l’incitation à la confiance , conte de Noël

La louve et l’enfant[1]

Ou l’incitation à la confiance qui soigne et libère

Depuis un mois, il leur avait fallu fuir. Ce ne serait certes pas les derniers fugitifs qui devraient parcourir ces terres déshéritées, tirées entre deux continents comme l’enfant que se disputaient deux femmes, au jugement du Roi Salomon.

Au milieu des débris et des fientes d’animaux, dans l’attente du jour, l’errante berçait son nouveau-né, réjouie de voir ses joues rester roses malgré le froid, car l’âtre était encore sans feu.

Mais l’homme bientôt allait rentrer, couvert de givre, apportant un fagot d’épines et le lait d’une brebis. Vite, il ferait craquer une flambée et le visage enfantin se tournerait à ce bruit, apaisé par tant de flammes.

Chaque jour, ainsi, le feu l’éveillait. Aujourd’hui même, pensait la jeune femme, il entrerait dans sa deuxième année. Bientôt, il marcherait ; et le Désert serait son jardin des Merveilles !

Le visage de son enfant devant le feu ! Elle attendait avec joie cet instant, et la chaumière en ruine devenait rose comme un beau bois des Indes, tant ses yeux regardaient autour d’elle, à partir du sourire incarnat de l’enfant.

Il lui sembla pourtant dans le froid percevoir un bruit rauque, et ce bruit monta dans ses veines, bleuissant lentement la chair de ses pensées. Si proche qu’elle se sentit de son enfant, elle s’étonna de le voir se réveiller et paraître écouter, tranquille entre ses poings dorés.

C’était l’appel d’un être abandonné, hurlement issu de la terre, animal aussi bien qu’humain. L’enfant se redressa, jusqu’à ce que sa mère le saisit dans ses bras.

Il désignait du doigt, en souriant l’endroit d’où provenait les cris, pesant sur les bras qui le serraient, comme pour les entraîner à leur rencontre ; il insistait…
La femme enfin sortit, elle ne pouvait plus résister à ce double appel. D’ailleurs que craindre en ce désert glacé, sinon tout redouter ?

Elle rabattit sur l’enfant et sur elle son capuchon de laine et marcha dans la neige, éparse sur le sable, glissant à chaque pas. L’ombre devenait blanche sous le reflet des langes, cependant que le cri grandissait devant l’écho.

Tiré vers le cri, l’enfant ne pleurait pas, malgré la faim, et la mère le regardait, avec peur, battre des mains, espérant fixement trouver l’homme sur leur route.

Ils approchaient : près d’un arbuste sec, ses yeux se partageant au milieu des étoiles, un être noir criait.
La femme l’aperçut enfin si clairement qu’elle n’entendit plus rien : figée, elle vit, autour d’une tanière détruite, rôder une louve qui déjà l’observait.

Et la bête l’entoura en grondant, sitôt qu’elle fit mine de rebrousser chemin. L’enfant souriait toujours, quoique sa mère s’effrayât, sentant contre elle l’amère chaleur de l’animal.
Comment reviendraient-ils ? Fallait-il attendre l’homme ? Ni froid, ni bruit n’existaient plus, en face de ces deux yeux ardents où brillait une insondable douleur. La femme se pencha, mère devant la louve : et celle-ci saisit enfin, à l’épaule, l’enfant qui babilla.

La neige se mit de nouveau à tomber, la femme ne tremblait plus, s’agenouillant et ne résistant pas aux mâchoires de la louve qui serrait seulement si sa main retenait.

Elle abaissa par degrés le bambin et la louve l’attira aux buissons de son trou. Mais dès qu’il fut au sol, la louve lâcha l’épaule, puis lécha le visage et les mains, pendant que la mère pleurait.

A chaque larme, elle goûtait l’amertume des siècles sans promesse ; Et du fond des âges, la terreur en elle remontait. S’enfuir, s’en retourner ?

A peine approchait-elle ses bras de son enfant, la louve joignait ses crocs sur la gorge fragile et l’enfant caressait en riant le long museau d’argent, ; puis il suça les mamelles de cette étrange nourrice.

La femme se souvenait, qu’au pays de leurs maîtres, une louve avait jadis nourri deux jumeaux égarés, puis devenus des princes. Mais son enfant n’était-il pas destiné au lait des brebis, agneau déjà persécuté ; n’était-ce assez de leur exil ?

Devrait-elle abandonner son innocent à l’animal ? Une fois encore, elle essaya de le reprendre ; la louve fit saigner un bout du bras léger.

