Repérer l’innovation (3): un attracteur étrange et polymorphe

3ème épisode de notre feuilleton « repérer l’innovation »: aprés s’être occupé de notre bagage pour partir à l’aventure (précautions méthodologiques et limites en éducation), nous nous approchons à présent d’un objet bizarre que d’aucuns auraient appelé « attracteur étrange » (cf. Guy Le Boterf, à l’occasion du concept de compétence).

Si vous perdez le chemin, je rappelle toujours les utiles balises (en orange).

Vous pouvez aussi feuilleter la présentation ici

2- le repérage, ce sont ensuite des questions de définitions des objets complexes, ici: innovation et acteurs de l’innovation

A- l’innovation comme objet polysémique et polymorphique.

B- L’innovation peut se rendre visible ET lisible.

C- L’innovation reste cependant une pratique à l’œuvre, émergeante, visible dans certaines conditions

D- L’innovation comme processus invisible, immatériel et dynamique de changement de l’organisation.

  • Des processus de recherche d’efficacité en pédagogie.
  • Un processus d’actualisation du métier d’enseignant
  • Un processus de développement de l’organisation apprenante.
  • Un processus de conduite du changement
  • Un processus de développement de l’efficacité systémique en établissement

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2- le repérage, ce sont ensuite des questions de définitions des objets complexes, ici: innovation et acteurs de l’innovation

En archéologie, on joue souvent sur un distique connu: « on trouve ce qu’on cherche, on cherche ce qu’on trouve ».  C’est donc bien que la quête, voire le glanage, requiert en amont une préparation du regard et une sensibilité accrue à la présence, à la mention d’objets les plus divers, recouverts sous le beau mot fallacieux d’innovation.

Le vocable peut recouvrir des objets très apparents, et physiques, des acteurs, mais aussi des processus beaucoup plus invisibles et immatériels.

A- l’innovation comme objet polysémique et polymorphique

A se cantonner à la définition de la Banque Nova de l’INRP, l’innovation serait l’introduction d’un élément nouveau dans un contexte ordonné dans une intention de changement.

Elle s’avère suffisamment générique pour embrasser par exemple une première typologie par origines d’acteurs et champs d’action.

Ainsi, une action ou un dispositif repéré pourrait tout à la fois partagé plusieurs caractéristiques, suivant la modéllisation en 3D qui étonne Tintin:

–          Deux facettes selon qu’elle s’origine localement ou qu’elle soit d’origine institutionnelle (EIST, AP, EE, CECRL par exemple)

–          Deux facettes suivant qu’elle s’inscrit dans le corpus des disciplines (LV, EPS) ou qu’elle s’étend à l’ensemble des champs (évaluation par compétences)

–          Deux facettes selon qu’elle est portée par un à deux acteurs ou qu’elle fait l’objet d’une politique d’établissement.

La représentation en 3D montre la combinatoire spatiale d’une action et sa coloration suivant sa plus ou moins grande proximité des facettes.

22- l’innovation est par nature polymorphe.

B- L’innovation peut se rendre visible ET lisible.

Ex. le lycée BERGSON: Toute une équipe s’engage dans une élucidation de ses résultats, de ses effets, de ses impacts. En se trouvant parfois des outils nouveaux (ici le display), et pour se faire, trouver les organisations du travail modifiées pour parvenir à ce type de résultats (processus)

En focalisant le travail et les énergies sur la communication des résultats, les équipes sont conduites à inscrire dans leur « tableau de bord » des dimensions parfois cachées de la réussite scolaire, comme ici le sentiment d’appartenance et l’analyse de la base de participation au processus.

Ce sont aussi des « mots » parfois exotiques qui revêtent des pratiques et des organisations en mouvement: comme « drama », atelier philo, pôle, DSA. Des appellations locales d’origine incontrôlée alertent notre attention sur une recherche de recomposition du « réacteur scolaire ».

Ce sont bien des documents officiels et communicants d’une politique d’établissement, établi sur la durée, par un collectif au travail.

La dérive possible, c’est l’effet-vitrine. Un superbe document qui se réclame de l’innovation et qui cache un fonctionnement tout à fait traditionnel. (Comme l’église Saint-Sulpice)

23- l’innovation (re)crée ses propres cadres d’expression

En dépassant la frontière du registre officiel de l’établissement, on détecte des supports documentaires qui attestent d’une pratique innovante.

Ex. LT TIREL, atelier photo: Pouvoir organiser des savoirs dans la complexité, savoir le communiquer à autrui, dans une recherche toute créative et efficace.

Peuvent se retrouver plusieurs caractéristiques de l’innovation

–          Un certain inattendu

–          Un foisonnement certain

–          Un côté bricolage

–          Une créativité attestée

Parfois, elle est non seulement VISIBLE, LISIBLE, mais aussi COMMUNICANTE:

Exc. ECOLE VITRUVE, publication des commissions des parents:  Produits d’une enquête sur les acquis des élèves.

Des acquis solides, parfois au-delà des exigences du Socle, validés par la comparaison avec d’autres écoles, par les équipes qui reçoivent les élèves, mais aussi par… les parents.

Ce sont alors des formes très développées, originales, résultats d’un long processus.

C- L’innovation reste cependant une pratique à l’œuvre, émergeante, visible dans certaines conditions

Ex. LG CHARLEMAGNE:  Exploration de nouvelles activités pour des jeunes lycéens urbains pas toujours en bonne forme, recherche d’un contrôle de son souffle, d’un ajustement de son effort, performances individuelles et collectives

Exc. CLG MALLARME, pôle lettre et arts: S’engager dans une aventure collective, favorisant la coopération et la créativité, exploration artistique et culturelle, avec des partenaires de prestige

Ex. CIRC. 20C, défi technologique: S’engager en équipe dans un vrai défi à relever, pour apprendre, faire des essais, revenir, prouver, communiquer, et réussir.

exc. LT TIREL, Non seulement participer à une aventure exploratoire pour soi, pour sa formation professionnelle, mais aussi l’analyser ensemble, en tirer des acquis validés.

Ex. LP PONTICELLI (PIL)  S’engager dans une analyse lucide et experte de son parcours scolaire, trouver ses points d’appui pour retrouver le chemin de la réussite.

Au terme de ce premier parcours, il existe donc une certaine « traçabilité » de l’innovation, qu’un observateur attentif pourrait relever:

25- Quelques « marqueurs » du côté des élèves de l’innovation: enrichissement, coopération, expérimentation, enrôlement, réflexivité%

Repérer l’innovation (2): précautions méthodologiques

Comme promis, aprés une brève introduction métaphorique et spéléologique sur l’intérêt et une méthode pour repérer l’innovation, nous nous engageons, avec prudence, dans l’enquête, en ayant le souci d’aiguiser notre regard. Pour rappel, nous poserons en route régulièrement quelques balises (orange).

Vous pouvez aussi feuilleter la présentation ici

Cette partie est donc consacrée aux mesures de sécurité à connaitre, comme dans tout voyage, au pays de l’innovation.

1- Le repérage, c’est d’abord une méthodologie d’enquête scientifique et sociale, avec quelques principes et les limites du genre.

A- Limites du repérage en éducation et en innovation.

  • 1- la relation toujours à analyser entre l’acteur et l’observateur
  • 2- la qualité du repérage de l’innovation dépend étroitement du tamis utilisé.
  • 3- L’observation interfère sur la réalité.
  • 4- La « bonne distance » de l’observateur à son objet
  • 5- prendre en compte le facteur temps dans le repérage.

B- D’où quelques principes de précaution en matière de repérage de l’innovation

  • 1- un totem: le colibiri
  • 2- Réassurance et reconnaissance des acteurs.
  • 3- Accueillir les réalités telles qu’elles se présentent
  • 4-  S’inspirer de la méthode par approximations successives.
  • 5- Varier les angles de lecture et d’analyse.
  • 6- s’inscrire dans le « genre » de l’enquête sur les pratiques et non dans celui de l’évaluation.

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1- Le repérage, c’est d’abord une méthodologie d’enquête scientifique et sociale, avec quelques principes et les limites du genre

A- Limites du repérage en éducation et en innovation

1- la relation toujours à analyser entre l’acteur et l’observateur

Les principes élémentaires en psychologie sociale nous renseignent d’emblée sur les biais méthodologiques de l’observation, rapportée ici à ce qu’on identifie comme « repérage » de l’innovation et de ses acteurs:.

Les variables jouent sur au moins trois niveaux:

–         La relation entre l’acteur et l’observateur, dans la plus ou moins grande proximité (elle peut s’entendre au sens spatiale du terme, mais aussi au sens professionnel du terme, selon que l’un et/ou l’autre se reconnaissent ou se différencient dans leur statut réciproque, par exemple, enseignant, directeur, inspecteur, formateur, consultant, autre); non qu’il y ait une situation plus favorable qu’une autre, mais ce biais existe toujours. La dimension aussi dans la relation interpersonnelle et dans les gestes professionnelles qui en découlent: entretien ouvert, questionnaire, empathie etc….)

–         La compréhension du comportement de l’acteur et son « évaluation » positive ou négative par l’observateur

–         Les attentes, souvent non explicites, des deux parties

Ces trois variables influent dans le processus d’observation.

Nous pourrions a priori en tirer quelques éléments plus favorables à une observation efficace:

  • 6-Une relation de proximité mettant en œuvre une écoute empathique
  • 7- Une analyse neutre, ou a priori positive, de l’observateur, différant tout mot ou geste d’évaluation
  • 8- Une explicitation des attentes de l’observateur et de l’acteur

2- la qualité du repérage de l’innovation dépend étroitement du tamis utilisé

L’expérience proposée par Mandelbrot en 1967 nous renseigne sur la méthodologie de l’observation et les limites du repérage; en se donnant pour défi de mesurer les côtes de Bretagne, le chercheur dispose de plusieurs mesures possibles; mais en fonction de ses outils et sa position, plus ou moins lointaine, plus ou moins proche, les résultats peuvent varier d’une estimation globale à une mesure approchant l’infini. Mandelbrot se servit de ce cas très pratique pour démontrer la théorie des fractales; à savoir celle d’une invariance d’échelle (on retrouve la même forme emboitée et en complexité croissante, ou encore dite de l’auto-similarité).

Rapportée à notre système d’éducation, et à notre besoin de repérage de l’innovation, la théorie des fractales s’avère prenante:

  • 9- on peut percevoir l’innovation de très loin, comme de très près;
  • 10- il convient de jouer sur les échelles d’observation pour mesurer la réalité complexe de l’innovation.

3- L’observation interfère sur la réalité

L’expérience quantique de la « double fente » (double slit)  ou l’expérience de Wheeler , met en évidence l’impact de l’observateur sur le monde. Chaque fragment du monde étant à la fois « onde » et « particule », la présence de l’observateur d’une expérience (quantique… mais il pourrait bien s’agir de votre vie !) influe sur le résultat de la-dite expérience.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=DfPeprQ7oGc[/youtube]

la combinaison de ces deux états est également un état possible. L’observation provoque en revanche la réduction à un seul état.

L’innovation est-elle donc « quantique », à la fois onde et particule ?

  • 11- faire le deuil de tout voir de la pratique
  • 12- accepter des états en dialogique (Edgar Morin)

C’est tout aussi vérifiable en situation « scolaire ».

L’expérience conduite ici montre qu’un observateur « passif » produit des effets d’amélioration dans les résultats des élèves.

4- La « bonne distance » de l’observateur à son objet

L’enquête ethnologique ou sociologique nous apporte alors un complément nécessaire; puisque l’observateur influe sur la réalité (quantique), quels seraient alors les choix pour repérer au mieux les réalités vivantes de l’innovation en établissement ?

Trois positionnements sont proposés, d’égal intérêt, mais ils dépendent sans doute à la fois des styles plus personnels des acteurs comme des objectifs recherchés:

1- Dilemme de l’objectivité en sciences sociales, puisque l’objet se confond avec le chercheur. D’où le principe de « dépaysement » ou de décalage nécessaire.

2- Technique de « l’observateur participant », Alain Touraine, « la compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune« , en rupture avec des voyages marqués par l’ethnocentrisme.

