Extrait : Louise Michel, Mémoires écrites par elle-même.

« Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes.

J’aurais voulu que l’animal se vengeât, que le chien mordît celui qui l’assommait de coups, que le cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau ; mais toujours la bête muette subit son sort avec la résignation des races domptées. — Quelle pitié que la bête !

Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme.

Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.

Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force.

C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux ! Cette réflexion ne pouvait manquer de me venir. Pardonnez-moi, mes chers amis des provinces, si je m’appesantis sur les souffrances endurées chez vous par les animaux. » (Chapitre XI)

Dans ce texte, Louise Michel établit un lien entre sa sensibilité à la souffrance animale et son engagement contre les injustices sociales.

Ce texte semble appuyer la thèse philosophique d’un engagement politique qui trouverait sa source dans une morale de la sensibilité, dans ce que Rousseau appelait le « sentiment de pitié » qui est commun à tous aux êtres humains et aux animaux. Mais pour Rousseau, le problème, c’est que la sensibilité innée de l’être humain, tend à être étouffé par la vie sociale qui développe à côté du sentiment de pitié et de l’amour de soi, l’amour-propre.

Mais à l’inverse pour autant peut-on dire que toutes les personnes qui éprouvent une sensibilité pour la cause animale sont engagés dans les luttes sociales ? Non, il ne semble pas exister un tel lien de nécessité.

Pourtant en ce qui la concerne, Louise Michel établie un tel lien : le lien entre sa répulsion pour la souffrance animale et son engagement existentiel dans les luttes sociales. On peut bien parler d’un engagement existentiel étant donné qu’elle a consacré l’essentiel de son existence à s’engager dans des luttes sociales.

Bien souvent, les récits autobiographiques d’engagement militant tendent à chercher dans une expérience sociale vécue en première personne ou parfois comme spectateur une des causes originelles de l’engagement.

Ici la tendance à rechercher une origine de l’engagement dans l’enfance est renvoyée à une expérience originelle encore plus primitive qu’une compréhension de l’injustice sociale, mais à une expérience de la souffrance infligée aux animaux.

S’agit-il d’une expérience commune à tout être humain, mais qui est étouffée par la plupart ? Ou d’une complexion propre à Louise qui lui fait éprouver plus que d’autres personnes une empathie avec la souffrance animale ?