Ce texte se découpe en trois parties : l’éducation de soi, l’éducation populaire et la théorie sociale.

Figure A : Education de soi

1. La dissidence suppose un courage de la vérité (une parrêsia).

1.1. Mais ce courage de la vérité n’est pas celui des cyniques, qui pourrait être par exemple aujourd’hui assimilés aux zadistes. Ce courage de la vérité des cyniques ou des zadistes suppose une tentative la plus radicale possible avec le système.

1.2. La parrêsia de la dissidence est plutôt celle qui conduit par exemple dans certaines circonstances à devenir un ou une lanceuse d’alerte.

1.3. Comme le rappelle F. Chateauraynaud (Alerte et lanceurs d’alerte, PUF, 2020), la psychiatrie tend à vouloir pathologiser le lanceur d’alerte en interrogeant les tendances paranoïaques de sa personnalité.

1.4. Mais cette interrogation elle-même interroge sur le regard social qui est porté sur la parrêsia (Le courage de la vérité) : le sujet doit préférer le conformisme, l’ordre social, à une lutte pour la vérité et contre l’injustice.

1.5. Une société qui fait du bien-être, et du bien-être mental en particulier, sa finalité, ne peut pas comprendre la dissidence.

2. La dissidence dans les démocraties libérales n’est bien évidement pas la même dissidence que dans une dictature.

2.1. La dissidence dans un régime politique autoritaire a été par exemple théorisé par V. Havel dans Le pouvoir des sans pouvoirs.

2.2. On en trouve un exemple dans le récit de : Siniavski, Andréi. « La dissidence comme expérience personnelle » (Le Débat, vol. 28, no. 1, 1984, pp. 109-121).

2.3. Il n’empêche qu’il existe bien des formes de dissidences y compris dans les démocratie libérales et les régimes capitalistes comme l’illustre les lanceurs ou lanceuses d’alerte.

3. L’existentialisme avec la notion d’angoisse partait du sujet souffrant, mais il reliait toute souffrance à la condition existentielle de l’être humain. Ce sont les situations limites de Karl Jaspers.

3.1. Freire fait apparaître que la souffrance subjective n’est pas liée qu’à une condition existentielle, mais également à des conditions sociales qui sont des rapports sociaux d’oppression.

4. L’attente de recette, de solutions correspond à cette logique systèmique de domination qui consiste à éviter la pensée authentique au profit d’une recherche d’efficience.

4.1. Il s’agit de préférer le problem solving au problem posing.

4.2. La dissidence n’est pas tournée « solution », elle est problématisation de la réalité sociale.

4.3. En cela, elle s’oppose au dogme du « time is money ». Elle refuse la logique qui place avant tout la productivité et la recherche d’efficience.

5. Nombreux sont les auteurs surtout entre la fin du XVIIIe et le début du XXe qui ont confondu l’aliénation par le social et l’aliénation par le système moderne de domination.

5.1. Rousseau, Nietzsche, Kierkegaard, Thoreau, Palante, Sartre… ont cru que les relations sociales était la source d’aliénation de l’individu.

5.2. Il y a un risque de conformisme de groupe, mais l’aliénation de la subjectivité par le système moderne de la domination est d’une toute autre nature.

6. Au divertissement de la vie sociale (Sénéque) s’est substitué l’aliénation propre au système de domination moderne.

6.1. La dissidence est une résistance face à l’aliénation de l’existence.

6.2. La subjectivité moderne se trouve au prise avec une aliénation de l’existence par l’absurdité du système de domination instrumentale : le voile technologique (Adorno).

6.3. La sensibilité moderne, c’est la confrontation à la « cage d’acier » (Weber).

7. La dissidence se trouve au niveau d’une critique du système de domination de la modernité.

7.1. Lorsqu’elle s’oppose à un pouvoir institué, ce n’est plus un pouvoir qui a la forme du pouvoir traditionnel, mais celui issu de la légitimité légale-rationnelle (Weber).

7.2. La critique de l’aliénation de l’existence par l’administration moderne bureaucratique apparaît dans les ouvrages de Kafka. Elle a été également une caractéristique forte des régimes totalitaire de masse.

7.3. Le XXIe s. se caractérise par un système de domination de la modernité de plus en plus dirigé par la « gouvernementalité algorithmique » (Rouvroy)

7.4. Le numérique et la robotique interroge la condition existentielle de l’être humain et la place de son agir éthique.

7.5. La dissidence s’appuie sur le sentiment de soi qui résiste à la réification de l’existence.

Figure B : Education populaire

0. A qui s’adresse l’éducation populaire ?

– au peuple dans son ensemble ?

– à l’humanité menacée par la crise climatique ?

– aux classes populaires ?

– aux différents groupes sociaux opprimés ?

