Kit de (se)cours-30: réseauter, c’est du développement professionnel

En vue de la prochaine promotion des jeunes enseignants, et eu égard au cadre référentiel du métier d’enseignant spécial “Refondation”, en préparation de ce que seront les modules professionalisants des futurs ESPE, André de Peretti et moi-même vous proposons un “Kit de (se)cours pour l’enseignant“, en 50 épisodes. Ils paraitront sur le présent blog régulièrement jusqu’au printemps.

C’est un complément (Kit) utile au Manuel de survie de l’enseignant même débutant, éd. L’Etudiant, dont la 4ème édition est sortie en septembre dernier. Il présente en 30 chapitres et 500 pages les enjeux, ressources et pratiques contemporaines du métier.

Le Kit a été référencé par “la Toile de l’Education” du Monde, le 28 janvier 2013 (rubrique ressources pédagogiques).

Entre « exploration » et « exploitation » dans les démarches d’innovation

Trouver un équilibre entre « exploration » et « exploitation » dans les démarches d’innovation  

« Dans un de ses rapports typiquement brillants, James March (1991) indiquait que toutes les organisations ont besoin d’une combinaison de ce qu’il appelait « l’exploration » (un autre terme pour innovation) et « l’exploitation » (désignant l’amélioration systémique fondée sur des façons éprouvées d’obtenir des résultats). March soulignait qu’une organisation qui n’innove pas est appelée à disparaître, mais que trop d’innovation est également une mauvaise chose. Les véritables profits d’une organisation – qu’il s’agisse des résultats financiers d’une entreprise ou de meilleurs résultats des élèves des écoles – proviennent, selon March, non pas de l’innovation, mais de la mise en place (« exploitation ») d’éléments efficaces connus dans les organisations. Trop d’innovation peut nuire à l’exploitation. Comme le dit March : (traduction) Les systèmes adaptatifs qui s’engagent dans l’exploration à l’exclusion de l’exploitation sont susceptibles de constater qu’ils subissent les coûts de l’expérimentation sans en obtenir les avantages. Ils manifestent trop de nouvelles idées sous-développées et trop peu de compétence distinctive. (1991, p. 71) L’équilibre précis à établir entre l’exploration et l’exploitation différera selon les contextes, mais dans la plupart des cas, la formulation de March laisse entendre que l’utilisation efficace de ce que nous savons déjà constitue un élément beaucoup plus important.

Cependant, il semble que dans le cas des écoles, l’innovation ait été un élément prépondérant à l’ordre du jour, mais que peu d’innovations aient été étendues ou aient duré. Il faut très peu d’efforts pour se rappeler de nombreuses innovations largement promues et adoptées en éducation, mais qui ne se sont pas propagées ou n’ont pas produit des avantages durables. Pensons aux classes ouvertes préconisées il y a quelques décennies et à l’éducation compatible avec le cerveau prônée aujourd’hui. Les enseignants de longue date peuvent invariablement décrire toute une série de programmes, de projets ou de politiques qui ont été promus comme des innovations miraculeuses, mais qui sont disparus après quelques années. Je ne soutiens aucunement qu’elles étaient toutes de mauvaises idées.

Mon argument, c’est qu’elles n’ont pas changé l’ensemble du système d’éducation et n’ont donc pas engendré une amélioration durable. Un tel résultat est de la nature même d’une innovation. La majorité des innovations finissent par être inefficaces ou très difficiles à réaliser, ou encore très coûteuses. Les technologies de l’information constituent un exemple particulièrement intéressant, car il s’agit de l’un des motifs les plus fréquemment invoqués pour exiger des changements approfondis dans les écoles.

Depuis cinquante ans, nous entendons que les changements technologiques transformeront fondamentalement la prestation de l’éducation. Cet argument a été fait au sujet de la télévision, puis des ordinateurs et maintenant des appareils personnels comme les ordinateurs blocs-notes, l’iPad et le réseautage social. Mais ces cinquante ans d’histoire ont démontré que la promesse n’a jamais été tenue. Il y a une décennie, Cuban (2001) a présenté en détail cet échec. Depuis, nous avons eu plus d’exemples – tels les tableaux électroniques au Royaume-Uni (Moss, et al., 2007) et les portables individuels. Des revues de la recherche ont conclu qu’aucune de ces technologies n’avait eu un impact discernable sur l’apprentissage des élèves (Burns & Ungerleider, 2003). On pourrait soutenir que l’effort continu déployé pour instaurer les technologies dans les écoles a été l’une des plus grandes pertes de temps et d’argent de l’histoire récente de l’éducation – tout ça au nom de l’innovation.

