Le cycle 3 transformera-t-il l’Ecole, avec un grand E ?

A partir de notre ouvrage écrit avec Romuald Normand , «  Ecole : la grande transformation ? Les clés de la réussite»(1)

La transformation du système éducatif français se trouve en grande partie dans les établissements scolaires. Avec Romuald Normand, nous avons identifié cinq vecteurs favorisant le changement de l’École, systémiquement et durablement sur le terrain, à l’épreuve ici de la réalité d’une réforme, celle des cycles d’apprentissages, et notamment du cycle 3 qui réunit, nouveauté, école et collège dans la progression des apprentissages.

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Accompagner tous les élèves et soutenir les progrès des apprentissages (L’évaluation pour les apprentissages)

Le cycle 3 repose en termes renouvelés ce qu’on appelle encore « liaison » souvent de manière formelle : la capacité d’accompagner tous les élèves et de soutenir leurs progressions dans une école du Socle commun. Comment ne pas en laisser au bord de la route dès les années CM ? Comment limiter les ruptures perçues plus (trop) tard au collège ? Cela signifie explicitement pour des enseignants de reprendre les pratiques d’évaluation, non des apprentissages, mais « pour les apprentissages ».

Dans la quotidienneté de la vie professionnelle, chaque enseignant, avec ses collègues, peut reprendre certaines routines -dans la façon de regarder les élèves, de les associer à une tâche, de miser sur la coopération, de développer la co-évaluation, d’inviter à l’auto-évaluation…- La modification de la relation aux élèves passe alors par le changement du travail entre enseignant sur cette question, d’autant plus essentielle que le cycle 3 fait le pont entre deux « mondes » aux cultures d’évaluation foncièrement différente. Le niveau d’information, de formation et de pratiques sur ces questions est d’une grande hétérogénéité.

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Pour cela, apprendre par co-observation et se former ensemble (développement professionnel des enseignants)

La deuxième question sans réponse porte sur ce que les enseignants savent de leurs propres pratiques et des effets de leurs pratiques sur leurs élèves ; l’enjeu n’est plus à l’échelle d’une année, mais d’un cycle, et d’une école, mise en réseau avec un collège. Chacun enseigne le mieux qu’il peut dans une organisation cloisonnée. Que connait-il de ce qui se passe juste à côté ? Ou un peu plus loin, au collège ? Si l’on souhaite une évolution significative des pratiques et de l’évaluation, il est important que les enseignants deviennent « enquêteurs » de leurs propres pratiques afin de développer une expertise basse comme on dit en médecine, c’est-à-dire, une analyse clinique et partagée de leur activité.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=UyBtoqavVjM[/youtube]

Dans une communauté d’apprentissage qui n’a rien de spontané, des dispositifs facilitent des « voyages pédagogiques » où ils peuvent observer autrui pour se voir soi-même et échanger autour des objets complexes ; ce peut être par exemple la maitrise de l’écrit la coopération, la différenciation pédagogique ou la question difficile de la prise en grande de la grande pauvreté. L’enseignant doit pouvoir se décentrer de sa pratique pour envisager la variété et mieux se situer dans son groupe professionnel. Les ajustements et régulations s’opèrent alors insensiblement et durablement, et coopérativement.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=YrOXWWjmWVQ[/youtube]

Le nouveau cycle 3 pose le cadre institutionnel pour un échange entre professeurs des premier et second degrés. Dans le cadre d’un projet commun, un PLC peut aller assister à une séquence dans l’école primaire et le PE, à une séquence au collège. L’observation peut être basée sur un point précis convenu ensemble en groupe : comment mon collègue fait pour solliciter les élèves, les sollicite-t-il tous ? Travailler en cycle, , ce n’est pas partager des recettes c’est d’abord partager des questions, des doutes, des dilemmes (j’ai 25 élèves et 5 qui ne suivent pas, pour moi c’est un problème, comment faire ?). Le sujet personnel devient alors objet professionnel et les équipes travaillent autour de cet objet, non pas pour juger mais pour gagner en compétences et améliorer les pratiques. La co-observation accompagnée de l’analyse partagée permet d’atteindre les routines professionnelles, c’est-à-dire celles dont on ne parle pas naturellement, et pour cela, il est important qu’elle s’inscrive dans un plan de formation de l’établissement et/ou d’animation pédagogique : constituer un groupe de développement professionnel consacré au partage de pratiques sur le cycle 3. Ce groupe gagnera à être accompagné (voir encadré). La formation se transforme elle-même en transformant rôles et responsabilités dans le cycle 3.

 

Et prendre des rôles dans une équipe en réseau (partage des rôles et des responsabilités)

Le cycle 3 modifie peu ou prou l’organisation du travail et l’interface entre les différents professionnels par l’échange plus soutenu d’informations.

Par exemple, le conseiller pédagogique dispose d’un potentiel par sa vision généraliste, transversale, systémique de l’unité éducative, peu activé car il est souvent cantonné dans la fonction d’accompagnement individuel à l’entrée dans le métier. Il a beaucoup à gagner dans une nouvelle fonction d’accompagnateur de groupes de développement professionnel en développant des compétences de facilitation, d’analyse du travail plutôt que de formatage des pratiques. Ce nouveau rôle peut être assumé par un directeur, soit par un enseignant-ressource pour peu que ces personnes soient elles-mêmes formées à prendre des publics mixés, et des groupes sur la durée. Comment une superstructure comme une circonscription, un département, une académie rend possible la professionnalisation des accompagnateurs ? Le cycle 3 ne se fera pas si on ne pose pas la question de la formation des formateurs et de leur propre accompagnement.