L’enfant pleura, mais sans crier, et la mère sentit alors le froid la transpercer. Ses yeux étaient gelés et ses doigts durcis de ne pouvoir rien faire. Elle espérait pourtant, en voyant la clarté de l’enfant.

Elle attendait des bruits de pas, l’homme viendrait avec l’épieu les délivrer tous deux, mais elle comprit bientôt que la louve ne mourrait pas, sans que son fils aussi ne meure…
Alors, dans sa tête, tout devint brume ; elle ne sut pas qu’elle courait dans l’aube naissante, ni que la neige la fouettait de longues lanières d’azur.

Elle ne sut pas comment elle revit la chaumière et l’âtre encore sans braise, ni comment elle ressentit enfin sa peine, chantant et sanglotant la berceuse qu’elle aimait, seule près de ses pauvres hardes.

L’homme bientôt posa sa main sur son épaule ; il ne l’accusa point d’être sortie, il ne lui en voulut point d’être partie.

Elle l’interrogea alors en tremblant : était-ce là que s’accomplissait la prédication du vieil homme qu’il avait vu, l’an dernier ?

Cet enfant vivrait-il loin d’elle, grâce aux soins de la louve, mêlé à d’autres animaux ? Et leur mouvement vers le Désert avait-il été à ce point nécessaire ?

La volonté de Dieu, où était-elle, sainte volonté qu’elle accomplissait, toujours en son entier ? L’homme ne répondit pas, il lui remit avec douceur son capuchon et sortit avec l’épieu.

Les traces de pas le conduisaient ; il retrouva la tanière détruite et abandonnée, mais des griffes dans la neige indiquaient dans l’aurore la route à parcourir.

Il marchait sans hâte : la louve, avec sa charge, ne pouvait être loin ; il n’entendait encore aucun cri de l’enfant : il serrait cependant son arme dans sa main.
Bientôt, les griffes parurent s’arrêter : près d’un rocher, des traces d’effort et du sang marquaient la neige. Et la piste repartait, faite d’un poids traîné.

L’homme ferma les yeux ; il sentit se poser contre lui sa compagne ; il dut la prendre dans les bras, avançant toujours derrière les marques, péniblement.

Quand il sentit peser toujours plus fort le poids de douleur de la jeune femme contre son anxiété, il ne put garder l’épieu sous son bras et dut le laisser derrière ses pas.
Il avançait ainsi, portant avec précaution son fardeau, armé de ses ongles seuls ; plus sîr encore de reprendre vaillamment son enfant, en luttant s’il le fallait d’égal à égal.

La neige à nouveau tomba sur eux en durs flocons. Derrière un monticule, la louve les attendait, l’enfant entre ses pattes et l’enfant chantonnait après d’un louveteau blessé.

La bête regarda l’homme poser à côté d’elle la mère tremblante. S’approchant du petit de la louve, elle caressa la pauvre fourrure, déchirée et maculée des traînées de la neige.
Sur l’enfant elle prit un morceau son lange et fit un pansement au flanc du louveteau. Elle put saisir alors, entre ses bras, son nouveau-né pour s’en aller.

Ils retournèrent ainsi vers leur humble asile, suivis par la louve qui portait fièrement son louveteau  blessé. L’homme ramassa en passant son épieu, pensif, mais non soucieux…

A quelle inspiration chacun pourrait-il référer, imaginativement, un tel conte et sa possible « leçon » ? Pour certains, il pourrait être compris comme illustrant une invitation à la non-violence, ou même, à la non-défensivité si nécessaire à l’harmonie des rapports entre les êtres.

Pour d’autres,  ce pourrait être un conte qu’un vieux Copte pouvait avoir rapportée pour éclairer un premier Noël, et offrir un louveteau comme premier jouet.

Pour d’autres encore, ce pourrait être un apologue sur le respect de la nature ou bien sur la réhabilitation du monde mystérieux des loups, si souvent détesté ou calomnié.

