L’ouvrage de Kevin Flamme, tiré de sa thèse de doctorat, retrace son expérience de mannequin professionnel durant 8 ans. Il s’agit d’un récit qui se présente comme une auto-ethnographique de 8 ans, mais l’on pourrait parler d’un récit de vie auto-biographique. D’ailleurs, l’auteur se situe son approche dans le cadre théorique de la sociologie clinique de Vincent de Gaulejac.

L’ouvrage est intéressant en lui-même en tant que récit et apporte des analyses intéressantes sur une expérience vécue dans l’univers de la mode. Les remarques qui suivent portent davantage sur des éléments de réflexion méthodologique concernant l’approche de ce type de terrains.

Sur le plan de la sociologie du récit de vie, on peut regretter que l’auteur ne s’attarde pas plus sur son milieu social d’origine. Même si l’on peut supposer qu’il vient d’une famille la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure. Cela apparaît par contraste avec la situation d’un autre mannequin qu’il interview qu’il appelle Timeo dans son récit.

C’est un point que l’on peut regretter chez plusieurs continuateurs ou continuatrices de Gaulejac de ne pas assez accorder d’importance à la positionnalité sociale des acteurs et des actrices, alors qu’il s’agit d’une dimension présente chez l’initiateur de la sociologie clinique (voir ses ouvrages sur La névrose de classe, ou encore La honte sociale).

Le récit se centre en son début sur un évènement, la rencontre avec un « scout » dans le métro. Le scout est une personne dont l’activité professionnelle consiste repérer des jeunes gens dans les espaces urbains qui pourraient avoir le profil physique pour devenir mannequin.

Ce qui est intéressant ici du point de vue de la trajectoire sociale, c’est la manière dont à partir d’une positionnalité sociale donnée, les évènements de vie viennent constituer une épreuve qui donne sa singularité à la trajectoire sociale. Il serait de ce fait intéressant de croiser une sociologie intersectionnelle des rapports sociaux et une sociologie des épreuves sociales. En l’occurrence, la comparaison avec les trajectoires des mannequins femmes est peu abordée sauf sous l’angle financier : les mannequins femmes gagnent en moyenne le double des hommes. Ce qui fait du mannequinat, comme de la pornographie, un des rares secteurs professionnels où les femmes gagnent plus d’argent que les hommes.

L’intérêt de l’ouvrage de Kevin Flamme est de se centrer plus spécifiquement sur les problèmes de droit du travail que rencontrent les mannequins (il y a ici une parenté revendiquée avec l’ouvrage de Guilia Menstieri, Le plus beau métier du monde : dans les coulisses de l’industrie de la mode, 2018).

Etant donné l’ancrage théorique en sociologie clinique de l’ouvrage, ce que nous aurait intéressé c’est la description de ce système d’emprise que constitue le système de la mode. Il y a des éléments qui vont dans ce sens, mais peut-être pas assez explorés malheureusement du fait de la centration plus psychanalytique des analyses.

Il y a néanmoins des éléments intéressants qui permettent de comprendre l’emprise du système mode  sur le mannequin : le fait que le mannequin est dépendant de son agence et de ses bookers qui négocient ses contrats et lui impose un certain nombre de services qui sont facturés, les appels insistant des bookers pour participer à tel ou tel casting…

Le fait que le narrateur poursuive des études par ailleurs et ne soit pas dépendant matériellement et économiquement d’une carrière dans la mode (du fait à la fois sans doute de son milieu social et de ces études) nous privent d’une analyse plus approfondie de l’emprise que peu exercer sur les mannequins l’économie du système mode. Il aurait été sans doutes intéressant de recourir à des statistiques qui mettent en lumière l’origine sociale des mannequins hommes et femmes.

Dans le cas de l’auteur, les motivations subjectives d’ordre socio-économiques semblent se trouver, entre autres, dans le fait d’acquérir une expérience professionnelle internationale, mais également la perspective de rémunération.