3- Radicalité:  sociologie de l’intervention:  Karl Marx : « pour connaître la réalité, il faut la transformer » , principe de l’analyse institutionnelle. D’après Serge Genest, Recherche anthropologique:techniques et méthodes, 1979, Québec

  • 13- identifier son propre style d’observation, en congruence

5- prendre en compte le facteur temps dans le repérage

De la même façon que le repérage sert un état des lieux, il intègre aussi une observation de la variation dans le temps.

Les effets des expérimentations ne sont jamais immédiats; les équipes doivent parfois « résister » aux pressions évaluatives et travailler patiemment sur l’amélioration de leur communication, tout au long du processus.

Nos organisations ou unités d’enseignement connaissent des phases cycliques de développement et de transformation qui peuvent se traduire par des crises et des succès; il est donc tout aussi intéressant de repérer et les uns et les autres.

  • 14- mettre en place un repérage en continu et des relais nécessaires dans le temps

B- D’où quelques principes de précaution en matière de repérage de l’innovation

1- un totem: le colibiri

A chaque instant il peut régler sa présence/distance, à la fine pointe des fleurs (ou des choses) pour ne pas les abîmer mais pour bénéficier du nectar, pour être dans une présence qui ne soit pas pression, ni dans une distance qui serait aussi pression par défaut. » André de Peretti  à Carl Rogers

Nous oscillons entre une présence nécessaire, qui peut parfois être ressentie comme une pression pesante (appel à projet, requête, enquête, questionnaire, commande, visites institutionnelles), et une distance nécessaire pour que le travail s’accomplisse.

L’engagement des équipes dans une action dynamique accroit l’intensité du travail; il convient dans cette phase de ne pas alourdir par des commandes trop pressantes portant sur l’évaluation par exemple; mais de proposer une méthodologie souple et cadrante du travail, sur un moyen terme.

  • 15- signaler sa présence (bienveillante)
  • 16- choisir des modes et des supports de communication, des temps, légers et cadrants

2- Réassurance et reconnaissance des acteurs

Les « gros mots » de l’expérimentation apparaissent au centre: élèves, équipes, mais aussi pratiques et dispositifs. Ce sont des réalités vivantes, souvent émergentes, parfois balbutiantes. L’attention portée par la MAIE est d’abord une reconnaissance et une réassurance dans la démarche,

Repérer l’innovation et ses acteurs (1)

A l’occasion du premier séminaire national DGESCO organisé à l’ESEN en avril 2011 à Poitiers, rassemblant l’ensemble des responsables des CARDIE (cellules académiques Recherche/développement en Innovation en Expérimentation),  la commande m’a été faite et relevée d’une intervention sur le repérage de l’innovation pédagogique et de ses acteurs. C’est assurément une occasion de mettre en mots des pratiques et une expérience capitalisées depuis déjà quelques années. Alors pourquoi pas ?

Cela peut ici donner lieu à une série d’articles sur le blog en images et en liens, sur une problématique bien plus large qu’on ne pourra croire. Dis-moi ce que tu repères…. et je te dirai qui tu es.

PRÉAMBULE

La Garonne est-elle française ? Débat national, politique, stratégique dans nos années trentes franco-française . « Il faut sauver la Garonne », quand les Espagnols prévoyaient d’en aspirer la source pour un énième barrage.

Norbert Casteret, l’inventeur de la spéléologie et grand pyrénéiste, eut l’idée d’utiliser alors un colorant puissant, la fluorescéine, comme « marqueur » du système hydrologique; en la déversant sur la source présumée, l’eau se perdant ensuite en sous-terrain, puis ressurgissant en terrain français, il prouva que la Garonne prenait bien sa source en Val d’Aran et sauva le grand fleuve d’un assèchement projeté. (photo extraite de http://g.casteret.pagesperso-orange.fr/page6.htm)

Il est très possible que métaphoriquement parlant, l’innovation agisse,  à la manière de la fluorescéine; en révélateur de notre système éducatif et pédagogique.  Que pouvons-nous retenir de cette histoire toute spéléologique pour notre sujet tellement spécifique (repérer l’innovation) ? Au moins, cinq points de départ:

  • 1- quelle est la (véritable) question ? Pourquoi s’intéresse-t-on à l’innovation comme on s’est intéressé à la Garonne ? Cause nationale, raison fonctionnelle, impératif économique ? Les trois à la fois.
  • 2- plusieurs hypothèses de fonctionnement, de réussite, plusieurs scénarios à écrire; sa résurgence, son débit, son lit attestent de la difficulté de maitriser un phénomène « naturel » dans un univers très humanisé.
  • 3- la détection a besoin d’une instrumentation;
  • 4- le travail se fait en équipe, de manière coordonnée et répartie
  • 5- l’enquête et les réponses se trouvent sur le terrain

Tout au long de l’enquête, nous pourrons guider le lecteur, grâce à ces balises numérotées, de sorte à ce qu’il retrouve le chemin.

Une carte à découvrir, pas à pas

Afin de conduire le lecteur avisé dans les méandres de la détection de l’innovation, je proposerai volontiers une carte, en forme de carte de navigation pour s’engager dans le repérage: . En fait, la modélisation en octogone (en deux dimensions), nous penserions plutôt à un octohèdre en trois dimensions peut se lire en quatre domaines (par couleurs):


1- Le repérage, c’est d’abord une méthodologie d’enquête scientifique et sociale, avec quelques principes et les limites du genre

2- le repérage, ce sont ensuite des questions de définitions des objets complexes, ici: innovation et acteurs de l’innovation

3- le repérage s’appuie sur des ingénieries variées et des techniques multiples pour quadriller les terrains et détecter les réseaux d’acteurs

(4) En guise de conclusion,  le repérage pourra s’avérer  insuffisant s’il ne s’inscrit pas  dans un développement proactif de conduite du changement au sein d’une institution au fonctionnement complexe à forte inertie.

(suite au prochain article).

« Est-ce que vous dormez ? » conférence d’André de Peretti, 25 mai 2011, Nantes

« Est-ce  que vous dormez ? »

Mille et une propositions pour innover en éducation

Une journée exceptionnelle autour d’André de Peretti Mercredi 25 mai 2011 à Nantes

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de 10 à 12h, Hommage à André de Peretti

Ateliers et Chantiers de Nantes bd Léon Bureau, 2e étage salle J. Morin

(sur invitation et inscription, lanibaylem@aol.com et Georges Fargeas 02 51 25 07 46)

avec Georges Fargeas, Martine Lani-Bayle, Gaston Pineau, François Muller… Carole Buffa-Potente, Raphaëlle Lavenant, Philippe Montaireau, et bien d’autres…


14 h 30: Conférence exceptionnelle d’André de Peretti, avec Martine Lani-Bayle et François Muller

Mercredi 25 mai 2011 à 14h30à Nantes, amphithéâtre Kernéis, 1 rue Bias, Nantes (entrée libre)

Polytechnicien, docteur ès Lettres et Sciences humaines, directeur honoraire des programmes à l’Institut national de recherches pédagogiques, ancien président de la commission ministérielle sur la formation des personnels de l’Education nationale…, André de Peretti est avant tout un grand humaniste, auteur d’une œuvre poétique et littéraire ainsi que de nombreux ouvrages scientifiques et pédagogiques.

Compagnon d’Emmanuel Mounier, Louis Massignon et François Mauriac, il a été l’un des fondateurs du Comité France-Maghreb et l’un des acteurs de la décolonisation sans violence et de l’indépendance  du Maroc.

L’écouter à l’orée de sa 96e année nous éveillera à l’avenir et sera l’occasion de rendre hommage à l’homme et à son œuvre.

Quelques surprises seront au rendez-vous.

Œuvre poétique et littéraire  (extraits)

La Légende du Chevalier (écrit en captivité) – Théâtre- Prix Toirac de l’Académie Française

Cantique d’amour au Maroc, éd. Seghers 1952.

Oratorio, éd. Épi 1970.

Odes et Cris, éd. Épi 1977.

Naïves Ovations, Paris, 1996.

Œuvre scientifique et pédagogique (extraits)

Libertés et relations humaines, éd. Épi 1966.

L’administration phénomène humain, éd. Berger-Levrault 1968.

Risques et chances de la vie collective, éd. Épi 1972.

Organiser des formations, éd. Hachette 1991.

Présence de Carl Rogers, éd. Érès 1997.

Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, éd. ESF 1998.

Pour l’honneur de l’école, éd. Hachette 2000.

Pertinences en éducation, éd. ESF 2001.

L’humour du Christ dans les Evangiles, éd. Cerf 2004.

Contes et fables pour l’enseignant moderne (avec François Muller), éd. Hachette 2006.

Apprivoiser l’avenir pour et avec les jeunes (avec Martine Lani-Bayle et François Texier), éd. Mare & Martin 2007.

Mille et une propositions pédagogiques (avec François Muller), éd. ESF 2008.

Retrouvez travaux, écrits, vidéos, et audios d’André de Peretti, à partir du site « Diversifier », http://francois.muller.free.fr/diversifier

l’incitation à la confiance , conte de Noël

La louve et l’enfant[1]

Ou l’incitation à la confiance qui soigne et libère

Depuis un mois, il leur avait fallu fuir. Ce ne serait certes pas les derniers fugitifs qui devraient parcourir ces terres déshéritées, tirées entre deux continents comme l’enfant que se disputaient deux femmes, au jugement du Roi Salomon.

Au milieu des débris et des fientes d’animaux, dans l’attente du jour, l’errante berçait son nouveau-né, réjouie de voir ses joues rester roses malgré le froid, car l’âtre était encore sans feu.

Mais l’homme bientôt allait rentrer, couvert de givre, apportant un fagot d’épines et le lait d’une brebis. Vite, il ferait craquer une flambée et le visage enfantin se tournerait à ce bruit, apaisé par tant de flammes.

Chaque jour, ainsi, le feu l’éveillait. Aujourd’hui même, pensait la jeune femme, il entrerait dans sa deuxième année. Bientôt, il marcherait ; et le Désert serait son jardin des Merveilles !

Le visage de son enfant devant le feu ! Elle attendait avec joie cet instant, et la chaumière en ruine devenait rose comme un beau bois des Indes, tant ses yeux regardaient autour d’elle, à partir du sourire incarnat de l’enfant.

Il lui sembla pourtant dans le froid percevoir un bruit rauque, et ce bruit monta dans ses veines, bleuissant lentement la chair de ses pensées. Si proche qu’elle se sentit de son enfant, elle s’étonna de le voir se réveiller et paraître écouter, tranquille entre ses poings dorés.

C’était l’appel d’un être abandonné, hurlement issu de la terre, animal aussi bien qu’humain. L’enfant se redressa, jusqu’à ce que sa mère le saisit dans ses bras.

Il désignait du doigt, en souriant l’endroit d’où provenait les cris, pesant sur les bras qui le serraient, comme pour les entraîner à leur rencontre ; il insistait…
La femme enfin sortit, elle ne pouvait plus résister à ce double appel. D’ailleurs que craindre en ce désert glacé, sinon tout redouter ?

Elle rabattit sur l’enfant et sur elle son capuchon de laine et marcha dans la neige, éparse sur le sable, glissant à chaque pas. L’ombre devenait blanche sous le reflet des langes, cependant que le cri grandissait devant l’écho.

Tiré vers le cri, l’enfant ne pleurait pas, malgré la faim, et la mère le regardait, avec peur, battre des mains, espérant fixement trouver l’homme sur leur route.

Ils approchaient : près d’un arbuste sec, ses yeux se partageant au milieu des étoiles, un être noir criait.
La femme l’aperçut enfin si clairement qu’elle n’entendit plus rien : figée, elle vit, autour d’une tanière détruite, rôder une louve qui déjà l’observait.

Et la bête l’entoura en grondant, sitôt qu’elle fit mine de rebrousser chemin. L’enfant souriait toujours, quoique sa mère s’effrayât, sentant contre elle l’amère chaleur de l’animal.
Comment reviendraient-ils ? Fallait-il attendre l’homme ? Ni froid, ni bruit n’existaient plus, en face de ces deux yeux ardents où brillait une insondable douleur. La femme se pencha, mère devant la louve : et celle-ci saisit enfin, à l’épaule, l’enfant qui babilla.

La neige se mit de nouveau à tomber, la femme ne tremblait plus, s’agenouillant et ne résistant pas aux mâchoires de la louve qui serrait seulement si sa main retenait.