Pour l’enseignant, ce pourrait être une inclination à croire à l’intuition des enfants et à leur recherche des compagnies autres qu’humaines. Ou bien, comme une souriante provocation à ne pas redouter l’audace généreuse mais à espérer de la vie et des solidarités les plus inattendues de la part de ses élèves mêmes ! Et, peut-être, de réfléchir sur les risques que comportent son influence et celle de ses évaluations ou présomptions durcies…


[1] D’après André de Peretti, conte paru dans « Flammes et fumées, revue du personnel des manufactures de l’Etat, 1958

Conte de Chine : « les chevaux et la chance »

En cette époque olypienne et chinoise de concert, il nous semble bon d’évoquer un vieux conte de la Chine de toujours autour Les chevaux et la chance

(extrait des « contes et fables pour l’enseignant moderne », André de Peretti et François Muller, éd. Hachette, 2006)

Ou la chance de l’inversion des chances et des malchances

Nous ne nous souvenons plus très bien d’un conte chinois qui nous avait beaucoup intéressé. Essayons cependant essayer d’en retracer l’esprit. Précisons qu’il se situait dans la Chine d’antan, donc au cœur du monde de toujours !

Chance et/ou malchance

Un paysan vivait sobrement, aidé dans son travail par un fils d’une quinzaine d’années et par un cheval de cinq ans. Mais un jour, le cheval dans la nuit rompit son licol et disparut. Mis au courant, voisins et amis vinrent dire en chœur au paysan : « Tu n’as pas de chance ». A quoi, celui-ci répondit : «  Qu’en savez-vous ? ».

Il voyait juste ! Cinq jours après son escapade, le cheval revenait, mais escorté par dix chevaux sauvages qu’il avait entraînés avec lui. Cette fois, les amis et voisins s’empressèrent d’aller dire au paysan : « Mais tu as beaucoup de chance ! ». L’intéressé leur répondit encore : « Qu’en savez-vous ? ».

Effectivement, après avoir nourri les poulains sauvages, le fils du paysan voulut commencer à les apprivoiser. Mais l’un d’entre eux, d’une brusque ruade, lui cassa la jambe. Désolé, le chœur de l’amitié et du voisinage vint tristement témoigner au père : « Vous n’avez donc pas de chance ? ». A nouveau, celui-ci répliqua : « Qu’en savez-vous ? ».

Il entendait juste ! Une troupe de soldats faisait de suite irruption et à grands coups de bottes et de cravaches, ils enrôlaient de force tous les jeunes du village. Mais ils laissèrent à son père le jeune à la jambe cassée auquel on fabriqua ensuite une attelle, en sorte qu’il put rendre suffisamment de services. Ceci incita voisins et amis à revenir, eux-mêmes éplorés, dire au père et au fils : « On vous envie votre chance ». Une fois encore, le père fit remarquer : « Qu’en savez-vous ? ».

De fait, au bout de cinq jours, une bande de brigands vint terroriser le village, et s’emparèrent des dix chevaux sauvages. Après leur départ, les amis puis les voisins vinrent exprimer leurs condoléances : « C’est vrai que ce n’est pas de chance ». Imperturbable, le paysan fit encore observer : « Qu’en savez-vous ? ».

Dans les journées qui suivirent, en effet, pris en chasse par les soldats, les brigands abandonnèrent les chevaux sauvages qui retournèrent vers le paysan, son fils et leur congénère.

Mais comme les choses se répétaient et pouvaient durer indéfiniment, cette fois, ce fut le paysan qui prit les devants et alla haranguer amis et voisins : « Pas plus qu’aucune chance n’est définitive, aucune malchance ne peut indéfiniment se perpétuer », observa-t-il. « Puisque nous ne pouvons nous fier aux chances qui nous adviennent, sachons aussi supporter les malchances qui nous tombent dessus : elles ne durent pas non plus.  Mais le bon cheval, malgré ses écarts, nous garantit la chance. »

Chances et malchances scolaires ?

Ce conte est plaisant, surtout pour les enseignants. Même s’ils n’ont pas tous les moyens dont ils rêvent et qui leur apparaîtraient comme une juste chance, ils pensent se conforter dans l’accueil réservé, mais patient et bienveillant de leurs élèves, mêmes sauvageons, et en dépit des difficultés et malchances d’apprivoisement !

Et il faut bien aux éducateurs rendre sensible aux jeunes la chance de leurs apprentissages : en prenant la précaution de relativiser et minimiser les malchances d’échec ou d’ennui qu’ils observeraient ensemble. Toute erreur peut être saisie pour être rectifiée et, partant, pour éclairer une compréhension élargie. Le pessimisme est vain. L’emportement est sot. Le bien est plus sûr que le mieux. Mais l’éducation, comme la vie, est belle ! On ne cessera de s’en assurer, même dans les cas de dérapage !

Conte de Noël: la louve et l’enfant ou le choix de la confiance en éducation

La louve et l’enfant[1]

Ou l’incitation à la confiance qui soigne et libère

 

Depuis un mois, il leur avait fallu fuir. Ce ne serait certes pas les derniers fugitifs qui devraient parcourir ces terres déshéritées, tirées entre deux continents comme l’enfant que se disputaient deux femmes, au jugement du Roi Salomon.

