui se passe à la vie scolaire qui est mis en avant. Mais c’est aussi surtout ce qui se passe dans une classe de 3e, une classe de 3e comme on en connaît tant, sans option, sans projet, sans… horizon, que les réalisateurs filment. On va s’intéresser alors à un élève en particulier, Yanis. Un jeune qui n’a sa place nulle part et qui en a cruellement conscience. Le film dessine alors une série de scènes du quotidien en entrecroisant de manière poétique le parcours de Samia, CPE, et celui de Yanis, élève de 3e. Les deux personnages sont en quête d’eux mêmes. Et leurs quêtes se répondent. Et c’est ce que j’ai tant aimé dans ce film là : les adultes apprennent aux enfants, les enfants apprennent aux adultes. Bien plus qu’on ne le croit.

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En 2015 sortait au cinéma Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar. Toujours inspirée par ma work wife, j’ai regardé ce film pour préparer une sortie scolaire où nous avions eu l’immense surprise de rencontrer l’un des acteurs principaux du film, Ahmed Dramé. Rencontre improbable, généreuse, magique dans un cinéma d’une petite ville de Gironde.

Là encore, il est question de projet. Cette fois c’est la professeure d’histoire d’une classe de seconde peu travailleuse où de nombreuses tensions sont perceptibles, qui décide d’inscrire ses élèves au concours national de la résistance et de la déportation. Le sujet cette année là : « Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi ». Un sujet qui déjà ne peut laisser le spectateur/la spectatrice indifférent.e. Anne Gueguen, la professeure d’histoire, grâce à sa confiance solide et exigeante en ses élèves, va les accompagner dans leurs recherches, les guidant lors d’une visite du Mémorial de la Shoah ou encore les préparant à la rencontre avec Léon Zyguel, rescapé des camps d’Auschwitz et de Buchenwald. Au fil du film, le groupe se crée, se soude, apprend à coopérer, apprend à chercher, apprend à trouver, à se faire confiance, à faire confiance à l’enseignante, à faire confiance à leur capacité de réussir. Sans parler des connaissances qu’ils accumulent sur cette année là, devenant des spécialistes d’un sujet particulièrement pointu.

Ce film là, en fait on l’a en commun ! Aude l’a découvert grâce à un élève qu’elle avait amené à la commémoration du 6 Juin 44 en présence des présidents américains et français. Au retour, une clé usb déposée sur le bureau, quelques mots : « je ne sais pas si vous connaissez mais il m’a fait penser à vous. » Merci Q….. à vie !

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Dans la vidéothèque d’Aude

D’abord il y a Le Cercle des poètes disparus avec Robin Williams et son innovation pédagogique. Il s’agit du professeur Keating qui est chargé d’enseigner la pédagogie dans un collège prestigieux du nord des Etats-Unis, il va abandonner le bon vieux manuel pour leur faire vivre la poésie, pour leur faire incarner les Lettres, pour vivre l’instant présent. Alors bien sur, ça finit mal mais il y a aussi des élèves qui s’affirment, qui développent leurs points de vue, leurs personnalité, qui vivent ! C’est un des premiers films que j’ai vu et qui m’a fait dire que je serais sans doute à ma place dans une classe. J’étais encore au collège !

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Il y a aussi ça commence aujourd’hui de Bertrand Tavernier avec Philippe Torreton. Cet acteur de la comédie française joue le rôle d’un professeur de Maternelle aussi directeur d’école dans une ZEP dans le Nord de la France. Le film dépeint cette misère sociale que l’on perçoit dans les classes, à peine, et qui peut être si facilement dissimulé par les enfants eux mêmes, puis un jour un regard sur le cuir chevelu, une odeur désagréable, des sanglots, des cris et les valises de problèmes que nos élèves doivent porter, nous explosent à la figure, nous rappellent qu’on ne peut pas ne pas s’impliquer personnellement, qu’on ne peut pas juste enseigner. Ce film qui a maintenant 22 ans met aussi en évidence, l’absence de soutien de la part de la hiérarchie dans les écoles, la solidarité entre les enseignants et enfin l’importance de la pédagogie de projet, j’aime l’idée qu’ils ont de « cabosser la cour de récré de couleurs » pour la kermesse de fin d’année, c’est sans doute grâce à ce film que je n’ai jamais eu peur d’enseigner en R.E.P. J’avais 17 ans et je me souviens être sortie de la salle de ciné en me disant :  » c’est sûr, t’as fait le bon choix ». Quelques années plus tard, je me souviens d’A. en 6ème qui avait une écharpe autour du cou, je lui demandais régulièrement de l’enlever parce que je trouvais qu’il faisait très chaud et à chaque fois, il me répondait avec un grand sourire : « Mais non ça va Madame, je n’ai pas chaud, tout va bien ». Puis un matin A. il n’était plus en classe, il avait été récupéré par son père le soir tard parce que son beau père le maltraitait. Parfois, même 8 ans après je pense à lui et au fait que je n’ai rien vu …

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Et vous, des films à l’école, sur l’école, dans l’école à nous conseiller ?

