L’Organisation Mondiale de la Santé distingue entre les troubles mentaux et la détresse psychologique. L’accompagnement socio-existentiel ne porte pas en première intention sur les troubles mentaux, mais sur la détresse psychologique qui est réactionnelle. Elle vise à prévenir une aggravation d’une souffrance sociale et existentielle en psychopathologie (ex: passage d’un trouble anxio-dépressif léger en une dépression grave et chronicisée)

 

 

  • Les troubles mentaux et la détresse psychologique

 

 

a- Les troubles mentaux 

 

D’un point de vue statistique, la stabilité des troubles mentaux (troubles psychotiques, schizophrénie, maniaco-dépression)  à travers les époques et les aires géographiques invitent certains à défendre l’idée de facteurs biologiques expliquant ces troubles (on compte environ 1 % de personnes schizophrènes en France ou ailleurs indépendamment des époques).

 

Les troubles mentaux relèvent souvent de la psychopathologie et de la psychiatrie (psychose, schizophrénie et autres maladies mentales dites “graves” qui peuvent donner lieu à une reconnaissance de handicap ou d’invalidité).

Le trouble psychique est-il une maladie ? Certaines personnes parlent plutôt de neuro-diversité

 

b- La détresse psychologique

 

En revanche, la détresse psychologique se caractérise par une variation statistique en fonction du contexte social et de la position sociale des personnes, des épreuves de vie vécues par les personnes. 

Par exemple : les troubles dépressifs et anxieux sont deux fois plus importants chez les femmes. Les phobies, les tentatives de suicides… sont également plus représentées chez les femmes.

Cependant dans un rapport le Centre d’analyse stratégique  remet en cause la thèse biologique : dans les pays des Nords (où il y a davantage d’égalité entre Femmes et Hommes), les différences en termes de santé mentale observées sont plus faibles.

 Ainsi de nombreux éléments vont dans le sens d’une explication sociale de la souffrance psychique (qui relève de la détresse psychologique, alors que les troubles mentaux sont plus stables statistiquement et que l’on admet d’ailleurs qu’il y a une dimension génétique dans ces troubles). 

 

 

  • Les déterminants sociaux de la santé mentale

 

 

L’hystérie était le grand trouble mental à l’époque de Freud aujourd’hui c’est la dépression. Chez Alain Ehrenberg qui a écrit La société du malaise, il évoque une évolution historique, c’est la société moderne qui  est responsable de l’augmentation des dépressions. Mais Ehrenberg ne prend pas en compte la dimension genrée de la dépression: 2 fois plus de femmes que d’hommes ont connu des épisodes répressifs.

 

La sociologie de la santé mentale révèle l’existence de déterminants sociaux de la santé mentale. Il existe une influence de l’appartenance sociale sur la santé mentale en particulier concernant les groupes discriminés (femmes, LBGT, personnes racisées ou migrantes, personnes appartenant aux classes populaires).

Pour expliquer pourquoi ces personnes là sont plus à risque, nous pouvons nous référer au modèle du stress des minorités de Ian Meyer : en s’appuyant sur l’étude des populations minoritaires, il explique que celles-ci seraient soumises à une série des facteurs de stress liés à leur identité sexuelle et à la perception qu’en ont les personnes extérieures à ces groupes minoritaires

 

En combinant plusieurs déterminants de la santé mentale, on parvient à une analyse sociologique intersectionnelle des déterminants sociaux de la santé mentale.

 

Étude et campagne sur les déterminismes sociaux de la santé mentale : https://minds-ge.ch/la-sante-mentale-cest-pas-que-dans-la-tete/

 

 

  • La sociologie des épreuves

 

 

Le contre-argument souvent opposé à l’explication sociale des troubles mentaux est : comment peut-on expliquer que telle personne aura un trouble et une autre non ? 

Selon Irène, en plus de la sociologie structuraliste, macrosociale quantitative, on peut utiliser d’autres apports, notamment de la sociologie des épreuves pour comprendre cette variabilité (cf. article “les deux voies de la notion d’épreuve en sociologie).

 

Irène distingue deux types d’épreuve de vie :

  1. L’événement potentiellement traumatique. Tous les évènements confrontant à la mort ne produisent pas un trauma :
  • Catastrophe naturelle : 30% de risque de développer un psychotrauma.
  • Viol : de 60 % à 85%-90% de risque de développer un psychotrauma.

 

  1. L’évènement de vie critique : évènement auquel on est confronté en tant qu’être humain : passer un concours, déménager, changer de travail, etc. (cf. transition de vie, ruptures biographiques, tournants de vie, etc.).