Elle abaissa par degrés le bambin et la louve l’attira aux buissons de son trou. Mais dès qu’il fut au sol, la louve lâcha l’épaule, puis lécha le visage et les mains, pendant que la mère pleurait.

A chaque larme, elle goûtait l’amertume des siècles sans promesse ; Et du fond des âges, la terreur en elle remontait. S’enfuir, s’en retourner ?

A peine approchait-elle ses bras de son enfant, la louve joignait ses crocs sur la gorge fragile et l’enfant caressait en riant le long museau d’argent, ; puis il suça les mamelles de cette étrange nourrice.

La femme se souvenait, qu’au pays de leurs maîtres, une louve avait jadis nourri deux jumeaux égarés, puis devenus des princes. Mais son enfant n’était-il pas destiné au lait des brebis, agneau déjà persécuté ; n’était-ce assez de leur exil ?

Devrait-elle abandonner son innocent à l’animal ? Une fois encore, elle essaya de le reprendre ; la louve fit saigner un bout du bras léger.

L’enfant pleura, mais sans crier, et la mère sentit alors le froid la transpercer. Ses yeux étaient gelés et ses doigts durcis de ne pouvoir rien faire. Elle espérait pourtant, en voyant la clarté de l’enfant.

Elle attendait des bruits de pas, l’homme viendrait avec l’épieu les délivrer tous deux, mais elle comprit bientôt que la louve ne mourrait pas, sans que son fils aussi ne meure…
Alors, dans sa tête, tout devint brume ; elle ne sut pas qu’elle courait dans l’aube naissante, ni que la neige la fouettait de longues lanières d’azur.

Elle ne sut pas comment elle revit la chaumière et l’âtre encore sans braise, ni comment elle ressentit enfin sa peine, chantant et sanglotant la berceuse qu’elle aimait, seule près de ses pauvres hardes.

L’homme bientôt posa sa main sur son épaule ; il ne l’accusa point d’être sortie, il ne lui en voulut point d’être partie.

Elle l’interrogea alors en tremblant : était-ce là que s’accomplissait la prédication du vieil homme qu’il avait vu, l’an dernier ?

Cet enfant vivrait-il loin d’elle, grâce aux soins de la louve, mêlé à d’autres animaux ? Et leur mouvement vers le Désert avait-il été à ce point nécessaire ?

La volonté de Dieu, où était-elle, sainte volonté qu’elle accomplissait, toujours en son entier ? L’homme ne répondit pas, il lui remit avec douceur son capuchon et sortit avec l’épieu.

Les traces de pas le conduisaient ; il retrouva la tanière détruite et abandonnée, mais des griffes dans la neige indiquaient dans l’aurore la route à parcourir.

Il marchait sans hâte : la louve, avec sa charge, ne pouvait être loin ; il n’entendait encore aucun cri de l’enfant : il serrait cependant son arme dans sa main.
Bientôt, les griffes parurent s’arrêter : près d’un rocher, des traces d’effort et du sang marquaient la neige. Et la piste repartait, faite d’un poids traîné.

L’homme ferma les yeux ; il sentit se poser contre lui sa compagne ; il dut la prendre dans les bras, avançant toujours derrière les marques, péniblement.

Quand il sentit peser toujours plus fort le poids de douleur de la jeune femme contre son anxiété, il ne put garder l’épieu sous son bras et dut le laisser derrière ses pas.
Il avançait ainsi, portant avec précaution son fardeau, armé de ses ongles seuls ; plus sîr encore de reprendre vaillamment son enfant, en luttant s’il le fallait d’égal à égal.

La neige à nouveau tomba sur eux en durs flocons. Derrière un monticule, la louve les attendait, l’enfant entre ses pattes et l’enfant chantonnait après d’un louveteau blessé.

La bête regarda l’homme poser à côté d’elle la mère tremblante. S’approchant du petit de la louve, elle caressa la pauvre fourrure, déchirée et maculée des traînées de la neige.
Sur l’enfant elle prit un morceau son lange et fit un pansement au flanc du louveteau. Elle put saisir alors, entre ses bras, son nouveau-né pour s’en aller.

Ils retournèrent ainsi vers leur humble asile, suivis par la louve qui portait fièrement son louveteau  blessé. L’homme ramassa en passant son épieu, pensif, mais non soucieux…

A quelle inspiration chacun pourrait-il référer, imaginativement, un tel conte et sa possible « leçon » ? Pour certains, il pourrait être compris comme illustrant une invitation à la non-violence, ou même, à la non-défensivité si nécessaire à l’harmonie des rapports entre les êtres.

Pour d’autres,  ce pourrait être un conte qu’un vieux Copte pouvait avoir rapportée pour éclairer un premier Noël, et offrir un louveteau comme premier jouet.

Pour d’autres encore, ce pourrait être un apologue sur le respect de la nature ou bien sur la réhabilitation du monde mystérieux des loups, si souvent détesté ou calomnié.

Pour l’enseignant, ce pourrait être une inclination à croire à l’intuition des enfants et à leur recherche des compagnies autres qu’humaines. Ou bien, comme une souriante provocation à ne pas redouter l’audace généreuse mais à espérer de la vie et des solidarités les plus inattendues de la part de ses élèves mêmes ! Et, peut-être, de réfléchir sur les risques que comportent son influence et celle de ses évaluations ou présomptions durcies…


[1] D’après André de Peretti, conte paru dans « Flammes et fumées, revue du personnel des manufactures de l’Etat, 1958

L’Air du « Génie du Froid » ou l’évaluation de l’école par l’Ecole

Let me freeze again to Death.

Il fait froid en hiver ( !?)

Notre époque glaciale, d’un retour d’hiver blanc et gelé, à défaut d’être glaciaire, nous rappelle en mémoire plusieurs autres images ; l’air du Génie du Froid dans The Indian Queen, où de manière saccadée et répétitive, en une voix de basse profonde, le Génie demande qu’on le laisse tranquille (again to Death) ; cet air a servi de bande musicale dans le film Molière d’Ariane Mnouchkine, avec Philippe Caubère.

Mais c’est aussi l’évocation du thermomètre. Instrument de mesure des températures, en différentes échelles, Farenheilt ou Celsisus ; déjà des problèmes d’unités de mesures apparaissent, en fonction des univers culturels et historiques dont nous sommes issus.

C’est aussi une métaphore employée dans le registre de l’évaluation dans le monde scolaire : mesurer, prendre la température, trouver les bons indicateurs, casser aussi l’instrument ; et …. Le climat scolaire. Réchauffement ?

Notre épisode neigeux (et parisien ?) nous fait regarder autrement ce curieux instrument. Pour filer la métaphore

Racontons-nous la petite histoire

La petite famille a besoin de se sentir bien au chaud dans l’appartement. « Quelle température fait-il ? » dit le cadet d’un air soupçonneux. Il fonce observer la station méteo intégrée, réglée à l’heure universelle, et qui reporte les températures et hygrométries du dedans comme du dehors, avec un historique remarquable et très visuel.

« J’ai froid » renchérit l’ainé, tout droit sorti d’une longue nuit (ou d’une courte matinée). Le cadet confirme : « 18,3 °C ».

Nous devons alors pousser un peu les radiateurs pour revenir à un niveau convenable et attendu, 19°, 20° C. Au bout d’une heure, et après déjeuner ; le grand consent enfin à enlever le pull. Tout va mieux.

Transposition au lexique de l’évaluation

La mini-scénette familiale n’aurait aucun intérêt pour nos chers lecteurs si elle n’était pas précisément la démarche de toute évaluation, en faisant intervenir ici les étapes et gros mots que nous manions sans trop de discernement dans le monde pourtant « expert » de notre Ecole.

Reprenons pas à pas l’histoire en décodant les étapes :

Approche métaphorique Transposition au lexique de l’évaluation démarche
Se sentir bien dans son appartement Priorité, finalité, axe (non mesurable) Objectif de l’évaluation
Je  veux vire dans mon appartement sans mon pull Objectif (mesurable)
Température Critère ou

domaine d’observation

méthodologies
Thermomètre pour la mesure Outil ou Instrumentation de l’évaluation
Chaud ou froid Indication (qualitative, subjective)
+ 18,3 ° celsius Indicateur (avec référentiel)
J’attends 20°C Résultats attendus Résultats de l’évaluation
J’enlève le pull Effets (inattendus)

Se doter d’une ingénierie en instruments d’évaluation régulatrice pour les équipes

Ce retour aux définitions sémantiques et méthodologiques dans l’évaluation nous semble plus que nécessaire quand à présent les équipes s’intéressent aux effets de leur politique éducative, aux résultats de leurs pédagogie, dans le cadre de leur projet d’école/ d’établissement, plus encore, dans le cadre de l’évaluation de l’expérimentation.

Toujours, les finalités sont présentes, et généreuses (pour l’autonomie, pour la responsabilité, pour le développement des élèves) ; mais déjà la détermination des objectifs laisse à désirer. C’est une phase du travail d’explicitation essentielle que de pouvoir répondre, collectivement, à une simple question pourtant : « que souhaitez-vous concrètement faire évoluer ?  quel niveau ? pour qui ? »).

Les difficultés et les doutes apparaissent quand il s’agit alors de savoir comment on pourrait bien rendre compte de ce à quoi pourtant les équipes s’attachent (autonomie, etc…) ; nous pourrions dire que le thermomètre reste encore à inventer dans l’éducation à la française. Comment par exemple évaluer le sentiment de bien-être ou encore le sentiment d’appartenance ?

Enfin, à défaut d’une variété d’approches et d’instruments en évaluation, les personnels sont enclins par défaut, ou par dérive, à trop focaliser sur les seuls indicateurs de résultats bruts dont ils perçoivent bien à la fois les limites et le caractère insatisfaisant pour rendre compte de la plus-value de la formation donnée aux élèves. On pourrait même signaler la tendance, quasi-institutionnellement organisée, à observer le résultat et omettre les effets. En quoi le résultat en notation exprime une compétence ? Toute la problématique de l’approche compétence développée par l’application du socle commun se trouve résumée ici.

LES METHODES D’EVALUATION  PROPOSEES AUX ETABLISSEMENTS[1]

Typologie des méthodes utilisées pour l’auto évaluation

Portfolio

Portfolio, analyse de documents produits par les élèves

Discussions

  • Examen collectif par les enseignants de documents produits par les élèves ;
  • Groupes thématiques (Focus groups) ; Discuter avec des employeurs potentiels pour connaître leurs attentes ; En petits groupes, les élèves se racontent «une fois où je me souviens bien d’avoir appris quelque chose» ;
  • Avec un enseignant, les élèves discutent en petits groupes de leurs attentes en terme de carrière professionnelle ;

Questions

  • Questionnaires pour mesure des aspects du développement personnel et social des élèves, Q sort, Questionnaire à destination des anciens élèves sur l’adéquation de l’enseignement reçu à leur situation présente,
  • Questionnaires aux employeurs potentiels sur leurs attentes ;
  • Calendrier et analyse du temps passé aux devoirs à la maison pendant une semaine ;
  • Questionnaire aux élèves sur la qualité de l’enseignement ; Questionnaire aux élèves sur la qualité du soutien reçu en cas de difficultés d’apprentissage ;
  • Questionnaire aux élèves sur les caractéristiques du climat scolaire qui sont favorables aux apprentissages ;
  • Questionnaire sur les qualités des conditions matérielles et du cadre social à l’école ;
  • Questionnaire au personnel sur la formation continue, la participation aux décisions et d’autres aspects des conditions de travail ;
  • Questionnaires sur les relations familles-école ;

Observations

  • Observation de l’utilisation du temps en classe ; Des enseignants mettent au point une grille d’observation des cours, puis s’observent les uns les autres en utilisant cette grille ;
  • L’école ouvre un «registre des besoins», dans lequel les membres du personnel inscrivent les noms des élèves chez lesquels ils ont repéré tel ou tel besoin spécifique ; Les élèves tiennent un journal de leurs difficultés quotidiennes ;
  • « Champ de forces » (On demande aux élèves d’observer, puis de noter les forces qui, dans l’école, s’exercent pour et contre tel ou tel objectif de la scolarité) ;
  • Photo-évaluation (un groupe d’élèves photographie des lieux qu’ils aiment/n’aiment pas dans l’école ;

Epreuves scolaires et Autres

  • Mesure des connaissances des élèves par des épreuves ;
  • mesure de la «valeur ajoutée » par l’école en termes de connaissances scolaires ;
  • Jeu de rôles ;
  • analyse des procès verbaux des réunions parents enseignants ;
  • Analyse de contexte pour visualiser les relations de l’école avec les différents systèmes sociaux qui l’entourent ;
  • Analyser la façon dont l’école est présente dans les média locaux
  • Enquêtes faites par les élèves sur la façon dont l’école est évoquée dans les commerces ou les lieux publics ;

Processus vertueux en évaluation

Il devient intéressant ensemble de faire le tour des méthodes d’évaluation que nous pourrions proposer aux établissements, en guise de « possibles » ; telle ou telle méthode sera d’autant plus efficace que son choix, son instrumentation, son application sera le fait de l’équipe elle-même.