Ecrire pour exister- Côté pédagogie.

Pour compléter la chronique publiée hier, aujourd’hui Aude et moi vous livrons le fruit de nos réflexions pédagogiques liées au visionnage du film Ecrire pour exister.
Freedom Writers, Richard LaGravenese, 2007
Toi qui as vu un certain nombre de films sur la pédagogie ou qui ont pour cadre l’école, que dirais-tu que ce film a de particulier ? Pourquoi a-t-il retenu ton attention ? Aude. – Justement, je trouve qu’il fait très quelconque au début comme de nombreux films sur l’éducation aux États Unis : tu regardes Sister act 2 ça commence presque pareil mais je trouve ça intéressant parce qu’elle aime ses élèves, parce qu’elle ose s’écouter, je trouve ça aussi intéressant parce que ce film met en avant l’idée qui a longtemps prévalu et qui heureusement a  tendance à disparaître avec les recherches récentes sur les sciences cognitives, que la pédagogie c’est inné, qu’on devient un bon prof sur le tas. Quand j’ai commencé ma carrière, il y a 13 ans, c’était un peu ça. On te jetait en première ligne dans un collège violence et prévention ou ambition réussite et c’est là que tu faisais tes armes, or comme tous les métiers l’enseignement, ça s’apprend, il faut nous former, je regrette encore de me dire que je suis actuellement en train de m’auto-former à la discipline positive parce que tu en as entendu parler et que par chance notre cheffe d’établissement adhère complètement à cette pratique. Même chose pour les pédagogies coopératives ou la pédagogie de projet dont on va parler dans la prochaine question. Si je peux faire un peu de politique, et je ne parle même pas de la réforme des concours qui va mettre sur le terrain des jeunes étudiants qui seront dégoûtés par le métier avant même de commencer parce que non seulement ils n’auront pas le bagage dans le domaine pédagogique et ils ne l’auront pas dans le domaine scientifique, alors si tu as ni l’un ni l’autre comment tu fais de la didactique ? Colette. – Alors justement mon petit bémol concernerait le fait que le film donne un peu l’impression que cette enseignante trouve toute seule en moins d’un an des solutions incroyables à des problèmes de discipline, de démotivation, d’irrespect, de manque de confiance, de méthode de travail quand même particulièrement corsés ! Elle n’est pas du tout accompagnée dans sa première expérience, l’administration de son établissement ne la soutient pas, ses collègues ne sont pas particulièrement encourageants. Et pourtant, elle bouleverse l’ordre des choses à la force de sa seule volonté. Elle s’en donne les moyens certes. Si je compare avec mon propre parcours, je me dis qu’elle a réalisé l’importance du développement des compétences psycho-sociales, l’importance de la coopération bien plus vite que moi ! Je ne sais pas si c’est réaliste de ce point de vue, il m’a fallu lire tellement de bouquins, rencontrer tellement de collègues, essayer tellement de choses pour arriver à observer des progrès dans la relation à l’école de mes élèves que je trouve « suspect » d’y arriver en moins d’un an ! D’un point de vue général, c’est un film très optimiste sur les changements qu’une pédagogie de projet peut entraîner dans la vie sociale, affective et intellectuelle des élèves : est-ce que tu t’y retrouves ? Aude. – Oui complètement ! Ce que j’aime dans la pédagogie de projet, c’est d’abord le lien que tu crées avec tes élèves, tu ne peux pas tricher, à un moment tu t’es tellement investie en temps, intellectuellement, culturellement, émotionnellement que tu ne peux plus te planquer derrières des programmes, des compétences, des fiches et que sais-je… et ça les élèves finissent toujours par percevoir ta sincérité et ton investissement. Ensuite, j’aime observer l’évolution des élèves parce que c’est forcément sur du temps long, ils sont eux aussi obligés de se mouiller, ils ne peuvent plus se cacher, si ça leur plaît, ils foncent aussi ! Colette. – En fait c’est vraiment le message que m’a rappelé le film : si toi, l’enseignante tu fonces, tu es prête à rêver en grand, les élèves suivront, rien ne peut t’arrêter (sauf peut-être un satané virus et encore !) J’ai vraiment eu cette sensation la première année où j’ai enseigné, seule année où j’ai pu vraiment me consacrer corps et âme à mes élèves (parce que je n’avais qu’une classe en responsabilité, parce que je n’avais pas de famille dont j’étais responsable et que je vivais à 10 minutes de mon lieu de travail…) En une année, on a écrit des textes, qu’on a décidés de publier, qu’on a auto-édités avec les moyens du bord, qu’on a vendus lors d’une journée portes-ouvertes au profit d’une association recueillant des fonds pour soigner les cancers pédiatriques, on a participé sur nos Week-ends à des évènements pour l’association en question, on a écrit des sketches à la manière de Desperate Housewives et les élèves ont réussi à me convaincre de jouer ces sketchs en public. On a trouvé une salle, on a répété tout le mois de juin alors que les cours étaient terminés et on a joué devant une salle remplie de gens bien intentionnés ! C’était génial. Je ne sais pas si ces élèves s’en souviennent mais pour moi ce sera une expérience inoubliable ! Quelles activités pédagogiques as-tu retenues parmi celles évoquées dans le film ? Y-en-a-t-il que tu aimerais mettre en place ?  