Extrait :

« Ce que l’on a pu appeler « l’affaire Marie Trintignant » a illustré, pendant l’été 2003, la question du destin. (…) On est tenté d’interroger là ce qu’on appelle le destin : est-il possible que la victime ait été conduite, dans la fureur de l’amour, à choisir celui-là même qui allait la tuer ? (…) La tendresse amoureuse des siens la conduisait-elle paradoxalement vers la violence destructrice ? On n’ose penser à un inéluctable, on voudrait croire aux « tragiques coïncidences ». Mais d’un autre côté, tant de coïncidences ne sont plus du hasard, le sentiment se renforce que tout annonçait une telle issue. (…) L’inconscient n’est qu’une autre appellation du destin que la psychanalyse a intériorisé, pour pouvoir dire que tout a du sens. »

Barus-Michel, Jacqueline. « La souffrance, sens et non-sens », Souffrance, sens et croyance. L’effet thérapeutique, 2004, pp. 26-68.

Commentaire :

Cet extrait tiré d’un ouvrage de sociologie clinique appelle plusieurs remarques. Il se situe dans un chapitre consacré à la souffrance existentielle : « La souffrance a bien entendu une dimension existentielle, elle s’assimile à la conscience malheureuse devant le sort fait au vivant, dans son corps, dans ses attachements, dans ses aspirations. L’angoisse est la souffrance éprouvée par l’humain devant la représentation de la mort, de la finitude, de l’échec irrémédiable ».

Le destin peut apparaître comme ce que Paulo Freire appelle la conscience magique. Cette forme de la conscience fataliste consiste à accorder un sens transcendant – d’origine religieuse – à la souffrance. « Cette souffrance a un sens, mais que seul Dieu peut interpréter ».

Ici l’autrice met en lumière comment l’inconscient peut prendre le place d’un Dieu qui nous gouverne et qui déterminerait ainsi notre Destin. Le psychanalyste aurait pour rôle d’interpréter les logiques à l’oeuvre dans ce destin caché. Il y a effectivement dans la psychanalyse freudienne des références aux tragédies grecques et en particulier à celle d’Oedipe.

Mais au-delà de cette assimilation de l’inconscient à un destin, ce qui pose problème, c’est le fait même de concevoir une violence sexiste comme relevant soit du Destin, soit du hasard.

En faisant de l’évènement, une conséquence du destin ou du hasard, à savoir une situation-limite au sens de Jaspers, on en fait un évènement existentiel.

Or au-delà de la dimension existentielle singulière de l’évènement, il est possible d’interpréter les violences conjugales comme relevant d’un rapport social de sexe. Il s’agit dès lors d’une situation-limite sociale (au sens de Freire cette fois).

Que ce jour-là les violences conjugales aient conduites à la mort de la victime, peut-être y-avait-il là une part de contingence, mais sur le plan statistique, il s’agit bien d’un fait social : 1 femme meurt tous les 3 jours de violences conjugales.

Quel est alors le rôle de l’accompagnement socio-existentiel ? Il est sans doutes de produire un reframing (recadrage de la situation), non pas pour la réduire à une situation existentielle, mais bien pour faire apparaître la dimension sociale de l’évènement.