Paulo Freire, Documentaire entretien : chercheur de vérité 1991

« Mes amitiés nouées alors furent différentes des premières amitiés. (…) C’est à Jabatao que j’ai eu mes premiers contacts avec les gamins de classes populaires, fils de travailleurs urbains et ruraux. Jabatao fut le premier contexte où sans en avoir conscience, j’ai eu mes premières expériences de classes sociales. (…) Mais cette première expérience, au cours de ma jeunesse, plus tard m’est revenue à l’esprit (…) Mon enfance traverse une certaine période qui me semble importante pour ma compréhension des différences de classes que j’ai pu saisir par la suite de façon plus claire, plus nette, et également pour un certain engagement politique et social pour la transformation du monde en une société moins injuste. Cet engagement, je l’ai pris pendant mon enfance. C’est intéressant à observer que mon engagement pour une société moins injuste a été pris d’une manière affective, passionnellement, alors que j’étais enfant. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris une fois devenu homme (…) Mais c’est un engagement que je n’ai jamais laissé disparaître de moi tout au long de ma vie. »

Dans cet entretien Paulo Freire revient sur une période de sa vie, et donc une situation, qui a été selon lui, à l’origine de son projet existentiel, d’être engagé du côté des opprimés.

Ici le récit reconstruit du sens a postériori renvoyant au risque de ce que Pierre Bourdieu appelle « l’illusion biographique ». On peut avoir l’impression que cette première expérience décrite par le sujet contenait déjà en germe son projet existentiel.

Mais Paulo Freire le dit lui-même ces premières expériences de classes sociales ont lieu sans qu’il ait vraiment conscience qu’il s’agit d’expériences de classes. C’est l’adulte, avec son bagage de lecture marxiste, qui est capable de résinifier ces expériences en termes de classes sociales.

Néanmoins, on trouve ici une thématique courante des biographies sur l’engagement militant. Le souvenir d’une expérience sociale, vécue en première personne, des inégalités sociales ou des discriminations.

Non seulement Paulo Freire côtoie des enfants des classes populaires, mais il fait également l’expérience familiale du déclassement économique : des difficultés sociales pour se nourrir et aller à l’école.

On peut néanmoins se demander quel lien entre l’expérience sociale personnelle et le projet existentiel développé par la suite au cours de sa vie.

L’expérience sociale, en est-elle la cause ? A vrai dire, il n’est sans doute pas le seul en pleine crise de 1929 à faire l’expérience du déclassement social. Une cause nécessaire, mais peut être pas suffisante pour déterminer un engagement social…

Mais il est sans doute important que la subjectivité résinifie a postériori cette expérience sociale comme une expérience de classes sociales. On peut dès lors se demander si ce n’est pas justement une caractéristique de la personne socialement engagée d’être en capacité de relire son histoire personnelle comme une histoire sociale.

Peut-être qu’à l’inverse, chez les personnes n’ayant pas d’engagement intellectuel militant contre les inégalités sociales de classe, on trouvera une moins nette capacité à relire de manière sociologique son passé à partir d’une lecture en termes de classes sociales.