La recherche de la « valeur » (fondement étymologique et éthique de  toute évaluation) conduit les enseignants à regarder autrement, de manière plus analytique, plus questionnante, plus bienveillante, les réalités parfois insondables qui se présentent à eux. En faisant le pari de la valeur, ils génèrent pour eux et pour leurs élèves un processus dynamique et enrôlant qui produit d’ores et déjà des effets par et pour les élèves.

L’évaluation transformée ici en enquête sur la valeur changent nos équipes en enquêteurs sur leurs propres pratiques et sur les effets qu’ils produisent. Des petits pas, des petits recalages ; en régulations progressives, méthodiques, aidés en cela parfois par des accompagnateurs (formateurs, consultants, inspecteurs, agissant non en experts des contenus mais en ingénieurs des méthodes).

Précautions méthodologiques

On dit aussi qu’il ne faut surtout pas casser le thermomètre car il contient du mercure, métal liquide fort nocif pour la santé des humains et la vie en général. La science serait-elle à la fois une chance et un risque pour nous-mêmes ? A utiliser donc avec précaution et discernement[2].

  • Les objectifs et le public doivent être précisés
  • Mesurer et reconnaître l’ensemble des résultats
  • Les indicateurs de performance ne sont pas exhaustifs
  • Ne pas surévaluer les résultats quantifiables aux dépens de ceux qui  le sont moins
  • Mesurer les caractéristiques durables des établissements et identifier des tendances
  • Des indicateurs doivent être largement compréhensibles
  • L’information ne doit pas être collectée seulement parce qu’elle est disponible
  • Les indicateurs doivent prendre en compte des questions de qualité, d’équité et d’efficacité
  • Avoir trop peu d’indicateurs conduit à des difficultés d’interprétation. Trop d’indicateurs tuent l’information.

En savoir plus :


[1] D’après un écrit de l’Université de Bourgogne, sur mais le lien est cassé.,  Extrait de :

« Quelques conditions de succès de l’auto-évaluation d’un établissement scolaire : leçons d’une expérience à l’échelle européenne »  Denis Meuret & Sophie Morlaix (Irédu), Commulication aux Journées d’études « La régulation des systèmes éducatifs »,  Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 26-27 mars 2001  http://www.u-bourgogne.fr/LABO-IREDU/1999/99082.pdf (13 p.) – voir aussi les références sur http://crdp.ac-besancon.fr/uploads/media/L_EPLE_L_evaluation_de_l_EPLE_03.pdf

[2] D’après Stoll L., Fink D., 1996, Changing our Schools, Buckingham, Open University Press

Une « autre école », une autre planète (voyage exploratoire)

Le 17 novembre 2010, au collège Aimé Césaire, à Paris,  qu’on aurait pu rebaptiser, pour l’occasion, base de Kourou, une centaine de personnes sont volontaires pour une mise en orbite sur des planètes lointaines dans laquelle les conditions de vie peuvent être radicalement différentes des nôtres. Les voyageurs, venus des quatre coins de l’Académie mais aussi de Lyon, Bordeaux, et même Pondichéry,  ont pour mission de recueillir toutes les informations possible sur la manière dont, dans ces autres mondes, la connaissance s’acquiert, se partage, se transmet, se conserve.

En sont-ils revenus ? Mais d’abord, comment en est-on arrivé là ?

Entre « voyage pédagogiques » et rencontres créatives

VOYAGES – Le projet du voyage nait d’abord d’une tradition du « voyage pédagogique », initié par  de la Mission Académique Innovation et Expérimentation (MAIE), renommée depuis cet automne CARDIE[1], mais s’actualise aussi dans une rencontre.

Notre affiche de la « Carte au Trésor pédagogique » était déjà un « voyage au pays des compétences » d’une équipe ; chaque lieu d’éducation inscrit dans le réseau est conçu pour être potentiellement un lieu de formation partagée ; des séminaires annuels permettent de réunir les équipes autour d’un thème ou d’une question en travail, occasion de rencontres, d’échanges, de réflexion, et de découvertes. Chaque fois, nous faisons le pari de renouveler non seulement l’objet sur lequel nous travaillons (Innovation écriture,  évaluation, expérimentation, développement professionnel ou encore créativité), mais aussi le genre du travail. Nous avons retenu pour cette année le thème du changement en éducation.

RENCONTRES : c’est celle de François Taddei, : la lecture d’une interview de ce chercheur dans un grand quotidien national avait résonné pour beaucoup d’entre nous. Diplômé de Polytechnique et des Eaux et Forêts, François Taddei est devenu biologiste et directeur d’une unité de recherche à l’Inserm. Fondateur du Cri (Centre de Recherches Interdisciplinaires) , il est l’auteur d’un rapport à l’Unesco sur la créativité en éducation.

CREATIVITE – Avec son équipe de doctorants, nous nous sommes engagés dans une démarche créative pour ce temps fort du changement, à partir d’un scénario encore inédit pour tous :

Inviter au voyage – c’est-à-dire ouvrir la réflexion aux changements possibles en éducation, en s’affranchissant dans un premier temps de toute limite, de toute contrainte matérielle, avant d’organiser un « retour progressif sur Terre » et un questionnement sur ce qu’on pouvait rapporter de ce voyage lointain.  Développer chez les participants, toutes catégories confondues, une capacité à la projection, à la vision, à la prospective.

S’autoriser à travailler les représentations pour soi et pour les autres – travailler en confrontation – de sorte à guider son action. Ce registre, dans le domaine professionnel, est un des éléments-clés d’un travail d’équipe efficace dans une organisation apprenante – de même nature que d’autres pratiques plus usitées,  la régulation, l’analyse de la pratique, la démarche de projet. Cette capacité, cependant, est négligée dans l’organisation du travail enseignant, alors qu’elle est valorisée en sciences (c’est la démarche créative de rêverie poétique dont Bachelard, par exemple, et Einstein ont souligné la fécondité).

Partir ensemble loin et s’autoriser

VARIETE REQUISE DES GROUPES – Accueillis dans la très grande et nouvelle salle du tout nouveau collège expérimental Césaire, aménagée pour l’occasion en un grand cercle de chaises sans tables symbolisant la planète Terre, les participants ont reçu, à leur arrivée à la base de Kourou, une carte d’embarquement personnalisée : elle leur indiquait par une lettre la planète qu’ils auraient à découvrir, ainsi que la consigne : « Vous débarquez ensemble sur une planète lointaine et inconnue… où les modes d’être, de relation, de communication peuvent être radicalement différents des nôtres. Vous enquêtez sur la manière dont, sur cette planète, on apprend : acquisition, transmission, partage, capitalisation des connaissances… Votre tâche sera de rendre compte de cette enquête. »

Après une brève présentation de l’organisation et de ses objectifs, , les participants étaient invités à rejoindre leur planète par équipage de cinq personnes, sans se connaitre les unes les autres, toutes d’horizons divers (1er degré, 2e degré, enseignants, non enseignants, personnels de direction…). Distribuées dans des salles du collège, les planètes étaient symbolisées par de petits cercles de cinq chaises, sans tables. Un paperboard était mis à disposition des voyageurs et, en guise de carburant, le café et le thé étaient servis à intervalle régulier dans les différentes planètes.

ENRÖLEMENT DES ACTEURS – Chaque planète disposait d’une heure et demie pour se préparer à rapporter  les modes d’apprentissage, de transmission, d’échange et de conservation des savoirs qu’elle avait imaginés. Des rôles devaient être assumés, relatifs au fonctionnement du groupe, mais aussi à la restitution : ainsi, un « voyageur » pouvait à tout moment quitter sa planète pour aller voir ce qui se passait sur une autre et venir en faire le compte rendu de retour chez lui ; un rapporteur objectif aurait à charge le compte-rendu lors du regroupement en galaxie ; un réacteur subjectif témoignerait, quant à lui, de ses ressentis….

ELABORATION PROGRESSIVE – Au terme de ce temps d’élaboration collective , les planètes se regroupaient en galaxies (trois galaxies en tout, symbolisées par un cercle de chaises sans tables, toujours, d’une vingtaine de personnes). Chaque galaxie disposait d’une heure de temps.  L’animation de chaque galaxie était prise en charge par un doctorant de l’équipe de François Taddei – jeunes chercheurs travaillant dans le cadre du Cri.  On attendait de chaque équipe de voyageurs un récit de son voyage sur sa planète (compte-rendu objectif), un exposé de ses ressentis (compte-rendu subjectif d’une personne du groupe) et la composition d’un court message au grand groupe.

Puis c’était l’heure du retour sur Terre. Les participants retrouvaient la disposition en « planète Terre » (grand cercle) ; on procéda ensemble à une analyse croisée des scénarios du changement : faisabilité, innovation, expérimentation, processus en jeu, ouverture, éclairages internationaux.

La journée s’achevait par des échanges informels autour d’un buffet offert par la Mission.

Pour revenir

DEBRIEFING

Le dispositif proposé aux participants était inhabituel, décalé et pour tout dire, nouveau ; il a éprouvé certaines « résistances » propres à nos métiers et à notre culture propre en éducation.

Surmonter l’étonnement : certains s’étaient inscrits sur le nom de François Taddei, d’autres par intérêt pour le thème ; ils étaient surpris que l’Institution porte un travail de ce type, très éloigné des modèles scolaires et universitaires, et de leur propre représentation d’une journée « académique ».

S’autoriser à imaginer – Une fois à l’étape dite « des planètes », beaucoup de participants ont reconnu leur difficulté à « décoller » : l’imagination peinait à se défaire des conditions qui, non seulement caractérisent l’Ecole en France, mais déterminent l’organisation des d’apprentissage, les modes de vie et de relation entre les êtres vivants sur Terre. Le décentrage demandé était en effet considérable, à la mesure du voyage intergalactique !

Se décentrer – Cette « pesanteur » à se projeter dans un ailleurs lointain et radicalement autre s’augmentait de celle, pour certains participants très investis professionnellement, à se décentrer momentanément des actions dont ils sont porteurs au quotidien.

Assumer un rôle – au sein des « planètes », il n’a parfois pas été facile d’assumer les rôles prescrits par la consigne.  Certains équipages ont joué le jeu de la distribution, d’autres ont fait confiance au « laisser faire » ou encore à « ceux qui savent ».

Accueillir l’étrangeté – A l’étape dite « des galaxies », s’est parfois faite jour la difficulté à accepter l’autre, à écouter l’étrangeté : les participants s’investissaient parfois militants de leur planète avant que d’être accueillants des autres.

Jouer le « passeur » – Enfin, partir d’idées vagues à leur mise en forme recevable par un auditoire – travailler sur la communication de son projet – a parfois posé problème.

TOUS ONT APPRIS

Les impressions recueillies à chaud auprès des participants, ou communiquées plus tard, confirment un sentiment partagé de satisfaction sur divers points :

Identifier la convergence – la découverte d’un dispositif imprévu, favorisant l’imagination et la créativité, articulant des modalités de travail diverses dans des groupes à géométrie variable ; mais aussi la découverte que les préoccupations sur le changement en éducation font l’objet d’une réflexion intense et transfrontalière ; les restitutions des galaxies, en présence de Jérôme Teillard, responsable du DRDIE (DGESCO), ont montré combien les personnels, équipes engagées ou non dans l’innovation, sont prêts ou déjà impliqués dans trois dimensions du travail scolaire[2] :  des modes d’apprentissages plus imbriqués et interactifs entre élèves et enseignants, et partant, une nécessaire réflexion à conduire sur l’organisation scolaire, tant sur les temps et rythmes scolaires, alternatifs au cloisonnement tayloriste en cours, que sur les espaces de l’Ecole, plus variés, plus ouverts sur la Ville.