La solution de rechange à l’emphase mise sur l’innovation consiste à mettre l’accent sur l’exploitation (au sens de March) de ce que nous savons. Un sceptique pourrait demander si nous disposons de connaissances fiables suffisantes en éducation pour les exploiter. Je réponds fermement oui. Évidemment, il y a encore beaucoup à apprendre sur les bonnes pratiques en éducation, mais nous en savons déjà beaucoup – je parle ici des pratiques confirmées par des quantités substantielles de preuves empiriques provenant de sources multiples montrant toutes des directions similaires. J’avance le point de vue que si nous utilisions dans pratiquement toutes les écoles tout ce que nous savons déjà au sujet de la scolarisation efficace, nous réaliserions de très grands gains sur le plan des résultats.

Source : extrait du discours de Ben Levin « L’amélioration, et non l’innovation, est la clé d’une plus grande équité ». Colloque Canada-États-Unis Réaliser l’équité par l’innovation Toronto, 27 et 28 octobre 2010 Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, Université de Toronto

Faire l’inventaire collectif des pratiques pour innover, Les Cahiers de l’innovation

A partir des remontées régulières des actions inscrites dans la base nationale de l’innovation, Expérithèque, (plus de 2000 en novembre 2012), il est possible de procéder à une méta-analyse des données, et de distinguer quelques changements tendanciels ou encore d’interroger le corpus selon des problématiques actuelles.

Ainsi, à la requête de plusieurs bureaux ou services de la DGESCO, ou encore de certains partenaires (recherche, associations etc…), le DRDIE a élaboré une série de « Cahier de l’innovation ».  Certains sont accompagnés d’une notice de synthèse; tous proposent une typologie qui permet de situer les pratiques et dispositifs dans une gamme variée. Sur une même approche, les actions sont variées et différentes selon leur niveau ou seuil de développement. Elles montrent l’engagement des équipes dans la recherche d’une amélioration significative des organisations scolaires et des pratique au service de tous les élèves. Elles révèlent de la même manière l’intérêt stratégique pour les équipes locales comme pour l’institution d’accompagner ces changements et d’en affermir la cohérence, en renforçant notamment leur propre ingénierie en évaluation (voir la partie auto-évaluation ou onglet 3 sur Expérithèque).

Toutes les actions sont présentées dans leur version résumé; les fiches complètes peuvent être consultées sur Expérithéque.

Références citées dans le texte

Burns, T.C. & Ungerleider, C.S. (2003). Information and communication technologies in elementary and secondary education: State of the art review.  International Journal of Educational Policy, Research, & Practice, 3(4), 27-54.

Cuban, L. (2001).  Oversold and underused: Computers in the classroom.  Cambridge, MA : Harvard University Press.

Moss, C., Jewiitt, C., Leavcic, R., Armstrong, V., Cardini, A. & Castle, F. (2007).  The interactive whiteboards, pedagogy and pupil performance evaluation: An evaluation of the Schools Whiteboard Expansion Project.  London: Department for Education and Skills.  Research report 816.

Initier un réseau de pratiques, est-ce nouveau ou… innovant ? le cas de Respire

Dans un vieux pays au système d’éducation encore largement centralisé, l’innovation devient une manière de conduire le changement en insistant sur trois forces : informalisation, mutualisation et valorisation, tous trois, processus dynamiques de transformation de la connaissance professionnelle et vecteur d’amélioration de l’École. La France organise depuis trois ans, à l’UNESCO, les Journées nationales de l’innovation où cinq grand prix nationaux sont décernés. Des conférences en ligne, des laboratoires d’analyse et des ateliers de créativité sont organisés autour des grandes problématiques telles que le décrochage scolaire, le développement du numérique ou encore l’égalité filles-garçons. Des intervenants de la recherche internationale, des cadres intermédiaires et des équipes de terrain y participent. RESPIRE « Réseau d’Echange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation », permet aux professionnels de partager leurs connaissances, leurs questions, leurs ressources, en déprivatisant leurs pratiques et en renforçant leur professionnalité. En décembre 2012, RESPIRE s’est mérité le Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État.

