• Déterminisme, conditionnement et liberté de l’Homme (Sartre)

 

 

Présentation par Jérémy: 

 

Deux questions sont centrales chez Sartre :

  • Avons nous aujourd’hui les moyens de constituer une science antropo-structurelle et historique.
  • Existe-t-il une vérité de l’homme ? si oui quel statut cette vérité a-t-elle ?

    

Sartre apporte deux critiques:

  1. La vie subjective ne peut pas faire l’objet d’un savoir. Le savoir objectif ne peut pas tout expliquer (cf. Kiekergaard ; la philosophie est et doit être centrée sur l’éthique de la construction de soi). Le savoir objectif n’a pas de monopole explicatif : il ne peut pas expliquer tous les malheurs et la souffrance. L’homme découvre en lui-même des contradictions qui ne peuvent pas être dépassées par le savoir.

 

  1. Il faut faire un travail matériel, l’aliénation ne se règle pas par une pure connaissance, une pure dialectique. Un travail, une praxis révolutionnaire est nécessaire. La vérité n’est donc plus une constante mais quelque chose en devenir.

 

  1. Il critique la tendance marxiste de réduire le politique au social, il manquerait au marxisme cette analyse des relations humaines : la relation au groupe peut s’interposer entre l’individu et l’intérêt de sa classe. Il ne faut pas intégrer puis limiter l’Homme à une classe sociale qui en définirait les caractéristiques. 

 

Reprise par Irène :   

Les structuralistes analysent la société, au monde social, comme un ensemble de structures (de pouvoir et de domination par exemple).

L’existentialisme va s’intéresser plutôt à la subjectivité, au vécu subjectif (Kierkegaard, Husserl – le monde vécu) et d’une certaine conception de l’être humain qui est chez Sartre que l’être humain est absolument libre de ses choix

Sartre s’oppose dans L’être et le néant : à la sociologie marxiste qui dit que l’être humain est déterminé par sa classe sociale. Selon Sartre, le déterminisme relève de la mauvaise foi.

 

Sartre, même s’il critique les marxistes, considère que le maxisme est la  “philosophie indépassable de son temps”.

Sartre n’est pas anti-marxiste mais s’oppose à une certaine manière d’utiliser le marxisme pour nier la liberté de l’être humain.   

« Les hommes font leur histoire mais dans des conditions déterminées ». 

Il existe des conditions sociales déterminées mais comment expliquer le hasard dans l’Histoire ? Nos tournants biographiques ? Nos changements de trajectoire ? … Bref tout ce que Bergson appelle l’imprévisible création de nouveauté dans l’histoire.

 

 

  • La méthode régressive-progressive

 

 

Cette méthode est développée par Jean-Paul Sartre qui s’inspire ici d’Henri Lefebvre (sociologue marxiste) et qui sera ensuite mentionnée en Analyse Institutionnelle entre autres par Rémi Hess.

 

Henri Lefebvre n’a pas rédigé vraiment d’ouvrage de méthodologie mais il a expérimenté cette méthode à des champs variés (la tension rural-urbain par exemple). Il se demandera lui-même s’il s’agit bien d’une méthode au vu de son caractère singulier.

 

 Jérémy commence son commentaire du texte Questions de méthodes de Sartre (1952).

 

RAPPEL : Selon Sartre : les femmes et les hommes font l’histoire sur la base des conditions antérieures dont ils héritent. 

Il y a donc tension entre “l’humain conditionné” et “l’humain acteur.rice de son histoire”.

La méthode régressive-progressive essaye de dépasser cette tension : action singulière dans le réel pour tendre vers l’universalisme.

 

  1. Le mouvement régressif : il analyse les faits sociaux en partant de l’actuel pour aller vers le passé. Elle diffère en cela d’une méthode historique qui consisterait à partir du passé pour aller vers le présent. 

   

  1. Le mouvement progressif : consiste à étudier les possibles contenus dans le présent.  Ce second mouvement sert à élucider, développer, déployer, imaginer les possibles de la situation présente. 

 

Cette méthode permet donc de mettre en lumière les vides, les manques du présent pour ensuite dévoiler les possibles de l’avenir.

 

Lefebvre distingue également :

  • une complexité horizontale : structure sociale, technique, habitat, religion, microstructure sociale  (dans un groupe social
  • une complexité verticale : historique, génétique etc.

    

   Selon Rémi Hess la Méthode régressive progressive admet 3 dimensions :

  • la complexité (cf. Edgar Morin)
  • temporalité (cf. Gaston Pineau et F. Lesourd)
  • polysémie disciplinaire (cf Ardoino, approche multiréférentielle).

 

Question : Quel serait ou pourrait être le rôle de l’art et des praxis artistique pour dévoiler des avenirs possibles ?

 

Réponse d’Irène Pereira : on pourrait aller voir du côté de H. Marcuse et sa description du potentiel révolutionnaire de l’imagination artistique : l’art, en montrant autre chose que le réel, permet d’entrevoir des imaginaires.