Au milieu des débris et des fientes d’animaux, dans l’attente du jour, l’errante berçait son nouveau-né, réjouie de voir ses joues rester roses malgré le froid, car l’âtre était encore sans feu.

Mais l’homme bientôt allait rentrer, couvert de givre, apportant un fagot d’épines et le lait d’une brebis. Vite, il ferait craquer une flambée et le visage enfantin se tournerait à ce bruit, apaisé par tant de flammes.

Chaque jour, ainsi, le feu l’éveillait. Aujourd’hui même, pensait la jeune femme, il entrerait dans sa deuxième année. Bientôt, il marcherait ; et le Désert serait son jardin des Merveilles !

Le visage de son enfant devant le feu ! Elle attendait avec joie cet instant, et la chaumière en ruine devenait rose comme un beau bois des Indes, tant ses yeux regardaient autour d’elle, à partir du sourire incarnat de l’enfant.

 

Il lui sembla pourtant dans le froid percevoir un bruit rauque, et ce bruit monta dans ses veines, bleuissant lentement la chair de ses pensées. Si proche qu’elle se sentit de son enfant, elle s’étonna de le voir se réveiller et paraître écouter, tranquille entre ses poings dorés.

C’était l’appel d’un être abandonné, hurlement issu de la terre, animal aussi bien qu’humain. L’enfant se redressa, jusqu’à ce que sa mère le saisit dans ses bras.

Il désignait du doigt, en souriant l’endroit d’où provenait les cris, pesant sur les bras qui le serraient, comme pour les entraîner à leur rencontre ; il insistait…
La femme enfin sortit, elle ne pouvait plus résister à ce double appel. D’ailleurs que craindre en ce désert glacé, sinon tout redouter ?

Elle rabattit sur l’enfant et sur elle son capuchon de laine et marcha dans la neige, éparse sur le sable, glissant à chaque pas. L’ombre devenait blanche sous le reflet des langes, cependant que le cri grandissait devant l’écho.

 

Tiré vers le cri, l’enfant ne pleurait pas, malgré la faim, et la mère le regardait, avec peur, battre des mains, espérant fixement trouver l’homme sur leur route.

Ils approchaient : près d’un arbuste sec, ses yeux se partageant au milieu des étoiles, un être noir criait.
La femme l’aperçut enfin si clairement qu’elle n’entendit plus rien : figée, elle vit, autour d’une tanière détruite, rôder une louve qui déjà l’observait.

Et la bête l’entoura en grondant, sitôt qu’elle fit mine de rebrousser chemin. L’enfant souriait toujours, quoique sa mère s’effrayât, sentant contre elle l’amère chaleur de l’animal.
Comment reviendraient-ils ? Fallait-il attendre l’homme ? Ni froid, ni bruit n’existaient plus, en face de ces deux yeux ardents où brillait une insondable douleur. La femme se pencha, mère devant la louve : et celle-ci saisit enfin, à l’épaule, l’enfant qui babilla.

 

La neige se mit de nouveau à tomber, la femme ne tremblait plus, s’agenouillant et ne résistant pas aux mâchoires de la louve qui serrait seulement si sa main retenait.

Elle abaissa par degrés le bambin et la louve l’attira aux buissons de son trou. Mais dès qu’il fut au sol, la louve lâcha l’épaule, puis lécha le visage et les mains, pendant que la mère pleurait.

A chaque larme, elle goûtait l’amertume des siècles sans promesse ; Et du fond des âges, la terreur en elle remontait. S’enfuir, s’en retourner ?

A peine approchait-elle ses bras de son enfant, la louve joignait ses crocs sur la gorge fragile et l’enfant caressait en riant le long museau d’argent, ; puis il suça les mamelles de cette étrange nourrice.

 

La femme se souvenait, qu’au pays de leurs maîtres, une louve avait jadis nourri deux jumeaux égarés, puis devenus des princes. Mais son enfant n’était-il pas destiné au lait des brebis, agneau déjà persécuté ; n’était-ce assez de leur exil ?

Devrait-elle abandonner son innocent à l’animal ? Une fois encore, elle essaya de le reprendre ; la louve fit saigner un bout du bras léger.

L’enfant pleura, mais sans crier, et la mère sentit alors le froid la transpercer. Ses yeux étaient gelés et ses doigts durcis de ne pouvoir rien faire. Elle espérait pourtant, en voyant la clarté de l’enfant.