Parier sur la « fertilisation croisée » : la Mission est fidèle en cela à sa tradition d’organisation de temps de rencontre, d’échange, de partage ; le dispositif choisi pour ce 17 novembre, en ce qu’il abolissait les frontières (entre les disciplines, les degrés, les fonctions) pour stimuler une réflexion plus profonde sur l’école, a sans doute potentialisé les rencontres entre les participants ;

Faire du temps organisé une variable du travail en équipe – le partage d’un temps plein (pas de perte de temps) : parce qu’elle était construite sur un canevas qui imposait un rythme de travail assez soutenu et fortement scandé par les passages d’un groupe à l’autre, mais aussi parce qu’elle requérait de chacune et de chacun un investissement dans la réflexion collective, la journée a été vécue comme pleine, sans temps mort ;

Mesurer l’effet de l’ergonomie dans le travail – le bien-être dans des lieux nouveaux et plaisants : le collège Aimé Césaire, implanté dans un quartier parisien très populaire, offre un espace architectural original et beau, d’inspiration zen.  La  convivialité de l’accueil et de la réception reste un facteur important, toujours souligné par la mission.

Expérimenter pour soi – En outre, la journée a été l’occasion, pour l’équipe du collège Aimé Césaire qui a ouvert à la rentrée 2010 (avec quatre classes de sixième), de tester ses locaux, de découvrir ses partenaires extérieurs : « tout le monde a appris en même temps ».

Et « demain », c’est…

Ce type de journée s’inscrit, à l’instar d’autres dispositifs mis en place, tels que les « mardis de l’expérimentation » ou encore les groupes de formation consacrés à la créativité, à l’étude des organisations apprenantes ou à l’approche heuristique, dans une logique de l’empowerment : une ressource professionnelle pour oser, s’autoriser, collectivement, à explorer, à développer.

En conséquence, pour maintenir le lien, plusieurs suites sont envisagées dès à présent, telles que :

  • La constitution d’un Google group, ouvert, , http://groups.google.com/group/xpedu
  • Des rencontres et des appariements inédits, par exemple entre une école hôtelière et un lycée général à vocation littéraire
  • Le développement de ce type d’activités créatives avec des élèves, pour aménager le cadre spatial et temporel de leur collège
  • La formalisation de méthodes de créativité en éducation qui feront l’objet d’articles, de communications, au titre de l’ingénierie pédagogique déjà bien présente sur le blog de l’innovation

Bachelard nous invite encore une fois : « toute culture scientifique doit commencer par une catharsis intellectuelle et affective »[3]

François Muller et Frédéric Teillard – CARDIE , académie de Paris


[1] A l’instar de la création à la DGESCO en septembre 2010 d’un « Département Recherche et Développement en Innovation et en Expérimentation » (DRDIE) , transversal aux grandes directions, chaque académie reconstruit son organisation en accueillant une « Cellule Recherche et Développement en Innovation et en Expérimentation » ou CARDIE.

[2] Les productions sont visibles sur
http://picasaweb.google.com/fmullewh/PlanetesEtGalaxiesEnEducationNov2010#

[3] in La Formation de l’esprit scientifique, Gaston Bachelard, éd. Vrin, 1938, p. 18

L’expérimentation, ou le passé du futur (1910) ?

L’exposition en ligne de la BNF sur l’Utopie comprend une image de  VILLEMARD qui projette depuis son époque qu’on disait « belle » (1910)  une représentation de l’Ecole qui peut nous intriguer, nous amuser, ou  encore nous interroger.

voir sur http://expositions.bnf.fr/utopie/images/3/3_95b1.jpg

Comme toute prospective, elle peut s’avérer fausse; elle nous  renseigne sur nous-mêmes: ici, le rôle du Professeur dispensateur de  savoir pour des écoliers bien sages, écouteurs en ligne. L’innovation  ne vient surtout pas remettre en cause les schémas mentaux et
l’organisation ou ordre scolaire. Tout ce les TICE sont en train de  faire; mais en l’état, est-ce que 2010 est-il si éloigné de 1910 ?

Invitation au voyage « stellaire » en éducation

A l’occasion de notre Forum de l’Expérimentation organisé le 17 novembre à Paris à l’attention des personnels de l’académie de Paris, nous avons élaboré en collaboration avec le CRI (Centre de Recherches interdisciplininaires), animé par François TADDEI, chercheur à l’INSERM,  une invitation au voyage.

Des petits groupes à la composition mixte et variée, reçoivent une « carte d’embarquement » avec la consigne suivante :

« Vous débarquez ensemble sur une planète lointaine et inconnue… où les modes d’être, de relation, de communication peuvent être radicalement différents des nôtres. Vous enquêtez sur la manière dont, sur cette planète, on apprend : acquisition, transmission, partage, capitalisation des connaissances… Votre tâche sera de rendre compte de cette enquête… »

« Une autre planète », d’abord des rôles à prendre (pour apprendre)

L’objectif dans cette projection stellaire est aussi de réintégrer dans la sphère de la formation les dimensions non scolaires, non formelles pour les jeunes. Engager à une projection « votre école dans 20 ans, comment la voyez-vous ? » permet  par technique de prospective  de s’autoriser une prise sur les réalités, en faisant abstraction des contraintes actuelles. Une technique, comme une autre, de se donner un cap, le plus sûr des réflexes quand on veut aller (plus) loin.

En commençant déjà en petits groupes, il s’agit déjà de montrer qu’il est possible de s’organiser en petite société, de réflexion, d’apprentissage et d’acquisition de connaissances ; des rôles peuvent alors être pris : celui d’organisateur des relations à l’intérieur de la classe, à l’extérieur ; mais aussi celui de transmettre des savoirs dans les conditions les plus ajustées possibles, de faire retravailler des choses venant d’être vues.

Il  y a bien d’autres façons de faire que la situation magistrale et parfois archaïque ; il s’agit de penser alternativement et non mécanique, mais prendre appui sur un modèle vivant, multicellulaire, amené à constituer des moments, des organes, sur un mode biologique. Envisager aussi les rôles de communicant entre les groupes (sur le mode de la communication rotative) ; il existe d’autres manières : par exemple, l’enseignant fait un topo puis P/M (nombre de personnes/nombre de minutes), par exemple 5 mn par perso,, puis réaction d’une minute par personne. Ou encore sur un modèle américain, de Philip (groupement hétérogène de 2 bons, 2 en difficulté), ou encore sur la construction de 6 X6. Le rôle de porte-parole est alors pris pour penser la communication aux autres groupes au moment du regroupement.

Nous avons aussi retenu le principe  de la variété de la composition par décimation, ou par tirage au sort. Comme le principe de la variété des rôles (à indiquer sur le tableau de salles : multiplicité de rôles indicatifs, avec une permission de souplesse en fonction). Les interactions peuvent être visibles symboliquement, d’où le rôle des dessinateurs des propos. L’explicitation des actes, l’attribution de rôles à des personnes permettent de donner une réalité au travail du groupe.

Ces petits groupes seront réunis dans une seconde phase en « galaxie » composée de cinq groupes ; Comment dominer la difficulté d’un trop grande nombre d’informations ou remontées des grandes ?  Insister sur un MESSAGE ou sur une DEVISE : prendre des idées de façon rassemblée, comme par exemple le ballon, le ballon (un guidage qui permet authenticité des choses) ; il convient dans ce cas de faire son deuil de l’exhaustivité.

Participer activement et collaborativement à l’analyse de son propre cadre

Le message peut être libre, ou encore en préparant quelques rubriques. Nous y reviendrons la journée passée .

Finalement, le dernier message pourrait être sur la métaphore du VELO : qu’avons-nous à éclairer, quels sont les points d’appui ? Comment percevoir le cadre du travail. ? Sur quoi faire porter l’’effort ? Qu’est-ce qui a nous soutenir ? Comment utiliser les possibilités  de l’environnement ?

Dialogique, ou changer de point de vue

Cette invitation au voyage, au déplacement métaphorique et tout professionnel peut sans doute faire apparaitre des contradictions apparentes, parfois évidentes, entre notre perception et nos projets (du latin, se projeter). Sommes-nous capables, le voulons-nous ?, de penser ensemble ce qui parait contradictoire ?

L’apparition du concept de dialogique[i], selon Edgar Morin, nous permet de nous confronter à des situations dont les réalités nous paraissent divergentes et opposées, mais qui se nourrissent aussi l’un e de l’autre. De la même façon, notre Ecole est faite à la fois pour le développement des personnes dans leur individualité, mais en même temps, une pression vers l’altruisme et la rencontre des uns et des autres ; ainsi, une poussée vers un projet de l’instruction, comme aussi un projet d’éducation pratique et vivre en société. Une dialogique de la civilisation qui nous apporte des moyens (matériels, sécurité, logistique), mais aussi opposée à elle, une autre logique de la Culture (ce qui permet de s’accrocher personnellement et collectivement dans la société).

Identifier ces dialogiques dans notre monde peut être aidant pour nos métiers et structurant pour comprendre les enjeux de notre temps :

p. 45 dans « Pour l’honneur de l’Ecole »


Cela permet de revenir à des choses moins cassantes et scindées ; en faisant attention aux incertitudes et aux approximations de chaque proposition. C’est le cas pour les sciences, tenté un moment par le scientisme immodéré. En acceptant le complexe, en tolérant l’approximation comme une méthode scientifique tout à fait valable, ainsi que Carl Rogers le signalait, l’approche, mais on ne saisit pas complètement les choses ; on tâte, on palpe, mais on n’écrase ni les idées ni les êtres.

Retour à nos réalités contemporaines, plusieurs modalités sont possibles

–          « cherchez l’erreur » : si en sciences on ne remet pas en cause sa démonstration, son écriture, on ne pourra jamais rien trouver ; la science s’est construite souvent par les erreurs réalisées. Par exemple, Davisson et Germer  en abimant le miroir ont découvert la diffraction des électrons ; c’est dans la brisure que la nouveauté apparait. L’erreur est pensée comme une source du progrès, et permet d’éviter l’enfermement.

–          Tester  la « reliance » (d’après Paul Bolle de Bal) : ce n’est plus la dissection cartésienne, mais des dialogiques, des rencontres inattendues dans des champs de savoirs connexes avec des gens non conformes. La compatibilité entre les personnes doit être rendue possible pour varier les interactions et la variété des combinaisons entre ces éléments de nature variée.

–          Trouver le « bon » clinamen, l’interstice, le possible changement, souvent impensé, souvent comme « allant de soi », pour s’autoriser à de petits décalages qui permettent de grands changements plus durables. Sinon, tout est impossible.


[i] La dialogique d’après Edgar MORIN :  in « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Le Seuil, 2000 : par exemple « La recherche d’un avenir meilleur doit être complémentaire et non plus antagoniste avec les ressourcements dans le passé » «Une définition courte : «  Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes, qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent et se combattent. A distinguer de la dialectique hégélienne, extrait de l’Identité humaine,

Mouvement, extrèmes, grèves, révoltes à l’Ecole ? L’analyse de Proudhon

Intermède sur la tristesse des élites et le juste milieu froissé

Ou la médiocrité des extrémismes

Très souvent, le système de relations entre nos « élites » et le peuple français, ou nous-mêmes, est perturbé par des accès d’humeur, des « émotions » comme les historiens le signalaient déjà au XVIIème siècle[1]… Car, au minimum, il y eut la Fronde, avant la « Révolution ». On peut constater qu’il s’établit dans des moments marquants de notre vie nationale, des occasions desquelles les classes moyennes profitent pour se distancier de tous. Ne disons rien des exclamations populaires ou « intello », aux XIXème et XXème siècles.

Cependant, Proudhon[2] nous a avertit dans un passage des « Confessions d’un révolutionnaire[3] » : « Toutes les fois que la Nation française s’est montrée violente, soit dans la réaction, soit dans la révolution, cela a été uniquement parce que son bien-être, tel qu’il lui est donné de le concevoir et de le comprendre , lui semblait compromis… Toujours, la révolution a surgi en France du juste milieu froissé. »

Proudhon ajoutait l’apostrophe : « Courbe la tête, Gaulois goguenard, fais toi extrême afin de rester moyen ! »

Qu’en pense-t- on à propos des clameurs extrêmes et réitérées portées sur l’Ecole mais aussi des déceptions de l’Ecole ressentie par des classes moyennes. Ah, « moyenne »…..Serait-elle notre prison mythique ?


