Les Héritières

Aujourd’hui, petit retour sur notre séance ciné-pédagogique dédiée au film Les Héritières de Nolwen Lemesle, un film qui suit Sanou, élève brillante, qui a grandi dans le 93 et intègre le prestigieux lycée Henri-IV. En échange d’une bourse, elle devient la tutrice de Khady, une élève de son ancien collège. Au fil de l’année, les deux jeunes femmes affirment leurs choix. Ce film nous a bousculées, alors on vous en parle par ici !

Les Héritières, Nolwen Lemesle, 2021.

L’école de l’ambition

Tout d’abord, une question cruciale : pourquoi as-tu aimé ce film ? Pourquoi me l’avoir conseillé ?

J’ai aimé ce film parce qu’il parle de l’ambition si difficile à  faire naître chez les adolescents. Ils sont faits de telle manière qu’ils ont quand même beaucoup de mal à se projeter d’abord parce qu’ils ne connaissent finalement que peu de choses du fait de leur jeune âge puis que selon leur milieu social, les horizons sont tellement bouchés qu’ils ne peuvent pas se projeter dans quoi que ce soit. Je te l’ai conseillé parce que c’est aussi une histoire de femmes : je reste persuadé parce qu’on les éduque comme ça qu’elles ont plus d’ambition scolaire que les garçons et quand même temps cette ambition est étouffée par les familles. Il y a plus de femmes en médecines que d’hommes qui réussissent mais elles ne sont que très peu dans des spécialités longues de chirurgie, il y a plus de femmes que d’hommes dans l’éducation mais elles sont majoritaires dans l’enseignement élémentaire et au collège et beaucoup moins au lycée et encore moins à l’université. En outre, et  c’est d’ailleurs un véritable fléau dans les R.E.P : l’éducation genrée inconsciente qui fait qu’en gros les filles doivent être sages et scolaires, ne pas faire de vague, voire être transparentes, alors que ces messieurs peuvent et doivent exister par le paraître, la confrontation, le règne dans la cour de récréation

Des personnages habités !

 Contrairement à d’autres films sur l’école que nous avons aimés voir, ici ce sont des élèves qui sont mises en avant. Le binôme Kadhi et Sanou est un binôme subtil. Qu’en as-tu pensé ?

Il pose la question du tutorat, de la coopération, de l’entraide. Comment on l’enseigne, comment on le transmet ? Qui le fait, le professeur principal, le prof d’histoire-géographie-EMC ? Toute la communauté éducative? Ne doit-on pas envisager là aussi de réfléchir à une progression commune comme un programme de lettres, de maths ou d’histoire-géographie.  Au départ il est imposé par la CPE, il est d’ailleurs soumis à des conditions que ni l’une ni l’autre n’a intérêt à ce qu’il capote. Pour Sanou, il est synonyme d’argent indispensable à ses yeux pour être acceptée par son nouveau groupe classe. Le problème du sweat « cohésion de classe » à 30 euros qu’elle ne peut pas payer est déterminant pour comprendre l’intérêt du tutorat.  Il finit par fonctionner et encore là aussi la scène du petit frère oublié par Kadhi montre la difficulté des adolescents à s’entourer « des bonnes personnes » aux yeux des adultes et la difficulté de la mise en place du tutorat parce qu’il est encore dans nos écoles, dans notre société encore trop ponctuel, c’est un mode de transmission qui être très peut utilisé même si il est très noble à mes yeux. d’ailleurs quand tu commences ta carrière d’enseignants tu as un tuteur, à mon sens on devrait en avoir un pendant plusieurs années et surtout quand on a en besoin, quand on change d’établissement par exemple, d’entreprise, de travail, et à tous les âges de la vie, même pour le départ à la retraite.

Des valeurs, une famille sans long discours, où chacun.e a une place prédéfinie : les incursions dans l’appartement de la famille de Sanou renforce le discours donné sur l’école et montre à quel point les valeurs promues par un pays ne sont pas forcément en adéquation avec les valeurs de tous ses citoyens, toutes ses citoyennes. Qu’en as-tu pensé ?