Elle attendait des bruits de pas, l’homme viendrait avec l’épieu les délivrer tous deux, mais elle comprit bientôt que la louve ne mourrait pas, sans que son fils aussi ne meure…
Alors, dans sa tête, tout devint brume ; elle ne sut pas qu’elle courait dans l’aube naissante, ni que la neige la fouettait de longues lanières d’azur.

Elle ne sut pas comment elle revit la chaumière et l’âtre encore sans braise, ni comment elle ressentit enfin sa peine, chantant et sanglotant la berceuse qu’elle aimait, seule près de ses pauvres hardes.

 

L’homme bientôt posa sa main sur son épaule ; il ne l’accusa point d’être sortie, il ne lui en voulut point d’être partie.

Elle l’interrogea alors en tremblant : était-ce là que s’accomplissait la prédication du vieil homme qu’il avait vu, l’an dernier ?

Cet enfant vivrait-il loin d’elle, grâce aux soins de la louve, mêlé à d’autres animaux ? Et leur mouvement vers le Désert avait-il été à ce point nécessaire ?

La volonté de Dieu, où était-elle, sainte volonté qu’elle accomplissait, toujours en son entier ? L’homme ne répondit pas, il lui remit avec douceur son capuchon et sortit avec l’épieu.

Les traces de pas le conduisaient ; il retrouva la tanière détruite et abandonnée, mais des griffes dans la neige indiquaient dans l’aurore la route à parcourir.

 

Il marchait sans hâte : la louve, avec sa charge, ne pouvait être loin ; il n’entendait encore aucun cri de l’enfant : il serrait cependant son arme dans sa main.
Bientôt, les griffes parurent s’arrêter : près d’un rocher, des traces d’effort et du sang marquaient la neige. Et la piste repartait, faite d’un poids traîné.

L’homme ferma les yeux ; il sentit se poser contre lui sa compagne ; il dut la prendre dans les bras, avançant toujours derrière les marques, péniblement.

Quand il sentit peser toujours plus fort le poids de douleur de la jeune femme contre son anxiété, il ne put garder l’épieu sous son bras et dut le laisser derrière ses pas.
Il avançait ainsi, portant avec précaution son fardeau, armé de ses ongles seuls ; plus sîr encore de reprendre vaillamment son enfant, en luttant s’il le fallait d’égal à égal.

 

La neige à nouveau tomba sur eux en durs flocons. Derrière un monticule, la louve les attendait, l’enfant entre ses pattes et l’enfant chantonnait après d’un louveteau blessé.

La bête regarda l’homme poser à côté d’elle la mère tremblante. S’approchant du petit de la louve, elle caressa la pauvre fourrure, déchirée et maculée des traînées de la neige.
Sur l’enfant elle prit un morceau son lange et fit un pansement au flanc du louveteau. Elle put saisir alors, entre ses bras, son nouveau-né pour s’en aller.

Ils retournèrent ainsi vers leur humble asile, suivis par la louve qui portait fièrement son louveteau  blessé. L’homme ramassa en passant son épieu, pensif, mais non soucieux…

 

 

 

A quelle inspiration chacun pourrait-il référer, imaginativement, un tel conte et sa possible « leçon » ? Pour certains, il pourrait être compris comme illustrant une invitation à la non-violence, ou même, à la non-défensivité si nécessaire à l’harmonie des rapports entre les êtres.

 

Pour d’autres,  ce pourrait être un conte qu’un vieux Copte pouvait avoir rapportée pour éclairer un premier Noël, et offrir un louveteau comme premier jouet.

 

Pour d’autres encore, ce pourrait être un apologue sur le respect de la nature ou bien sur la réhabilitation du monde mystérieux des loups, si souvent détesté ou calomnié.

 

Pour l’enseignant, ce pourrait être une inclination à croire à l’intuition des enfants et à leur recherche des compagnies autres qu’humaines. Ou bien, comme une souriante provocation à ne pas redouter l’audace généreuse mais à espérer de la vie et des solidarités les plus inattendues de la part de ses élèves mêmes ! Et, peut-être, de réfléchir sur les risques que comportent son influence et celle de ses évaluations ou présomptions durcies…


[1] D’après André de Peretti, conte paru dans « Flammes et fumées, revue du personnel des manufactures de l’Etat, 1958

 

Un conte repris dans « contes et fables pour l’enseignant moderne », André de Peretti et François Muller, éd. Hachette éducation, Paris 2006 – http://francois.muller.free.fr/contes/