Présentation philosophique : Prendre pour point de départ un monde possible fictionnel permet de mener une réflexion philosophique à partir d’autres prémisses que celles qui constituent la réalité présente. Cela permet de produire une recherche-création philosophique. La forme dialogue, qui a été utilisée dans l’histoire de la philosophie en particulier avant le XIXe siècle, constitue une forme intéressante pour croiser création fictionnelle et argumentation philosophique.

Monde possible :

Le système technicien est une notion provenant du penseur technocritique Jacques Ellul. Il désigne un état de la technique où celle-ci est devenue un système autonome dont les développements ne sont plus contrôlés par les êtres humains. Le système technicien avancé désigne pour certains sociologues une période historique qui a débutée à partir du XXII ème siècle.

Cette période ultra-technologique a entraîné de nouvelles problématiques philosophiques et effets psychiques dans l’existence des personnes. De ce fait, les consultations philosophiques se sont étendues. Les professionnel/les en charge de ces consultations sont formées à la philosophie, à la psychologie et à la sociologie existentielle.

Etude de cas: Face au validisme

Consultant* existentiel* : – Bonjour. Je vous écoute.

Militant* anti-validisme (MV) : – Bonjour. Je viens vous voir parce qu’on veut m’obliger à m’améliorer. Pour pouvoir faire les études que je souhaite et exercer dans la branche professionnelle que je souhaite, on me demande d’avoir recours aux technologies d’amélioration.

CE : – Pourquoi vous fait-on cette demande ? L’augmentation n’est pas obligatoire pour exercer une profession. Je ne comprends pas.

MV : – On considère que j’ai un handicap physique qui ne me permet pas d’exercer cette profession. Donc on me demande de m’améliorer technologiquement.

CE : – Et êtes-vous d’accord avec cette demande ?

MV : – Non, justement, j’y suis opposé*. Je milite contre le validisme. J’estime que ce n’est pas à moi de me transformer, mais aux établissements de formation et aux employeurs de rendre accessibles les emplois.

CE :- Pourquoi êtes vous opposé à ce qu’on appelle « l’amélioration » ?

MV : – Reconnaître que j’ai besoin d’être amélioré par une technologie, cela supposerait que c’est moi qui ait un problème, que je suis une personne déficiente. Je ne me considère pas comme déficient*. Je considère que c’est à la société de mettre en œuvre les conditions de l’inclusivité. Ce n’est pas à moi de changer. Outre le fait d’être anti-validiste, je suis favorable au mouvement Humain Authentique.

CE : – Est-ce que vous pouvez m’expliquer ?

MV : – Je pense qu’on se sert du handicap comme alibi pour développer des technologies d’amélioration qui ensuite sont utilisées au sein de la population dans son ensemble comme technologie d’augmentation. Les valides parlent d’amélioration pour les personnes handicapées et pour eux, ils utilisent plus souvent l’idée d’augmentation, parce qu’ils voient ces technologies comme un « plus ».

Pour moi, toutes ces technologies nous évite d’avoir à nous poser la question de notre organisation politique et sociale. Avec les technologies d’augmentation et d’amélioration, les personnes valides non-augmentées et les personnes handicapées qui n’ont pas recours aux techniques d’amélioration, se trouvent discriminées socialement. Or ces technologies ont un coût. Il y a beaucoup de personnes qui sont contraintes de s’endetter lourdement pour pouvoir accéder à des emplois. Cela avait déjà commencé, il y a quelques décennies, lorsque dans certains pays et pour certaines professions s’était répandu le recours à la chirurgie esthétique. Pour moi, c’est un acte de résistance politique que de refuser l’amélioration.

CE : – Pouvez-vous m’expliquer exactement à quel problème vous vous trouvez confrontés ?

MV : – Le problème, ce sont les pressions, non seulement de l’administration, mais y compris de mon entourage, qui ne comprend pas mon refus d’avoir recours aux techniques d’amélioration. On me dit que l’être humain a toujours été un être augmenté : les outils, l’alphabétisation… On m’explique également que la société ne peut pas s’adapter à chaque individu, que ce sont les personnes, considérées comme « déficientes », qui doivent faire des efforts pour s’adapter. On me dit aussi que j’ai de la chance car fut une époque nous n’avions pas des techniques d’amélioration aussi performantes qui me permetteraient de devenir « normal » comme un* valide, voire si je le désir de m’augmenter.

CE : – Que pensez-vous de ces discours ?