[1] « émotion » : au sens latin du terme : ce qui fait remuer ! Désigne toute forme de révolte populaire (les « croquants »), d’émeute frumentaire, de lutte fiscale ou de soulèvement urbain, de type barricades, par exemple au moment de la Fronde, dans la France d’Ancien Régime, voir notamment l’excellent petit ouvrage d’Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds, Les soulèvements paysans en France du 16e au 19e siècles, éd. Archives Gallimard, 1974.[2] Pierre Joseph Proudhon (1809 -1865 ) économiste, sociologue français, théoricien du socialisme, considéré comme un des premiers penseurs anarchistes.

La publication en 1840 de son oeuvre maîtresse Qu’est-ce que la propriété ?, question à laquelle il répondra par « c’est le vol », suscitera l’attention des autorités judiciaires et celle de Karl Marx auquel il s’opposera.

Après avoir tenté de créer une banque de prêts gratuits (à taux zéro), il pose les fondements d’un système de mutuelles dont les principes sont encore appliqués de nos jours dans les assurances.

[3] Incarcéré après la révolution de 1848,,il écrit son livre Les confessions d’un révolutionnaire pour servir à l’histoire de la révolution de février, il affirmera entre autres choses : « L’anarchie c’est l’ordre », message très franco-français !

Le désordre est-il compatible avec l’Ecole ?

Eloge du désordre dans un monde trop formaté
Dans Manhattan à Broadway, deux marchands de journaux s’étaient installés l’un en face de l’autre, de chaque côté de la rue. Dans l’une des deux boutiques, les magazines étaient impeccablement rangés et enregistrés sur ordinateur. Dans l’autre, ils semblaient avoir trouvé leur place par hasard. Le patron de ce bric-à-brac, dénommé Essam, ne disposait d’aucun système informatisé d’inventaire pour lui dire ce qu’il avait vendu et quels titres devaient être réassortis. Avec Zak, son commis, il travaillait de mémoire et tous deux profitaient des moments creux pour remettre un peu d’ordre.

Comme il fallait s’y attendre, la première boutique vendait plus de magazines que le pauvre Essam.Comme il fallait s’y attendre, un seul des deux marchands de journaux a survécu. La distribution des rôles, dans ce dénouement, n’est pourtant pas celle que l’on croit : c’est Essam (le désordonné) qui a survécu.
Il vendait certes moins de journaux que son voisin, mais gagnait plus d’argent, tout simplement parce qu’il s’épargnait les coûts exorbitants d’une équipe pléthorique pour ranger sa marchandise et du système d’inventaire en continu.

Cette histoire est racontée par Éric Abrahamson dans son livre « UN PEU DE DÉSORDRE = BEAUCOUP DE PROFITS » publié par Flammarion. L’auteur, professeur de management à la Business School de l’université Columbia à New York veut ainsi démontrer que l’ordre peut coûter cher, que le désordre peut être rentable et que les organisations trop rigides brident souvent la créativité.

http://www.tv-radio.com/ondemand/france_inter/RDE/RDE20100102.ram

L’occasion de quelques échanges sur la plateforme de Facebook à l’occasion de cet article a permis de préciser quelques points: A l’occasion de séance d’analyse de pratique relative au métier d’enseignant, mais aussi à celui de formateur d’enseignant, voire de personnel de direction, j’ai été fréquemment confronté au paradoxe d’une sur-préparation professionnelle mise en tension avec un sentiment d’etre « démuni »; c’est le terme qui est venu le plus souvent.

En latin, démunus,c ‘est être désinvesti d’une charge, ou encore sans armes; pour faire le lien avec l’article proposé, est-ll judicieux de tout prévoir, calibrer,programmer, quand nos expériences, multiples, variées, diverses, nous apprennent que les processus à l’oeuvre en éducation composent avec l’improvisation, la réactivité, et donc une certaine créativité, et donc… une expertise nécessaire pour ne plus être démunis. L’accueil de l’imprévu, la gestion du désordre sont des actes tout aussi professionnels que le planification annuelle des performances !

La sur-préparation d’une personne ou d’une organisation témoigne d’un état de faiblesse structurelle et d’une manque de confiance dans sa propre expertise.

Dans vos échanges, vous évoquez le cas particulier (.?) des TICE: il n’est pas particulier que dans d’autres domaines; les tice exigent une vraie expertise professionnelle non tant dans les tice (faisons confiance au groupe, pour apprendre), que dans l’appréhension et la conduite de l’imprévisibilité, de l’immédiateté, de l’opportunité de se saisir de tout pour apprendre ensemble. On rencontre ici un profil professionnel avec des ressources psychologiques, elles, particulières, qui peuvent faire la différence entre collègues.

Enfin, je rappelle que nous « instituons » tous, chacun dans nos places ou métiers; i y a peut-être des logiques ou des cultures d’institution, mais il est de notre part à chacun de la faire évoluer; cela peut prendre du temps; les résistances sont fortes; en ne comptant pas (ou plus) sur l’institution, vous pouvez conforter son rôle de conservation, … et le rôle de marginal, séquent ou pas (cf. Michel Crozier)

La « machine-Ecole », à la découverte (imagée) du système

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=fKMWqtXOPEg[/youtube]

En complément à l’affiche « la Machine-Ecole » que nous avions éditée en 2005, et analysée en détail dans un post précédent, je vous propose un parcours en images et en musique (enceintes allumées). Il est conseillé de visionner jusqu’au bout…

Une affiche en un dessin original: une approche métaphorique du fonctionnement de l’Ecole, de ses composantes diverses, de ses freins et de ses leviers, des rouages… (à regarder en GRAND, double-clic !)
Un concept développé par la Mission académique de l’innovation et de l’expérimentation de Paris, François Muller et Frédéric Teillard, dessin: Philippe Mignon.
Un commentaire de l’affiche est en ligne sur
http://francois.muller.free.fr/diversifier/en.htm

Disponible sur demande par mel à francois.muller@ac-paris.fr (avec votre adresse postale)

La fable des animaux républicains (question de socle ?)

A la suite d’une formation d’enseignants des établissements français AEFE de la zone Amérique Nord (Houston, déc. 2009), il me semble intéressant et avisé de revenir sur la « fable des animaux républicains »  que nous avions composée avec André de Peretti, dans « Contes et fables pour l’enseignant moderne », éd. Hachette éducation, Paris, 2006.

Un jour, les animaux décidèrent de faire quelque chose pour résoudre les problèmes du monde moderne. Ils organisèrent donc des élections, et un ours, un blaireau et un castor furent désignés membres de la Commission d’Enseignement. Un hérisson fut engagé comme professeur. Le programme scolaire consistait à courir, grimper, nager et voler, et, afin de faciliter l’enseignement, l’on décida que toutes ces disciplines seraient obligatoires.

Le canard battait tout le monde à la nage, même son professeur, mais il était très médiocre quand il s’agissait de voler et complètement nul à la course. C’était là en fait un si mauvais élève qu’on décida de lui donner des leçons particulières : il devait donc courir pendant que les autres allaient nager. Cet entraînement meurtrit tellement ses pieds palmés qu’il obtint à peine la moyenne à l’examen de natation.

L’écureuil grimpait mieux que quiconque, avait toujours la meilleure note en escalade, 18 sur 20. Voler, par contre, lui déplaisait profondément car le professeur exigeait qu’il saute du haut de la colline, alors que lui préférait s’élancer de la cime des arbres. Il se surmena tant qu’au bout d’un certain temps, il n’obtint plus que 8 en escalade et 6 à la course.

L’aigle était une forte tête que l’on punissait très souvent. Il éclipsait tous les autres quand il fallait grimper aux arbres, mais ne voulait utiliser que sa propre méthode. On décida donc de le mettre dans une classe d’observation.

Le lapin était tout d’abord le champion de course à pied, mais les heures supplémentaires qu’on lui fit faire à la piscine finirent par lui donner une dépression nerveuse.

A la fin de l’année scolaire, une anguille prodige, médaille d’or de natation, et qui savait aussi grimper, courir et même voler un peu, obtint la meilleure moyenne dans toutes les disciplines. Elle fut donc désignée pour prononcer le discours de fin d’année lors de la distribution des prix.

Creuser des galeries ne figurant pas au programme scolaire, la taupe ne put aller en classe. Elle n’eut donc d’autre choix que d’envoyer ses enfants en apprentissage chez le blaireau. Plus tard, ils s’associèrent avec les sangliers pour fonder une école privée, et celle-ci eut beaucoup de succès.

Mais l’école qui était censée résoudre les problèmes du monde moderne dut fermer ses portes  – au grand soulagement de tous les animaux de la forêt.

Lire la suite de nos entretiens avec André de Peretti sur la page ici où il sera question bien évidemment de « socle », mais aussi de « standards » et d’avandced, mais aussi de différenciation, de diversification de l’évaluation et même…. d’égalité.

Que dit-on quand on dit « malaise » des enseignants ?

La DEPP livre à nouveau une remarquable étude sur les enseignants du second degré, qui donnera bien des éclairages utiles à qui voudrait se pencher sérieusement sur l’état d’esprit, les forces et faiblesses du corps enseignant du second degré. Tant sur le sentiment des enseignants sur leur propre métier, que sur la perception qu’ils ont des élèves et de leurs difficultés.

Vous pouvez vous en référer soit à  la publication de la DEPP elle-même, soit au résumé disponible sur le Café du 23 oct. 2009. dont je ne retiendrai qu’un seul graphique, pour l’heure: les réponses à la question portant sur « le coeur du métier« :

Il nous semble intéressant de rapprocher ces réponses-expressions des représentations professionnelles du cadre de référence du métier d’enseignant paru  au BO du 1er janvier 2007, afin de mesurer l’ampleur du changement des pratiques à accompagner, dans le cadre de la dite « réforme du lycée ». Sur ce point précis de l’accompagnement des élèves qui devient (enfin ?) partie intégrante du métier, nous y reviendrons dans un autre post.

Désarticulation des systèmes logiques

Nous souhaiterions ici approfondir ce décalage grâce à l’analyse partagée par des travaux communs avec des psychiatres, proches de la MGEN, et des cliniciens du travail (CNAM):  dans la continuité des conclusions de Marcel Gaucher évoquant « le désenchantement du monde », comme d’autres sociologues de la fin des idéologies, nous évoquons la désarticulation des systèmes logiques. Expliquons-nous plus avant :

Nous tous sommes mûs par un système de valeurs, de représentations, qui président à nos actes : ces représentations sont elles-mêmes issues de la combinaison entre expériences initiales et des modèles issus de votre propre formation initiale (s’il y en a eu d’ailleurs), ou encore d’éléments appris sur le tas,  en « salle des profs », ou encore par affiliation à quelques prises de position portées médiatiquement…. Ce système peut vous paraître logique et même ancien, coutumier, et sans grande remise en cause.

Nous avons pu nous construire, nous former, nous faire guider par des systèmes logiques, composés d’institution (« ce qui institue »), de sécurité, d’assurance et de stabilité. Force est de constater que dans tous les métiers, et les nôtres aussi (ce qui peut d’une certaine façon rassurer, ce sont bien des métiers, comme les autres), les attributs cités présentent une vivacité altérée: institution ? sécurité ? assurance ? stabilité ?

Cependant, il suffira de quelques gestes, ou paroles, d’un élève, ou d’un collègue, ou d’un parent, pour que votre système soit ébranlé. Enseignants, tous niveaux confondus, mais aussi directeurs, chefs d’établissement, inspecteurs, formateurs, sommes confrontés à des tensions ou des renforcements paradoxaux qui, selon les cas, nous tirent à hue et à dia, élargissent nos compétences, mais parfois désarticulent nos actions, en perte de repères traditionnels (« c’était mieux avant » ?).