C’est tout le problème de notre projet de société en France, une nation française qui se rassemble autour de valeurs parfois si peu vécues dans les familles, je pense surtout à l’égalité filles-garçons, et l’école a un grand rôle à jouer là dedans en faisant entrer aussi les parents dans l’école, en éduquant constamment l’ensemble de la société. L’actualité nous le montre encore récemment sur la question de la vaccination et la liberté. Les valeurs sont mal comprises mais parce que là aussi on ne se donne sans doute pas les moyens de bien faire le lien entre notre projet de société et ses valeurs et les choix qu’un gouvernement fait. Les familles sont représentatives des familles en difficulté : elles sont rattrapées par leur culture par exemple. La maman de Sanou a un rôle important, elles veut que ses filles s’en sortent, elles est très pointilleuses sur l’usage de la langue française dans les conversations familiales et dans le même temps pour le papa, aux yeux des autres familles ce qui est important c’est d’aller chercher son petit frère au foot le vendredi soir. Néanmoins dans la famille de Sanou il y a malgré tout une famille très unie, très solidaire. Les nouveaux camarades de Sanou ne sont jamais vus dans leur famille, excepté la scène de la fête où d’ailleurs les parents sont absents.Souvent aussi de nombreuses familles n’ont pas connaissance de toutes les aides dont elles pourraient bénéficier, à un moment c’est en pointillé mais on comprend que la famille de Kadhi bénéficie d’un HLM depuis peu de temps, Kadhi dit ne pas aimer ce logement parce qu’il lui rappelle l’absence de son père. Là aussi tout est question de moyens, de communication, d’accompagnement, il faut accompagner les Françaises et les Français dans ses démarches, et dans le même temps quand ils n’en ont plus besoin, les accompagner pour passer à une situation moins dépendantes des aides sociales mais encore faut-il se donner les moyens de cet accompagnement. Ma sœur et ma belle-sœur travaillent dans le social et se plaignent que chaque année, le nombre de familles qu’elles suivent augmentent sans moyens supplémentaires.

La seule adulte représentative du système scolaire c’est la CPE, Mme Lebel. Elle semble jouer un rôle déterminant dans l’orientation des élèves, un rôle dont je n’ai jamais été témoin. Qu’en as-tu pensé ? Est-ce crédible ?

Les CPE ont souvent un point de vue différent, ils, elles ciblent bien souvent les personnalités des élèves les plus pénibles bien plus rapidement et avec beaucoup plus de nuances que nous. Disons qu’en entretien individuel avec l’enfant puis la famille, elles saisissent la partie immergée de l’iceberg. Ils, elles ont aussi la place que le chef d’établissement leur donne, certaines ont presque un rôle d’adjoint et elles accompagnent beaucoup l’orientation, dans certains établissements, elles ne font que de la discipline mais je pense que leur métier change. Ils, elles sont les acteurs et les actrices pour moi justement de tout ce qui est nécessaire dans un projet éducatif du XXIème en tant que création d’un lien entre les familles et les profs, la mise en place de la coopération, l’éducation au compétences socio-émotionnelles. Lors du conseil de classe, en arrière plan il y a des billets de gratitude sur la fenêtre de son bureau, les élèves semblent avoir remercié des profs, d’autres élèves … Je trouve que c’est une bonne initiative.

Sanou, Kadhi, Mme Lebel, les sœurs et la mère de Sanou  : les femmes sont à l’honneur dans ce film. Est-ce que pour toi cela a un rapport avec le titre ? Comment as-tu compris ce titre ? De quoi les protagonistes sont-elles les héritières d’après toi ?

Les femmes sont avant tout les héritières d’un système sociétal patriarcal. Elles ont inconsciemment acquis chacune de leur place et même si elles ont toutes consciences qu’elles doivent se plier à la volonté du chef de famille, elles ont aussi parfaitement compris et essaient de saisir les droits qu’elles ont. Mme Lebel incarne l’idéal vers lequel on devrait aller. Le fil témoigne aussi d’une solidarité féminine, une sororité et pour illustrer cette notion, j’aime beaucoup l’amitié naissante de Sanou avec sa camarade de classe d’Henri IV. Avec beaucoup de subtilité, elle lui apprend les codes

Une vision ambivalente du système scolaire français

 Une école à deux vitesses : n’est-ce pas le sujet de film ?

Malheureusement oui, nous ne le savons que trop bien. Je conseille d’ailleurs de regarder un reportage un peu ancien réalisé par arte qui suit des jeunes scolarisés au lycée Janson de Sailly de la seconde jusqu’à leur 26 ans. La pression, l’exigence n’est pas la même que dans aucun autre établissement. Je ne savais même pas que c’était possible mais à un moment donné tu comprends que les élèves font le programme de 1ère en seconde, et de terminale en première et des chapitres de prépa en terminale. Meilleure élève en Seine St Denis, elle n’arrive pas à raccrocher les wagons et aucune aide n’est apporté.