De même, les équipes rencontreront des difficultés si l’on maintient l’organisation en place : pour permettre aux enseignants de se rencontrer, il faut moduler les emplois du temps, introduire de la souplesse, au collège, à l’école. Apparaît, là encore, une nouvelle fonction de coordonnateurs au sein des équipes, et aux cotés des directions et des inspections ; le conseil de cycle est un lieu à investir. Le cycle 3 induit une collégialité du travail plus grande qu’elle n’existe en l’état.

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Pour s’intéresser de très près au suivi des élèves et à leur devenir (Renforcement de l’autoévaluation des unités éducatives)

Le cycle 3 est une opportunité à saisir d’aider les équipes des premier et second degrés et les équipes de direction à focaliser l’attention commune sur la réalité scolaire des élèves, c’est-à-dire à prendre de l’information, à documenter leurs analyses du point de vue des élèves, de leur dynamique, de leurs acquis. C’est un processus extrêmement puissant et méthodologiquement outillé qui éclaire un point faible d’une école : sa capitalisation, sa mémoire, l’intelligence qu’elle a de ce qu’elle fait avec les élèves. Le cycle 3 pose la question de la continuité. Il faut historiciser, documenter certains parcours d’élèves: il n’y a pas de futur sans mémoire. Que sait-on de l’élève ? De son histoire de vie ? Quel a été son parcours ? Quelles traces existent autres que les bulletins ? Le fait de réaliser un travail partagé école-collège de recherche en amont va permettre une traçabilité des élèves et une analyse des qualités, des défauts, des périodes de ruptures du système. On demande aujourd’hui à une organisation structurée d’être intelligente sur son offre de formation et sur les ajustements au regard de l’expérience. Ce renforcement de l’auto-évaluation par les acteurs eux-mêmes, de l’expertise collective confortent l’efficacité de l’école. Ce travail d’enquête n’est pas naturel du point de l’enseignant pris isolément et nécessite une action volontariste, permis par un accompagnement des équipes étayé par le regard d’un « ami critique » (conseiller pédagogique, Cardie (conseiller académique recherche et développement)…).

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Et s’essayer ensemble à l’alternative (Mise en réseau et innovation)

Derrière le cycle se dessine la mise en réseau des unités éducatives et la nécessité de penser « ensemble » des structures «séparées » historiquement. On parle à tort de « système » éducatif car il n’y a pas de mise en système. Le nouveau cycle 3 tente de la réaliser et de relier deux mondes encore séparés. La mise en réseau implique des connexions formelles, informelles et constantes : quels sont les bons câbles pour cette connexion ? Quelles sont les informations essentielles à communiquer ? A quelle fréquence ? Cette mise en réseau est envisagée au niveau institutionnel du pilotage, et pour s’ancrer, gagnera au niveau des acteurs concernés sur le terrain (partage de temps, d’espaces, d’actions communes,…) dans d’autres dimensions plus routinières, plus informelles, plus interpersonnelles pour être durable et donc plus efficace.

Cette mise en réseau nécessite de repenser le leadership en favorisant l’implication des enseignants. Il faut construire à partir de la base et des questions des professionnels, encourager une responsabilité partagée en intégrant également les élèves (projet commun, monitorat) , solliciter le professionnalisme chez les enseignants, en jouant la complémentarité des expertises entre degrés, en soutenant les initiatives, renforcer les partenariats et entretenir les réseaux d’apprentissage ; l’innovation est un peu tout cela.

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extrait de la page CARDIE de Nancy-Metz

Ces cinq vecteurs de la grande transformation permettent d’identifier les processus assez puissants qui, combinés ensemble de manière systémique, arrivent à produire un changement profond et concret et le nouveau cycle 3 représente une formidable opportunité. Ce qui va être déterminant, c’est la compréhension des acteurs car on ne pourra pas changer l’École sans l’intelligence de ses acteurs et sans renforcer l’expertise des acteurs eux-mêmes sur leur propre travail.

 Pour aller plus loin sur les questions de transitions et de continuité, un prezi interactif
https://prezi.com/yjvqhjeqvgpz/continuites-et-transitions-des-mots-pour-dire-le-changement-en-education/#

 

Propos recueillis par Marie-France Rachédi

  1. « Ecole : la grande transformation ? Les clés de la réussite. » par François Muller, Romuald Normand, ESF Editeur, 2013. François Muller travaille au sein du département recherche développement et innovation du ministère de l’éducation et Romuald Normand est professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg.

 

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Qui est l’ami critique ?

« Une personne de confiance qui pose des questions dérangeantes propose des données à étudier avec un autre regard et critique le travail déjà réalisé comme un vrai ami. L’ami critique n’est pas neutre, mais il agit pour soutenir l’établissement et pour le défendre, en travaillant avec l’encadrement et les enseignants pour les aider à améliorer l’établissement avec la distance nécessaire. C’est une personne extérieure qui n’entretient aucune familiarité avec les membres de l’établissement. »

Ses qualités sont l’ouverture, l’écoute, la compréhension, la pertinence, l’empathie, la communication, la persuasion et l’innovation.

Des rôles variés selon les situations pour lui : Facilitateur, Animateur de réseaux, Conseiller scientifique, Organisateur, Entraîneur, Arbitre…

(entretien réalisé avec M.F. Rachedi, journaliste pour l’OCCE, article à paraitre dans Animation et éducation)

Voir le « prezi » de présentation du livre « Ecole : la grande transformation ? Les clés de la réussite » par François Muller, Romuald Normand, ESF Editeur, 2013.

https://prezi.com/hgyfxh2q_y3j/ecole-la-grande-transformation-les-cles-de-la-reussite-ed-esf-2013/