 

Une grande partie du psychisme peut être expliqué par des expériences sociales

Selon le modèle épidémiologique de l’OMS, il est possible d’avoir des troubles psychiques et une santé mentale positive comme de ne pas avoir de trouble et avoir une santé mentale négative.

 

 

  • La psychotraumatologie

 

 

La psychotraumatologie est la discipline dédiée à la prise en charge des victimes de psycho-trauma

Concernant le fait que les femmes présentent deux fois plus souvent de psychotrauma que les hommes, la question des VSS (violentes sexistes et sexuelles) peuvent expliquer cette sur-représentation. 

Selon une étude : 80% des femmes en dépression en psychiatrie ont déjà subi des VSS.

 

Muriel Salmona, ne recommande pas les TCC en psychotraumatologie, elle recommande des thérapies fondées sur les récits pour intégrer la mémoire traumatique dans la mémoire biographique.

 

Le fait de croiser :

  • intersectionnalité des déterminants sociaux 
  • psycho-trauma
  • occurrence à des événements critiques de vie 

>> permet d’appréhender et de mieux comprendre la variabilité individuelle. 

 

 

  • Le diagnostic “borderline” et ses problématiques

 

 

Selon la psychanalyse freudienne, l’événement traumatique n’est pas la cause réelle des souffrances psychiques, ce sont les fantasmes et les désirs inconscients qui l’ont produit et qui doivent être analysés. 

Selon Cottraux,  le diagnostic de “borderline” est l’équivalent moderne de la qualification pour “l’hystérie”. 

Selon G. Lopez, les personnalités borderline seraient des personnalités traumatiques (ayant subi un traumatisme).

 

(NB: Le psychanalyste Ferenczi ne partageait pas les vues de Freud sur la question, voir son texte: La confusion des langues entre les adultes et l’enfant) 

 

 

  • Sur qui repose l’effort d’adaptation ? 

 

 

TCC : identifier la faille dans le raisonnement et remplacer les pensées “défaillantes” par d’autres pensées.

En TCC on peut entraîner les gens à mieux résister au stress (le coping). Mais la question est “quelle est l’origine du problème ? ”. 

Faut-il entraîner les gens à mieux résister au stress ou bien on améliore les institutions de travail pour qu’elles soient moins stressantes ?

 

Sur qui repose l’effort d’adaptation ?

 

D’une part, la psychanalyse et la psychologie ont tendance à individualiser les problèmes tandis que les pratiques relevant de l’éducation populaire autonome (lien) les traitent dans le champ du politique. On peut citer parmi les pratiques en éducation populaire autonome: l’intervention féministe intersectionnelle et les ressources alternatives en santé mentale. 

 

 

  • La thérapie communautaire intégrative

 

 

La thérapie communautaire intégrative, développée par Barreto au Brésil, s’intéresse à l’existentiel (la souffrance existentielle, les événements de vie critiques, etc.). Il se situe dans une logique de prévention de la santé mentale. 

L’objectif de son approche est d’éviter que le sujet aille vers le trouble psychique et d’éviter le recours aux psychotropes (somnifères, antidépresseurs, anxiolytiques).

 

Son approche repose sur les groupes de parole qui inclut certaines règles :

  • une personne propose un thème
  • l’animateur•trice demande si d’autres personnes ont vécu cela.
  • pas de jugement
  • pas d’analyse de la situation de l’autre
  • chacun•e parle à la première personne.
  • on ne parle pas de l’intime,  on ne divulgue pas de secret

 

L’objectif est de montrer aux gens qu’ils ont les ressources en eux-mêmes et de rompre leur potentiel isolement par le lien social ainsi créé.  

 

Cette méthode a été expérimentée au début des favelas afin de donner un endroit pour soigner sa santé mentale sans grandes dépenses.

 

Cependant elle a une limite expliquée par Barreto : certaines personnes présentent des problèmes qui dépassent le cadre du groupe (leurs conditions de vie socio-économiques).

 

 

  • Différences entre éducation populaire autonome et thérapie communautaire

 

 

Les deux approches se distinguent sur deux grands points

  1. L’analyse du fonctionnement social. Selon l’éducation populaire autonome, l’analyse sociale et politique de la souffrance mentale fait partie du processus de thérapie (c’est le reframing ou recadrage en thérapie systémique cf. cadre d’interprétation de Goffman). Cela fait écho à la notion freirienne de conscientisation. Dans une approche freirienne : on ne peut pas comprendre les approches féministe ou pédagogie critique si on a pas compris la cosncientisation des rapports sociaux de pouvoir

 

Or Barreto,se réclame de P. Freire sans reprendre la conscientisation qui est une étape essentielle.

 

  1. La défense collective des droits. Dans l’éducation populaire autonome le groupe de parole est mobilisé pour l’organisation autour de la revendication de droits pour leur respect collectif ou pour l’acquisition de nouveaux droits. 

