La modernité tardive est caractérisée par un processus d’individuation qui peut être modélisé à partir de la philosophie et de la psychologie existentielle. Les grilles d’interprétation des thérapeutes existentiels seraient en phase avec les nouvelles souffrances psychiques (perte de sens, dépression…). Néanmoins, leur apport serait avant tout descriptif, mais ne dégage pas les explications de ces phénomènes dont les conditions de possibilité sont sociales et nécessitent une analyse sociologique. 

1. Modernité tardive et authenticité

La modernité tardive est caractérisée, selon des philosophes et des sociologues, par un processus d’individuation. Le philosophe Charles Taylor parle d’authenticité en se référant à des auteurs tels que Rousseau, Nietzsche, Thoreau ou Sartre. Chez les sociologues, il est possible de citer par exemple Alain Ehrenberg, qui voit dans la dépression, l’expression d’une fatigue d’être soi.

En suivant, la sociologie de la justification (Boltanski/Thévenot), on peut faire l’hypothèse que Sartre peut être considéré comme un grammairien de l’individu authentique mis en avant par la critique artiste (Boltanski/Chiapello).

Dans L’Etre et le Néant, Sartre trace les contours d’une figure de l’individu qui repose sur une liberté absolue de choix, qui se définit par son projet. L’angoisse de la mort est ce qui conduit l’individu à donner un sens à son existence et le contraint à choisir, et à porter la responsabilité de ses choix.

2. Les psychologues existentielles : les thérapeutes de l’individu de la modernité tardive.

La psychologie existentielle s’appuie sur la philosophie existentialiste, entre autres de Jaspers, Heidegger, Sartre.

Irvin Yalom dans son ouvrage Thérapie existentielle, en s’appuyant sur un cadre thérapeutique existentialiste et sur sa pratique thérapeutique, distingue quatre enjeux de la psychologie existentielle : l’angoisse de la mort, l’isolement existentiel, l’absence de sens de l’existence, la liberté.

On peut faire l’hypothèse que les thérapeutes existentiels repèrent dans les discours de leur patients les thématiques de la grammaire de l’individu authentique de la modernité tardive. De ce fait, ces thématiques pourraient être repérables également dans des entretiens qualitatifs en sociologie.

La phénoménologie, que ce soit en psychologie ou en sociologie, constitue en premier lieu une approche descriptive des phénomènes tels qu’ils se donnent à la conscience.

3. L’archéologie de la conscience.

La philosophie et la psychologie existentialistes s’inscrivent dans la perspective phénoménologique. En cela, elles peuvent être en adéquation avec l’approche compréhensive en sociologie qui cherche à comprendre l’expérience vécue des acteurs et des actrices.

Néanmoins, on peut faire l’hypothèse que l’individu tel que l’appréhende la psychologie existentielle possède des conditions de possibilité sociale de production. Il s’agit de faire une archéologie des structures qui rendent possibles l’agentivité du sujet.

C’est ce que remarque d’ailleurs Yalom lui même dans son ouvrage Thérapie existentielle en s’interrogeant sur la variation du sens de l’existence en fonction des époques. De même, dans cet ouvrage, l’isolement existentiel semble s’apparenter à un processus social d’individuation.

On peut également noter que les penseurs existentialistes, comme Beauvoir et Fanon, remarquent la variabilité de la conscience subjective en fonction de la positionnalité sociale : le fait d’être une femme ou une personne noire. Paulo Freire produit pour sa part une phénoménologie de la conscience opprimée. La figure universelle de l’individu authentique telle que la produit Sartre se trouve donc nuancée par les apports de ces trois philosophes qui prennent en compte la positionnalité sociale afin de décrire ce qui se donne à la conscience.

Paulo Freire effectue une critique de la notion de « situation-limite » du philosophe et psychologue Karl Jaspers. Là où Jaspers voit des invariants de la condition humaine, Freire perçoit une situation historico-sociale.

De fait, pour la sociologie :

– le sens de l’existence apparaît construit socialement et peut varier en fonction de la positionnalité sociale des personnes (classe sociale, genre ect…)

– l’angoisse de la mort peut également varier dans ses expressions entre une société holiste et une société individualiste.

– le choix libre apparaît en sociologie comme trouvant des conditions de possibilité dans des dispositions socialement construites, relativement à des positionnalités sociales.

– l’isolement existentiel peut apparaître comme le produit d’un processus d’individuation sociale liée à la modernité tardive. Il s’agit d’exister comme un individu qui se perçoit comme différent des autres.

L’individuation ne s’oppose pas nécessairement en sociologie à la possibilité de repérer des structures sociales. Ainsi, Durkheim met à jour un processus d’individuation en lien avec la division sociale du travail. C’est le passage d’une société de solidarité mécanique à une société à solidarité organique.

Ainsi :

– les individus se percevraient dans la modernité tardive comme des sujets libres tels que les décrivent la psychologie existentielle

– Mais cette perception serait construite socialement.

– En outre la conscience phénoménologique des sujets serait susceptible de variations en fonction de leur positionnalité sociale.