Aude. – je ne sais pas si je retiens une activité mais plutôt des idées véhiculées par ces pratiques. Il y a quatre choses que je retiens : 1) confronter les élèves à la difficulté : on leur donne Le Journal d’Anne Frank pas la version édulcorée, on leur donne un vrai livre pas le librio à deux euros, c’est une question de respect et j’ai presque honte d’en avoir pris presque conscience avec ce film mais là dessus elle a raison, il faut arrêter de rogner pour des histoires de budget parce qu’ils sont trop jeunes ou trop immatures ou trop mauvais. 2) Ils ont droit a du beau, du grand, du rêve. D’ailleurs quand on regarde le matériel Montessori c’est exactement cette idée. Jean Pierre Aurières, qui amène chaque année ses lycéens dans un pays très lointain, est également dans la même démarche, il considère que le voyage est formateur mais le grand, l’inoubliable, celui d’une vie,… doit être accessible y compris en lycée pro ou en filière techno en Seine St Denis. Je me souviens d’élèves amenés à Londres en avion et au retour je me souviens de G. qui m’a dit avec les larmes aux yeux : « Madame merci parce que peut-être que je ne pourrais plus jamais me payer un billet d’avion… » Et je  sais par les décisions qu’il a prises pour son orientation par la suite, qu’il s’est donné les moyens d’avoir de quoi se repayer un billet d’avion! 3)Troisièmement,  ne pas avoir peur du grand projet et ça dans ma pratique j’ai encore un peu de mal à me défaire des croyances limitantes, des contraintes administratives, comme démarcher des personnalités, lever des fonds, mobiliser les collègues,… aller au bout des démarches comme quand elle fait venir la personne qui a caché Anne Franck depuis les Pays Bas ou qu’elle fait imprimer le livre. Les élèves retiendront ça, l’exceptionnel !
Miep Gies (1987)
En 2014 avec notre collègue d’anglais nous avons eu la chance d’assister à la cérémonie de commémoration du débarquement en présence de Barack Obama et François Hollande ! Quand je croise cette génération, ils ne me parlent que de ça, tout le reste c’est à la poubelle comme le cahier vert de l’année de troisième. Alors, si j’ose dire c’est l’indice récupérateur bien plus que ton cours avec tes fiches en comic 12 😉 4) Dernière chose, aimer ses élèves, s’investir personnellement et aller plus loin dans l’accompagnement des compétences socio-émotionnelles. Alors c’est ma ligne de progression actuellement et c’est peut être pour ça que ça me parle, mais là aussi pendant des années, je me suis accrochée à une phrase d’un formateur IUFM qui m’avait dit : « notre boulot s’arrête à la porte du collège sinon après tu te crames émotionnellement » et bien je pense que c’est un métier où on n’ a pas le choix, on doit se cramer émotionnellement c’est à ce prix là que nous prenons du plaisir dans notre métier qui peut parfois être ingrat et à ce prix là que l’on gagne la confiance des élèves et qu’on accompagne leur réussite. Colette. – Tu as dit l’essentiel me semble-t-il ! En tant que professeure de français, je retiens quand même cette superbe idée de faire écrire les élèves sur l’année, dans ses très beaux carnets à l’américaine (ils doivent avoir un nom) qu’ils peuvent laisser, à l’abri, dans l’armoire de la classe s’ils souhaitent que l’enseignante les lisent. Je trouve que cette démarche touche à quelque chose d’essentiel. On n’est plus dans l’évaluation, on n’est plus dans le travail pour acquérir des connaissances, des compétences, etc. On est juste là pour mieux vivre. Mieux être. Ensemble. Et ça passe par une meilleure connaissance de soi, qu’à mon sens, seule l’écriture nous permet. Et quelle confiance. J’ai adoré le moment où elle ouvre l’armoire pour la première fois et où elle trouve TOUS les carnets… A partir de là, leurs relations ne pourra plus jamais être une relation d’enseignant/enseigné. Leur relation est toute autre, c’est une relation de cœur à cœur.

Rendez-vous lundi prochain pour quelques conseils de films qui ont nourri nos réflexions pédagogiques !

     

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