L’innovation, un objet étrange dans l’éducation

L’innovation reste encore un mot « attracteur étrange » dans l’éducation, tout du moins en France; à la fois attractif, produisant des effets, mais d’emploi fort différent suivant les milieux et les locuteurs. Paradoxalement, il n’est pas ou fort peu employé par les enseignants eux-mêmes, mais usité par l’encadrement supérieur. Le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, nouvellement installé en avril 2013, vient d’en proposer une définition contemporaine :

Une pratique innovante, c’est plutôt une action pédagogique caractérisée par l’attention soutenue portée aux élèves, au développement de leur bien-être, et à la qualité des apprentissages. En cela, elle promeut et porte les valeurs de la démocratisation scolaire. La démarche sollicite souvent la créativité des personnels et de tous les élèves. L’action est la plupart du temps partagée et gagne à s’étayer à un moment par une méthodologie de conduite du changement; enfin, l’équipe s’élargit souvent pour devenir partenariale, en prenant appui sur les ressources dans son environnement et à l’ouvrir sur l’extérieur. Chacun de ces points ne suffit pas à lui seul, mais plusieurs combinés font d’une action une pratique innovante dans sa conduite et dans ses effets.

Ainsi détouré, le concept renvoie à des pratiques, à la variété infinie et polymorphe, qui atteste que l’École se réforme par le bas, par ajustements successifs à des réalités locales; cette analyse pose une question d’importance dans un système d’éducation hérité d’une organisation étatique et centralisée; l’autonomie formelle des établissements du 2e degré (collège, lycée) ne date que de 1986; et 20 ans sont nécessaires pour que les équipes investissent ces marges de l’autonomie; les « conseils pédagogiques », instance de délibération formelle d’une équipe sur les choix et options du projet d’établissement, datent de 2006 seulement; les inspections restent disciplinaires et individuelles, dans une régularité vacillante selon les cas, selon les lieux. Le rapport à l’autorité reste pour beaucoup un nord magnétique dans la recherche à la conformité aux programmes et à l’organisation prescrite plutôt qu’à l’amélioration des acquis de ses propres élèves.

Dans ce contexte des années 2010, l’innovation devient alors une manière de conduire le changement en pariant sur trois points : informalisation, mutualisation et valorisation, tous trois processus dynamiques de transformation de la connaissance professionnelle et des pratiques au service des élèves.

Informalisation

Dans cet éco-système pédagogique, l’internet des profs semble partitionné en deux usages : une fonction d’affichage institutionnel relativement statique, informationnel ou politique avec des degrés de validation, et un « off » de type forum ou associatif à la dimension de communauté professionnelle avec des tonalités parfois contestataires. Il n’est pas sûr que l’un serve l’autre et réciproquement. Ce constat est d’autant plus important que le nombre de personnels concernés est sans commune mesure : près de 857 000 enseignants potentiellement pour 13 millions d’élèves, plus de 55 000 unités éducatives. Ce paysage professionnel présente pourtant un véritable paradoxe en ce sens que dans cette organisation relativement bureaucratique, chacun peut avoir le sentiment de se sentir seul et sans valorisation ni reconnaissance attendue.

Pour toutes ces raisons, nous avons initié un véritable réseau social vivant, coopératif et professionnel  RESPIRE. Cet acronyme signifie Réseau d’Échange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation[1]. C’est le premier réseau social pour les professionnels de l’éducation, créé en 2011 à l’occasion de la préparation de la deuxième édition des Journées de l’innovation[2]. RESPIRE concerne tous les professionnels de l’éducation, qu’ils soient enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, conseillers pédagogiques, chercheurs… Le réseau compte à ce jour plus de 6000 contributeurs répartis dans 450 groupes de travail. La dynamique est coalescente et organique.

RESPIRE permet aux professionnels de partager leurs connaissances, leurs questions, leurs ressources, de déprivatiser leurs pratiques et ainsi de renforcer leur professionnalité. Chacun dispose de son identité propre, contribue en fonction de ses centres d’intérêt et de ses appartenances multiples, qui à un Forum où des questions se partagent, qui à l’élaboration d’un programme de séminaire, qui en repérage de ressources non encore formalisées, sans pression ni regard hiérarchique autre que la Net-étiquette. RESPIRE participe à l’émergence de nouvelles communautés d’apprentissage professionnel et a été récompensé en décembre 2012 par le Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État[3].

Le concept de RESPIRE peut se décliner en quatre principes :

  1. Informalité : l’expression y est libre et explicite, sans niveau de validation requis; elle est fonctionnelle et vient soutenir des initiatives plus institutionnelles et plus formelles;
  2. Personnalisation : chaque contributeur est identifié et navigue au gré de ses intérêts et de ses questions. Les interactions sont ciblées et partagées en même temps;
  3. Open source : les connaissances sont partagées, ou délimitées en fonction du degré de publicité souhaitée. Elles peuvent nourrir des groupes a priori différents ou séparés (par leur origine, par leur appartenance, par la géographie). Le développement technologique est libre de droit;
  4. Coopération : chaque groupe, qu’il soit projet, échange, formation, ou pilotage permet de partager les questions et les réponses, les ressources et les documents; la logique est contributive et non descendante. Le groupe se renforce de ce capital et acquiert en légitimité et en professionnalité.

