1. Aliénation sociale, oppression psychosociale et santé mentale.

L’histoire de la réflexion sociopolitique sur la santé mentale a été traversée par une question portant sur l’origine sociale ou non de la souffrance psychique. Néanmoins ce débat a sans doute pâtis d’un manque de distinctions conceptuelles.

L’anti-psychiatrie dans sa version la plus simpliste a été réduit à l’affirmation selon laquelle, c’était la société capitaliste qui créait la souffrance mentale. La folie était donc un pur produit de l’aliénation sociale.

La thèse inverse affirme que la souffrance psychique ne trouve aucune explication dans le social. Son origine serait uniquement intra-psychique ou biologique.

Ces deux thèses sont fausses, mais surtout parce qu’elles ne produisent pas assez de distinctions au sein de la notion de souffrance psychique.

On peut ainsi distinguer :

L’aliénation sociale : elle recouvre une souffrance qui serait liée aux formes de réification de la vie moderne en particulier : à la société de consommation, aux technocapitalismes, aux organisations de travail, aux problèmes écologiques ect… Elle represente une logique générale présente à l’oeuvre dans l’ensemble du système sociale et susceptible d’aliéner toutes les personnes quelques soit leurs positionnalités sociales. Elle correspond sur le plan de l’aliénation objective à une réificaiton du social qui produit une aliénation subjective. Une forme d’angoisse actuelle liée à l’aliénation sociale se trouve dans l’éco-anxiété.

Les oppressions psychosociales : les oppressions psychosociales trouvent leurs origines dans la positionnalité sociale des sujets. Le fait d’être une femme, d’être une personne LGBT, d’être racisée et/ou migrant, d’être en situation de précarité socio-économique constituent des facteurs de souffrances psychiques liées à un rapport social d’oppression. Une forme d’aliénation psychosociale peut être l’homophobie interiorisée, le sexisme interiorisé, le racisme intériorisé ou le classisme intériorisé par exemple.

Psychotrauma et oppressions sociales : les personnes socialement opprimées sont plus à risque de vivre des évènements potentiellement traumatiques : agressions homophobes ou transphobes, violences sexuelles pour les femmes, violences racistes ect…

Souffrances existentielles : elles sont liées à des évènements de vie critiques dont certains peuvent être parfois des évènements potentiellement traumatiques. Ils peuvent toucher toutes les personnes indépendamment de leurs positionnalités sociales. Néanmoins, ces évènements ont plus d’impact sur les personnes déjà socialement opprimées qui en outre ont plus de risque déjà d’avoir été confronté à un évènement traumatique social.

Il existe une variabilité statistique importante des troubles anxio-dépressifs et des taux de suicides en fonction des déterminants sociaux (par exemple le sexe) et des évènements psychotraumatiques.

A l’inverse, il existe des troubles mentaux qui connaissent peu de variations statistiques et qui semblent surtout déterminés par des dimensions génétiques et/ou neurodéveloppementales (ex : la schizophrénie).

On peut donc distinguer deux familles de situations : les troubles mentaux d’origine internes et la souffrance psychique réactionnelle, dont une partie est une souffrance d’origine sociale.

2. Souffrances psychiques et rapports sociaux de pouvoir.

Il existe une importante variabilité sociale de la souffrance psychique, ce qui fait que les hommes blancs hétérosexuels de classes supérieurs sont les moins statistiquement touchés par la souffrance psychique.

Ces personnes sont aussi celles qui sont le plus souvent psychiatres ou encore qui déterminent le discours psychiatrique et psychanalytique grâce à leurs positions dans le champ psycho-médical.

Il y a en outre une tendance à négliger la places des oppressions sociales dans le domaine de la critique sociale pour aborder la souffrance psychique du point de vue de l’aliénation sociale. Cela s »explique également par la place des hommes blancs hétérosexuels cisgenre dans le domaine de la production de la critique sociale.

Ainsi, A. Ehrenberg a réussi à se forger une sérieuse réputation sur la sociologie de la dépression sans jamais mentionner et analyser la dimension du sex ratio dans l’analyse de la dépression (deux fois plus de femmes sont touchées que d’hommes).

Seule les analyses féministes en santé mentale ont essayé d’analyser les causes sociales expliquant ces différences statistiques sans les renvoyer à des causes biologiques. Cela est d’autant plus le cas que la variabilité statistique entre hommes et femmes sur le plan de la santé mentale est corrélée avec les différences d’inégalités sociales, selon les pays, entre hommes/femmes.