Il y a un flou actuel sur le sujet politique de l’éducation populaire.

1. L’éducation populaire s’adresse « au 99 % » (cf. Fraser) par opposition au 1 % des privilégiés (homme blanc riche). Mais qui sont les 99 % ?

1.1. Les 99 % ne sont pas unifiés : femmes, racisés, LGBTQI, personnes handi, classes populaires…. Ils et elles ont à s’allier pour devenir un sujet politique.

1.2. Cette alliance suppose une reconnaissance mutuelle des oppressions et des privilèges de chacun et chacune.

2. Ce que les opprimés partagent ensemble se sont des expériences sociales vecue en première personne.

2.1. Le sujet seul est tourné vers ses ressentis qui peuvent être liés ou non à une expérience sociale.

2.2. Mais pour aller vers une démarche d’émancipation collective, ce qui est partagé n’est pas des ressentis, mais des expériences sociales vécues.

2.3. Une même expérience sociale peut donner lieu à des ressentis différents. Par conséquent, ce qui est collectif et peut être partagé, n’est pas le ressenti, mais des expériences sociales vécues.

2.4. Ce sont ces expériences qui constituent le savoir des opprimé-e-s.

3. Ce qui caractérise un-e opprimé-e, c’est l’expérience d’une souffrance sociale.

3.1. Mais tout ressenti de souffrance n’est pas une souffrance sociale.

3.2. L’éducation populaire peut être considérée comme un processus par lequel une personne examine la souffrance qu’elle ressent et détermine, avec l’aide d’un groupe d’autres personnes opprimé-e-s, si cette souffrance est une souffrance sociale.

3.3. Ce qui détermine si cette souffrance est une souffrance sociale, c’est son caractère systémique.

Figure C : Théorie sociale

0. Une des difficultés de la théorie sociale est la tendance au monisme réductionniste.

0.1. Ce réductionnisme n’est pas que matérialiste, il peut être aussi culturaliste.

0.2. L’une des difficultés de la théorie sociale est de réussir à analyser les logiques enchevêtré dans le social : la pluralité des rapports sociaux de pouvoir, la domination moderne de la rationalité instrumentale, les dimensions idéelles et matérielles des rapports sociaux.

0.3. Il existait des rapports sociaux de pouvoir dans les société avant l’émergence de la domination de la rationalité instrumentale.

0.3.1. Dès l’Antiquité, la rationalité mis en place dans l’organisation des administrations des Cités-Etats ou des Empires préfigurent la domination progressive de la rationalité instrumentale.

0.4. La transformation des rapports sociaux dans le régimes soviétiques n’avait pas abolit la domination de la rationalité instrumentale. Celle-ci avait conduit à la reconfiguration d’autres rapports sociaux.

0.4.1. La base matérielle de la domination de la rationalité instrumentale est ainsi le productivisme.

1. Cette difficulté se traduit entre autre par la question de la relation entre l’écologie et les luttes anti-oppressives.

1.1. Les luttes anti-oppressives supposent l’existence de rapports sociaux d’oppression, l’existence d’un groupe social opprimé et d’un groupe social oppresseur.

1.2. Mais dans le cas de l’écologie, qui est l’opprimé  et qui est l’oppresseur ?

1.2.1. L’humanité est-elle opprimée ou oppresseuse ?

1.2.2. Ou alors, l’oppresseur est-il le groupe social capitaliste ? Les conséquences écologiques touchent-elles tous les groupes sociaux ?

1.2.3. Ou les problèmes écologiques sont-ils la conséquence de la domination de la rationalité instrumentale depuis la modernité ? Mais alors comment cela s’articule-t-il avec les rapports sociaux d’oppression ?

1.2.4. L’éducation populaire anti-oppressive consiste dans la conscientisation de l’impact spécifique de la crise écologique sur les femmes, les personnes racisées ou encore de classes sociales populaires.

2. La domination de la rationalité instrumentale est en lien avec la technoscience.

2.1. Il ne s’agit pas comme l’a pensé Marcuse de la science moderne, mais plutôt de l’imbrication entre la science moderne et de la technique moderne. Avec la technoscience, la rationalité scientifique n’est plus une simple thêoria, connaissance désintéressée.

3. Il n’y a pas de rapports sociaux qui seraient transhistoriques. Les rapports sociaux sont en lien avec une lutte de politisation du rapport social.

3.1. Mais alors comment distinguer un rapport social de pouvoir véritable ? Suffit-il que des acteurs affirment l’existence d’un rapport social de pouvoir pour qu’il existe ?

3.2. Ce qui permet d’affirmer l’existence d’un rapport social de pouvoir c’est son caractère systémique qui peut être objectivé par la production de statistiques.

4. Si tous se trouvent réifiés dans le système de domination de la modernité, certains néanmoins occupent des positions plus privilégiés et d’autres plus opprimés.