La scène de demande d’audience pour en rentrer en SI m’a semblé complètement surréaliste, improbable dans un lycée lamba : en avais-tu déjà entendu parler ?

Oui pour moi aussi cette scène n’est pas réaliste surtout même dans la continuité du film, le rôle des délégués de classe est quand même incarné par une histoire de sweat à slogan, ce qui laisse penser qu’il y a peu de place pour la parole des élèves et là on lui accorde un entretien. Après dans les pratiques actuelles, je trouverais ça normal qu’on écoute un.e élève qui veut expliquer ses résultats. On en a déjà parlé toutes les deux mais nous sommes pour des conseils de classes de 6 heures où chaque élève viendrait assister à son compte rendu;). Après avec la réforme du lycée, il n’y a plus de filière SI contingenté en principe, tous les lycées sont sensés proposer cette option comme toutes les autres, dans les faits c’est moins sur.

Une France à deux vitesses : n’est-ce pas aussi -et surtout- le sujet de ce film ?

Oui aussi et je dirai même à 3, 4, 5. Parce que les différents groupes sociaux s’ignorent, se méconnaissent. C’est l’une de mes plus grandes préoccupations actuellement, nous manquons incroyablement de cohésion, et d’ailleurs petit note d’humour, si on m’avait dit, quand j’ai commencé ma carrière, que je trouverais ça génial de travailler en partenariat avec l’armée (via le biais d’une classe défense et sécurité globale) pour travailler ce principe républicain plus que jamais indispensable à faire acquérir à mes élèves, je ne l’aurai pas cru 😉 alors que je suis profondément antimilitariste. Mais plus je lis et regarde cette institution, plus je me dis que c’est la seule encore un peu capable de proposer une chance pour tous et toutes de faire carrière et d’y progresser rapidement.

En temps que géographe, as-tu apprécié la manière de la réalisatrice de filmer Paris et sa banlieue, notamment le plan panoramique final depuis les bâtiments de la BNF  ?

Ce n’est pas à ça que j’ai accordé le plus d’importance, néanmoins dans ce film je trouve qu’on rentre dans les différents territoires par la grande échelle, la macro, la chambre universitaire, le CDI du collège et la bibliothèque d’Henri IV, les appartements du XVI et l’appartement de la famille de Sanou, les cages d’escaliers, le périph qu’on ne traverse pas. D’ailleurs quand je suis à Paris sur des lignes comme la 4 ou la 5, je suis toujours surprise de voir qu’il y a des lieux qu’on ne franchit pas : les Halles, St Michel… Ce sont des stations où le métro se vide d’une certaine catégorie de population et se remplit d’une autre, les gens se croisent sur 10 secondes sur un quai.

Pour finir, comme nous aimons faire des liens entre la manière dont nous enseignons et les films que nous voyons, pourquoi nos collèges et nos lycées publics (de REP notamment) ne pourraient-ils pas s’inspirer de ces parcours d’excellence qui mettent le travail au cœur de la scolarité ?

Ce film m’interroge notamment sur notre niveau d’exigence… Parce qu’aujourd’hui et là aussi, on l’a déjà évoqué dans « Ecrire pour exister », il y a aussi deux visions de l’enseignement. Celle encore basée sur un système méritocratique avec le plus on est bon et plus on accède aux filières d’excellence qui se caractérisent par les classes prépa et les grandes écoles dont certaines familles ignorent l’existence d’ailleurs, y compris d’excellents élèves (j’en ai deux dans mes proches;) et une vision de l’enseignement qui prône le bien être à l’école, la bienveillance. Mais trop souvent, y compris chez une majorité d’enseignant, la bienveillance ne rime pas avec exigence et c’est d’ailleurs faux. Les ouvrages de discipline positive expliquent bien qu’être bienveillant ce n’est pas baisser le niveau ou ajuster les notes ou les niveaux de compétences pour faire monter un taux de réussite, c’est évaluer le progrès plutôt que le niveau, c’est mettre en valeur les efforts plutôt qu’un trait de caractère, c’est donner des conseils plutôt que condamner. Dans le film, j’avais retenu la violence de l’appréciation d’un de ses professeurs de Prépa sur Sanou : « erreur de casting ». Le niveau d’exigence, on doit l’instaurer individuellement chacun dans sa pratique. Il faut inlassablement nous auto-former parce que l’institution ne nous propose rien surtout dans les bons établissements parce que l’ensemble de la société s’imagine qu’un bon lycée = des bons profs mais quand on sait comment ça marche, un bon lycée= un vieux prof;) motivé – ou pas d’ailleurs !

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