MV : – Je ne suis pas d’accord avec ces pressions. Je vous l’ai dit pour moi, c’est une question non pas individuelle, mais politique. Les technologies d’amélioration et d’augmentation représentent un système économique. Elles nous rendent dépendantes des entreprises qui les produisent, en particulier par le biais des endettements. Il pourrait être au contraire possible de rendre accessible les postes de travail, de diminuer la pénibilité physique des métiers sans avoir recours à l’augmentation… On nous soumet à une sorte de compétition à l’augmentation pour trouver un travail. On doit maintenant fournir des certificats prouvant à minima que l’on est valide, mais on sait très bien que les employeurs préfèrent prendre des personnes qui sont augmentées. Bien évidemment, c’est illégal de forcer les personnes à l’augmentation. Officiellement, on ne doit pas favoriser une personne augmentée par rapport à une personne « normale », mais dans les faits, on sait très bien que c’est ce que font les employeurs. Alors vous imaginez lorsqu’on est une personne considérée comme « déficiente », c’est encore pire.

Je sais que mes positions militantes paraissent incompréhensibles à la plupart des gens, mais il fut un temps dans le passé, où l’on avait été dans cette direction, celle de modifier l’environnement et non les personnes.

CE : – Je comprends.

MV : – Ce qui me pose le plus profondément des difficultés, c’est que l’on part de l’idée que le problème, c’est la personne, et non la société dans laquelle on vit. Lorsqu’il y a un désajustement entre la personne et la société, le problème vient de la personne. C’est elle qui a un problème. C’est ce qui fait qu’on vous demande de recourir à des techniques « d’amélioration » ou que l’on vous envoie chez « un psy » pour voir ce qui ne tourne pas rond chez vous. Donc, on m’a envoyé en consultation. Je sais bien que l’idée, c’est qu’on va me normaliser dans tous les sens du terme : me normaliser physiquement avec les techniques d’amélioration physique, on va me normaliser psychologiquement avec des techniques psychothérapeutiques. Je sais bien en définitive de dire qu’une personne « ne tourne pas rond », cela veut juste dire qu’elle n’est pas adaptée au fonctionnement social.

CE : – Ce que je comprends, c’est que vous ne voulez pas avoir recours aux techniques d’amélioration. C’est cela ?

MV : – Oui, c’est cela. Mais le problème c’est que si je refuse les techniques d’amélioration, je vais être socialement marginalisé. Je ne pourrai plus accéder à un emploi, en tout cas pas à l’emploi que je désire.

CE : – Est-ce que vous avez une idée de la manière dont vous pourriez sortir de ce dilemme ?

MV : – Non, je ne vois pas. Je me sens coincé* comme une souris, je me sens pris au piège.

CE : – Qu’est-ce que vous avez entrepris jusqu’à présent pour essayer d’agir sur la situation ?

MV : – J’ai rejoins une association de lutte contre le validisme qui réunit des personnes considérées comme handicapées.

CE : – Qu’est-ce que vous en avez retiré de cette expérience ?

MV : – Concrètement, nous ne parvenons pas à obtenir gain de cause. Mais, cela me fait du bien de me retrouver avec des personnes qui partagent la même expérience que moi, qui ont les mêmes idées et avec qui ont peut lutter ensemble. Vous savez ce que nous vivons actuellement me rappelle la lutte des personnes intersexes au XXe siècle et au XXI è siècle, on obligeait leurs parents à leur faire subir des opérations, soit disant pour les rendre normal, ce qui voulait dire les faire correspondre anatomiquement à un sexe ou un autre.

CE : – Est-ce que vous avez d’autres idées de perspectives possibles ?

MV : – Dans le cadre de cette société, non ! La seule perspective à laquelle je pense parfois, c’est de rejoindre une communauté d’en-dehors. Vous savez, ce sont ces groupes d’humains authentiques qui refusent les technologies du Trust. Ils vivent dans des zones autonomes.

CE : – Je pense que nous avons bien avancé pour cette séance. Je vous propose que l’on aborde à la prochaine séance votre projet de rejoindre une communauté « d’en-dehors ». Souhaitez-vous reprendre une séance la semaine prochaine ?

NB : Nous espérons que vous avez appréciés la démonstration de notre robot « consultant existentiel », il s’agit d’une IA programmée à partir des principes de « l’écoute active » : « Un des systèmes les plus célèbres des débuts de l’IA, parangon des systèmes écholaliques, simule un psychologue rogerien (non directif) en conversation avec un patient. » (Sabah, Gérard. « Intelligence artificielle et santé mentale », Serge Tisseron éd., Robots, de nouveaux partenaires de soins psychiques. Érès, 2018, pp. 29-41.)