Bien des témoignages dits de terrain, en de multiples endroits, et de contexte,  nous renvoient une image plus complexe, en mosaïque d’une perception des évolutions troubles « travaillant », comme autant de forces telluriques travaillant les structures rigides de l’écorce terrestre , les métiers de l’éducation et de la formation.  Ainsi, nous pourrions, à l’envie, identifier des couples terribles, tels que:

Juger <- -> comprendre

fatalisme sociologique <- -> acte pédagogique

Évaluer <- -> accompagner

Indicateur <- -> indication

Contrôler <- -> vérifier, réguler

Confidentialité <- -> élargissement du cadre

Militantisme <- -> professionnalisme

Transversal <- -> didactique

Formation <- -> changement

Changement <- -> identités professionnelles

Application de réforme <- -> résolution de problème

Statuts <- -> fonctions, compétences

Hiérarchie à la « française » <- -> pilotage pédagogique

tâche <- -> Activité

Performance immédiate <- -> temps du projet

Je sais <- -> je ne sais pas (faire) (tout seul)

Expertise <- -> co-élaboration , négociation convenable

Approche scientifique <- -> prégnance des « idées sur les choses »

Absolutisme <- -> modestie et pragmatisme

La métaphore tellurique est signifiante: si la perception humaine est empreinte de stabilité rassurante et durable à la surface, tous savent que pourtant, la réalité dynamique et magmatique de la Terre fera en sorte que la Californie peut disparaitre en un jour danas la faille de San Andréas: et que d’une certaine façon, moins cela bouge à présent, plus cela va bouger (id est: plus le rattrapage des retards structurels sera important et violent).

Dans le domaine de l’expérimentation

Nous pouvons assez régulièrement faire l’expérience de ce tangage en matière de suivi et d’évaluation de l’expérimentation, au moins sur deux niveaux:

Pour l’établissement:

•Moyens et postes non couplés à l’expérimentation

•Inscription encore trop formelle dans le projet d’établissement

•Base professionnelle encore modeste, où la dimension personnelle est primordiale

•Difficultés conceptuelles et professionnelles à déporter l’évaluation des personnes

•Problématiques institutionnelles assez éloignées du « terrain »

Pour la structure académique

•L’organisation du travail, des missions, des statuts, des services n’a pas changé depuis 20 ans

•L’évaluation de l’expérimentation est découplée de l’évaluation de l’établissement et de la préparation de rentrée (janvier 2009);

•Discordance entre un discours, un affichage officiel et des organisations et pratiques qui dévaluent l’expérimentation

•Paradoxe entre un dispositif d’évaluation plus professionnalisé et un jugement de l’action et des acteurs à l’encan

•Difficultés conceptuelles, techniques et organisationnelles pour l’inspection de trouver un dispositif et les expressions institutionnelles pour appréhender et accompagner un fait dérogatoire et collectif

Néanmoins, que faisons-nous ?

Faut-il déplorer ces incohérences qui risquent de mettre à mal dispositifs de terrain et parfois certains acteurs ? Peut-être que non, c’est le lot du changement, lent, toujours trop lent, mais pourtant durable, de toute institution, la nôtre comme d’autres. Ce qui peut sembler incohérent ou rétrograde n’est souvent l’expression d’organisations ou de forces en pleine mutation, où l’on doit retrouver les formes du passé pour accepter celles du présent et de l’avenir prochain.

Alors, peut-on dire que le « malaise » des enseignants, in fine, est réel; oui. Praticiens, experts, cliniciens, tous sommes pourtant d’accord pour signaler aux responsables d’une part qu’il est important de reconnaitre ce malaise, pour ce qu’il est; d’autre part, de tenter ensemble d’en proposer une explicitation partagée, problématisée,  sans rechigner à la complexité des choses; de distinguer des analyses « macro » du ressenti « micro », l’une et l’autre étant réelles pour autant. Qu’il est important de mettre des mots sur les choses, c’est trés « aidant » pour les personnes et pour les structures; travailler dans le non-sens ou la désorganisation non assumée a un vrai coût mental, de la même manière que de travaillent « en résistance », aux dépens des missions premières.

A l’heure où l’on peut évoquer publiquement le « travail émietté », parcellisé dans les organisations, il devient donc salutaire, en prévention, et en intelligence, de traiter de notre organisation pour qu’elle soit « apprenante ». C’est un des enjeux de nos années actuelles et à venir.

photos de vacances: la mondialisation et l’innovation

Voici une observation sur 24 heures des vols des grands avions dans le monde, réduit à 2 minutes environ. Chaque point jaune est un avion dans le ciel. De l’espace on dirait un essaim d’abeilles. On voit que c’est l’été dans le nord par l’ombre portée par le soleil sur la planète…

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=geDGTFdUpEQ&eurl=http%3A%2F%2Fwww.lesitedelevenementiel.com%2Fworld-air-traffic-video%2F&feature=player_embedded[/youtube]

Et vous, où êtes -vous ? A observer les petits points se déplacer, chacun suivant sa logique propre, et pourtant participant à des flux, se regroupant dans des aires de départ et d’arrivée, nous assistons « vu du ciel » à un ordonnancement de la mondialisation des échanges, des biens et des personnes.

Cela ressemble furieusement à notre « vague de l’innovation » où chaque image possédait son histoire, son origine, son appartenance, et pourtant, en changeant d’échelle, formait une image globale du changement.

Et vous, où êtes-vous en cette fin juillet ?

Retour sur la « pomme »: Magritte en éducation

Deux événements concommittents nous invitent à revenir sur le mystère de la « pomme » (verte) en l’occurrence.

Tout d’abord, nous avons lancé notre programme de séminaires et de formation de ce printemps sous l’égide de l’audace, avec une affiche trés visuelle et interrogative, pour certains retours: « OSER », en proposant neuf pommes pas toutes identiques. La polysémie du message est un excellent media pour ouvrir le dialogue.

D’autre, Bruxelles ouvre officiellement, enfin, le Musée Magritte; banque extraordinaire des oeuvres remarquables de ce peintre belge, étonnant dans le décalage qu’il a orchestre entre sa vie quotidienne et son oeuvre surréaliste et encore trés actuelle.

C’est pourquoi il est intéressant pour nous, éducateurs et formateurs, de revenir à la source de l’auteur; notamment, dans son écrit:

« Toute chose ne saurait exister sans son mystère. c’est d’ailleurs le propre de l’esprit que de savoir qu’il y a le mystère. (…) Une pomme, par exemple, fait poser des questions. (…) Dans un tableau récent, j’ai montré une pomme devant le visage d’un personnage.(…) du moins, elle lui cache le visage en partie. Eh bien là, il y a donc le visage apparent, la pomme qui cache le visage caché, le visage du personnage. c’est une chose qui a lieu sans cesse. chaque chose que nous voyons en cache une autre, nous désirons toujours voir ce qui est caché par ce que nous voyons. il y a un intérêt pour ce qui est caché et que le visible ne nous montre pas. cet intérêt peut prendre la forme d’un sentiment assez intense, une sorte de combat dirais-je entre le visible caché et le visible apparent  »
— Les mots et les imagesLa Révolution surréaliste.

Transposition méthodologique

« nous désirons toujours voir ce qui est caché par ce que nous voyons. »

C’est là un des principes qui pourraient nous animer d; ans nos travaux auprès des équipes en innovation/expérimentation; ce qui est donné à voir, les objets explicites, qu’ils soient de l’ordre de l’écrit, du discours, masquent la plupart des processus à l’oeuvre, qu’il s’agit de décoder, avec les acteurs, qui n’en sont pas toujours conscients: actualisation des organisations du travail collectif, élargissement du cadre de référence professionnel, élaboration d’une compétence collective, étape d’un management des connaissances, changement des paradigmes du métier d’enseignant, résolution de tensions qui traversent non seulement l’Ecole, mais aussi la Société. etc…

C’est pourquoi, de la même manière que l’oeuvre picturale de Magritte requiert les regards croisés des publics, la variété de son interprétation, de la même manière, les expérimentations en oeuvre dans nos écoles et établissements requièrent un accompagnement expert et externe; en retour, Magritte nous le signale: « cet intérêt peut prendre la forme d’un sentiment assez intense ». Les phases d’évaluation actuellement menées pour certaines équipes l’attestent, c’est intense, et trés formateur …. pour tout le monde.

Précision étymologique

Le mot « pomme » vient du latin pomum, mais ce dernier mot est un parfait exemple de faux-ami : en effet, en latin, la pomme est appelée malum (qui a donné mela en italien ou mar en roumain), tandis que pomum désigne n’importe quel fruit – Pomona est la déesse des fruits. Le mot « pomme » a remplacé malum car, d’une part, malum fait penser à malus, le mal, et d’autre part, la pomme demeure le fruit, le pomum, par excellence. L’usage du mot pomme pour désigner un fruit a d’ailleurs perduré longtemps, comme en témoignent les noms de pomme de terre, de pomme de jacque, pomme d’Orange (ancien nom de l’orange) ou de pomme de pin ou pomme cannelle.

En savoir plus sur l’univers physique et métaphorique, mais aussi culturelle et scientifique de la « pomme »

Dix conseils pour conduire le changement

Dali avait une prédilection pour la Gare de Perpignan, le centre du Monde selon lui, fantasque et surréaliste ; il en avait construit toute une représentation et tenait un discours savant à son propos. Ne nous hasardons surtout pas à imiter le génie ; et contentons-nous de juste porter notre regard, attentif et bienveillant, quoiqu’un peu surpris, sur la présente photographie, proposée ci-dessus.

« Ce petit chemin qui sent la noisette … »

Nous sommes loin de toute ville, grande ou moyenne, mais en pleine nature ; d’ailleurs, l’horizon semble barré par quelques sommets qui annoncent la montagne toute proche ; nous sommes dans les abords de la chaine pyrénéenne. Ciel, Perpignan n’est plus loin.

Dans cette vallée du Gave de Pau, du nom du torrent qui baigne cette large vallée, juste avant le rétrécissement de Cauterets (Hautes-Pyrénées), serpente une sorte de route, ou peut-être pas, étonnante, dans ce qu’elle présente des poteaux rouge et vert en son milieu, très régulièrement. Ce peut être certes une route, bien asphaltée pourtant, mais tout est fait pour en entraver l’usage du moins par les voitures.

C’est dans une intersection avec une autre voie que la chose est la plus nette ; là est sise une maisonnette, pas assez grande pour en faire une villa grand luxe, pas assez petite pour un cabanon de jardin. Sa construction est en matériaux durable, et ici, visiblement, elle a fait l’objet d’une restauration, même, d’une modernisation, comme peut en témoigner la magnifique parabole blanche qui auréole sa façade. Non seulement, elle est habitée, mais encore très « high tech ».

Ces quelques observations attentives ne peuvent que nous interroger : une route qui’ n’en est pas une, barrée en son milieu, coupée par une voie médiocre et elle, active, une baraque toute petite mais rénovée ; le monde serait-il fait de « faux semblants », prompts à tromper nos sens ? Descartes est toujours parmi nous ?

Archéologie du paysage rural

Aurons-nous tout deviné en chaussant d’autres lunettes, celle de l’historien, pour décrypter la « route barrée » comme une ancienne voie ferrée, désaffectée depuis les années cinquante, puis démantelée, et enfin reconditionnée pour en faire une magnifique piste cyclable, celle de la « voie verte des Gaves », de Lourdes à Pierrefitte , sur 18 km.

Son tracé somme toute rectiligne, suivant de part en part, le Gave de Lourdes, garde un profil étonnamment plat ou en faux-plat, nécessaire pour le parcours des locomotives d’antan, à la fois rustiques et robustes. Dans le dernier tronçon d’ailleurs, de Pierrefitte à Cauterets, la déclivité devenait forte ; . De sorte que la voie s’engage depuis Lourdes dans une vallée qui se rétrécit peu à peu, dominé par des monts de plus en plus acérés, sans monter. La « barrière » telle que l’envisageaient les peintres et poètes romantiques du XIXème siècle, c’est juste après.

Cette voie ferrée et à vapeur (pas de trace d’électrification du réseau ici !) appartient au très ancien réseau ferré qui a permis de désenclaver les espaces ruraux et semi-montagnard, en jouant le rôle tout à la fois de lien avec les villes prochaines ou plus lointaines (Lourdes, puis Tarbes, puis Toulouse, puis.  Paris), mais aussi de chasse-d’eau permettant la migration temporaire, souvent définitive, de main d’œuvre bon marché vers les foyers industriels et urbains. Elle a vidé peu à peu, mais sûrement la vallée de ses habitants ; nous sommes ici dans une frange de la « diagonale du vide » qui traverse la France de part en part. Cet axe majeur pour la vallée a profondément transformé la vie des hommes et des organisations économiques, et sociales.