 

Cela nous ramène à la distinction d’E. Bloch entre les courants chaud du marxisme (idéaliste, utopiste et explorateur des possibles : cf. P. Freire et Bloch) et les courants froids (plus scientistes).

 

 

  • Conscientisation et transformation sociale chez P. Freire

 

 

Chez Paulo Freire la conscientisation des rapports de pouvoir et de domination qui structurent la vie sociale est essentielle pour comprendre que la situation individuelle (la réalité de l’individu) est une situation historico-sociale.  En bref, les faits sociaux sont construits et pas naturels.

 

 Or, si leur situation est le produit de l’action humaine alors leur réalité peut être transformée (il y a un optimisme de la volonté dans cette lutte contre la conscience fataliste). 

 

Chez l’existentialiste K.Jaspers, les situations-limites sont existentielles comme la mort.

Chez Freire, la situation limite est sociale. 

Il s’agit de transformer la situation-limite par un passage de l’inédit possible  à l’inédit viable par un acte limite (action collective).

 

Discussion de Questions de méthode de Sartre (les limites du texte): 

 

 

  • Approche marxienne et intersectionnalité. Nouvelles approches en sociologie

 

 

La référence au marxisme et la référence à un seul rapport social admet des limites. 

     Sartre et Lefebvre se référent au marxisme, à la lutte des classes entre bourgeoisie et prolétariat. Il faudrait aussi considérer l’intersectionnalité : les rapports sociaux de sexe, de handicap, de classe, de racisation…. 

Les rapports de pouvoirs sont pluriels : c’est la problématique de l’intersectionnalité. Or, au sein même de l’intersectionnalité, il y a plusieurs courants cf. article sur l’intersectionnalité

 

Les approches post-structuralistes s’intéressent aux capacités d’action à l’agency.

 

Irène Pereira se situe dans une approche matérialiste et marxienne.

Il faut distinguer ici :

  • approche marxienne = analyser la société à partir de rapports sociaux (avec une centralité accordée au travail).
  • approche marxiste =  qui se réfère directement à l’oeuvre de K. Marx.

 

Le black feminism (Angela Davis, Bell Hooks) est influencé par le marxisme, il existe également en France le féminisme matérialiste avec des auteur.rice.s comme Delphy, Danièle Kergoat, Nicole Claude mathieu, Colette Guillaumin, Paola Tabet et aujourd’hui Jules Falquet.

 

Sartre s’appuie sur une approche marxiste classique mais selon Irène, elle n’est plus suffisante pour prendre en compte la réalité sociale. 

 

En outre, sa conception de la sociologie se réduit à la dynamique des groupes, or aujourd’hui il y a beaucoup de nouvelles approches en sociologie. 

 

Il existe par exemple une sociologie de l’enfance (cf. Bernard Lahire : Enfance de classe ; ouvrage collectif de 1000 pages – 18 cas d’enfants présentés, supposés représenter les principales classes sociales).

 

La sociologie essaie de rendre compte aujourd’hui également :

  • du rôle de l’évènement et de l’imprévisible (cf. Grossetti : Sociologie de l’imprévisible. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement) cf ; https://www.cairn.info/bifurcations–9782707156006.htm
  • de l’individualité. cf. Les sociologie de l’individu (F. Tarragoni), Repère La Découverte

https://www.cairn.info/sociologies-de-l-individu–9782707194657.htm 

 

Danilo Martuccelli  propose une sociologie existentialiste, inspirée de l’existentialisme de Sartre. Voir entre autres son livre:  Forgé par l’épreuve. 

 

La grande pluralité des inspirations et des courants sociologiques fait que ce qu’en dit Sartre avec la micro sociologie est restrictif par rapport à la situation actuelle.

La critique sartrienne de la sociologie de son époque est restreinte et sa conception de la sociologie renvoie  surtout à la psychosociologie et la dynamique des groupes de K. Lewin

 

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  • Sociologie clinique et Analyse institutionnelle

 

 

Historiquement, les courants de la sociologie clinique et de l’analyse institutionnelle sont très proches.

Son principal représentant est Vincent de Gaulejac ( voir collection sur Cairn de sociologie clinique : https://www.cairn.info/collection-sociologie-clinique.htm).

  1. De Gaulejac étudie :
  • Les effets psychologiques des transitions de classe sociale dans La Névrose de classe. Trajectoire sociale et conflits d’identité (Vincent de Gaulejac).
  • Il étudie le phénomène des transfuges de classe (avec les travaux de Chantal Jaquet, on parlerait aujourd’hui de transclasse).

 

Il s’appuie sur Annie Ernaux comme exemple des effets subjectifs du déclassement ou au contraire de la mobilité de classe ascendante. (Didier Eribon : retour à Reims https://www.arte.tv/fr/videos/091137-000-A/retour-a-reims-fragments/ , Edouard Louis, etc.)

 

Gaulejac s’appuie sur la sociologie des rapports sociaux croisée avec la psychanalyse : il s’appuie beaucoup sur le récit de vie pour développer une méthodologie sur trajectoire sociale et roman familial. 

