Qu’est ce qu’une pratique libératrice qui nous permet d’accéder à une liberté intérieure ?

« J’ai basé ma cause sur rien » (Stirner)

1. Pour la philosophie antique, la sérénité de l’âme (ataraxie) est une finalité de la philosophie. Elle se lie, en particulier chez les stoïciens, à la liberté intérieure. La finalité thérapeutique de la philosophie serait de nous permettre d’atteindre une liberté intérieure.

2. Néanmoins, une pratique libératrice qui nous conduit à la liberté intérieure ne passe pas par la « connaissance de soi ». « Connais-toi toi-même » est une illusion. Le soi est justement ce qui résiste à toute connaissance. Est-il connaissable par la sociologie, la biologie ou la psychologie ? N’est-il pas au contraire ce qui résiste à toute connaissance positive ? Est-il même quelque chose ? Sartre parle de « néant au coeur de l’homme ».

2.1. La psychologie (y compris la psychanalyse) posent plusieurs difficultés :

– la prétention à établir des lois scientifiques du fonctionnement psychique : a) qui conduit à la dissolution du sujet b) qui permettent d’agir et de manipuler le sujet.

– la mise en place de techniques d’aveu qui visent à établir un rapport de savoir/pouvoir (Foucault)

2.2. Pour la sociologie, le sujet est un composé de relations sociales et de rapports sociaux où il s’agit de déméler ce qui relève des rapports sociaux et ce qui relève des relations sociales.

2.3. L’idée de « moi noumenal » chez Kant constitue également l’idée que ce que nous postulons comme un sujet en moi est en réalité inconnaissable. Vouloir accéder à une connaissance de soi est problématique à deux titres : a) car une véritable connaissance de soi ne peut aboutir qu’à dissoudre le soi b) car une connaissance de soi ne peut conduire qu’à élaboration des technologies de pouvoir sur le soi.

2.2. Etablir une citadelle intérieure, c’est au contraire préserver en soi un espace intérieur qui résiste au savoir/pouvoir, à l’assujetissement.

C’est ce qui en moi, se trouve par-delà le moi, le sujet ou tout autre terme prétendant le désigner. Car ce dont on ne peut parler, il faut le taire. Il y a de l’apophatique en nous.

Ce qui en nous pourrait nous rendre capable d’être nous-même, échappe à toute connaissance possible.

3. Il existe une aspiration moderne à l’authenticité (cf. Taylor) en lien avec le processus social d’individuation. Cette aspiration ne doit pas être traité comme une simple illusion. Elle possède une légitimité philosophique. Les personnes homosexuelles ou transgenre, par exemple, aspirent à mener une vie qui ne repose pas sur le mensonge, à pouvoir accéder à un rapport à soi authentique.

4. Ce qui est criticable c’est l’instrumentalisation techniciste de cette aspiration dans le développement personnel managérial. Cette instrumentalisation repose sur l’illusion que des techniques efficaces pourraient nous permettre d’atteindre un rapport à soi authentique.

5. Une pratique liberatrice ne vise pas à analyser le sujet, à connaître le fonctionnement de sa personnalité. Au contraire, le « soi » est ce qui échappe à tout analyse. Toute prétention à l’analyse de l’intériorité d’autrui n’est qu’une prétention à l’assujetissement. Il ne s’agit pas d’aider la personne à connaître son vrai moi, la vérité du sujet ou son désir véritable…

6. L’objectif des sciences positives est justement de réduire à néant l’illusion d’un soi libre et authentique. Il ne s’agit pas ici de critiquer les prétentions des sciences. Mais de considérer que le rôle libérateur de la science ne se trouve pas forcement dans une connaissance de soi.

Est-ce que la science libérera les personnes homosexuelles ou transgenre des oppressions sociales qu’elles subissent en expliquant la genése biologique, sociologique ou psychologique de l’homosexualité ou de la transidentité ? Il n’y a d’ailleurs pas du côté des sociologues une telle prétention.

7. Il s’agit plutôt de aider la personne à analyser ce qui en elle n’est pas elle : le non-moi dans le moi. Mais en quoi reconnaître ce qui n’est pas moi dans moi, étant donné qu’il n’est pas possible de connaître ce qui est véritablement moi ?

8. Tout ce qui vient de l’extérieur, de la socialisation n’est pas nécessairement opposé à moi : « Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas en lui. Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes approprié. En un mot, si l’on convient d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l’acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité. » Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience. »

9. La relation à autrui n’est pas non plus nécessairement une limite à un rapport authentique de moi à moi-même. Cela dépend s’il s’agit d’une relation de réification, comme dans l’assujetissement, ou une relation intersubjective (je-tu – Buber) comme dans le dialogue.

9. Ce qui est le non-moi, ce qui nuit à ma liberté intérieure, c’est ce qui me contraint. Ce sont les rapports de pouvoir qui m’assujettissent, qui entendent me définir. Ce sont par exemple les rapports sociaux de pouvoir qui définissent la masculinité ou la féminité, qui m’imposent une place sociale ou un rôle social, qui me maintiennent sous emprise, ce qui nous colonise ect…

10. L’étude des rapports sociaux de pouvoir, par la sociologie, peut nous aider à mieux identifier ce qui en nous n’est pas nous, de part son caractère collectif et contraignant.

11. L’analyse n’est donc pas tourné vers « soi ». Il ne s’agit pas de se connaître. Il ne s’agit pas d’une pratique narcissique. Il s’agit au contraire de connaître ce qui me contraint intérieurement et qui a été introjecté en moi par le social. Cette connaissance du non-moi en moi m’amène à une connaissance des rapports sociaux de pouvoir. Cela m’amène à comprendre que je ne pourrai totalement me libérer que lorsque également je m’engagerait collectivement dans une transformation sociale vers plus de justice sociale.