L’animation d’un tel réseau est capitale : la seule solution technologique ne peut se suffire à elle-même; il faut amorcer de manière volontariste, dans certaines directions, pour initier le flux des échanges et des contributions, et dans le même temps, relayer la connaissance en l’arrimant à d’autres réseaux ou communautés.

Mutualisation des connaissances

Cette manière nouvelle, si ce n’est « innovante » de construire les relations professionnelles participe d’une approche plus globale, fondée sur la mutualisation : l’espace social est le prolongement numérique d’un maillage local de personnes-ressources et « amis critiques » de l’innovation, le réseau des CARDIE[4]. La mobilisation des équipes sur le terrain trouve son écho visible en ligne; les solidarités professionnelles structurent le réseau et accroissent alors l’efficacité du service. RESPIRE vient compléter la base de connaissances des innovations, Expérithèque[5].

L’originalité des contenus, la primeur des informations et la convergence des initiatives sont de réelles plus-values. En transformant les informations remontées en direct en connaissances sur les pratiques, sur les tendances émergentes, sur les difficultés rencontrées, l’innovation joue une fonction de « bottom-up » définitivement essentielle pour éclairer les décideurs dans la « Refondation » de l’École initiée depuis 2012. Toujours initiée au niveau des classes, avec des élèves, l’innovation devient stratégie éducative pour un établissement, et ressource pour une orientation nationale.

Valorisation des acteurs

Une telle organisation plus fluide dans la circulation des informations, plus proche dans l’accompagnement des équipes, plus efficace dans la régulation des actions ne peut s’activer que si la tonalité est résolument donnée à un haut niveau. Suivant le principe « on ne valorise que ce que l’on reconnaît », l’innovation dispose des Journées nationales depuis trois ans à l’UNESCO.

Deux journées permettent de faire converger intervenants de la recherche internationale, cadres intermédiaires et équipes de terrain autour des grandes problématiques telles que le décrochage scolaire, le développement du numérique ou encore l’égalité filles-garçons. Conférences en ligne, mais aussi laboratoires d’analyse, et ateliers de créativité sont des occasions rares pour tous avec bien des échos dans les académies. A cette occasion, cinq grand prix nationaux sont décernés[6].

Par exemple, le lauréat du prix de l’innovation 2013 : « Co-observer pour favoriser le développement professionnel » est un dispositif porté par deux enseignants du collège Jeanne et Émile Adenet du François en Martinique. Ils expérimentent des modalités de co-formation en équipe, par observation mutuelle et analyse de pratiques en inter-degrés, ce que l’on retrouve par ailleurs en termes de « développement professionnel ».

L’innovation devient donc une manière d’améliorer les pratiques enseignantes en misant sur l’intelligence collective et sur le développement professionnel des équipes. En cela, il est de la responsabilité d’une institution non de la tolérer, mais de l’inciter et de la soutenir en modifiant son propre éco-système; trois mots et beaucoup de pratiques.

Première publication dans Éducation Canada, novembre 2013

RECAP – In an old country whose education system is still very much centralized, innovation is becoming a significant change agent by focusing on three strengths: an informal approach, the pooling of resources, and self-actualization. These three dynamic processes act as levers to improve the school. For three years, France has been organizing national innovation days at UNESCO, with the awarding of five major national prizes. Online conferences, analytical laboratories, and creativity workshops are organized around major issues such as school retention, development of digital technology, and gender equality. Researchers and educators at all levels take part. In December 2012, The RESPIRE (Réseau d’Echange de Savoirs Professionnels en Innovation, Recherche et Expérimentation) network won the Prix de l’Innovation dans la fonction publique d’État, the country’s prize for innovation in the public service. RESPIRE enables professionals to share their knowledge, questions, and resources, while deprivatizing their practices and strengthening their professional skills.

[1]Respire est logé à présent sur la plateforme sociale Viaeduc, http://viaeduc.fr

[2] http://eduscol.education.fr/cid65866/les-journees-innovation-28-mars-2013.html

[3] http://rencontres.acteurspublics.com/2012/les-victoires-de-linnovation/

[4] Conseiller académique recherche-développement, innovation et expérimentation.

[5] http://eduscol.education.fr/experitheque/carte.php Il recense actuellement plus de 3000 actions innovantes.

[6] Retrouvez les vidéos des équipes et des actions innovantes sur la télé de l’innovation, sur https://www.youtube.com/playlist?list=PL1tu1UO10ih6rlfj5NZAjmy9rIZNC5z9I