 

NB sur la honte voir également en dehors de Gaulejac:

  • Question de la honte par ex. Didier Eribon.
  • cf. La honte comme sentiment révolutionnaire. Frédéric Gros.

 

La sociologie clinique est défini par Gaulejac comme s’interessant à la dimension existentielle des rapports sociaux. 

 

 

  • Critique de la psychanalyse et multiplicité des psychothérapies

 

 

Sartre dans L’être et néant critique la psychanalyse et en particulier l’hypothèse du refoulement de S. Freud.

Il admet l’existence de souvenirs non-conscience, mais pas refoulés inconsciemment, il est possible d’y accéder.  

Pour résumer, dans l’existentialisme de Sartre il n’y a que du préconscient ou du subconscient, pas de l’inconscient.      

 

En France, on met souvent en avant l’opposition entre :

  • thérapies cognitivo-comportementale (TCC) 
  • psychanalyse

 

Mail il existe d’autres psychothérapies :

    

  • thérapies existentialistes et humanistes (cf. précédent séminaire)   

    

  • thérapies radicales féministes (au Quebec, on parle plutôt aujourd’hui d’intervention féministe intersectionnelle) : ces approches prennent pour point de départ une critique de la psychanalyse et la psychiatrie qui est insuffisante pour comprendre le faisceau des violences contre les femmes. 

Selon le passage chez Freud de la théorie de la séduction à celle du fantasme – femmes violentées et violées sont considérées avoir fantasmé ou alors le trauma n’est que le révélateur d’un conflit intrapsychique qui lui préexiste, mais pas l’origine véritable de la souffrance psychique

Le diagnostic spécifiquement féminin de l’hystérie et aujourd’hui celui en borderline, personnalité dépendante, etc. est aussi critiqué par l’intervention féministe pour ses biais sexistes. 

Ainsi, les femmes se trouvent responsabilisées et culpabilisées des violences dont elles sont victimes.

 

  1. Paul B. Preciado, personne transgenre prenant la parole devant une assemblèe de psychanalystes “je suis un monstre qui vous parle” https://www.youtube.com/watch?v=0iL0yAE4sAE

 

Marie-France Herigoyen, dans Le harcèlement moral, dénonce la re-victimisation que produise nombre de ses collègues psychanalystes en renvoyant les victimes à une structure de personnalité masochiste (ce faisant de son côté elle tend à réduire la dimension sociale du système agresseur à un profil psychologique: le pervers narcissique)

 

Exception qui confirment la règle:

 

  • La queer psychanalyse qui propose des cures psychanalytiques en ayant conscience des questions de violence autour du genre, de l’homophobie, de la transidentité, etc.

 

  • La psychothérapie institutionnelle qui critique la pseudo neutralité du “psychanalisme” (cf. Florent Gabarron Garcia) et qui prend position dans le champ politique pour défendre des valeurs progressistes.

 

Sur les problèmes posés par la psychothérapie, entre autres psychanalytique, voir Françoise Sironi, Psychopathologie des violences collectives, avec le concept de maltraitance théorique. Exemple: 

« Mme C. a tenté de suivre une psychothérapie à deux reprises, mais en vain… elle abandonnait au bout de la troisième séance, sur une impression de malentendu. Elle avait très nettement le sentiment qu’on ne la comprenait pas. On l’invitait à parler d’elle, alors qu’elle commençait par parler de son engagement syndical dans son pays, raison pour laquelle elle a été torturée et emprisonnée. On s’intéressait exclusivement à sa petite enfance, à ses relations avec son père, avec sa mère.  » (tiré de: Psychopathologie des violences collectives). 

 

Dans ce cas, la prise en charge relève de la psycho-traumatologie qui est l’inverse de la cure psychanalytique: Lopez Gérard, Kadi Nadia, « Chapitre 3. Les thérapies psychodynamiques », dans : Gérard Lopez éd., Traiter les psychotraumatismes. Paris, Dunod, « Les Ateliers du praticien », 2020, p. 48-69. DOI : 10.3917/dunod.lopez.2020.01.0048. URL : https://www.cairn.info/—page-48.htm

 

En ce qui concerne l’accompagnement existentiel, il ne relève pas du champ de la psychothérapie. L’accompagnement existentiel porte sur les épreuves de vie (épreuves sociales et/ou existentielles) qui ne relèvent pas de la psychopathologie (ni du champ de la psychiatrie, ni du champ de la psychothérapie).

 

Il existe une tendance dans notre société à psychologiser les problèmes sociaux (cf. par exemple le livre de Didier Fassin, Des maux indicibles).

La souffrance sociale ou/et existentielle ne se traduit pas forcément par de la psychopathologie, et son accompagnement n’est donc pas nécessairement de cet ordre. 

 

Aussi bien la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, que l’intervention féministe intersectionnelles, posent la question de pratiques qui amènent à la conscience que la souffrance psychique peut avoir une origine sociale, et donc être collective, et à poser la question de pratiques d’entre-aide pour lutter collectivement contre ce qui dans la réalité sociale produit de la souffrance psychique.