4.1. Personne en définitif n’a intérêt à un système de domination nécrophile, mais certains y ont encore moins intérêt que d’autres. C’est pourquoi Paulo Freire écrivait que seul les opprimés libéreront également les oppresseurs.

5. La difficulté c’est qu’il est possible d’imaginer de manière contrefactuelle une société écologique dominée par la rationalité instrumentale. Cette dernière serait alors mise au service de la préservation des ressources naturelles. En revanche, cette société ne serait plus productiviste ou ne le serait plus de la même manière.

5.1. De ce fait, la domination de la rationalité instrumentale n’est pas limitée au productivisme. Il est possible d’imaginer un société écologique, dirigée par une technocratie, qui serait dominée par la rationalité instrumentale.

6. La théorie sociale se partage en deux branches :

– l’approche systémique met en avant que l’oppression (en particulier l’aliénation de l’existence) provient d’un système impersonnel dominé par la logique abstraite de la rationalité instrumentale.

– l’approche structurelle met en lumière des rapports sociaux de pouvoir et donc un structure d’oppression. Celle-ci se caractérise par les traits suivants :

a) l’idée que la structure sociale est une construction historique et non pas une réalité naturelle (contrairement à l’individualisme méthodologique ou à d’autres approches naturalisantes)

b) l’idée que la réalité sociale est structurée en groupes antagonistes (rapports sociaux) qui construisent des rapports d’oppression : opprimés/oppresseurs.

c) l’idée qu’il existe des sujets politiques opprimés qui tentent de se libérer de leur situation d’oppression.

6.1. La pédagogie des opprimés est une théorie de la structure d’oppression.

6.2. Il existe plusieurs mouvements sociaux qui se réfèrent à une ou des théories de l’oppression : mouvement ouvrier et syndical, mouvement féministe, mouvement anti-raciste, mouvements LGBTQI+, mouvement anti-validiste.

6.3. L’approche systémique et l’approche structuralistes ne sont pas nécessairement incompatibles.

6.3.1. Il est possible de considérer qu’il existe un système moderne de domination. Ce qui ne veut pas dire que la modernité en elle-même est oppressive, mais qu’elle a généré un système spécifique de domination caractérisée par une domination de la rationalité instrumentale.

6.3.2. Au sein de ce système de domination, les groupes sociaux occupent des positions différents. Ce qui explique les rapports sociaux au sein de ce système.

6.3.3. Le système de domination de la modernité a pu se développer sur la base de rapports sociaux qui lui prééxistait et continuent de structurer le système moderne de domination, mais il a pu également produire des rapports sociaux de domination qui lui sont spécifiques.

6.4. Une erreur est de s’interesser à l’abstraction du système, à sa rationalité impersonnelle, sans prendre en compte les rapports sociaux de pouvoir qui le traverse. Car si le système opprime toutes les personnes, il ne les opprime pas de la même manière et avec la même intensité. Certains tirent des privilèges du système.

7. La notion d’oppression relève en fait plusieurs réalité qui doivent être distinguées :

7.1. L’oppression liée aux relations sociales : ce type d’oppression a été plutôt mis en avant dans la littérature individualiste ou dans les approches micro-politique (ou « moléculaire »). Mais en réalité, cette oppression ne concerne pas la théorie critique, mais la psychologie sociale.

7.2. L’oppression lié au pouvoir institué : tout pouvoir institué n’exerce pas nécessairement une oppression (du moins c’est un sujet de discussion), mais il peut naître une oppression du fait de l’institution.

7.3. L’oppression lié aux rapports sociaux. Là encore, cela pose une difficulté : cette oppression a-t-elle nécessairement une base matérielle ?

7.4. L’oppression impersonnelle du système de domination moderne. Elle aboutie à la réification et au sentiment d’aliénation de l’existence.

8. Le problème fondamental du présent n’est pas le problème écologique, au sens de la destruction de la nature.

8.1. Le problème fondamental est celui de la domination de la rationalité instrumentale.

8.1.1. Car c’est ce qui provoque :

– la réification de l’être humain

– la réification du vivant en général

8.2. Mais une écologie technoscientifique pourrait exister et provoquer la réification de l’existence.

8.3. La critique doit donc être plus profonde qu’une simple éthique environnementale ou un simple anti-spécisme qui sont incapables de lutter contre la réification de l’existence et peuvent même l’amplifier.

Annexe : Les paradigmes de la pensée critique

Marxiste, critique de la valeur

Post-marxiste, intersectionnalité, féminisme marxiste, féminisme matérialiste

Féminisme, queer,

Post-colonial, décolonial

Néolibéralisme (critique du)

Ecosocialisme, écologie sociale, écologie populaire, technocritique,