Nouveaux usages de la campagne

Mais, la photographie, l’atteste, il n’existe plus. Des infrastructures, en dur, rails et traverses, ballast, gares et entrepôts, matériels roulants et personnels, tout ce qui paraissait inscrit dans le granit et dans le sol semblait durer pour l’éternité. La modernisation du réseau SNCF a abandonné ce tronçon dans les années cinquante ; le démantèlement des voies est plus récent, au moment de la reprise par la communauté de communes, afin d’organiser le projet de piste cyclables, il y a à présent une dizaine d’année. Ce qui a été conçu et utilisé comme voie rapide et pénétrante pour servir la vallée, sera à présent une voie de promenade et de détente pour urbains en mal de verdure.

Nous avons changé de monde manifestement. Et finalement, à l’échelle d’une génération, assez rapidement aussi.

La petite maisonnette mérite aussi notre attention ; en réinscrivant dans notre lecture la voie, ferrée, nous comprenons mieux le « genre » de la maison ; c’est une construction modeste, destiné à assurer le service de passage de niveau entre la voie ferrée et le chemin rural qui le croise ; c’est la « maison du garde-barrière », avec son petit jardinet ouvrier juste derrière. Construction identique à toute autre maison de garde-barrière en France, elle ne présente rien de typique ou de régional.

La maison de service est manifestement devenue une maison de type résidence secondaire pour quelqu’un de la « ville », en nous référant à la fois au goût très sûr des coloris du crépis de façade et à la superbe installation vidéo. C’est donc non seulement une réaffectation de la fonction, mais aussi un changement de « genre », au fond du fond de la vallée lourdaise.

Le passage à niveau et la barrière de la voie ferrée ont disparu ; et il est amusant de constater qu’à présent, la voie « barrée » est bien l’ancienne voie ferrée asphaltée et non plus l’ancien chemin rural. C’est une inversion historique des réseaux, et des priorités des flux.

Tous les éléments sont là, ils s’imposent à nous, mais nous en avons perdu leur logique propre, ils témoignent d’une histoire, plus ou moins ancienne, d’héritages que nous avons des difficultés encore à lire ; pourtant le présent s’y est fait une petite place, soit en en aménageant les espaces et les fonctions, soit en niant délibérément les usages, pour se mettre en cohérence avec d’autres forces actives par ailleurs (comme ici, l’urbanisation, la tertiarisation, le développement des déplacements automobiles, les flux invisibles).

Transposition en matière de conduite de l’innovation, 10 règles à tester.

Sommes-nous très loin de tout ce qui concerne l’Ecole et son changement, propos de ce blog ? Peut-être ou pas si sûr ? Pouvons-nous proposer quelques enseignements de cette « leçon de choses » ou d’étude de vue paysagère ?

1. Ce qui peut paraître ancré dans le granit ne l’est vraisemblablement pas.

2. Les priorités n’en seront pas toujours, d’autres viendront, plus vite qu’on ne pense.

3. Les changements se font de plus en plus rapidement, à présent à l’échelle de la dizaine d’années, avec accélération du processus.

4. Nous pouvons assister à des inversions de fonctionnement, voire même de finalités.

5. Il n’est pas du tout assuré que les changements durables constatés aient été le fait de valeurs assumées, de principes politiques ou d’idéologie portée ; l’observation montre un certain pragmatisme dans l’organisation des choses.

6. Les changements ont un impact direct, non seulement sur les personnes, mais aussi sur les installations, les infrastructures, les paysages.

7. Les leviers du changement peuvent être à la fois proches, mais parfois très lointains, pourtant, les répercussions sont les mêmes.

8. Les décisions ou initiatives des acteurs, petits ou grands, agissent comme combinatoires, sans forcément de relation directe entre elles ; mais cela a un effet sur les réalisations, productions constatées.

9. Il y a de l’intérêt à se saisir des différentes analyses et apports des sciences pour mieux comprendre cette complexité.

10. La vie continue, sans dénoter de catastrophe ou de progrès, qui ne sont que des connotations relatives, si ce n’est subjectives.

Et vous, quelle serait votre « Gare de Perpignan » ?

Apprendra-t-on de l’expérience ? L’exemple du D-DAY en éducation et en formation

Parfois, il est quand même intéressant de jeter des brefs coups d’oeil dans la presse nationale, si, si. Un trés récent article, de fin de journal, dans Libération (30 mars 2009) nous embarque dans une expédition de hauts stratéges de l’Armée, en vadrouille sur le terrain normand, là où le D-Day a marqué le Monde.

Quelques extraits:

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PLAGES DE NORMANDIE, envoyé spécial JEAN-DOMINIQUE MERCHET

Le brouillard était bien là, mais celui dont nous parlait le colonel était celui de la guerre, le « Nebel des Krieges», du grand stratège Carl von Clausewitz. Ce flou permanent qui empêche le chef militaire de connaître précisément la situation sur le terrain.

Le staff ride ou apprendre de l’expérience, ensemble.

Sur le terrain du débarquement de Normandie, ce jour-là, la troupe était composée uniquement de chefs. Un groupe d’officiers supérieurs, tous colonels ou capitaines de vaisseau, cadres au Collège interarmées de défense (CID), l’ancienne Ecole de guerre. Plus deux généraux, un amiral et trois historiens. Ajoutez un journaliste embedded, vous avez un staff ride. Un staff ride, c’est donc un voyage d’état-major sur les lieux d’une bataille. Il ne s’agit pas de la rejouer avec des troupes ou sur un simulateur, mais de l’analyser, les pieds dans la boue, pour en tirer des leçons générales de stratégie. C’est une école de chefs militaires, avec une pédagogie très éloignée des habitudes françaises, qui privilégient l’exposé théorique dans un amphi, en deux parties et deux sous-parties.

Le staff ride est une habitude très américaine que les Français redécouvrent. Il s’agit d’une invention prussienne de la Kriegsakademie, au XIXe siècle, dont les pratiques militaires américaines sont largement inspirées. Avant la guerre de 1914, Ferdinand Foch, qui enseignait à l’Ecole de guerre, ne manquait pas d’emmener ses élèves sur les champs de bataille de 1870. Mais l’habitude s’en était perdue et, aujourd’hui, il faut faire appel au savoir-faire américain.(…)

Apprendre de l’expérience et de son « genre » professionnel, et d’abord pour les cadres

Pour les officiers qui doivent planifier les opérations actuelles, le Débarquement offre un autre avantage : c’est l’une des rares batailles à être totalement «interarmées», «joint», disent les Américains, une combinaison d’opérations navales, aériennes et terrestres. Rien n’est plus difficile à organiser. «Je veux que l’histoire militaire et l’étude des grands principes de la stratégie reprennent toute leur place dans notre enseignement», nous confie le général Vincent Desportes, qui commande le CID. Chaque année, 380 officiers, dont un tiers d’étrangers, en suivent les cours pendant un an. Lorsqu’ils en sortent, on dit qu’ils sont «brevetés» (….)

Le général Desportes est un personnage, l’une des têtes pensantes de l’armée. Ancien officier dans les chars, ce descendant d’un lieutenant de Du Guesclin écrit des livres très lus dans la communauté militaire, comme la Guerre probable en 2007. Directeur de collection chez Economica, il tente de faire revivre la pensée militaire française, telle qu’elle existait dans les années 30, lorsque le colonel de Gaulle publiait Vers l’armée de métier, une critique de la doctrine militaire d’alors. Vincent Desportes a été détaché pendant cinq ans aux Etats-Unis. A l’US Army War College, il a découvert les staff rides, qui se font là-bas sur les sites des grandes batailles de la guerre de Sécession. «Cela permet à chacun de s’élever : le capitaine réfléchit comme un colonel et le colonel comme un général», dit le général. Il essaie aujourd’hui d’acclimater la pratique à la France.

Improviser ou l’art de la guerre

Ce matin de mars, il n’y a pas que le «brouillard de la guerre». Il y en a aussi la «friction». Clausewitz, toujours lui, nomme ainsi les petits détails qui font que les choses ne se déroulent jamais comme prévu. Alors que notre troupe a réembarqué dans son car pour rejoindre Utah Beach, le chauffeur nous apprend que la route est coupée par les inondations habituelles en cette saison dans les marais de Carentan. Il faut faire un détour, donc perdre du temps, alors que tout est soigneusement minuté durant ces deux jours. (…)

«Que faire ?» demande le colonel Peter H. Herrly aux officiers français. Tous les plans sont chamboulés et il faut «im-pro-vi-ser». L’anecdote vaut d’être contée : cette division était commandée par le général Theodore Roosevelt Jr, fils du président Theodore Roosevelt et petit-neveu du président alors en exercice Franklin Roosevelt. Il fut le seul général à débarquer avec la première vague. C’était un grand malade qui ne pouvait marcher qu’avec une canne ; dans le Jour le plus long, il est incarné par Henry Fonda. Que fait-il ? Il s’adapte : «We’ll start the war from right here !» («On va commencer la guerre à partir d’ici»). Les officiers français hochent la tête, réalisant que la «planification opérationnelle» sur laquelle ils travaillent à longueur d’années doit, à la guerre, souvent céder le pas au simple bon sens.

Commandement unique et commandement divisé

En Normandie, les Allemands étaient aussi de la partie. Il y avait même parmi eux «des gars venus de Géorgie», comme disait Michel Sardou, engagés dans les Ostbataillonen recrutés dans le Caucase.(…). Tout le monde a pourtant ses cartes d’état-major à la main. Au débriefing du soir, qu’a-t-on retenu ? Que l’armée allemande ne respectait pas l’un des principes essentiels de la guerre : l’unité de commandement. En clair, il n’y avait pas un chef, mais plusieurs (Rommel, Von Rundstedt, etc.) n’ayant pas les mêmes idées sur la manière de repousser l’ennemi. Seul Hitler pouvait trancher. Et comme chacun sait, au moment du Débarquement, il dormait…

Question de point de vue

Reste un problème : comment faire travailler ensemble des terriens, des marins et des aviateurs. La question se posait en 1944, il n’est toujours pas vraiment réglée. Dans notre staff ride, il y a des pilotes de chasse, des commandants de frégates, des fantassins et même des gendarmes. Chacun réfléchit à sa manière. Vu de la mer, de la tourelle d’un char ou du cockpit d’un avion, le monde n’est pas le même.

Léger mouvement d’humeur, lorsqu’un représentant de l’armée de l’air Jérôme de Lespinois revient sur les cafouillages des bombardiers lourds, utilisés à contre-emploi, à la demande des terriens. «Il ne faut jamais dire à la personne dont on attend l’appui comment faire, mais quel effet on attend de lui», conclut un cadre. Chacun son job et les vaches seront bien gardées. (…) »

Transposition méthodologique à nos domaines de l’éducation, de la formation et de l’innovation

Nous pouvons trés librement et sans doute trop rapidement tirer quelques principes de réflexion et d’action pour notre domaine, tellement spécifique (en est-on si sûr ?):

  • une action de formation sur l’encadrement est nécessaire, et doit être intercatégorielle, variée, et continue, en veillant à la diversité des domaines et des compétences et des statuts (on retrouve le staff ride), là où dans notre éducation, nous allons trop souvent sur l’identité et la parité.
  • L’enquête sur le terrain, le déplacement vers l’ailleurs, la rencontre, et l’histoire sont des sources et des ressources pour apprendre sur soi et sur notre avenir.
  • Le décalage, le changement de point de vue, le jeu de rôle pour apprécier les complémentarités et permettre la constitution des équipes
  • Brouillard et friction: créer des situations de flou et d’inattendu en formation pour permettre de travailler les compétences d’ajustement, d’improvisation et de conduite du changement. C’est un des marqueurs de l’innovation, précisément.
  • Unicité du commandement:  comment encore exercer dans notre système à deux têtes, entre administration et pédagogie, à hue et à dia ?
  • Concentrer les énergies sur les objectifs, et s’appuyer en confiance dans les processus (et l’organisation du travail notamment) sur la responsabilisation des acteurs. Le « droit à l’expérimentation » est une entrée intéressante.

Ainsi, en décodant les facteurs d’efficacité de la formation de notre commandement militaire, nous pouvons utilement transposer à notre système de formation. Mais le voulons-nous ?