La psychothérapie individualisée tandis que la pédagogie critique de P. Freire donne une dimension collective et sociale aux problèmes vécus.

La démythification chez P. Freire permet de sortir de la culpabilisation des personnes socialement dominées (ex: idéologie du mérite). Le sujet chez P. Freire a conscience qu’il est pris dans des rapports de pouvoir.

 

 

  • Les rapports sociaux de pouvoir

 

 

Un rapport social de pouvoir (selon Danièle Kergoat) : définit et structure la société. C’est un antagonisme qui divise deux groupes autour d’un enjeu (le travail) : dans l’école, l’espace politique, domestique, le travail, etc. Un rapport social de pouvoir n’est pas un rapport institutionnel de pouvoir.

 

Une relation sociale (toujours selon Danièle Kergoat) : relève de l’interpersonnel. 

Un rapport social se situe au niveau de la classe : sexe, race, classe.

 

Question autour de l’adultisme  (/âgisme) : est-ce un rapport social par lequel l’adulte domine l’enfant ? 

L’idée de le penser comme un rapport social est discutable notamment autour des questions de consentement et de protection des mineurs.

Réponse d’Irène: D. Dussy ne défend pas l’idée que l’enfant puisse être considéré comme un adulte autonome qui pourrait consentir à une relation avec un adulte. On ne peut pas penser la domination adulte sur le modèle des rapports sociaux de pouvoir de sexe, de classe et de racisation

 

Pour aller plus loin :

  • Yves Bonnardel , La domination adulte (défend l’idée de penser l’adultisme sur le modèle du sexisme) . Ce qui est discutable, voir l’article de Juliette Rennes: 

Rennes, Juliette. « Conceptualiser l’âgisme à partir du sexisme et du racisme. Le caractère heuristique d’un cadre d’analyse commun et ses limites », Revue française de science politique, vol. 70, no. 6, 2020, pp. 725-745.

  • Dorothé Dussy,  La domination au Berceau (anthropologue de l’inceste).

 

 

  • Le débat de l’efficacité des thérapies 

 

 

L’efficacité des thérapies est un débat de longue date qui pose toujours question avec l’apparition de nouvelles thérapies : l’EMDR par exemple. Cette technique de dissociation visuelle pose question sur son efficacité (à court-terme ou à long terme ?) dont on ne sait toujours pas expliquer l’efficacité. 

 

Selon un rapport de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) en 2004, l’efficacité de la psychanalyse est remise en cause et les TCC sont évaluées beaucoup plus efficace (l’efficacité est testée avec un groupe test / groupe témoin). 

 

Ce rapport a été remis en cause : il n’y a pas de différence d’efficacité entre les différents types de psychothérapie, le facteur le plus important est l’alliance thérapeutique entre le thérapeute et le patient. 

 

Pour aller plus loins aller voir :

  • Choisir une psychothérapie efficace, Jean Cottraux. Paris, Odile Jacob, 2011, 349 pp.

 

  • Gonon, F., and P-H. Keller. « L’efficacité des psychothérapies inspirées par la psychanalyse: une revue systématique de la littérature scientifique récente. » L’Encéphale 47.1 (2021): 49-57.

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0014385520301110 

 

  • Visentini G. Quinze ans après le rapport de l’Inserm. L’efficacité de la psychanalyse ré-évaluée. Evol psychiatr 2021; 86(3): pages

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0014385520300761

 

  • Jaeken, Marine, Lesley L. Verhofstadt, et Nady Van Broeck. « Qu’est-ce qui détermine l’efficacité d’une psychothérapie ? Brève mise à jour scientifique », Bulletin de psychologie, vol. 537, no. 3, 2015, pp. 237-242.

 

Les psychothérapies sont efficaces mais il faut tenir compte également que 40% de l’évolution d’une thérapie porte sur des facteurs extérieurs (ex: changement de situation dans la vie du patient) et ensuite seulement 30% l’alliance thérapeutique

 

Conclusion:

 

Le modèle de la santé mentale de l’OMS est biopsychosocial. La dimension biologique semble jouer un rôle significatif dans les troubles mentaux. La dimension sociale est plus déterminante dans la détresse psychologique.

Se pose une question pour savoir ce qui constitue le psychologique: est-il d’origine biologique, social ou encore d’une autre nature ?

L’approche existentialiste phénoménologique (Sartre, Beauvoir, Fanon, Freire…) considère qu’il existe une autonomie de la conscience qui n’est ni biologique, ni sociale entièrement, mais qui se caractérise par son intentionnalité (sa capacité à formuler des projets orientés vers l’avenir).